Mathieu Marin : un diamant à Sète. Chevauchée effrénée d’un homme de cœur

À l’heure où humilité et empathie ne sont pas des qualités prioritaires, Mathieu Marin fait partie de ces personnes singulières qui sont une source d’inspiration et un exemple pour les autres. Ce professeur d’Aïkido enseigne depuis plusieurs années et travaille comme animateur socioculturel dans un foyer pour jeunes à Sète. Ce héros anonyme a vécu une vie tragique et touchante à la fois et incarne à lui seul, de hautes valeurs humaines.

 

Un homme d’exception qui a passé sa vie à aider les autres

Même s’il n’a pas de brillance à première vue, le diamant brut possède déjà une lumière particulière qui en fait une gemme incroyable. Cependant, pour faire surgir ce diamant, l’artisan devra le tailler et le désencombrer de toute la matière inutile. Mais après avoir été taillé et poli, ce diamant brut est transformé en un magnifique diamant qui révèle des facettes insoupçonnées aux mille éclats de lumière.

Ce diamant brut passe souvent incognito, comme une perle rare qui n’a pas été découverte ou comme un immense trésor qui dort sous nos pieds. Il en a toujours été ainsi pour Mathieu Marin dont on a trop souvent sous-estimé la valeur. Comme le souligne la psychothérapeute B. Oswald :

« tout le drame de la société, c’est qu’elle n’a pas souvent la capacité de reconnaître la grande valeur de ce diamant brut ; pire encore, elle le rejette comme un caillou sans valeur. »

Ce pupille de la Nation est placé en foyer à l’âge de neuf ans après avoir vécu des scènes traumatisantes.

C’est à l’âge de 14 ans que Mathieu Marin réalise son premier acte héroïque : il se jette à l’eau pour sauver de la noyade une jeune adolescente.

À sa majorité, il rejoint la Marine nationale par vocation et intègre les fusiliers marins à l’École des fusiliers-marins de Lorient. Il passe ensuite la qualification commando et se voit décerner le fameux béret vert qu’il va fièrement porter pendant quelques années, d’abord comme opérateur puis comme Chef d’équipe et ensuite comme adjoint de groupe.

Durant l’année 1997, il participe aux opérations militaires françaises d’évacuation de ressortissants : Pélican I et Pélican II, effectuées en République du Congo. Ces missions permettent de sauver et rapatrier plus de 6000 étrangers, dont près de 1500 Français.

Sa plus grande fierté reste sans aucun doute d’avoir sauvé parmi ces milliers de vies, un nouveau-né :

« Ça tirait sans relâche dans tous les sens. Le bruit était omniprésent. J’essayai de me mettre à couvert puis courus et pénétrai dans la maison sous un déluge de tirs de roquettes et sous les crépitements de mitrailleuses. Le spectacle était dantesque. J’y découvris une succession de cadavres tous défigurés. Le sol était jonché de débris humains. Des corps gisaient, immobiles. Des choses que personne ne devrait jamais voir. La plupart des corps étaient en lambeaux. En voyant le spectacle qui s’offrait à moi, un sentiment de désarroi m’envahit. Mais alors que j’essayais de faire de mon mieux pour retrouver le bébé, j’entendis soudain pleurer. Je le pris et fis de mon mieux pour le sortir sans mettre sa vie en danger. Parmi tous ces cadavres et ces corps épars, ce bébé semblait un miraculé. Je le remis dans les bras de sa mère, qui le serra contre sa poitrine en pleurant de joie. »

Une catastrophe qui n’a été évitée que grâce à son courage et à son sang-froid au milieu de la barbarie, sans jamais faillir à sa mission et au péril de sa vie.

Mathieu Marin. Sète
Mathieu Marin à Brazzaville en 1997

1000 vies sauvées en un jour 

Il participe également à une opération non moins importante mais qui est tombée dans les oubliettes de l’histoire : l’Opération Espadon, réalisée le 2 juin 1997 par les commandos marine du commando de Montfort (forces spéciales françaises). Cette évacuation permet de sauver d’une mort certaine, plus d’un millier de personnes de 21 nationalités différentes à Freetown, en Sierra Leone, et ce, en une journée. Il fait partie de ces 20 hommes qui participent ce jour-là, à cette opération.

Néanmoins, après la décision de la professionnalisation des armées, ses supérieurs lui annoncent que son contrat dans la Marine nationale ne sera pas renouvelé.

Sous le choc, sa vie s’écroule après cette annonce abrupte.

Retour à la vie civile

Après avoir été abandonné par l’Institution et par ses supérieurs, Mathieu Marin quitte l’armée en 1998. S’ensuit alors une longue traversée du désert et une descente aux enfers. Il tente de sortir de cette situation difficile en cumulant chômage et petits boulots.

Cependant, malgré les épreuves de la vie, il n’abandonne pas. Il lutte sans relâche et se reconstruit seul.

Il puise son courage et sa détermination dans la pratique des arts martiaux et en fait une école de vie et de spiritualité. Il parvient même à devenir professeur d’Aïkido et enseigne au club d’Aïkido de Gigean.

Mathieu Marin. Sète.
Mathieu Marin à Sète

En 2019, alors qu’il est dans la réserve opérationnelle de la gendarmerie, il sauve avec l’aide de deux collègues, une femme qui était sur le point de mettre fin à ses jours : elle avait déjà la corde au cou et s’apprêtait à se pendre.

L’histoire ne s’arrête pas là puisqu’aujourd’hui, Mathieu Marin consacre encore sa vie à aider les autres et à rendre service à la communauté. Il tâche d’inculquer ses valeurs à des jeunes qui grandissent dans le foyer des Mariniers situé à Sète; foyer qui l’a recueilli… il y a 50 ans de cela.

Après avoir résisté aux affres du temps, son regard reste toujours lumineux, profond et reconnaissant à la vie.

Jusqu’à ce jour, ses actes de bravoure aux exploits dignes d’une légende n’ont jamais été reconnus pour services rendus à la nation.

Mais une chose est certaine, cet homme a, sans contredit, contribué à améliorer le sort du monde.

 

 

S. K

 

 

Mitholz

Le jour où la montagne explosa. Il y a 75 ans, le drame de Mitholz.

Quand un petit village suisse fait parler de lui. Il est 23h30, ce 19 décembre 1947, quand une série de violentes déflagrations réveillent en sursaut toute cette région située l’Oberland bernois. En effet, de violentes explosions se produisent au dépôt de munitions de l’armée suisse, situé près de la gare ferroviaire de Lac Bleu-Mitholz : le dépôt de munitions qui a explosé comprend huit magasins, dont trois au moins ont sauté. 

 

Près de la moitié des 7000 tonnes brutes de munitions entreposées sous terre volent en éclats. Dans un chaos apocalyptique, elles provoquent ainsi l’effondrement d’un pan de la montagne et délogent environ 250 000 mètres cubes de roche.

Après une nuit d’épouvante, l’ampleur du désastre se précise dès le lendemain matin : neuf morts, sept blessés et 200 personnes sont sans abri. Les dégâts sont considérables et le village de Mitholz n’est plus qu’un amas de ruines avec des dégâts abyssaux.

Ce drame survient six ans après l’explosion à Chillon – le 25 septembre 1941-, puis un an et demi plus tard après l’explosion du fort de Dailly à Saint-Maurice – le 28 mai 1946-, causant la mort de dix ouvriers.

