Du 14 au 23 août, un tout nouveau festival de musique pour permettre aux artistes de se produire : allez-y !

En Suisse comme partout, la crise du coronavirus touche tous les corps de métier, et les dégâts sont terribles pour l’ensemble des arts de la scène. Toutes les catégories d’artistes, de techniciens, d’organisateurs et de lieux de présentation sont touchées.

Il est important de soutenir tous les événements et toutes les initiatives qui permettent aux artistes de se produire et aux arts de la scène d’exister.

Ce n’est pas facile, il faut rapidement et dans des conditions difficiles, mettre sur pied un programme qui s’adapte à de nouveaux formats et qui permette aux artistes de se produire dans de bonnes conditions pour offrir le meilleur d’eux-mêmes à un public qui, en toute sécurité, assiste au concert dans le respect de toutes les mesures sanitaires, entre public limité à 80 personnes, hygiène des mains, distanciation sociale et port du masque.

LA MUSIQUE AU VERGER

C’est pourquoi il faut saluer L’Été au verger, un tout nouveau festival qui a lieu du vendredi 14 au dimanche 23 août 2020 au Petit-Veyrier (GE) dans le verger d’une très belle propriété privée.

La responsable de la petite équipe, l’historienne et professeure de piano genevoise Corinne Walker, explique la démarche : « Pendant le confinement, nous avons voulu redonner espoir aux jeunes musiciens et artistes professionnels de la scène genevoise.  Nous avons alors créé l’association L’Eté au verger pour mettre sur pied ce festival plein de découvertes artistiques. Vu l’urgence dans laquelle nous avons dû travailler et l’absence de soutien financier des traditionnelles fondations culturelles, nous comptons sur la présence du public, sur le bouche à oreille et les réseaux sociaux et sur un soutien direct sur le compte de notre association, dont les coordonnées se trouvent sur notre site internet, créé tout exprès pour l’occasion. »

Les réservations sont obligatoires par email ([email protected])  via le site internet : https://www.eteauverger.com

AU PROGRAMME

Vendredi 14 août :

19.00 Quatuor Emrys (musique classique)

21.00 Mimoji (musique du Cap-Vert et bossa nova)

Samedi 15 août :

20.00 Caroline Gasser & Quatuor Arteo (lecture classique)

Dimanche 16 août :

17.00 Barlovento trio (latino)

Mercredi 19 août :

19.00 Zéphyr (jazz-baroque)

21.00 Forever overhead (folk-pop)

Jeudi 20 août

20.00 Crome (jazz)

Vendredi 21 août

18.00 Concert de fin de stage

21.00 Nomadim (jazz nomade)

Samedi 22 août

19.00 Anouchka Schwok & Benjamin Faure (chant classique)

21.00 Les Floxx & co (folk/latino)

Dimanche 23 août

17.00 Ajar (Création littéraire)

19.00 Operami (airs d’opéra)

Une apocalypse de série B ?

Dans le monde entier, pour les médias comme pour les réseaux sociaux, pour les états comme pour la société civile, ce coronavirus, ou plutôt cette (féminin) Covid-19, aura au moins servi d’excellent MacGuffin, comme dirait Alfred Hitchcock.

MACGUFFIN

MacGuffin ? Mais oui, vous savez, cette astuce de scénario (des plans secrets, un collier mystérieux, un trésor caché…)  qui permet le déroulement de l’histoire, sert de prétexte à faire un portrait de société, et révèle les personnages qui y sont confronté.

Une grande partie des films et des séries télévisées, américaines en particulier, doivent leur succès au MacGuffin, à commencer par le célébrissime et culte L’Invasion des profanateurs de sépultures (1956) – The Invasion of the Body Snatchers, « L’Invasion des dérobeurs de corps », le titre original, est plus parlant –, mais aussi, en 1968, le glauque Les Envahisseurs (« David Vincent les a vus »).

Dans les deux cas, l’humanité est confrontée à une invasion secrète et meurtrière d’extraterrestres s’emparant insidieusement de la Terre, ce qui crée un terrible climat d’angoisse – on sait qu’ils sont là mais on ne sait pas qui en est – et révèle les comportements humains face au danger (la peur, la lâcheté, la solidarité, le courage, le sacrifice). Ça vous rappelle quelque chose ? Remplacez invasion extraterrestre par Covid-19 et vous aurez un résumé de l’air du temps.

Dans mon Journal je notais ceci, au 10 mars 2020 : « Une ambiance de fin du monde, ces temps-ci, une épidémie, le ‘coronavirus’, partie d’une région de Chine, s’est rapidement propagée partout et panique le monde entier : on n’a pas de vaccin pour l’instant, le nombre de personnes affectées augmente rapidement, certains pays sont très touchés, la Chine d’abord, mais aussi l’Italie, avec quelque chose comme 300 morts. Les mesures prises (isolement, mesures d’hygiène) n’ont pas endigué l’épidémie. La France était en alerte 2, l’Italie interdit aux habitants du Piémont et du Veneto de sortir du pays (mais les frontaliers peuvent aller travailler en Suisse, on se demande bien pourquoi ?). En Italie, c’est à un tel niveau que les médecins disent choisir qui va recevoir un traitement en priorité. Autant dire que les vieux ne vont pas être la priorité… ».

À CHAQUE COMMUNAUTÉ SON APOCALYPSE

Ce cruel MacGuffin épidémique, aura permis de constater que l’angoisse – et le secret désir, peut-être – de l’Apocalypse n’est pas en contradiction avec le maintien de tous les communautarismes possibles.

Les religieux sectaires y ont vu une punition pour toute une série de péchés impardonnables, dont l’homosexualité (elle même un virus contagieux, c’est bien connu).

De son côté, le collectif LGBTQ+ a sonné l’alarme au sujet des effets collatéraux du coronavirus sur les jeunes gays confinés dans leurs familles.

Les féministes ont souligné que les pays où la situation avait été la mieux gérée étaient des pays dirigés par des femmes, tout en poussant un cri d’alarme au sujet du danger accru de violence domestique en période de confinement.

Les nationalistes ont partout souligné avec vigueur que les mesures prises étaient bien meilleures et bien plus intelligentes dans leur propre pays que dans tous les autres pays.

Les anti-nationalistes ont rétorqué que pas du tout, que des pays bien plus efficaces – la Chine, la Corée ou Singapour – avaient osé braver leur opinion publique respective et prendre les décisions adéquates.

Les évangélistes-conservateurs ont loué la politique de non-intervention absolue du Président Trump aux États-Unis comme du président Bolsonaro au Brésil, où l’on a le courage de viser l’immunité de groupe en laissant Dieu reconnaître les siens.

Quant aux écologistes, climatologues, éthologues, spécistes, végétariens, végétaliens, vegans ou encore allergiques au gluten – et même si on sait bien que les virus sont vieux comme le monde et qu’ils sont aussi dévastateurs et meurtriers pour la nature et pour les animaux que pour les hommes – l’arrivée de cette pandémie leur aura au moins permis de se lâcher et d’y voir une punition méritée que l’homme aura bien cherchée avec sa surpopulation, ses activités économiques, sa mondialisation, sa pollution et sa cruauté envers la nature et les animaux.

