Éloge du boui-boui : les Bains des Pâquis, l’autre Genève internationale

Vous voulez connaître une Genève internationale sympa ? Oubliez ONU, OMS, OIT, OMC, ONG et tous les autres trucs en O majuscule, avec leurs personnels de toute provenance qui rechignent à goûter la longeole – du porc agrémenté de fenouil, la saucisse genevoise par excellence – et snobent les cardons ou le soufflé tout aussi genevois pour grignoter des plats lights internationaux fadasses en sirotant d’improbables drinks colorés dans des endroits aussi chers qu’aseptisés et aussi faussement chics que vraiment tocs.

LA GENÈVE OFFSHORE

Profitez plutôt de l’été pour faire une incursion sur le lac, presque au milieu de la rade, aux Bains des Pâquis, un vrai territoire genevois pur jus, avec ses plages de gravier, ses solariums, ses douches, ses cabines et son excellente fondue servie toute l’année, même par 40º à l’ombre, dont le caquelon – un melting-pot s’il en est – est le symbole tout trouvé pour cet espace offshore, dans le sens littéral du terme.

Hors frontières et profondément démocratiques et tolérants, presque un symbole absolu de Genève, les Bains des Pâquis sont restés un lieu où se côtoient d’un linge à l’autre toutes les classes sociales, les sexualités, les races, les ethnies et les sexes, dans une ambiance bon enfant et dans une camaraderie forcément saine, puisque, par ces temps de canicule, on s’y rue en foule le temps d’un week-end pour s’y ébattre dans le lac, puces de canard ou pas.

FAÇON GUINGUETTE (AVEC ACCORDÉON)

Entendons-nous : sans compter la partie des bains traditionnellement et exclusivement réservée aux femmes, ce petit territoire libre a quand même ses hiérarchies et ses subdivisions sociologiques : les familles avec enfants se concentrent sur le début de la plage, côté Lausanne, alors que les branché(e)s bronzent et draguent plutôt sur les passerelles de bois face au jet d’eau et à la rade de Genève ou encore dans les espaces solariums.

Mais, à un moment ou à un autre, façon guinguette et dans un joyeux tohu-bohu, tout ce beau monde se retrouve à faire la queue au self-service et se mélange ensuite, coude à coude, aux grandes tablées de la vaste et belle terrasse posée sur le lac où, pour moins de Frs. 15.-, on peut savourer menu du jour ou grande salade accompagnés de délicieuses tranches de pain – où vont-il le chercher ce pain ? on veut le nom du boulanger – et sans obligation de consommer une quelconque boisson payante : même si la bière ou le rosé y coulent à flots, l’eau y est toujours gratuite (on croise les doigts).

POESIE – EISEOP

C’est toujours surprenant de constater que dans cette ville un peu trop internationaliste – et devenue hors de prix à cause de ça –, les habitants modestes, Genevois récents ou plus anciens, de toute origine et de toute provenance, continuent à survivre, à exister et à former une population à la fois profondément genevoise et vraiment populaire, dans le sens familial et joyeusement prolo du terme.

Comme si, au fil des siècles, plutôt qu’un ensemble de personne ou une classe sociale en particulier, certains endroits emblématiques de la ville – les Bains des Pâquis, le quartier des Pâquis, le quartier des Grottes, certains vieux théâtres de la rue de Carouge, certains cafés-restaurants disséminés par-ci par-là, en ville comme en campagne environnante –, secrétaient, maintenaient et perpétuaient l’esprit des lieux de toute une communauté, comme un antivirus à une volonté politique et à une modernité qui standardise et aseptise tout.

Une autre Genève, plus charnelle, plus simple, plus vivante, plus humaine, qui est tout aussi internationale que l’autre, le tout parfaitement symbolisé par ce « poésie – eisèop » en lettres minuscules accroché au plongeoir des cinq mètres, qu’on peut lire des deux côtés et qui rappelle Le Dehors et le Dedans, où Nicolas Bouvier, à la japonaise, exprimait en poèmes le stable et l’instable, mettant en parallèle paysages intérieurs et extérieurs, comme les deux côtés d’une même médaille.

Textes et photos: Sergio Belluz, 2019

P.S.

Du 22 juillet au 1er septembre, les Bains des Pâquis s’apprécient dès les AUBES, avec le magnifique festival organisé aux petites heures du matin – ou aux fins de nuits, selon le point de vue -, de 6 à 7 heures du matin.

Aubes Un festival magique et matinal…

On peut y assister à des présentations aussi éclectiques et aussi talentueuses que celles du cabaret d’Antoine Courvoisier et de Charlotte Filou (23 juillet), des musiques dansantes de l’Océan Indien, avec Les Pythons de la Fournaise (30 juillet), l’Ensemble Chiome d’Oro, ses cinq chanteurs, sa viole de gambe et son théorbe pour les sublimes Madrigaux de Monteverdi (8 août), de la musique classique persane avec Shadi Fathi & Sara Hamidi (10 août), Satie au lit (piano et voix) avec  Laurent Ecabert et Poline Renou (19 août) ou encore Sarcloret qui chante Dylan en version française (30 août).

Vous êtes prêt pour une aubade?