Aujourd’hui, Mitholz est un village qui compte 120 habitants. Il fait partie de la municipalité de Kandergrund, sur la route de Frutigen à Kandersteg, à 7 kilomètres de la station de Frutigen sur la ligne Spiez-Frutigen.

Cette catastrophe a longtemps été considérée comme la plus grande explosion non nucléaire du monde. Toutefois, pendant des décennies, le danger a été sous-estimé et une évaluation réalisée en 2018 a conclu que les résidus de munitions déversés pourraient provoquer une nouvelle explosion aux conséquences dévastatrices.

Une population dont le cœur bat très fort, inquiète à juste titre, car la situation est d’autant plus grave qu’il se trouve encore près de 3.500 tonnes brutes de munitions, dans les décombres de l’installation et dans les éboulis.

Mitholz
Une photo légendée parue à la une du “journal de Genève”, le 27 décembre 1947, ©LeTempsArchives.ch

Et comme si cela ne suffisait pas, les habitants doivent quitter leur maison pendant une dizaine d’années, à cause de ce dépôt enfoui dans la montagne depuis la Seconde Guerre mondiale qui est jugé encore dangereux : le coût de l’assainissement du site devrait dépasser le milliard de francs.

Enfin, pour couronner le tout, s’y ajoutent des centaines de tonnes de boues contaminées qui ont été déversées dans la carrière de la commune, dont certaines semblent contenir des substances toxiques.

Depuis lors, d’autres explosions ont eu lieu, à l’instar de Göschenen : le 18 août 1948, à 11 heures, un incendie se déclare dans un tunnel de munitions. Et le dernier en date remonte à 1992, au col de Susten : une explosion de plusieurs centaines de tonnes de munitions survient dans l’entrepôt de Steingletscher, six personnes y perdent la vie.

Seulement voilà, après ces événements tragiques, la Confédération autorise l’armée à abandonner le matériel produit pendant la Seconde Guerre mondiale, et ce, jusqu’en 1962 . Celle-ci jette son dévolu dans les lacs suivants : lac de Thoune, lac de Brienz, lac des Quatre-cantons, lac Léman, lac de Zurich, lac de Walenstadt et le Rotsee (Charrière, 2019)

En outre, ce ne sont pas moins de 8000 à 9000 tonnes de munitions qui gisent au fond des lacs suisses.

Les lacs ont servi de poubelle à munitions à toutes les armées, mais quel est véritablement l’impact sur l’environnement de cette poudrière subaquatique?

S. K

 

 

 

Bibliographie

Amt für Abfall, Wasser, Energie und Luft (AWEL) (2005). Munitionsablagerungen im Zürichsee : Historische Untersuchung und Risikoabschätzung, Baudirektion Kanton Zürich, Zürich.

Archives Département de justice et police et des transports de la République et canton de Genève (DJPT), République et canton de Genève – Dossier “Munitions immergées dans le Léman”, 1996 – DJP/329, Dossier ND/mg, n° 55424.

Bahrig, B. & Gruber, C. (2004). Historische Abklärungen zu Ablagerungen und Munitionsversenkungen in Schweizer Seen  Los 4 : Deutschschweiz Ost, AG Büro Konstanz und Ökogeo AG, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS), Bern.

Barthe, Y. (2006). Le pouvoir d’indécision. La mise en politique des déchets nucléaires, Paris, Economica.

Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS). Monitorage des substances explosives en 2019 : aucun impact négatif des munitions sur l’eau des lacs (19.05.2020), en ligne (consulté le 12.12.2020).

Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) (2004). Étude historique concernant le dépôt et l’immersion de munitions dans les lacs suisses  Résumé, Berne.

Duca Widmer, M., Scerpella, D. & Panizza, A. (2004). Indagine storica Depositi ed immersioni di munizioni nei laghi svizzeri  Lotto 3 : Svizzera italiana, Eco Risana SA, per il Dipartimento federale della difesa, della protezione della popolazione e dello sport (DDPS), Berna.

Charrière, E. (2019). Le dépôt des munitions dans les lacs suisses : de l’oubli à une gestion raisonnée. Thèse, sous la direction du Prof. Rémi Baudouï et du Prof. Emmanuel Garnier. Faculté des sciences de la société, Université de Genève.

Conseil d’État de la République et canton de Genève (2019). “Munitions dans le Léman : ‘Circulez, il n’y a rien à voir !’ Vraiment ? Épisode 2 : Instruction imparfaite du dossier ou mensonge en toute connaissance de cause“, Question 1194-A, en ligne (consulté le 17.12.2020).

Conseil d’État de la République et canton de Genève (2017). “Réponse à la question écrite urgente de Mme Salima Moyard : Munitions dans le Léman : ‘Circulez, il n’y a rien à voir !’ Vraiment ?“, Question 642-A, en ligne (consulté le 10.06.2018).

Gächter, D., Cervera, G. & Dériaz, C. (2004). Investigations historiques relatives aux dépôts et aux immersions de munitions dans les lacs suisses  Lot 1 : Suisse Romande, Géotechnique appliquée Dériaz SA, pour le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS/VBS), Berne.

Office cantonal de l’énergie (OCEN), 2020. Plan directeur de l’énergie 2020-2030. Département du territoire, République et canton de Genève, Genève.

Porta, R. & Willi, R. (2004). Historische Abklärungen zu Ablagerungen und Munitions-versenkungen in Schweizer Seen – Los 2 : Deutschschweiz West, ohne Berner Oberland, Hugger & Porta + Partner, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS), Bern.

Radio Télévision Suisse (RTS) : Reportage “Dans la zone de tir de Forel, il n’y a pas un mètre carré sans munition“, 6 août 2020, en ligne (consulté le 12.12.2020).

Schenker, F., Lancini, A. & van Stuijvenberg, J. (2012). Militärische Munitionsversenkungen in Schweizer Seen  Umfassende Gefährdungsabschätzung ergänzt mit Abklärungen zur Herkunft von Spurenbelastungen durch Explosivstoffe, Schenker, Korner & Partner GmbH und Arge Stuijvenberg, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS) & Umweltfachstellen der Kantone Bern, Luzern, Nidwalden, Schwyz und Uri, Bern.

Schenker, F. & van Stuijvenberg, J. (2004). Historische Abklärungen zu Ablagerungen und Munitions-versenkungen in Schweizer Seen  Los 5 Ost : Kanton Uri, Schenker, Korner & Partner GmbH und Arge Stuijvenberg, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS), Bern.

Schenker, F. & Werthmüller, S. (2020). Militärische Munitionsversenkungen in Schweizer Seen  Bericht zum Explosivstoffmonitoring 2019 mit Vergleich zu den Messungen 2009, Geologische Beratungen Schenker Richter Graf AG, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS) & Umweltfachstellen der Kantone Bern, Luzern, Nidwalden, Schwyz und Uri, Bern.

Schenker, F. & Werthmüller, S. (2017). Militärische Munitionsversenkungen in Schweizer Seen  Explosivstoffmonitoring 2012-2016, Geologische Beratungen Schenker, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS) & Umweltfachstellen der Kantone Bern, Luzern, Nidwalden, Schwyz und Uri, Bern.

van Stuijvenberg, J. & Schenker, F. (2004). Historische Abklärungen zu Ablagerungen und Munitions-versenkungen in Schweizer Seen  Los 5 West : Berner Oberland, Arge Stuijvenberg und Schenker, Korner & Partner GmbH, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS), Bern.

van Stuijvenberg, J., Schenker, F. & Lancini, A. (2005). Gefährdungsabschätzung zu militärischen Munitionsversenkungen in Schweizer Seen ; Zusammenstellung aller verfügbaren Daten bezüglich Brienzer-, Thuner- und Urnersee, sowie für das Gersauerbecken des Vierwaldstättersees, Arge Stuijvenberg und Schenker, Korner & Partner GmbH, für das Eidgenössische Departement für Verteidigung, Bevölkerungsschutz und Sport (VBS/DDPS), Ostermundigen/Meggen.