Les mêmes feront remarquer à juste titre qu’on a enfin pu voir des montagnes depuis le centre de New Delhi, que le ciel de Londres s’est complètement dégagé, que Los Angeles a retrouvé son vrai visage d’infinie banlieue pavillonnaire, que les dindons sont allés faire du shopping à la 5e Avenue, qu’une kangouroute a vidé sa poche en plein Opéra de Sidney, que Nessie a sorti sa petite tête au long cou pour scruter les rives de son Loch, qu’un dahu a parcouru en diagonale les pentes du Cervin et que de multiples dauphins se sont chamaillés, joyeux, dans les canaux de Venise, dans le port de Barcelone, et même du côté des Bains des Pâquis, à ce qu’il paraît (mais le témoin qui me l’a rapporté y a aussi vu des éléphants roses).

DES CHIFFRES, ENCORE DES CHIFFRES, TOUJOURS DES CHIFFRES

Cette impression de fin du monde a été particulièrement accentuée par un des premiers effets collatéraux de cette crise au niveau mondial et local : le développement, la présence continue et le constant rappel, dans les médias, réseaux sociaux compris, de courbes, d’infographies et de statistiques de malades et de morts – un peu moins des patients guéris… – sur toutes les plateformes. Une sorte de miroir morbide auquel il a été impossible d’échapper.

Un peu plus de deux mois plus tard, et en période générale de déconfinement progressif, en Europe du moins, les statistiques officielles mondiales du 22 mai 2020 de worldometers (lien)– qui valent ce qu’elles valent, sachant que les sources, les modes de calculs et les personnes inclues ou exclues diffèrent d’un pays à l’autre, sans compter les censures locales… – dénombrent 5 214 039 millions de contaminés, 2 094 143 de patients guéris et 334 997 morts. Pour l’Europe, au 16 mai, on en était, officiellement, à 1 869 225 cas et 165 407 décès.

Pour la Suisse, l’Office fédéral de la statistique, au 22 mai 2020, donne les chiffres suivants : 36 nouveaux cas pour un total de 30 694 cas et 1638 décès. Le quotidien zurichois Tages Anzeiger relevait il y a quelques jours que les morts sont répartie en 53% dans les EMS contre 47% à la maison ou dans les hôpitaux et calculait, en gros, que des 1638 décès recensés, 1560 avaient plus de 60 ans, et de ces 1560, 1120 dépassaient les 80 ans.

TOUT ÇA POUR ÇA ? OU LE MAUVAIS USAGE DES STATISTIQUES

Il fallait bien s’attendre à un retour de balancier, une fois la peur et le confinement obligatoire passés. Et ça n’a pas raté, les critiques pleuvent sur les mesures imposées par le Conseil fédéral : Quoi ? Tout ça pour une grosse grippe qui ne touche qu’1% de la population, en majorité des vieux ? Des chiffres si minables alors que des millions de gens meurent chaque jour de faim, de la malaria, d’un AVC, du cancer, etc.?

C’est sûr, dans l’absolu on peut même mettre en parallèle le nombre de morts dû à la Covid-19 avec le nombre de morts tout court et le résultat sera absolument dérisoire. Mais on peut difficilement comparer des chiffres liés à des pathologies connues, qu’on traite pendant des années et pour lesquelles on a des protocoles de soins et des médicaments avec ceux d’une épidémie inconnue à ce jour, qui fait des ravages partout en deux petits mois et pour laquelle aucun traitement et aucun vaccin n’est encore disponible.

Sous la plume de Benito Pérez, un excellent coup de gueule paru dans le Courrier du 21 mai 2020 (Le retour de la grippette, lien) corrige le tir et vient opportunément rappeler, tout comme le fait la sociologue franco-israélienne Eva Illouz, dans son article Depuis les ténèbres, qu’avons-nous appris ? (lien) paru dans le BibliObs du 11 mai 2020 – notamment la Leçon no 3 intitulée : Le néolibéralisme est vraiment nuisible à la santé – que si, dès janvier, la majorité des États, Suisse comprise, avaient pris en ligne de compte la gravité de la pandémie, et si, auparavant, tout le système sanitaire public n’avait pas été sauvagement restructuré pendant des décennies sous prétexte de rentabilité économique et de New Public Management, on aurait peut-être pu éviter le confinement et ses effets désastreux sur l’économie.

À part des exceptions comme la Nouvelle-Zélande,  la Bulgarie ou Malte, qui ont pris des mesures très tôt, la situation n’a été comprise par la majorité des gouvernements qu’à la mi-mars et les systèmes sanitaires ont dû, en sous-effectif chronique, faire face à une épidémie inconnue, sans vaccins, sans matériel adéquat, tant au niveau des masques pour les soignants que des appareils respiratoires disponibles pour les patients.

En Suisse, c’est donc au confinement qu’on doit ces 1% de morts (près de 2000 personnes quand même) un chiffre qui, sans mesure de confinement, serait facilement monté au dessus des 25 000, compte tenu d’une infrastructure hospitalière inadéquate et du facteur exponentiel qui fait qu’une personne malade en infecte au moins trois autres qui elles-mêmes en infectent au moins trois autres et ainsi de suite.

69, ANNÉE PANDÉMIQUE OU LA GRIPPE DE HONG KONG (DONT PERSONNE NE SE RAPPELLE)

Évidemment, une pandémie en rappelle d’autres et on ne peut s’empêcher d’aller chercher dans le passé des éléments qui éclairent le présent, notamment pour comparer à la fois l’impact de l’épidémie sur la population et l’utilité des mesures qui avaient été prises pour se protéger.

On évoque les 25 millions de victimes de la Peste Noire, qui a sévi de 1347 à 1352 ainsi que les 25 à 50 millions de victimes de la Grippe Espagnole (1918), on survole rapidement la Grippe de 1957, qui a fait d’énormes dégâts dans le monde, dont 30 000 morts en France, et on évoque la Grippe de Hong Kong (1968-1969), dont on se rappelle vaguement alors qu’elle a fait des ravages partout.

Comparaison n’est pas raison, mais si, quand même : dans un podcast passionnant (que vous trouverez à cette adresse), la journaliste Raphaëlle Rerolle, grande reporter au quotidien Le Monde, comparant la Covid-19 et les mesures prises à cet égard, s’est étonnée de la différence de traitement politique, économique et médiatique avec d’autres pandémies, en particulier celle de 68-69.

Premier étonnement : la Grippe de Hong Kong de 68-69 a fait plus d’un million de morts dans le monde, et de 30 000 à 35 000 en France, c’est à dire plus que les 28 332 décès comptabilisés en France confinée au 23 mai 2020, et pourtant plus personne ne semble s’en souvenir, y compris parmi les médecins qui étaient mobilisés à l’époque.

Cette grippe, partie en février 68 de Chine centrale a d’abord atteint Hong Kong, où elle a décimé la population, puis le Japon, l’Australie, l’Iran et les États-Unis, où elle a causé plus de 50 000 morts en trois mois.

En Europe, c’est surtout la deuxième vague, en décembre-janvier 1969-1970, qui va faire des ravages : 25 000 morts en France rien que pour le mois de décembre. L’Angleterre et l’Italie sont très touchées, cette dernière, selon des chiffres du Monde de l’époque, compte 15 millions de malades, ce qui va coûter des sommes astronomiques à l’économie italienne… Et pourtant, la télévision n’en parle qu’en passant et la presse écrite ne l’évoque que dans des entrefilets de cinq lignes. Quant au gouvernement, il ne se sent pas concerné, le thème n’est pas évoqué, il n’y a pas de mesure de santé publique.

