Les leçons de l’«évidence empirique»

La très grande majorité des économistes pense que toute théorie dans leur domaine d’analyse doit être déduite de l’observation des faits qui sont censés être expliqués par cette théorie (négligeant que pour «lire» ces faits il est nécessaire de faire appel à des catégories conceptuelles qui ne sauraient reposer sur l’observation des phénomènes à expliquer logiquement).

Si l’on considère dès lors l’«évidence empirique» disponible de chaque côté de l’Atlantique, force est de constater que les différentes mesures dites d’«austérité expansionniste» au sein de l’Union européenne n’ont pas (encore?) permis à ses pays membres de relancer la croissance et réduire le chômage, comme continuent de le prétendre leurs partisans. Bien au contraire, les perspectives économiques, surtout dans la zone euro, deviennent de plus en plus sombres, même selon les projections de la Commission européenne (revues à la baisse par rapport à celles de l’automne 2012).

Cette «évidence empirique» contraste visiblement avec celle de l’autre côté de l’Atlantique, où l’économie états-unienne affiche une réduction du taux de chômage mesuré en avril 2013 ainsi que la création de 165 000 places de travail (sans doute insuffisante pour dire que la crise est passée, mais encourageante pour la population dont le moral influence généralement le comportement de dépense et, par là, le taux de croissance économique). Même si l’Administration de Barack Obama a clairement soutenu davantage les acteurs financiers, surtout ceux «too big to fail», par rapport aux familles états-uniennes, il ne fait aucun doute que sa politique économique expansionniste peut se targuer de meilleurs résultats (ne serait-ce qu’en termes d’apport à la croissance du produit intérieur brut) que la politique d’austérité suivie dans l’Union européenne.

L’observation des faits devrait donc interroger les économistes, mais a fortiori les décideurs politiques, sur le caractère néfaste de l’austérité. Il ne s’agit pas de donner raison aux «Keynésiens» (une étiquette qui est abusée et ne sert qu’à confondre les esprits), mais de reconnaître que le seul phénomène véritablement «Keynésien» à présent, dans la zone euro, est l’énorme chômage involontaire, notamment des jeunes qui ne sont ni en formation, ni en période d’apprentissage professionnel (ceux que l’on a désormais réunis sous l’acronyme NEET en anglais).

Sergio Rossi

Sergio Rossi est professeur ordinaire à l’Université de Fribourg, où il dirige la Chaire de macroéconomie et d’économie monétaire, et Senior Research Associate à l’International Economic Policy Institute de la Laurentian University au Canada.