Nicolas Rey, jeune auteur corse

Nicolas Rey, auteur Corse originaire de Porto-Vecchio, sort son premier roman : Utah

Utah est un recueil de nouvelles très réussi, à la fois sensible et espiègle sur la nature humaine. Un coup d’éclat remarqué d’emblée puisque le texte de Nicolas Rey, né à Porto-Vecchio en 1988, a su séduire la nouvelle maison d’édition corse, Òmara Editions, créée en août 2021.

 

Nicolas Rey. Naissance d’un jeune auteur corse.

Ce jeune auteur corse a publié son premier livre qui regroupe dix textes d’une quinzaine de pages. Les critiques font bon accueil à la langue précise et imagée de ce « primo-romancier ».

Titulaire d’une licence de sociologie à L’Université d’Aix-en-Provence et d’un Master démographie et anthropologie à l’Université de Paris, Nicolas Rey est d’une humilité confondante.

Même si son engouement pour l’écriture remonte à un voyage d’étude en Bolivie, sans faire le tour des points d’ancrage de l’influence des œuvres littéraires, celui-ci a été marqué par la lecture de Carnets de voyage d’Ernesto Guevara, dit le Che, ainsi que par l’écrivain de l’État de Washington, Lance Weller, qui a écrit sur les blessures toujours mal cicatrisées de son pays, hanté par la violence de ses mythes fondateurs.

Nicolas Rey, Porto-Vecchio
UTAH, Nicolas Rey, édition Corse Omara, 2021

Rien ici de l’ordonnancement chronologique, ni de la disposition thématique ; ainsi le schéma traditionnel d’un récit linéaire va à l’encontre des intentions de l’auteur.

Et lorsque tous les repères se perdent, que la réalité devient si improbable que même le langage fait défaut pour en rendre compte, Nicolas Rey, avec un mélange de force bouillonnante et de gravité, creuse un certain nombre de questions centrales sur notre temps et notre monde.

D’une manière exaltée et envoûtante, l’auteur questionne la guerre, la violence et la mort, en portant un regard critique sur la société qui nous entoure, envisagée avec l’espoir de faire réagir ses lecteurs.

Ses chevauchées en revanche, ne piétinent jamais la beauté du monde naturel. C’est ce que nous rappelle ce premier récit touchant et vibrant, de Nicolas Rey, qui déjoue les clichés et emploie ainsi la fulgurance de la poésie dans une langue courageuse et d’une sombre beauté.

Cette rencontre esquisse les contours de fictions aux sources d’inspiration variées puisant dans le réel et ses fresques historiques galopent à travers la grande histoire, que ce soit la conquête de l’Ouest ou la guerre de Sécession, tout en nous faisant voyager dans des petits mondes singuliers. C’est un livre conçu comme un trousseau de clefs pour ouvrir les portes d’une manière poétique et philosophique.

C’est un recueil à la fois mélancolique et joyeux sur la vie et un livre remarqué à juste titre, car les mots de l’auteur invitent dès le premier chapitre à prendre place hors des sentiers battus. L’écriture témoigne d’un regard singulier, avec l’ironie à fleur de peau, sans jamais oublier la flamboyance de l’instant.

Nicolas Rey
Nicolas Rey, Porto-Vecchio, Crédit photo : N. Rey.

À l’ère de l’individualisme triomphant, la réflexion de Nicolas Rey est élaborée avec le plus grand soin : il ose parler de la fragmentation du monde et porte une vision réaliste et brute de la condition sociale. Il dépeint un monde sans idéal et porte un regard critique sur la société aux couleurs de la Comédie humaine.

C’est sans doute cette sensibilité au regard oblique sur la vérité qui donne à l’écriture de Nicolas Rey, sa dimension littéraire.

S. K

 

Pour commander le livre de Nicolas Rey : https://www.omaraeditions.com/

Ranz des vaches, Serge Kurschat

L’histoire très profonde du Ranz des vaches ou Lyoba

Selon le Littré, le terme ranz des vaches, qualifie des airs suisses ayant un caractère particulier, que les bergers et les bouviers jouent sur leur cornemuse en gardant leurs troupeaux dans les montagnes et qui se répercutent de montagnes en montagnes par le phénomène d’écho.

 

Ce chant traditionnel n’est pas d’origine gruérienne, ni même fribourgeoise. C’est est en effet dans une chanson zurichoise datant de 1531, que le mot Kuoreien (Kuhreihen signifie Ranz des vaches) est mentionné pour la première fois. Dans un ouvrage allemand de 1545, on trouve également un air intitulé Appenzeller Kureien Lobe Lobe. Quand on parle du Ranz des vaches, on pense Fribourg, toutefois c’est un chant plus ancien que la version gruérienne, que l’on connaît en suisse alémanique et il y a des ranz des vaches appenzellois et bernois plus anciens que celui de Fribourg.

Ce chant dont la mélodie est empreinte de nostalgie, est dénoté par Jean-Jacques Rousseau en 1767, qui écrit à son propos :

Cet Air fi chéri des Suiffes qu’il fut défendu fous peine de mort de le jouer dans leurs Troupes, parce qu’il faifoit fondre en larmes, deferter ou mourir ceux qui l’entendoient, tant il excitoit en eux l’ardent defir de revoir leur pays[1].

Les mercenaires suisses, les meilleurs soldats de Louis XIV (1638-1715), dit le « Roi-Soleil », présentaient les symptômes d’un mal étrange et désertaient les champs de bataille pour aller rejoindre leur famille quand ils entendaient cette ode. Aussi, le soldat qui jouait ou chantait ce chant était passible de la peine de mort.

C’est en 1688, que Johannes Hofer, un jeune étudiant de la faculté de médecine de Bâle, décrivit pour la première fois une maladie proche de la mélancolie, dont les symptômes étaient fièvre, pouls irrégulier, langueur et maux de ventre. Hofer baptisa cette maladie nostalgia, ou « mal du pays » (Heimweh) qui frappait seulement les mercenaires suisses, qui avaient quitté leurs alpages pour se mettre au service d’une puissance étrangère. C’est à ce moment que l’on situe l’origine du mot nostalgie.

Si le Ranz des vaches est devenu un véritable archétype gruérien, c’est grâce à un vaudois, le pasteur Bridel qui publie en 1813, la partition et les paroles en patois et en français, du chant. L’abbé Joseph Bovet publie le Ranz des vaches en 1911, sous le titre Les armaillis des Colombettes. Le compositeur fribourgeois en a proposé une version harmonisée, largement diffusée tout au long du XXe siècle.

Repris dans les grandes fêtes populaires, il est associé à la Fête des Vignerons de Vevey dès 1819.

Lors de la Fête des vignerons de Vevey en 1977, Bernard Romanens, celui que l’on surnommait le ténor de Marsens, se fait connaître lors de son interprétation du Ranz des vaches. Il devient alors la représentation personnifiée du paysan suisse d’alpage.

 

 

[1] Jean-Jacques Rousseau, Dictionnaire de Musique, Chez la veuve Duchesne, Libraire, rue D. Jacques, au temple du Goût, 1768, pp. 1-2.