DEUX POIDS, DEUX MESURES : LA NOTION DE SANTÉ PUBLIQUE

C’est l’occasion pour la journaliste de faire une passionnante analyse sociologique et de comparer les deux réactions ce qui, par contrecoup, vient expliquer en partie les raisons des mesures prises en 2020, qui ne sont pas une réaction exagérée à une grippette mais des décisions de santé publique visant à préserver la population.

Elle relève d’abord qu’à cette époque la France était un pays jeune – on l’a d’ailleurs bien compris en mai 68 – et que si l’épidémie de Hong Kong était arrivée dans un pays avec la même pyramide d’âge que la France de 2020, une population plus âgée, les morts auraient été multipliés par deux ou trois.

Elle signale aussi qu’en France, à cette époque, il n’y avait pas de réseau de surveillance de la grippe, seuls douze généralistes faisaient des pointages ponctuels.

Elle rappelle qu’un vaccin antigrippal existait mais avec 30% d’efficacité. Les laboratoires français n’avaient pas inclus la nouvelle souche et n’avaient pas fabriqué assez de doses. Les gens, sous-informés, se sont précipités sur les vaccins. À Lyon, par exemple on vaccinait à tour de bras sur les trottoirs (les étudiants en médecine avaient été réquisitionnés pour ça) et on se ruait sur les pharmacies à la recherche d’un traitement, causant une pénurie de médicaments.

Elle met l’oubli total de cette épidémie meurtrière sur le compte de plusieurs facteurs : on estimait que cette grippe touchait plutôt les personnes âgées, et la France était encore un pays jeune, la médecine n’était pas aussi perfectionnée qu’aujourd’hui – en 69-70, les 3 quarts des patients atteints de leucémie mouraient dans les 2 mois, 1% de la population survivait plus de 2 ans, contre 70% aujourd’hui –, et les politiciens de l’époque avaient connu la guerre et ses atrocités ce qui, par contrecoup, rendaient la mort par grippe plus dérisoire.

Ce qui a changé depuis, c’est le développement de la notion de Santé Publique dans le monde. En France, dès le début des années 70, des actions gouvernementales de prévention sont mises sur pied, en sécurité routière notamment, dans un pays qui comptait facilement 18 000 morts par année sur les routes. Puis sont venues les campagnes de prévention anti-tabac, par exemple.

Au fil des ans et des progrès de la médecine, le confort matériel et le rallongement de l’espérance de vie a modifié notre rapport à la mort. L’épidémie de Covid-19, et l’absence de traitement disponible, vient nous rappeler brutalement que tout n’est pas si simple et qu’on n’en a pas fini avec les épidémies…

CONSOMMER ET/OU PÉRIR, FAUT-IL CHOISIR ?

Alors, exagérées et inutiles, ces mesures de confinement ? Rappelons quand même que dans une société de consommation comme la nôtre, si les personnes qui travaillent paient par leurs impôts les prestations de l’État et les pensions des retraités, c’est l’ensemble de la population, tant les actifs que les retraités qui, en consommant, font qu’une économie fonctionne.

Sans mesures de confinement pour préserver à la fois la force de travail du pays et la consommation, que serait-il advenu de l’économie ? Quel impact économique, en Suisse et ailleurs, aurait alors eu cette hécatombe qui, cette fois, aurait touché à plus ou moins de degrés toutes les tranches d’âge, bloquant l’économie aussi bien qu’un confinement mais sans date limite?

Ce qu’on sait, en tout cas, c’est que les secteurs conservateurs de chaque pays, qui, aujourd’hui, poussent au déconfinement rapide et tous azimuts – mettant en avant, comme d’habitude, leurs propres intérêts économiques au détriment de la population et ne reculant devant aucune contradiction en réclamant plus d’intervention publique quand ça les arrange –, auraient déjà souligné à grands cris l’inefficacité d’un État, incapable de sauver l’économie, et auraient exigé un confinement immédiat…

Et confinement ou pas confinement, rappelons aussi que cette période n’a pas été mauvaise pour tout le monde d’un point de vue économique : à part l’enrichissement – aussi  exponentiel que n’importe quelle pandémie – des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple, etc.), à quoi viennent s’ajouter Zoom et toutes les technologies utiles pour le télétravail, il y a aussi les énormes bénéfices de tous les sites de commerce en ligne (Migros et Coop compris), et ceux des supermarchés, ces derniers au détriment du petit commerce.

On a aussi appris par des chiffres officiels relayés par la Radio Télévision Suisse (RTS) que le bénéfice trimestriel de l’UBS a augmenté de 40%, et que Novartis a eu une croissance d’environ 13% et un chiffre d’affaire de 12,28 milliards de dollars…

Une des solutions à la crise économique dans une société de consommation – pour autant qu’on veuille poursuivre dans cette voie, compte tenu des défis environnementaux qui n’ont pas disparu non plus – c’est d’endetter l’État pour relancer la consommation à tous les niveaux, notamment en allégeant les charges, en augmentant les salaires et en distribuant de l’argent aux citoyens pour qu’ils achètent à nouveau.

SELON QUE L’ON EST RICHE ET QU’ON PEUT TÉLÉTRAVAILLER…

L’arrêt brutal des activités économiques a mis en relief les fortes inégalités sociales de chaque société et a secoué l’ensemble de l’économie mondiale, provoquant de terribles dégâts en particulier dans les couches sociales les plus pauvres. Que ce soit en Inde, au Nigéria ou en Colombie, une grande partie de la population, qui dépend de son gain quotidien pour se nourrir, s’est vue privée de moyen de survie.

Aux États-Unis, c’est l’absence de protection sociale qui s’est fait cruellement sentir : les millions de chômeurs, les kilomètres de véhicules en file pour recevoir une distribution de nourriture rappellent les images de la terrible crise de 1929 et les longues queues à la soupe populaire.

En Europe, où la protection sociale est plus grande, ce sont, en France et en Angleterre, notamment, les disparités – en termes de contamination comme en termes de possibilités de confinement – entre les villes et les banlieues, et entre les quartiers chics et les quartiers pauvres.

Pour ce qui est de la Suisse, sans compter les petits indépendants – avec ou sans possibilité de télétravail – qui se sont retrouvés pendant deux mois à devoir payer leurs charges (loyers des locaux, AVS, assurances…) sans entrées d’argent, c’est officiellement les plus d’un million de personnes pauvres de notre pays qui sont concernées, 20% de la population, entre les 8% qui sont en dessous du minimum vital et les 12% qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique pour 2018 (vous trouverez ce rapport ici).

Officieusement, il faut encore y rajouter les milliers de travailleurs non déclarés – femmes de ménage, nounous, domestiques, ouvriers, jardiniers, hommes et femmes à tout faire dans le sens littéral du terme… – qui, partout en Suisse, collaborent sans aucune protection sociale à la prospérité du pays et qui sont soudainement apparus au monde entier dans des files d’attentes de plus d’un kilomètre pour recevoir de la nourriture, une image des coulisses de la prospérité suisse qui a fait le tour des plus grands médias internationaux, dont le New York Times et le Guardian (l’article est disponible ici).

