La Suisse appartient à ceux qui se lèvent tôt, hélas

LE SYNDROME POST-VACANCES

Je ne sais pas vous, mais je trouve que la rentrée est rude. J’en souffre depuis la petite enfance car, horaires suisses obligent, même si ma rentrée était alors surtout scolaire, ça ressemblait déjà beaucoup à la douloureuse reprise automnale et matinale du boulot qui, années après années, a suivi la fin de mes études.

Je signale en passant aux autorités sanitaires suisses que dans un pays d’avant-garde, l’Espagne, et malgré un ensoleillement maximal et des horaires a priori plus respectueux des droits de l’homme, le traumatisme de la rentrée est devenu une pathologie officielle : pas une semaine sans que les médias ibères ne traitent des nombreuses victimes du terrible syndrome ‘postvacacional’.

Certains cas très graves peuvent mener à des arrêts de travail, à des dépressions carabinées, voire à des dépenses excessives et compensatoires au centre commercial du coin.

 RÉVEIL DU MATIN, CHAGRIN

Il y a quelques années, dans une maxime qui synthétisait le problème, Jean-Luc Benoziglio, brillant écrivain suisse trop tôt disparu, avait pourtant tenté d’avertir les autorités sur les conséquences dramatiques d’un manque de flexibilité au niveau des horaires sur la créativité nationale : « Le Suisse se lève tôt, mais se réveille tard ».

Et comme le Suisse lève-tôt mais, plus lent à la détente, a tendance à confondre, dans son autosatisfaction somnolente, horaires contraignants et richesse nationale, il ne s’intéresse pas assez aux autres manières de faire et de vivre, en matière d’horaires, de transports publics ou d’abonnements intégrés, par exemple.

Un quelconque piéton cultivé voulant se rendre à la Fondation littéraire Jan Michalski – où l’on  peut effectuer des études entomologiques sur les écrivains en résidence, s’épanouissant dans un fastueux écosystème de cages dorées plutôt que dans leur habituel biotope de tours d’ivoire désargentées –, comprendra l’ampleur de la problématique au moment d’acquérir son billet à l’automate des Transports Lausannois (TL) pour un périple Lausanne-Montricher.

Sur la base d’une toute petite carte délimitant chaque zone de la « Communauté tarifaire vaudoise Mobilis » et conçue avant tout pour le/la retraitée presbyte, il faut, pour son billet, sélectionner sur un écran tactile indépendant de ladite carte les numéros aléatoires des zones à traverser pour arriver au Parnasse. Concrètement, on part de Lausanne-centre (zone 11), on passe par Renens (zone 12) puis, successivement par la zone 30, 31, 33, 34 et 37 pour arriver à Montricher (zone 38).

Pour des questions de santé mentale, on évitera de se demander pourquoi Lausanne, point de départ de ladite Communauté tarifaire, porte le numéro 11 et pas le 1, ou pourquoi Montricher porte le numéro 38 et pas le 22 ou le 47. Ceux qui auront tenté l’explication pour l’étranger de passage ne s’en sont jamais remis.

MAIS COMMENT FONT LES AUTRES ?

Si le Suisse se réveille tard, c’est peut-être aussi parce que s’étant levé tôt, il est un peu raplapla à la sortie du travail, une explication comme une autre pour une réputation tenace de lenteur, qui, à mon avis, tient plus de l’engourdissement que du réel manque d’intelligence au moment de chercher, le soir, l’esprit libre, des réponses simples, créatives, voire récréatives, aux problèmes quotidiens, zonards ou pas.

Ailleurs, dans les transports publics, à Londres, à Amsterdam, à Paris, à Barcelone, à Athènes, il y a longtemps que le créatif couche-tard lève-tard reposé a créé sur la carte de l’automate un petit nombre de zones et de tarifs, cinq au maximum, de couleurs différentes, qui partent en rayon depuis la capitale ou le chef-lieu.

Remarquons aussi, en comparant ce qui est comparable, qu’à protestantismes et climats apparentés – pluvieux, sombre, froid avec luminosité minimale pendant de longs mois –, l’Anglais moyen ne se lève jamais à 06.00 heures du matin pour arriver au travail à 07.00 ou 08.00 heures. 09.30 est considéré comme tôt, et c’est plutôt vers 10.00 que la vie économique et administrative commence, comme d’ailleurs aux Pays-Bas ou dans le nord des États-Unis.

Pour ne pas froisser des sensibilités promptes à tout mettre sur le compte d’une lascivité et d’une paresse chroniques induites par des siècles d’incurie et de religion non réformée, j’évite de trop m’arrêter sur des pays méditerranéens (Espagne, Italie, Grèce) où l’on est pourtant vif et débrouillard et où, malgré des horaires plus impressionnistes, le travail se fait et où on arrive toujours à bon port.

FAUT-IL SOUFFRIR POUR ÊTRE BON ?

En pays calviniste, les horaires de travail se doivent d’être contraignants, sinon ce ne serait pas du vrai travail. Tout comme ceux de l’école, d’ailleurs, qui, pour avoir l’air sérieuse, fait se lever ses petit(e)s élèves à 6.00 du matin en plein hiver, en pleine nuit, dans le froid, pour qu’ils arrivent hagards mais avides de savoir dans les écoles éclairées au néon, ces oasis de culture illuminant la toundra hivernale helvétique.

Mais quand même : j’ai beau me répéter chaque matin, pour me consoler, que le monde appartient aux gens qui se lèvent tôt, j’ai de gros doutes.  Je ne peux m’empêcher de penser que si les politiciens suisses se levaient à midi, la face du monde en eût été changée et, les yeux encore collés par une nuit de sommeil trop courte due à un indécrottable biorythme binational italo-suisse peu compatible avec les exigences économiques de la nation, je me dis que c’est surtout le monde du matin qui appartient aux gens qui se lèvent tôt.

Pour le monde du soir et de la nuit, pas sûr : il reste peu de temps de cerveau disponible une fois le frugal souper expédié devant les nouvelles télévisées. Une longue suite de bâillements prémonitoires et l’appel désespéré d’un lit de taille variable qui n’attend que le corps fourbu du travailleur helvète lève-tôt standard annoncent très vite l’heure du repos du guerrier jusqu’à la diane de 6.00 heures et un nouveau matin qui chante allègrement.

D’où ma question, très intéressée : vu les bouchons dans les villes et sur les autoroutes, matin et soir, toujours aux mêmes heures, pour aller au et revenir du travail, et vu les cohues, de 20.00 à 23.00, dans les magasins Migros et Coop des grandes gares suisses, alors que dans le reste du pays les magasins sont fermés depuis 19.00, est-ce qu’il n’y aurait pas lieu de fluidifier tout ça en permettant aux lève-tard de se lever tard et de travailler plus tard, ce qui favoriserait, par la même occasion, une permanence plus étendue dans certains services, notamment à l’administration ?