PHOTO : DR

Sources et références :

Gustave Adolphe Kölla (Hg.), Schweizer Liederbuch. Sammlung der schönsten Volks-, Berg- und Vaterlandslieder der deutschen, französischen und romanischen Schweiz. 3. Aufl., Zürich/Leipzig 1892.

Guy S. Mettraux [sic], Anne Philipona; iconographie réunie par Isabelle Arn et Manuel Dupertuis, Le ranz des vaches: du chant des bergers à l’hymne patriotique. Ed. Ides et Calendes, Neuchâtel 2019. Réédition revue et augmentée de l’ouvrage de Guy S. Metraux paru en 1998.

Ponchardier

L’histoire authentique des mythiques Commandos de Ponchardier, par Michel Zannelli

Pour plonger dans le monde de la guerre d’Indochine (1946-1954), Michel Zannelli convoque la figure du ” baroudeur ” légendaire qu’incarnait le contre-amiral Pierre Ponchardier, né à Saint-Étienne le 4 octobre 1909 et mort au Sénégal le 27 janvier 1961, dans un accident d’avion.

 

L’essai historique de Michel Zannelli “Les commandos de Ponchardier à la vie à la mort : L’Indochine aventure de notre jeunesse 1945-1946” est précieux, en ce sens que le récit est basé sur des documents originaux qui n’avaient jamais été exploités auparavant.

L’auteur questionne les documents de façon critique s’il le faut : son éclairage remet en question un certain nombre d’idées reçues sur la formation du commando, et les éclaire d’une lumière plus généreuse. L’une des forces de cette étude est justement de valoriser des documents d’histoire inédits, endormis entre autres dans les archives.

Le cœur de l’ouvrage est constitué par la personnalité du résistant et contre-amiral français, Pierre Ponchardier, du nom d’un commando parachutiste créé au sein de l’aéronavale en 1945. Le portrait s’avère double, à la fois statique et dynamique, l’auteur ayant pris soin de construire son étude en deux parties.

Serge Kurschat- Michel Zannelli
Les commandos de Ponchardier à la vie à la mort: L’Indochine aventure de notre jeunesse 1945-1946. Auteur Michel Zannelli.

Dans un style limpide, il parvient à capter à la fois les désarrois et les errances, mais aussi la souveraineté magique et insolente de Ponchardier, dit le «Ponch», marquant la personnalité exceptionnelle de ce grand marin, attaché indéfectiblement à ses hommes.

Au sein de l’Armée française, le commando Ponchardier est une unité constituée par l’amiral Henry Nomy à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Le bataillon, initialement destiné à intervenir au Japon au sein du CLI (5e RIC) – Le 4 novembre 1943, pour répondre à l’organisation d’une résistance militaire en Indochine, le général de Gaulle décide de créer un «Corps Léger d’Intervention»-, contre les Japonais, est engagé contre le Viet-Minh dans la région de Saigon de fin 1945 à mi 1946.

C’est précisément à Saigon qu’arrive le père de Michel Zannelli en octobre 1945 où il participe à la campagne dans le Sud Cochinchinois.

Ponchardier, accompagné d’un officier britannique, passe les troupes en revue. Crédit photo Michel Zannelli.

Le temps enfui et rassis est apprêté par Michel Zannelli qui sait lui rendre son immédiateté, ses saveurs et sa profondeur.

Afin de mieux suivre les volutes émotionnelles labourant les différents personnages de son livre, Michel Zannelli, par éclats de souvenirs, par associations d’idées et digressions multiples, renverse un grand nombre de stéréotypes que nous avons sur cette période.

Sans vouloir en déflorer le sens et la profondeur, sa principale originalité est de déjouer les clichés afin de s’éloigner des mythes et des légendes, le tout, dans le respect des traditions et de l’authenticité des récits.

Ce brillant essai, est un bijou de 256 pages par sa qualité d’écriture, dans une langue courageuse et d’une sombre beauté. sans se payer de mots ni d’illusions, l’auteur nous emmène dans son monde et arpente cette période avec la fluidité d’un roman et l’érudition mordante d’un grand historien.

 

Photo de couverture : le lieutenant de vaisseau Pierre Ponchardier, commandant l’escadrille 1B (1940-1942). Crédit photo Michel Zannelli.

Alexandre Paysan, éternel optimiste et judoka globe-trotteur

Passionné depuis sa plus tendre enfance par le contact humain et par le sport, c’est tout naturellement qu’Alexandre Paysan s’est dirigé vers le judo. S’il possède un physique d’exception, 1m89 pour 100 kilos, le 5e dan français est un monstre de gentillesse qui éprouve une joie sans limite à aider les autres.

 

Itinéraire d’un enfant du judo

Né en 1976, Alexandre Paysan commence à s’entraîner au judo en 1984, à l’âge de sept ans à Berlin-Ouest, en Allemagne. Son père est gendarme au gouvernement militaire de Berlin.

Sa vocation d’aventurier lui vient de son enfance. Passionné de lecture, il se plonge littéralement dans les livres de l’explorateur et écrivain, Roger Frison-Roche. Il se décrit comme un garçon passionné qui aime les défis et la difficulté.

Alors que ses parents retournent en France en 1990, le jeune Alexandre fera ses débuts au Judo Club de Rives en Isère. Le rôle prépondérant de ses parents joue en sa faveur dans sa pratique du judo :

« J’ai eu de la chance, mes parents m’ont toujours encouragé. »

Mais ce qu’Alexandre Paysan affectionne par-dessus tout, c’est l’imprévu.

Alexandre Paysan en 1984 à Berlin. Crédit photo : Alexandre Paysan

Une carrière militaire de marin

En 1997, il décide de s’engager dans l’armée pour sortir de sa zone de confort, voyager et vivre l’aventure. Il réussit le concours d’entrée de l’École de Maistrance, qui incorpore et forme depuis 1933, les futurs officiers mariniers de la Marine nationale française.

Il intègre la spécialité de fusilier marin -les fusiliers marins sont créés le 5 juin 1856, par l’empereur Napoléon III-, une formation au sein de la Marine, spécialisée dans la protection des navires et des lieux sensibles.

À l’issue de sa formation, après avoir effectué le cours moniteur de sport à l’école de Fontainebleau, il participe aux championnats de France Marine de judo à Cherbourg.

En 2003, il rencontre Dominique, celle qui deviendra sa future femme.

Entre-temps, il obtient un BEES 2ème degré de judo ainsi qu’une Licence Staps. Dès lors, il est titulaire du diplôme de professeur de judo et choisit de faire de sa passion, son métier.

Entre 2003 et 2013, il est conseiller technique judo pour la Marine Nationale française.

Yellowknife (capitale ainsi que la plus grande ville des Territoires du Nord-Ouest, au Canada). Crédit photo Alexandre Paysan

Plus qu’un sport, une école de vie.

Depuis 2013, après avoir pris sa retraite militaire, Alexandre Paysan et son épouse Dominique, font le tour du monde, tout en partageant ses connaissances en judo. Lorsqu’ils voyagent, il ne prennent qu’une valise chacun.

De Tahiti à la Guadeloupe en passant par Saint-Pierre-et-Miquelon, le Canada, le Mexique, puis sillonnant l’Asie, il a eu la chance d’enseigner la pratique du judo un peu partout sur la planète :

« Ce qui est génial c’est de tenter de voir grand. De prendre l’inspiration chez les grands parce qu’ils ont tellement de chose à nous offrir. »

Son leitmotiv : «c’est le judo qui cherche la destination, on ne choisit pas la destination.»