Au niveau professionnel, une inégalité de fait s’est révélée dans l’accomplissement des tâches essentielles à la survie d’une société, ces secteurs vitaux dont les personnes ont été réquisitionnées d’office, qui n’ont pas eu droit au confinement et qui se sont retrouvées en première ligne : le personnel médical et hospitalier, bien sûr, mais aussi les pharmacien(ne)s, la police, l’armée, la douane, les employés des transports routiers et ferroviaires, les employés de poste, les paysans, les vendeurs/vendeuses de supermarchés, les livreurs, les éboueurs, les techniciens, les informaticiens et tous ceux qui s’occupent des infrastructures essentielles (eau, électricité, gaz…),

Il a aussi bien fallu constater une autre inégalité fondamentale et structurelle : certains emplois se sont facilement adaptés au télétravail et la technologie était prête, tandis que dans d’autres secteurs, tout aussi importants pour la société, des milliers de travailleurs à contrats fixes ou temporaires, dans les compagnies aériennes, dans les aéroports, sur les chantiers, dans la restauration, dans l’hôtellerie, dans le petit commerce de détail, dans les salons de coiffure ou de cosmétique, et même dans le domaine de la prostitution…) n’ont pas pu faire ce choix et se sont retrouvés sans emplois, certains, comme c’est le cas pour l’ensemble des métiers culturels, sans espoir de retour à la normale dans un proche futur.

LE PROFESSEUR RAOULT ET JEAN-DOMINIQUE MICHEL, LA STAR GENEVOISE DE LA COVID-19

Vu l’omniprésence des média, tous supports compris, à quoi s’ajoutent les ambiguïtés liées au fait qu’il a fallu naviguer à vue et improviser des politiques sanitaires sur des données incomplètes et sans matériel adéquat, sans compter l’angoisse que génère le fait qu’il n’y ait pas d’explication claire, impossible d’échapper non plus à toutes les théories Yaka qui ont envahi l’espace public, proférées par des experts ou des prophètes autodéclarés partout sur les réseaux sociaux – non, l’eau chaude ne protège pas du coronavirus… – à quoi se rajoutent la polémique sur la solution tout chloroquine du Professeur Raoult ou les interventions très médiatisées du Genevois Jean-Dominique Michel.

À ce propos, c’est malheureux, mais on dirait que chaque spécialiste avance avec des œillères et voit tout sous l’angle de sa spécialité sans considérer l’ensemble : un biologiste va ricaner sur les conclusions d’un épidémiologiste, un spécialiste des médecines infectieuses ou tropicales sur celles de l’épidémiologiste ou du biologiste, et ne parlons pas des climatologues, des éthologues, des sociologues ou des experts en médias, voire des philosophes qui ont tous une explication spécifique à un problème général.

Jean-Dominique Michel, dont le média en ligne Heidi News dit, je cite, qu’il « se présente comme anthropologue de la santé et expert en santé publique », dénigre en gros toutes les mesures prises par le gouvernement en une argumentation qui ressemble beaucoup à un ‘On nous dit rien, on nous cache tout’ plus élaboré, c’est à dire à une théorie du complot qui ne dit pas son nom.

Dans l’interview filmé qui l’a rendu célèbre et qui a fait un tabac sur les réseaux sociaux – un tabac causé, en grande partie, à mon avis, par un confinement obligatoire contraignant dont un grand nombre de personnes cherchent désespérément à nier l’utilité pour cause de ras-le-bol – il parle de sa guérison rapide du coronavirus, selon lui grâce à la chloroquine qu’il s’est procurée illégalement, contredisant ainsi la politique des autorités, ce qui implique que c’est ce qu’il aurait fallu utiliser dès le départ pour tous les patients.

Or, dans le même temps, le New York Times, sur la base des traitements appliqués dans les hôpitaux de New York, et la presse espagnole sur les médicaments utilisés dans ce pays durement touché, ont régulièrement évoqué l’utilisation de la chloroquine, soulignant à maintes reprises que ses résultats ne sont absolument pas probants et les effets secondaires terribles, et même mortels, comme le signale la célèbre étude – controversée, il est vrai – publiée le vendredi 22 mai 2020 par The Lancet, dont les résultats sont relayés par le magazine Le Point (on peut consulter l’article ici) et qui porte sur les réponses aux traitements de 96 032 patients hospitalisés entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020, tous positifs au Sras-CoV-2, dans 671 hôpitaux répartis sur 6 continents.

Reprise dans Libération le 5 juin 2020, la dernière étude en date (on peut consulter l’article ici), celle de l’équipe britannique Recovery, faite avec toute la rigueur et les vérifications requises auprès de 11 000 patients de tous âges dans 175 hôpitaux britanniques, et comparant les 1542 patients ayant reçu de l’hydroxychloroquine et les 3132 malades n’en ayant pas reçu, confirme qu’il n’y a aucune différence de résultat. 

Dans cette même interview, M. Michel évoque aussi cette idée que le virus se répand le mieux quand les températures vont de 3 à 11 degrés, ce qui expliquerait que les pays d’Afrique seraient moins touchés, selon lui. On passera sur le fait que certaines régions d’Afrique ne sont pas particulièrement chaudes, et on mentionnera tout de même que l’Espagne est un des pays les plus touchés d’Europe malgré des températures qui, en Catalogne par exemple, se sont maintenues dans les 20-24 degrés en moyenne depuis février.

Et quant à l’OMS, dont il dénigre les analyses catastrophistes dues, selon lui, à l’influence néfaste de certains financeurs – Bill Gates, par exemple – il ne mentionne pas le simple fait que l’OMS est financée d’abord par ses états membres, dont la Chine. Il évoque les pressions que la Chine aurait faites sur l’organisation sans mentionner les pressions américaines sur cette même organisation. Que l’OMS ait un rôle géostratégique important n’échappe à personne, en tout cas.

Et puis, se plaindre du tamtam médiatique, selon lui exagéré, tout en en rajoutant une couche…

ÉPILOGUE

C’est vrai, l’inflation des chiffres et le tamtam médiatique embrouille et inquiète plutôt qu’autre chose et s’il y a au moins un fait irréfutable de cette crise c’est que la mondialisation est moins dans la propagation du virus que dans la perception du danger de ce virus par l’ensemble de la population du globe.

Le déroulement de nos vies, momentanément interrompu sans qu’on sache ce qui va se passer dans l’immédiat, et l’angoisse et l’ennui qui en découlent, sont des facteurs qui favorisent tous les fantasmes : on cherche des explications, des solutions, des coupables.

On trompe le temps, on trompe l’ennui, on trouve une forme alternative pour exprimer son narcissisme à travers de multiples et dérisoires « défis » sur Facebook – mes dix meilleurs livres, mes dix meilleurs disques, mes dix photos d’enfant, mes dix photos de cinoche, mes dix photos de carrière – qui sont autant de manières de dire « malgré les circonstances, j’existe ».

Il sera bien assez tôt, quand la crise sera passée, d’analyser plus posément ce qui s’est passé et d’en tirer des leçons utiles, de reconnaître les erreurs ou les exagérations et tant mieux si ça donne raison après coup à ceux qui trouve que la réponse à cette pandémie a été excessive. Mais rien ne permet, à l’heure actuelle, d’avoir une idée totalement claire de ce qui se passe, tant du point de vue épidémiologique que sociologique ou économique.

À titre personnel, je ressens quelque chose de l’ordre de la fascination pour la façon dont les choses se précipitent et s’emballent, pour des enchaînements improbables et opportunistes à la fois, comme des brèches terribles et utiles, comme des solutions, des prétextes ou des portes de sortie pour des situations compliquées qui trouvent ainsi un exutoire, un alibi, une explication temporaire, ce qui à son tour donne la possibilité d’une bifurcation, d’un renouveau.

Peut-être.

Le polar suisse et l’air du temps

Cette année, à Morges, Le Livre sur les quais, rendra hommage au polar suisse, qui a le vent en poupe en ce moment, avec de tout nouveaux auteurs (Quentin Mouron, Marc Voltenauer, Sébastien Meier…) qui débarquent avec succès dans le genre et on leur tient les pouces. Mais n’oublions pas qu’il y a depuis longtemps d’excellents auteurs de romans policiers dans notre pays, à commencer par Friedrich Dürrenmatt et son Commissaire Bärlach (Le Juge et son bourreau, Le Soupçon…) ou l’excellent Hansjörg Schneider et son Commissaire Hunkeler de la police de Bâle, le Wallender suisse, toujours pas traduit en français….

Et ce n’est pas grâce à une aide fédérale à la traduction, toujours assez incohérente, mais bien grâce aux éditions Le Promeneur, à Paris, qu’on peut lire ceux du pionnier du genre, le bernois Friedrich Glauser (1896-1938) et sa série de l’inspecteur Studer de la police de Berne, un policier à la Philip Marlowe (Bogart et son imper, à l’écran), le héros de Raymond Chandler, désabusé comme il se doit par toute la saleté qu’il découvre derrière les façades bourgeoises d’une Suisse bien trop discrète pour être honnête. Ce grand écrivain suisse, premier auteur de romans policiers en langue allemande, prête son nom, depuis 1987, à un célèbre prix littéraire récompensant le meilleur polar de l’aire germanophone.

Le crime, révélateur des sociétés

Glauser, pour écrire cette série, avait potassé les ancêtres de la science forensique, il connaissait la méthode de l’enquête judiciaire pour magistrats de l’autrichien Hans Gross (1893), et l’ouvrage sur les techniques d’exploitation des traces du crime du français Edmond Locard (1912), qu’il cite dans ses livres.

Il était aussi attentif aux faits divers, qui dévoilent toujours un pan de la réalité intime d’un pays. Il évoque notamment la fameuse et mystérieuse affaire Riedel-Guala (1926), où le Dr Riedel, un médecin de Langenthal, et « son amie Antoinette Guala » avaient été condamnés pour le meurtre de Mme Riedel, empoisonnée à l’arsenic. Un article du 10 juillet 1931 de la Feuille d’Avis de Neuchâtel revient sur les faits :

« L’affaire Riedel-Guala : Le premier jugement est cassé

(De notre correspondant de Berne)

Le docteur Morgenthaler et le professeur Claparède ont présenté le rapport psychologique. Après avoir étudié et analysé le caractère de Mme Riedel, les experts se demandent si elle était, par nature ou sous l’influence de circonstances consécutives à son mariage avec le docteur Riedel, portée au suicide. Un élément précieux est fourni par le journal de la défunte. À chaque page presque, on y trouve des pensées de désespoir, elle souhaite que la mort vienne la délivrer d’une existence qu’elle ne peut plus supporter, seul le sentiment du devoir envers son enfant lui redonne un peu de courage.

(…) Mais, disent-ils plus loin, beaucoup de constatations parlent contre le suicide : par exemple la carte et une lettre qu’elle envoya peu de jours avant sa mort et qui ne contiennent rien qui puisse annoncer un funeste projet. Son attitude envers son enfant aussi est à considérer. Il semble que dans ses derniers moments, alors que les forces faiblissent, elle aurait dû ne plus pouvoir cacher son jeu, en face de la fillette qu’elle aimait tant. Pourtant, on ne doit pas oublier, dit le rapport, à quel point Mme Riedel savait se posséder et avec quel entêtement elle savait garder en elle les sentiments refoulés.

Quant aux experts médicaux, ils avaient à étudier si le poison, en l’occurrence de l’arsenic, avait été absorbé en une ou plusieurs fois. Dans le premier cas, le suicide est probable, dans le second, on peut conclure plus facilement au crime.

Et ici encore, c’est le doute complet. Il y a des considérations pour et d’autres contre et les médecins concluent en disant que même la grande quantité d’arsenic trouvée dans le corps de Mme Riedel ne permet pas de trancher la question. »

L’air du temps passé…

Je relevais, dans mon article précédent, ce qui, au détour d’une phrase, revit soudain et, quelquefois, ramène à la surface, chez le lecteur, de multiples souvenirs liés à l’enfance, à la famille et à ce tissu d’une certaine réalité qu’on oublie et qui, d’un coup est rappelé dans toute sa densité.

Chez Friedrich Glauser, c’est toute une Suisse allemande populaire, tout un univers du temps passé que cet excellent écrivain a su capter, emprisonner même et qui fait le délice des lecteurs d’aujourd’hui, à la manière d’une madeleine de Proust.

L’Inspecteur Studer se déplace en moto de marque Zehnder.

Dans les cafés, on joue au Zuger, une variation du jass, en se racontant les dernières blagues du célèbre comique de cabaret Hegetschweiler, lié au fameux Cabaret Cornichon.

On y fume des cigarettes qu’on roule dans du papier Rizla, liée au papier de riz (au départ Riz La Croix, du nom du fabriquant français, puis raccourci en Riz La +, vite contracté en Rizla) ou alors des cigarillos Brissago, de l’usine tessinoise Fabbrica Tabacchi Brissago.

Sur les tables de nuit trainent des romans à l’eau de rose d’Hedwig Courths-Mahler (1867-1950), la Barbara Cartland allemande.

Dans les hôtels garnis miteux, les hommes feuillètent les aventures de John Kling, de la science-fiction allemande très populaire dans les années 30, publiée dans des revues de quatre sous (l’équivalent des Pulps américains et de leurs super-héros).

et l’air d’aujourd’hui

Et on y entend même les rengaines de l’époque, notamment le Brienzer Buurli :

Es git nit lustigers uf der Wält

Als so nes Brienzer Buurli…

Et ce qui est étonnant, c’est que ce ‘petit paysan de Brienz’ : (« Il n’y a pas plus marrant au monde que le petit paysan de Brienz »), que tout le monde chantait alors, vient d’être repris et modernisé il y a peu par le tout jeune groupe Trauffer, qui en a fait un tube cool et branché avec yodle et guitare électrique tonitruante. Comme quoi la culture suisse populaire existe et elle se porte plutôt bien, en tout cas en Suisse allemande où on est apparemment moins complexé… À quand une version rock ou techno d’Allons danser sous les ormeaux ?

 glauser

L’Opéra de chambre de Genève: le petit opéra qui en remontre aux grands

Là, tout n’est que musique, humour, jeu et volupté. Là, pas de ‘Don Giovanni’ revisité en mafieux de la Camorra avec Donna Anna nymphomane à la clé (de sol). Là pas de ‘Macbeth’ de Verdi replacé dans la Roumanie de Ceaușescu, ou de ‘Fidelio’ façon camp de concentration nazi parce que le metteur en scène pense qu’on n’est pas assez grand pour faire le parallèle tout seul.