Par ailleurs, en 2015, Alexandre obtient son 5ème dan de judo. Il mène une véritable vie de globe-trotter rythmée par le judo :

« Aujourd’hui à 45 ans, je considère avoir fait des rencontres exceptionnelles et j’ai réalisé le pouvoir qu’avait le sport de rassembler au-delà des différences. »

 

Championnat d’Europe vétéran à Glasgow en 2017.

Le partage comme valeur essentielle.

Le judo et les voyages lui ont permis de se construire et de développer un état d’esprit résolument positif. Chaque épreuve le renforce et le fait grandir.

« Aujourd’hui je me sens épanoui et accompli. je reste fidèle à mes valeurs et mes convictions. Mon expérience et mon expertise sont reconnues et j’ai une confiance totale dans la vie, toujours avec cette soif de nouvelles rencontres, d’aventures humaines et de nouveaux challenges. »

 

Palmarès d’Alexandre Paysan

 

Source d’inspiration, d’humilité et d’optimisme, Alexandre Paysan, en homme de challenge, nous montre chaque jour, qu’avec de la volonté, tout est possible.

Sa vie ressemble à un conte de fées et ce grand baroudeur amoureux de la vie, reste un infatigable globe-trotter…

 

Alexandre paysan
Alexandre et Dominique à Moorea, en Polynésie française. Crédit photo : Alexandre Paysan

 

Porto-Vecchio, une cité au goût de paradis

Troisième commune de Corse, Porto-Vecchio est la principale ville de la côte orientale après Bastia.

Magnifique cité, cette destination phare du tourisme balnéaire connaît actuellement une fulgurante expansion. En effet, située entre mer et maquis, c’est un élixir de beauté mais également un héritage à préserver. Baignée d’iode et d’air marin, la ville de Porto-Vecchio bénéficie d’une parfaite situation géographique.

Elle est entourée au nord et sud par de somptueuses plages de sables fin et dispose d’un écosystème marin exceptionnel avec des eaux transparentes et cristallines qui se mélangent au ciel céruléen, aux embruns marins et aux effluves boisées de pinède et de maquis.

Nichée dans un décor à couper le souffle et bordée de maquis odorant, la plaine de Porto-Vecchio, riche de superlatifs, s’étend à l’Ouest vers Figari, s’élève progressivement au nord dans un cirque montagneux envahi par le maquis vers le massif de Cagna, l’Alta Rocca, Bavella et ses aiguilles, puis l’Incudine «l’enclume », point culminant de la Corse-du-Sud (2134 mètres).

Les plaines alluviales sont arrosées par trois rivières, le Cavu, l’Osu et le Stabiacciu.

L’arrière-pays comprend de nombreux sites archéologiques à l’instar de Tappa, Ceccia, Araghju ou encore Cucuruzzu. En langue Corse Porto Vecchio s’écrit “Portivechju”, et signifie vieux port.

 

Vue aérienne de Porto-Vecchio. Année 1951. Crédit photo : Portivechju Di Tandu

Le 24 juin, jour de la Saint Jean Baptiste, accessoirement patron des Porto-Vecchiais, marque le début des réjouissances d’été.

Au 6 ème siècle avant J-C, le site est occupé par les grecs puis par les romains et s’appelle à cette époque Porto Siracusanus.

Tout d’abord, il convient à l’évidence de rappeler le fait que la Corse, sous domination génoise depuis le 13ème siècle, lutte sans cesse contre les invasions barbares.

Ainsi, en 1453, La République de Gênes confie l’île à une riche et grande banque génoise : l’Office de San Giorgio. La naissance de la ville actuelle ne date que de la première moitié du 16 ème siècle et voit le jour après l’édification le 24 décembre 1539, d’une place-forte, afin de préserver la sécurité des colons, ceux-ci étant menacés par des incursions barbaresques et notamment celles du pirate turc “Dragût”.

Qui plus est, son concepteur n’est autre que l’un des ingénieurs préférés de Charles Quint, Giovan Maria Olgiati. Les « Compere » allouent 40.000 écus pour la construction de Porto-Vecchio.

Route de Bonifacio. Crédit photo : Portivechju Di Tandu

Tout au long du 16 ème siècle, la ville est maintes fois attaquée et pillée par les Turcs. En 1564, celle-ci est également prise par Sampiero Corso, qui a la volonté de combattre les envahisseurs et de défendre l’île.

En 1578, elle prend le nom de Vintimiglia La Nova avec la venue de 900 colons de Vintimiglia. Ils seront décimés par le paludisme.

Quasiment toutes les cartes entre 1560 et 1670 appellent le golfe de Porto-Vecchio, le golfe d’Arsiano.

Le 15 mai 1768, à l’initiative du ministre Choiseul, le roi Louis XV achète la Corse à la République de Gênes.

Le 13 juin 1769, suite à la conquête française et la bataille perdue de Ponte-Novo, le 8 mai,  Le chef de la résistance corse, Pasquale Paoli, embarque avec 300 de ses fidèles sur des navires anglais ancrés dans le golfe de Porto-Vecchio et part en exil alors que l’armée française tente de l’assassiner.

Le 18 mai 1795, le roi George III de Grande-Bretagne, d’Ecosse et de Corse donne l’autorisation à Giovan Paolo d’établir des salines à Porto-Vecchio.

De fait, la « cité du sel » doit son surnom aux vingt années de la grande expansion des salines entre 1795 et 1815 et au fait que les salines de Porto-Vecchio sont les seules existant en Corse depuis cette époque.

Par ailleurs, Napoléon Bonaparte fait valoir qu’avec le golfe de Porto-Vecchio on se trouve en présence « d’un des meilleurs mouillages de la méditerranée » mais qu’il n’y a pas assez de fond car en étudiant le port il a trouvé « beaucoup de bas-fonds et de roches ».

Porto-Vecchio. Crédit photo : Portivechju Di Tandu

En 1848, Porto-Vecchio est reliée à Bastia par la route. La commune compte alors 2 000 habitants. Elle vit de l’exploitation des chênes lièges, du charbon, du bois et des marais salants.

Mais l’histoire de Porto-Vecchio est aussi marquée par le travail du liège. De 1876 à1975, l’usine Saint Joseph produit bouchons, isolants, agglomérés, flotteurs pour les filets de pêche. Face à la concurrence du bouchon en plastique, il ne reste plus que 2 exploitants à Porto-Vecchio. Aujourd’hui l’ancienne usine à liège est un lieu culturel organisant des pièces de théâtre.

Jusqu’au XIX ème siècle, la majorité des habitants vivent principalement à la montagne pour échapper aux maladies. L’hiver, les bergers de Serra-di-Scopamène et de Quenza descendent à Porto-Vecchio et logent dans des cabanes éparses. L’été, les habitants gagnent la montagne. L’élevage transhumant et l’exploitation des forêts de chênes lièges constituent leurs principales ressources.

Cependant, au début du 19è siècle, des routes sont construites, des industries apparaissent et le port est aménagé : c’est le commencement du développement touristique et économique de Porto-Vecchio. Les marais à l’origine des maladies vont être asséchés pour rendre la ville plus saine.

La ville est reliée à Bastia par chemin de fer en 1935, par la prolongation de la ligne existant déjà jusqu’à Ghisonaccia. Mais ce tronçon connaît une existence éphémère. Très endommagé pendant la guerre au cours du retrait des troupes allemandes, les ponts détruits ne furent jamais reconstruits et les rails furent démontés.