Là, pas non plus de production importée de Slovaquie de l’Ouest dans une esthétique ‘âge d’or des galas Karsenty-Herbert’ avec chanteurs idoines, ni de spectacles musicaux créés à la va-vite pour un public qui est resté figé sur les opérettes de Francis Lopez (« tchicatchicatchi aïe aïe aïe »)

Fondé en 1966 par Robert Dunand, Sara Ventura et Thierry Vernet (le compagnon de voyage de Nicolas Bouvier a créé de nombreux décors pour ses productions), l’Opéra de chambre de Genève vient de fêter avec éclat, avec brio, avec maestria, avec vigueur et avec jeunesse son cinquantième anniversaire dans la Cour de l’Hôtel de Ville de Genève avec un Signor Bruschino d’anthologie.

De très bons chanteurs, un orchestre enjoué dirigé par le chef et claveciniste Franco Trinca, précis et facétieux à la fois, et une mise en scène primesautière et intelligente de Primo Antonio Petris qui a su parfaitement faire justice à cette musique extraordinaire, ces récitatifs dans la plus pure tradition de la comédie italienne, ces solos à variations, ces ensembles vocaux, cette virtuosité expressive dont Rossini est le spécialiste.

Tous les interprètes étaient absolument fabuleux, du Gaudenzio fantasque de Leonardo Galeazzi et du Bruschino-père loufoque de Michele Govi (de grands chanteurs rossiniens, et d’excellents comédiens), au gracieux Florville de Manuel Nuñez Camelino (un grand maigre, avec ce charme léger des tenorini rossiniens), à la Sofia faussement ingénue et merveilleusement gracieuse de Marion Grange, au Filiberto pince-sans-rire de Sacha Michon, et à la Marianna chaleureuse de Juliette de Barres Gardonne.

Petit, mais costaud

La mise en scène et la scénographie, étaient simples, parfaites, utiles, justes, pour cet opéra en un acte de la production vénitienne de Rossini (1813) : des cageots empilés autour de la scène faisaient office de bibliothèques, avec quelques livres par-ci par-là, et, devant, des mannequins en plastique noir, qui permettent de jouer sur certains quiproquos, un portrait de la reine d’Angleterre façon Andy Warhol, mais déstructuré, qu’on s’amuse à prendre à témoin, un jeu de scène ingénieux où les entrées et les sorties se font entre les cageots-bibliothèques.

Au centre, en fond de scène, un tableau noir qui, au début, est couvert de formules mathématiques faisait un parallèle amusant avec les calculs intéressés de chacun des personnages. Au fil de l’action, le tableau se couvrait de cœurs dessinés par les jeunes premiers Sofia et Florville quand ils se chantent leur amour. Plus tard, dans la scène où Sofia, la fausse ingénue, demandait qu’on lui explique ce qu’est le mariage, Gaudenzio lui chantait l’explication tout en esquissant maladroitement sur le tableau un garçon et une fille se regardant en coin…

Les récitatifs, dirigés par Franco Trinca au clavecin, étaient travaillés au cordeau, avec quelques gags en plus auxquels participaient les magnifiques musiciens de l’Orchestre de chambre de Genève qui, dès le début, dans l’ouverture pétillante de l’opéra, cognaient allègrement leurs archets sur les violons, une des multiples astuces musicales due à l’inventivité sans limite du grand Gioachino.

Tanti auguri a voi!

Je me souviens d’avoir rencontré Sara Ventura qui, avant l’actuel président Jean-Rémy Berthoud, a longtemps présidé l’Opéra de chambre de Genève et qui lui a imprimé cette intelligence et cette cohérence dans le choix du répertoire – des compositeurs connus ou moins connus dans leurs œuvres facétieuses – Lo sposo di tre e marito di nessuna de Cherubini, La finta semplice de Mozart, Il mondo della luna de Piccinni, Il Barbiere di Siviglia version Paisiello, Le serve rivali  de Traetta, I due baroni di Rocca Azzurra de Cimarosa et un long et magnifique etcétéra – dans cinquante ans de brillantes productions, avec des mises en scène simples et raffinées à la fois, qui font revivre des œuvres moins connues et remettent l’opéra sur les tréteaux.

On est loin des grandes machines, et encore plus loin de certaines lourdeurs prétentieuses des opéras institutionnels qui feraient bien d’en prendre de la graine, notamment pour ce qui est du choix du répertoire (combien de Tosca, combien de Norma, combien de Carmen ?), mais aussi en ce qui concerne la mise en scène : trop souvent les énormes moyens à disposition font passer l’opulence et la surenchère d’effets techniques avant l’intelligence de l’œuvre. On oublie trop qu’avec peu de choses on fait aussi des merveilles, et que le manque d’argent stimule l’ingéniosité et évite les redondances.

Un spectacle comme celui-là, c’est une bouffée de bonheur, qui vous réconcilie avec l’opéra et le théâtre et vous met de bonne humeur pour un bout de temps. Rien que pour cet effet thérapeutique, on souhaite une très très très longue vie au grand Opéra de chambre de Genève et à son équipe.

Signor Bruschino

IMG_20160709_204426

L’anglais, vraie première langue fédérale

L’anglais, vraie première langue fédérale

Dans le fond, on se demande bien pourquoi on se fatigue à apprendre l’allemand ou le français, voire, pour les plus zélés, l’italien ou le romanche, ces vieilles langues fédérales et nationales, avec des grammaires emmerdantes, des tas d’exceptions, aucune série télévisée universelle et pas de vedettes de la chanson qui porte des robes en viande ou de groupes qui cassent les meubles des chambres d’hôtels.

Laissons ça aux rares traducteurs littéraires qui sévissent encore dans nos contrées et exigeons des autorités un changement de la Constitution, pour qu’on puisse enfin scander en toute tranquillité « In The Swiss Franc We Trust », et parler la seule langue utilisée sur l’ensemble du territoire et dans tous les domaines.

Car enfin, franchement, est-ce qu’on a besoin du romanche pour passer à la Migros prendre un abonnement « Migros Budget » (le « Maxi One » ou le « Mini One », sans compter qu’on peut faire du « Self-Checkout » et même gagner quelque chose au « Mega Win ») ?

Est-ce qu’on a besoin de l’italien pour s’acheter un « Galaxy S7 Edge (Rethink What A Phone Can Do) » ?

Est-ce qu’on a besoin du français pour aller au « Neuchâtel International Fantastic Film Festival : The Swiss Event For Fantastic Film, Asian Cinema & Digital Creation » ?

Let’s be matter of fact and down to earth, imposons l’anglais, qu’on puisse enfin s’acheter une voiture en ne s’humiliant pas au moment de parler au vendeur de la « Smart fortwo Brabus tailor made blackpearl » qui, à l’heure actuelle, et compte tenu des connaissances linguistiques de la majorité de la population, doit ressembler à quelque chose comme une « smart brabus thaïlor mad blackpéarle » (qui ne s’est jamais aventuré, en grand magasin, à demander le rayon des switcheurtes ne se rend pas compte de la honte).

C’est que ça devient urgent, surtout au moment de changer de téléphone, pardon de smartphone :

Chez Sunrise, dans la catégorie « Sunrise Freedom », on doit choisir entre le « Sunrise Freedom Start », avec des options « super max », « max », « relax » ou « classic », et dans la catégorie « Sunrise Home », on a différentes options qui vont de l’ « internet start », « internet Comfort », avec « phone start ou phone comfort » au « TV Start » ou « TV Comfort ». Sans compter l’option MTV Mobile Freedom (« max », « world », « swiss », « myfriends » et « start »).

Comme de son côté Salt a mis son grain de sel dans l’affaire, vous serez également bien embarrassé – « pissed off », on peut le dire – au moment de devoir choisir entre le « Start » et le « World » en passant par le « Basic » ou le « Swiss », même si les « Unlimited Surf Roaming », et les « Unlimited Surf » peuvent apparaître tentants, au premier abord.

Et même si vous essayez, en désespoir de cause, de vous rabattre sur Swisscom, vous allez quand même être confronté à l’offre de la nouvelle « Internet-Box standard », qui nous propose « non seulement le meilleur WLAN possible, mais aussi une sécurité élevée… » et, côté télé, vous devrez choisir entre différentes offres qui vont de « Swisscom TV Air » avec fonction « Replay », « Multiroom » (« une expérience TV complète avec toutes les fonctions sur max. 5 TV-Box simultanément »), sans compter la, tenez-vous bien, « Ultra High Definition (UHD) », à ne pas confondre avec une vulgaire brique de lait UHT. Et il y a une grande nouveauté : le « Hot from the US ».

Vive le Swissglish.

IMG_20160526_123928

IMG_20160526_072840 IMG_20160626_184232

 

Littérature en Suisse : quatre langues, zéro traductions (ou presque)

Mais que se passe-t-il avec la traduction littéraire en Suisse ? Je demande ça parce que j’ai toujours pensé qu’un des grands avantages culturels de notre pays était d’avoir quatre langues, dont trois langues culturelles majeures, et qu’une de nos caractéristiques démocratiques et fédérales était de systématiquement tout traduire dans ces quatre langues pour des questions de compréhension et de cohésion nationale.

D’ailleurs, l’Office fédéral de la culture (OFC), cette subdivision du Département fédéral de l’Intérieur, a justement pour mandat d’ « œuvrer en faveur du maintien du plurilinguisme en Suisse » : « La promotion du plurilinguisme et de la compréhension entre les communautés linguistiques constitue un des piliers de la politique linguistique suisse. »

Pour ce qui est de la traduction littéraire, le même office, sur sa page web, précise encore que « la littérature suisse est confrontée à des enjeux complexes du fait de la cohabitation de langues et de traditions culturelles diverses. Essentiel à la cohésion nationale dans sa diversité, l’accès à ces différentes expressions joue un rôle de premier plan. Il faut donc soutenir cette diversité. »

Le Parlement, dans le nouveau ‘Message culture’ et la ‘période d’encouragement 2016-2020’ – j’aime bien cet ‘encouragement’ –, réaffirme que « le travail de coordination au niveau national doit être poursuivi et consolidé ».

De son côté, Pro Helvetia a pour mandat de promouvoir « les échanges culturels entre les régions linguistiques de Suisse » et de soutenir « des projets servant à la production et à la diffusion d’œuvres artistiques et contribuant aux échanges culturels entre les régions linguistiques de Suisse. »

Soutien à la traduction : toutes les langues sont bonnes

Quand on va à la page ‘soutiens’ de Pro Helvetia, on trouve effectivement des sommes allouées à la traduction d’auteur(e)s suisses : pour 2016, deux livres d’Agota Kristof sont traduits en slovaque (pour une somme globale de Frs 5000.-), un livre d’Anne Perrier en russe (Frs 2000.-), un livre d’Antoinette Rychner en polonais (Frs 1000.-), comme d’ailleurs un livre de Bastien Fournier (Frs 650.-). Pour ce qui est de 2015, j’ai recensé vingt trois soutiens à la traduction dans une des langues nationales (quelque fois pour des éditeurs français ou allemands…) et une douzaine de traductions vers l’estonien, le géorgien ou le polonais (Ramuz et Jaccottet, en particulier), mais aussi vers le grec, l’anglais ou l’espagnol.

Oui, mais en Suisse ?

Et puis on fait quelques petites recherches sur le Catalogue Virtuel Suisse (chvk.ch), qui regroupe un grand nombre de bibliothèques de toute la Suisse, et on fait des pointages. Ramuz, Chessex ou Anne Cunéo y sont présents, dans l’original et dans la traduction, en allemand et en italien, il fallait s’y attendre, et c’est bien la moindre.

Mais Jean-Louis Kuffer, et son Journal littéraire en plusieurs volumes, une référence pour la compréhension de la littérature dans nos régions ? Aucun livre traduit en allemand (alors que le Journal de Max Frisch est traduit en français, et superbement, en plus).

Janine Massard et ses bientôt quatorze magnifiques romans tout ce qu’il y a de plus suisses ? Un livre traduit, en allemand seulement (Trois Mariages – Drei Hochzeiten). Pourquoi celui-là et pas un ou des autres, mystère. Mais L’Héritage allemand a été traduit en russe.

Jean-Michel Olivier, Prix Interallié pour L’Amour nègre ? Introuvable en allemand, mais il est traduit en espagnol.

J’en passe, et des tonnes.

J’avais bien envie de demander au Wallender suisse, le Commissaire Hunkeler de la Police de Bâle de faire une enquête, mais il ne parle que l’allemand et juste un peu d’italien : aucun de ses neufs polars, de passionnantes études sociologiques de la Suisse contemporaine dues à la plume de Hansjörg Schneider, n’a été traduit en français alors que le polar suisse est à l’honneur au Livre sur les quais de cette année, et que tous ont été des bestsellers en Suisse allemande et dans les pays germaniques.

L’éternel retour du rêve

C’est là où, à nouveau, on rêverait d’un vrai Département fédéral de la cultureavec une vraie politique culturelle ‘proactive’, pour utiliser un terme jargonneux très en vogue en ce moment, qui regrouperait ce qui, aujourd’hui, est divisé en deux organismes qui font ce qu’ils peuvent, mais n’arrivent pas à soutenir de manière cohérente ces « projets servant à la production et à la diffusion d’œuvres artistiques et contribuant aux échanges culturels entre les régions linguistiques de Suisse. »

On nous répond, en jargonnant : il y a de l’argent, nous avons mis en place des « mécanismes de financement ». Mais ça ne fonctionne que pour autant qu’un éditeur suisse, par exemple, 1) lise 2) lise d’autres langues fédérales que la sienne 3) veuille bien s’intéresser à publier une œuvre d’une autre région linguistique 4) ou qu’un traducteur le propose à un éditeur, qui 5) fera sa demande de soutien en bonne et due forme – on comprend mieux pourquoi ça bloque et pourquoi, à l’heure actuelle, la littérature suisse d’expression française, en particulier, n’est pas lue en Suisse allemande.

Yaka

C’est là où il faudrait une politique de traduction systématique, organiser un panel de lecteurs choisis (professeurs, libraires, écrivains, particuliers) dans chaque région linguistique qui signaleraient ce qu’ils trouveraient intéressant de traduire dans les autres langues nationales.