Ce n’est qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que la Corse est un enjeu stratégique en méditerranée pour les alliés et l’OTAN, que les américains assainissent les marais grâce à l’emploi massif du DDT (dichloro-diphényl trichloréthane), molécule insecticide synthétisée en 1939, par un universitaire bâlois, Paul Hermann Müller. (Le DDT est aujourd’hui suspecté de favoriser des cancers du foie et du sein, et classé « cancérogène probable » par l’OMS.)

Santa Giulia. Crédit photo : Portivechju Di Tandu

Mais c’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, que Porto-Vecchio connait un essor particulièrement rapide dû à la disparition du moustique anophèle responsable de la malaria, à l’aménagement d’un port de commerce, à la mise en valeur de la plaine orientale et surtout au développement d’un tourisme.

Malheureusement, face à la frénésie immobilière et au tourisme de masse qui détruisent la biodiversité de l’île de Beauté, polluent les ressources naturelles et défigurent les espaces remarquables, cela entraîne en retour, un impact négatif et les conséquences sont dramatiques.

Il faut ajouter à cela, l’urbanisation des sols qui rend les habitants plus vulnérables face aux risques d’inondations et des coulées de boue, ce qui conduit à une aggravation des pressions environnementales et au danger pour les espèces animales.

Plus que jamais, il est désormais crucial de songer à préserver cet équilibre fragile…

 

Serge Kurschat

 

Références :

Antoine-Marie Graziani. Naissance d’une cité : porto-vecchio. Editions Alain Piazzola, 171 pp.

Simon Grimaldi, Porto-Vecchio d’hier à aujourd’hui,‎ Éd. A Stamperia, 288 pages.

Xavier Poli, La Corse Dans L’Antiquité Et Dans Le Haut Moyen Age, Kessinger Publishing, 222 pages.

Michel Vergé-Franceschi, Histoire de Corse: Le pays de la grandeur, Editions du Félin, 629 pages.

Crédits photographiques : Portivechju Di Tandu.

 

La Voie de l’inconscient, un parcours d’escalade créé par cinq marins au beau milieu du désert.

C’était il y a 45 ans, le 20 décembre 1976. Philippe Blatter et quatre de ses frères d’armes, Patrick Delezaive, Jean-Marie Jourdain, Yves Lorette et François-Alain Gourmelen, entraient dans l’Histoire avec l’une des plus belles pages de l’armée française en devenant les fondateurs de la Voie de l’inconscient, le plus prestigieux parcours d’escalade militaire au monde.

 

Ces cinq commandos marine, affectés au commando de Montfort, ouvraient une voie d’escalade militaire à nulle autre pareille, et ce, en plein désert sur le Territoire Français des Afars et des Issas, le long d’une falaise réputée comme un pur concentré d’audace.

Située dans la Corne de l’Afrique, sur le golfe d’Aden et au débouché du détroit de Bab-el-Mandeb, bordée au sud par la mer Rouge, l’actuelle République de Djibouti s’étend sur 23 200 km² couverts d’oueds intermittents, de lacs salés et de déserts pittoresques. Ce pays jeune – la République de Djibouti a obtenu son indépendance le 29 juin 1977 –, du fait de sa position géographique, bénéficie d’une position stratégique essentielle depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869.

Cet îlot de sécurité qu’est Djibouti se situe sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. La Corne de l’Afrique est une zone essentielle du projet géopolitique chinois, tant d’un point de vue économique avec les « Nouvelles routes de la Soie » que militaire avec la stratégie dite du « collier de perles ». Aujourd’hui encore, ce pays accueille des bases militaires étrangères et s’est lancé, avec des partenaires internationaux, dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme qui rongent la sous-région.

Au premier contact, ce paysage pittoresque semble bien éloigné de nos vertes contrées. Et pourtant, face à l’immense variété des paysages désertiques, bordés de montagnes volcaniques où chaleur et aridité se marient, c’est un courage chevillé au corps qui a habité ces cinq hommes.

C’est à un fabuleux voyage dans un autre temps et coupé du monde que nous convie ce parcours de l’extrême jalonné d’obstacles. On a peine à croire qu’au milieu de ce paysage, lunaire et tourmenté, puisse sortir de terre un parcours d’audace.

Rappelons à présent les faits : à l’automne 1976, les commandos marine étaient embarqués sur le bâtiment-atelier Polyvalent Jules Verne et avaient installé leurs tentes à Arta-Plage, sur la « piste des Mariés » reliant Arta à Arta-plage, sur les rives du golfe de Tadjourah.
Avec le temps, le commando s’établit à Arta-Plage pour y mener son entraînement et y installer un parcours d’escalade.

Ainsi, le 20 décembre 1976, la voie est inaugurée. Selon la tradition du monde de l’escalade, son ouvreur, Philippe Blatter, la baptise « Voie de l’inconscient » et le nom des cinq créateurs est peint sur la roche. Néanmoins, depuis lors, il semble que les inscriptions n’aient pas résisté à la morsure du soleil.

« Je l’ai surnommé Voie de l’inconscient en raison du caractère friable de la roche et du peu de tenue des fixations sur la paroi. »

C’est en ces termes que son promoteur, Philippe Blatter, fils d’immigrés suisses, décrit l’œuvre de sa vie.
C’est avec l’œil aguerri de grimpeurs d’expérience, en pataugas et sans équipements spécifiques, que les cinq équipiers ouvrent la voie, sillonnant les parois et y installant les premiers équipements. Et pour cause, ils entreprennent un travail sans relâche alors que règnent des températures écrasantes frôlant les 50 degrés à l’ombre.

Un sentiment de fierté et une aventure humaine aux confins du possible, voilà ce qu’éprouve François-Alain Gourmelen, l’un des cinq fondateurs :

« Jusque-là, personne n’avait eu l’audace de s’attaquer à cette paroi. À l’origine, elle fut créée spécialement pour entraîner les commandos marine, ensuite nous avons accueilli et formé régulièrement toutes les compagnies de légionnaires à l’instar de la 13e demi-brigade, pour trois ateliers différents : le nautisme, le sabotage et… la Voie de l’inconscient. »

Après la dissolution de la 1re compagnie de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, le groupe amphibie bascule d’Obock à Arta-Plage.
Il s’entraîne avec le commando de Montfort dont la valeur militaire sera soulignée par le commandement de la 13 au commandant du Groupement des fusiliers marins commandos et vaudra des félicitations au Commando de Montfort.
En 1977, les légionnaires bâtissent à Arta-Plage les infrastructures du centre d’entraînement au combat d’Arta-Plage (CECAP), qu’ils dirigeront jusqu’au départ du régiment aux Émirats arabes unis.

Toutefois, l’éruption de l’Ardoukôba, accompagnée d’un tremblement de terre d’une magnitude de 4,6 le 7 novembre 1978, met provisoirement fin aux entraînements sur la Voie de l’inconscient.
Après le départ des commandos à Arta, la Voie de l’inconscient est reprise par la Légion qui l’améliore et l’entretient. Depuis le départ de la 13e DBLE de Djibouti en 2011, le centre d’entraînement et ses infrastructures ont été repris par le 5e régiment interarmes d’outre-mer
(5e RIAOM) sous le nom de centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement de Djibouti (CECAD).

Toujours est-il que l’œuvre de ces cinq fondateurs aura permis, durant des décennies, de former des soldats des forces armées françaises et internationales à l’aguerrissement en milieu désertique et à les préparer lorsqu’ils partent sur les différents théâtres d’opérations dans le monde.