Et puis, pourquoi ne pas créer une vraie structure éditoriale, appelons-la Passages, tiens, comme le magazine de Pro Helvetia, qui serait chargée, chaque année, de faire traduire et de publier un certains nombres de livres de chaque région.

Qu’on puisse enfin se lire parmi, histoire de mieux se comprendre.

Ou pas.

hunkeler hbukerler it

À quand un vrai Département fédéral de la culture suisse ?

En Suisse, dès qu’on s’intéresse à la culture officielle, on a parfois la forte tentation de sortir son arme de service, obligeamment fournie par les autorités, par exemple quand Pro Helvetia, dans son magazine Passages sur les cultures numériques (Art et Culture numériques, 2014) décrit les stars suisses de la mouvance remix en ces termes :

« …Thomas Hirschhorn ou Gerda Steiner & Jörg Lenzlinger (…) travaillent avec de grands assemblages ouverts de matériaux hétérogènes d’origines très diverses, à partir desquels ils développent des systèmes de classification leur permettant d’établir au moins certains liens conceptuels temporaires. Tous deux recourent fréquemment à des éléments visuels forts – du ruban adhésif brun chez Hirschhorn, de l’acide urinaire cristallisé chez Steiner & Lenzlinger – pour entrelacer les divers matériaux et tisser un nouveau tout. (…) Tous deux créent donc des moments de présence, de densification et de concentration sur fond de profusion débordante de fragments culturels, qui se font concurrence, sont chaotiques dans leur somme et englobent aujourd’hui des processus biologiques. »

Pour Thomas Hirschhorn (j’ai parcouru une de ses œuvres au pavillon suisse de la Biennale de Venise), je traduis : des centaines de canettes vides reliées entre elles par des bouts de scotch brun. Malgré la chaleur torride, le visiteur, à qui on interdisait d’amener sa propre canette, même avec un bout de scotch brun, histoire de ne pas mélanger les courants artistiques, se demandait, toujours avide de détails sur le processus créatif, si l’artiste travaille avec des collaborateurs ou s’il les a vidées tout seul, ses canettes.

Notez qu’à une autre Biennale de Venise, toujours dans le pavillon suisse, et toujours sous l’égide de Pro Helvetia, j’avais visité pendant au moins une minute montre en main ‘You they they I you’ (non, l’anglais n’est toujours pas une langue nationale), une installation de Vincent Carron, un grand serpent en fer forgé qui sinuait dans tout le pavillon vide, avec vélomoteur Ciao dans une salle et deux trois trucs disparates qui se couraient après.

Je n’avais pas tout à fait saisi que « riche en pronoms personnels, le titre de l’œuvre – ‘You they they I you’  – rappelle lui-même les sinuosités que le serpent décrit dans les salles d’exposition tout en renvoyant au rapport en œuvre, spectateur, auteur et espace. Il s’agit aussi d’une forme d’appropriation puisque l’œuvre s’inscrit comme la réinterprétation d’une grille couvrant la fenêtre d’un immeuble de Zurich datant du début du XXe siècle et qui abrite un poste de police. »

Le Ciao ? « Par le biais de cet objet, Carron se heurte à tous les problèmes liés à un processus de restauration. Jusqu’à quel point faut-il chercher l’original ? Jusqu’où peut-on ou doit-on aller ? Le résultat s’approche de ce que l’on pourrait définir comme un ready-made modifié, mais il est surtout un hommage à une culture industrielle en voie de disparition dans l’Europe d’aujourd’hui. » (Giovanni Carmine, Commissaire du pavillon suisse 2013).

On ne devrait pas demander, ce n’est pas poli, mais quand même : combien tout ça a-t-il coûté exactement ? Avec ou sans cannettes ? Et le vélomoteur Ciao fait-il partie de la collection particulière de ready-mades modifiés de l’artiste ?

Où notre héros s’explique sur un titre de blog qui se veut parlant et original, certes, mais qui reste pour le moins ambigu.

On comprendra dès lors que, décidé à parler coûte que coûte de culture suisse, et même de cultures suisses au pluriel dans le blog que me propose aimablement le quotidien Le Temps, j’aie décidé de l’intituler IdioCHyncrasies, non sans une grande hésitation sur la position du CH dans le mot.

C’est qu’il existe un décalage abyssal entre une certaine culture officielle, jargonneuse, soutenue et mise en avant par les deux mamelles de la culture suisse – l’Office fédéral de la culture et Pro Helvetia –, et une culture suisse foisonnante et moins cérébrale qui me touche et m’intéresse beaucoup plus.

Les deux organismes culturels officiels n’y peuvent pas grand-chose, d’ailleurs. L’Office fédéral de la culture, une subdivision du Département fédéral de l’Intérieur, s’occupe de la législation sur la culture, de la gestion du patrimoine, de la politique linguistique, de l’aide au cinéma et des relations culturelles à l’étranger, tandis que Pro Helvetia est une fondation de droit publique indépendante de la Confédération (mais financée par elle…) et doit « promouvoir les activités culturelles d’intérêt national », les tas de canettes à scotch brun de Thomas Hirschhorn et le serpent à vélomoteur de Vincent Carron, par exemple.

Tant l’un que l’autre ont les mains liées, des budgets constamment rabotés et des cahiers des charges annuels très stricts, sans aucune réelle indépendance face à un gouvernement, à des politiciens et à des trésoriers plus connus pour leur gestionnite aigüe que pour leur passion pour l’art.

Dans ces conditions, et dans ce partage des tâches peu clair – l’Office fédéral de la culture gère les « relations culturelles à l’étranger », mais les tournées à l’étranger, les centres culturels suisses de Paris, Rome, New York et les « antennes suisses », sont prises en charge par Pro Helvetia –, on comprend que les décideurs culturels se raccrochent au moindre concept bien présenté : ce qui est peu clair voire incompréhensible a le mérite d’être potentiellement génial et se prête particulièrement bien aux tartines jargonneuses, celles-ci justifiant par contrecoup le rôle des médiateurs culturels. Le cahier des charges est rempli, le budget est dépensé et le serpent de Vincent Carron se mord la queue, en somme.

Cher Conseil fédéral : « Coup de sac ! »

La culture, ce n’est pas seulement la promotion des artistes et de leurs œuvres, c’est aussi un facteur-clé dans l’évolution de nos sociétés : les grands mouvements de population se multiplient dans le monde, avec tous les problèmes liés à l’intégration. Or la culture a un rôle primordial dans le sentiment d’appartenance à une communauté, la France et l’Italie l’ont bien compris. Et nous ?

« I have a dream », comme disait l’autre : pour faire le ménage, pour renouer avec le vieux rêve des Zofingiens de 1848, et pour mettre en avant une culture nationale dynamique, qui, au-delà des clivages linguistiques, existe depuis longtemps – un gros héritage protestant, une forte influence germanique, une grande richesse linguistique, de nouvelles générations sans complexes, connectées et ouvertes sur le monde, une immigration enrichissante, si, si –, pourquoi ne repartirait-on pas à zéro avec la création, enfin, d’un vrai Ministère, un vrai Département fédéral rien que pour la culture, histoire de promouvoir une image d’une Suisse du XXIe siècle, riche, multiple et fière de ses contrastes et de ses contradictions ?

 

2013 Vincent Carron Serpent

Illustration: Vincent Carron, ‘You they they I you’, Biennale de Venise, Pavillon suisse, 2013.