On peut considérer que pendant près d’un demi-siècle, plus de 50 000 soldats de tous grades, armes, armées et nationalités ont suivi la trace de ces cinq pionniers sur la voie qu’ils ont tracée.

Et pourtant, ils restent méconnus à ce jour.

Il n’est certainement pas trop tard pour que l’armée française réhabilite leur mémoire.

Dans cet esprit, un court-métrage sera diffusé le 24 mars 2022 afin de souligner le rôle déterminant exercé par les cinq commandos marine en qualité de créateurs de la Voie de l’inconscient.

 

Serge Kurschat, historien.

L’incroyable destin du médecin Pierre Brugere

Même si pour le commun des mortels, ce nom n’évoque pas grand-chose, Pierre Brugere est un héros des jours sombres qui s’est illustré en mettant toute son énergie à sauver de nombreuses vies au péril de la sienne. Ses faits d’armes lui auraient pourtant valu une petite place dans l’Histoire.

 

Un “devoir de mémoire” est aussi un devoir de vérité

 

Pierre, Marie, Ernest Brugere né le 24 janvier 1911, à Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), a trois ans lorsqu’il devient pupille de la nation.

Son père est tué le 25 aout 1914 pendant la bataille du Grand Couronné ou « bataille de Nancy », épisode souvent oublié de l’été 1914.
Cet événement douloureux aura un impact sur sa décision de devenir quelques années plus tard, un médecin militaire et un officier d’élite à la destinée singulière à plus d’un titre..

Il poursuit ses études et à peine sorti de la Faculté de médecine, son doctorat de médecine en poche, le 11 décembre 1935, il rallie Toulon les premiers jours de Janvier pour suivre les cours de l’école d’application à Sainte-Anne. Afin de pouvoir pratiquer la médecine et voyager, il choisit Santé Navale à Bordeaux.

L’histoire commence le 3 mai 1940, au cours de la campagne de Norvège, lors d’un raid impliquant une quarantaine d’avions allemands, le contre-torpilleur Bison, un bâtiment de 130 mètres de la classe Guépard, est touché par une bombe, qui traverse la passerelle et explose dans une soute à munitions. Le bâtiment coule dans le fjord de Namsos avec 130 de ses 264 membres d’équipage :

 

Tout le monde saute à l’eau sur l’ordre d’OUDIN, il ne reste plus que lui et moi. Après un dernier regard pour contrôler qu’il ne reste plus de blessés à bord, je jette ma casquette à l’eau, je fais un signe de croix, et je me jette à la mer. Je m’éloigne du bord à la nage ; des flammes sortent de l’extrême arrière. Je n’ai pas trop froid, j’ai gardé tous mes vêtements, mais je m’aperçois du poids de mes bottes, qui sont très difficile à enlever. Je finis par être repêché par une baleinière du “GRENADE”, il s’y trouve un matelot qui gémit et claque des dents. Pierre Brugere, Souvenirs de campagne.

 

Crédit photo Pierre Brugere

Cet acte de bravoure héroïque, Pierre Brugere l’a gardé pour lui, sa famille en ignorait même l’existence avant de tomber par hasard sur un livre rassemblant des photos et des informations sur les survivants.

Ma mère, qui se trouvait à Bizerte, apprenait par cette même radio que le “BISON” avait été coulé, et ce n’est que quelques jours plus tard, qu’elle a su par un télégramme d’un officier général du Ministère, que je ne figurais pas parmi la liste des disparus. Pierre Brugere, Souvenirs de campagne.

 

Crédit photo : Pierre Brugere

 

L’INDOCHINE

 

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le médecin de 1re Classe Brugere se porte volontaire pour toutes les missions les plus périlleuses, et ce, dès l’arrivée du Corps Expéditionnaire en Indochine.
Sa parfaite connaissance du pays et des affections tropicales lui permet d’économiser au maximum le potentiel humain qui lui est confié. Il contribue ainsi à la libération de Saigon et de ses environs immédiats ; dans les commandos et en particulier, avec les parachutistes du S.A.S.B Groupement Autonome Ponchardier, il va participer à la campagne de Cochinchine et à la libération de plusieurs villes, telles que Mytho et Vin Long.

En effet, dès la préparation du Corps Expéditionnaire du Tonkin, il se porte volontaire pour rejoindre la formation de la Brigade Marine Extrême-Orient, qui monte vers le Nord. Il part avec le 3e escadron du Régiment Blindé de Fusiliers-Marins.

L’Armée japonaise occupait alors de manière pacifique le territoire d’Indochine et était installée dans les bases stratégiques.

 

Prisonnier de guerre

 

Toutefois, le 9 mars 1945, après l’effondrement du régime de Vichy et l’approche de la fin de la deuxième guerre mondiale, les japonais attaquent avec brutalité les garnisons françaises d’Indochine. Au cours de ce que l’on a appelé « le coup de force des japonais », de nombreux militaires français de tous grades furent tués, torturés ou faits prisonniers dans les camps de la mort par la Kempeitaï, la «Gestapo japonaise», alors que certains parviennent à s’enfuir sous la conduite du général de division Marcel Alessandri, prenant le nom de colonne Alessandri, pour rejoindre la Chine.

Capturé et torturé en mars 1945 par les Japonais, Pierre Brugere fit l’admiration de ses compatriotes par son inlassable dévouement auprès d’eux; tous ses compagnons de captivité, qu’ils soient de la Marine, ou des autres armes, officiers ou hommes de troupe furent unanimes à vanter ses qualités exceptionnelles. Il se distingue notamment en prodiguant ses soins à de nombreux blessés sous de violents tirs.

Pendant ces mois de captivité, il a su maintenir bien haut le prestige du Médecin de la Marine nationale française et aura un comportement extraordinaire, puis en captivité il soignera tous les blessés au mépris du danger.

 

Crédit photo Pierre Brugere

 

Quelques mois après sa libération, en 1946, lors du combat de Haiphong, Pierre Brugere est à bord du Bearn; il se dévoue sans compter auprès de nombreux blessés, qui affluent sur le bâtiment transformé en navire-hôpital. Depuis son arrivée au Tonkin, non seulement il conquiert l’estime, mais fait également l’admiration de toute la Brigade par sa valeur, son énergie et son enthousiasme.

En mai 1946, après 5 ans de séjour en Indochine, Pierre Brugere, viens d’être rappelé à Saigon, en vue de son rapatriement vers la France.

 

Retour au pays

 

De retour en France après avoir survécu à l’enfer, il ramène avec lui un compte-rendu personnel qu’il nomme Souvenirs de campagne. C’est un journal qu’il avait rédigeait au fil des jours. Il exposera de façon intime et personnelle la brutalité de la guerre, racontant son amertume quand il ne pouvait pas sauver une vie ainsi que sa lassitude en dénonçant l’absurdité de la guerre.

Le 1er Décembre 1946, Pierre Brugere est affecté à l’école TER à Porquerolles ; puis, au début de 1947, il est désigné comme assistant de médecine à l’hôpital Saint-Anne. Un jugement a été porté par un officier sur l’internement de ces mêmes officiers par les japonais.

« à côté de dévouement, à côté d’acte de charité, et d’entraide souvent anonyme ; l’internement devait aussi et surtout, révéler de biens mauvais côtés de l’âme humaine : le vernis de la politesse et de l’éducation, craquait chez certains, en face des exigences de la survie. Bien des notes d’égoïsme se manifestaient au grand jour, chez des personnes estimées jusque-là pour leur urbanité et leur amabilité. Réactions souvent imprévisibles, et pas toujours belles à voir ; celles de l’homme primitif, prêt à tout pour sa survie : penser à soi avant de penser aux autres, fut plus souvent le cas que l’inverse».

Le 15 mars 1948, il est promu médecin principal.

Il décide de quitter la Marine en 1966, afin que ses enfants puissent continuer leurs études sur Paris, et devient médecin du travail en région parisienne au Service Médical Interentreprises de La Banlieue Sud-Ouest, Issy-les-Moulineaux. En parallèle, il suit des cours du soir pour devenir acupuncteur. Reçu avec mention « Excellent », il ne pratiquera finalement que pour ses amis et sa famille.

Pierre Brugere, cet illustre inconnu, est décédé en juillet 1991. l’Asie l’avait marqué à jamais…

Crédit photo : Philippe Brugere

Son parcours de médecin militaire aux actions héroïques donnera lieu à de nombreuses décorations :

– Chevalier de la Légion d’Honneur du 10 octobre 1946 (faits de guerre)
– Citation à L’Ordre de la Division (mai 1940)
– Chevalier du Dragon d’Annam
– Chevalier de l’Ordre Royal du Cambodge (Décret du 17 Décembre 1942)
– Médaille commémorative Norvégienne- Fourragère (Croix de guerre 1939-1945) à titre individuel (23 août 1946)
– Médaille Coloniale avec Agrafe- Extrême-Orient (9 mai 1947)

 

 

 

 

 

 

Sources : Mme Dorothée Poulain-Brugère

Mr Michel Zannelli, président de l’association du souvenir Amiral Pierre Ponchardier

La civilisation du Gruyère

L’économie fromagère : c’est après la guerre de Trente Ans, à la faveur d’accords avec la France, que cette industrie d’exportation se développe. Alors que la France, à la recherche de soldats mercenaires de qualité conclut des accords avec les cantons Suisses pour l’engagement de militaires, la Suisse cherche des débouchés économiques pour ses industries et son commerce.

 

C’est dans le cadre d’accords bilatéraux entre les deux pays que les cantons suisses obtiennent en contrepartie des fameux soldats helvétiques une ouverture commerciale d’importance.

C’est au bénéfice de ces accords militaires, dits capitulaires, que la Gruyère se voit autorisée à exporter son fromage dans le royaume de France. Le fromage est une marchandise qui se conserve longtemps. Il est fortement vitaminé, aussi lui prête-t-on, à l’époque, de grandes vertus, en particulier celle de lutter contre le scorbut, maladie provoquée par une carence en vitamine C, hantise des marins du monde entier.

Les manifestations liées à cette pathologie apparaissent sous la forme d’un déchaussement des dents, de gencives purulentes, d’hémorragies multiples qui conduisent à la mort. On comprend dès lors l’utilité pour l’armée française et plus encore pour la marine française. Acquérir des provisions à emmagasiner dans les cales des navires, afin de maintenir les marins en bonne santé, lors des voyages au long cours et des grandes expéditions maritimes. Dans cette perspective, pour les autorités françaises, l’achat de fromages suisses, dont le gruyère, est un intérêt de défense nationale. C’est pourquoi, la ville et la région de Gruyères se développent de manière importante pour satisfaire à la demande française en produits fromagers.

Si la Gruyère bénéficie alors de cette demande, il n’en reste pas moins que cette industrie fromagère ne date aucunement de cette période et remonte à des temps beaucoup plus anciens.

La verte Gruyère

Le château et la ville de Gruyères sont en effet anciens. L’histoire nous relate qu’ils furent fondés par Gruérius, capitaine de la sixième légion des Vandales. Cependant le nom « Gruyère » proviendrait plutôt du terme roman « Grand-Gruye », ou garde forestier, le sepersilvator, l’officier juge des eaux et des forêts, chargé de réprimander les délits. Le Grand-Gruyer administre alors un secteur que l’on nomme la gruerie[1].

 

Le château de Gruyères. Crédit photo : ChiemSeherin

Le mot « gruyère » se décline à la fois au féminin et au masculin, et s’écrit au singulier ou au pluriel, avec ou sans majuscule. Tels sont la Gruyère, la région, Gruyères, la ville, le gruyère, le fromage, et les gruyères, les différentes sortes de fromage salé, mi-salé ou doux ; qu’il soit de laiterie ou d’alpage. La ville médiévale, dont le « s » final est apparu récemment, donne son nom à son produit phare, le fromage à pâte cuite. Celui-ci est sacré « roi des fromages » à l’apogée du siècle des Lumières, avant que le fameux gastronome français, Anthelme Brillat-Savarin, ne scelle définitivement l’expression en 1825[2]. L’orthographe est aujourd’hui fixée. Elle ne l’a pas toujours été. Le « y » surtout fait problème.

Le Gruyérien et la Gruyérienne de jadis font place, au cours du XXème siècle, au Gruérien et à la Gruérienne, qu’Henri Naef (1889-1967) historien et conservateur du Musée Gruérien, considère comme la forme ancienne correcte. Elle renvoie, dit-on, à la grue, ce grand échassier dont l’allure est géométrique et semblable à un « Y », et à sa longévité légendaire puisqu’elle était réputée vivre jusqu’à mille ans. Cette prétendue longévité explique peut-être pourquoi le bel oiseau est devenu un emblème héraldique[3]. Le premier sceau, portant le symbole de la grue, remonte à 1221, sur celui du comte Rodolphe III.

Des temps médiévaux à nos jours, les limites frontalières du pays varient fortement. Celles-ci se déplacent d’est en ouest. Du XIIème au XVIème siècle, le comté de Gruyère englobe ce qui est actuellement le Pays-d’Enhaut vaudois et bernois, le Gessenay. Après le partage du comté de Gruyère (1554-1555) jusqu’au XVIIIème siècle, ce que nous appelons aujourd’hui la Gruyère se résume à un patchwork de sept bailliages. Ceux de Gruyères, Jaun ou Bellegarde, Bulle, Corbières, Everdes-Vuippens, Pont et Vaulruz. Un seul pourtant est véritablement gruérien, celui dont le chef-lieu est précisément la ville de Gruyères, fondée par les comtes du même nom[4].

Par contre, la ville de Bulle reste sous la dépendance et le contrôle de l’évêque de Lausanne. La cité de Bulle est finalement rattachée à la Gruyère à l’occasion de son assimilation au territoire fribourgeois en 1537[5]. Elle devient le chef-lieu de la Gruyère en 1848.

Même si récemment le juge fédéral américain T.S. Ellis. a décrété que

“l’appellation gruyère était devenu un terme générique, puisque les Etats-Unis en produisent depuis les années 80 et que des décennies d’import, de production et de vente de fromages sous le terme ‘gruyère’ sans qu’ils viennent des régions dédiées en Suisse ou en France ont érodé le terme, qui est devenu générique”,

ce Monsieur a certainement fait fi de la véritable origine du gruyère. Pour vous Monsieur Ellis, qu’est-ce que des décennies au regard de siècles ?

Mais que dis-je, que peut-on attendre de la justice humaine !?

 

[1] Jean Joseph Hisely, Histoire du comté de Gruyères, Mémoires et documents publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, Tome IX, Éditeur librairie de Georges Bridel, 1854, p. 44.

[2] Georges Andrey, Qu’est-ce que la Gruyère, La Gruyère dans le miroir de son patrimoine, tome 5, « Une région en représentation », Éditions Alphil, 2011, p. 91.

[3] Ibid.

[4] Ibid., p. 92.

[5] Ibid.