La Voie de l’inconscient, un parcours d’escalade créé par cinq marins au beau milieu du désert.

C’était il y a 45 ans, le 20 décembre 1976. Philippe Blatter et quatre de ses frères d’armes, Patrick Delezaive, Jean-Marie Jourdain, Yves Lorette et François-Alain Gourmelen, entraient dans l’Histoire avec l’une des plus belles pages de l’armée française en devenant les fondateurs de la Voie de l’inconscient, le plus prestigieux parcours d’escalade militaire au monde.

 

Ces cinq commandos marine, affectés au commando de Montfort, ouvraient une voie d’escalade militaire à nulle autre pareille, et ce, en plein désert sur le Territoire Français des Afars et des Issas, le long d’une falaise réputée comme un pur concentré d’audace.

Située dans la Corne de l’Afrique, sur le golfe d’Aden et au débouché du détroit de Bab-el-Mandeb, bordée au sud par la mer Rouge, l’actuelle République de Djibouti s’étend sur 23 200 km² couverts d’oueds intermittents, de lacs salés et de déserts pittoresques. Ce pays jeune – la République de Djibouti a obtenu son indépendance le 29 juin 1977 –, du fait de sa position géographique, bénéficie d’une position stratégique essentielle depuis l’ouverture du canal de Suez en 1869.

Cet îlot de sécurité qu’est Djibouti se situe sur l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. La Corne de l’Afrique est une zone essentielle du projet géopolitique chinois, tant d’un point de vue économique avec les « Nouvelles routes de la Soie » que militaire avec la stratégie dite du « collier de perles ». Aujourd’hui encore, ce pays accueille des bases militaires étrangères et s’est lancé, avec des partenaires internationaux, dans la lutte contre la piraterie et le terrorisme qui rongent la sous-région.

Au premier contact, ce paysage pittoresque semble bien éloigné de nos vertes contrées. Et pourtant, face à l’immense variété des paysages désertiques, bordés de montagnes volcaniques où chaleur et aridité se marient, c’est un courage chevillé au corps qui a habité ces cinq hommes.

C’est à un fabuleux voyage dans un autre temps et coupé du monde que nous convie ce parcours de l’extrême jalonné d’obstacles. On a peine à croire qu’au milieu de ce paysage, lunaire et tourmenté, puisse sortir de terre un parcours d’audace.

Rappelons à présent les faits : à l’automne 1976, les commandos marine étaient embarqués sur le bâtiment-atelier Polyvalent Jules Verne et avaient installé leurs tentes à Arta-Plage, sur la « piste des Mariés » reliant Arta à Arta-plage, sur les rives du golfe de Tadjourah.
Avec le temps, le commando s’établit à Arta-Plage pour y mener son entraînement et y installer un parcours d’escalade.

Ainsi, le 20 décembre 1976, la voie est inaugurée. Selon la tradition du monde de l’escalade, son ouvreur, Philippe Blatter, la baptise « Voie de l’inconscient » et le nom des cinq créateurs est peint sur la roche. Néanmoins, depuis lors, il semble que les inscriptions n’aient pas résisté à la morsure du soleil.

« Je l’ai surnommé Voie de l’inconscient en raison du caractère friable de la roche et du peu de tenue des fixations sur la paroi. »

C’est en ces termes que son promoteur, Philippe Blatter, fils d’immigrés suisses, décrit l’œuvre de sa vie.
C’est avec l’œil aguerri de grimpeurs d’expérience, en pataugas et sans équipements spécifiques, que les cinq équipiers ouvrent la voie, sillonnant les parois et y installant les premiers équipements. Et pour cause, ils entreprennent un travail sans relâche alors que règnent des températures écrasantes frôlant les 50 degrés à l’ombre.

Un sentiment de fierté et une aventure humaine aux confins du possible, voilà ce qu’éprouve François-Alain Gourmelen, l’un des cinq fondateurs :

« Jusque-là, personne n’avait eu l’audace de s’attaquer à cette paroi. À l’origine, elle fut créée spécialement pour entraîner les commandos marine, ensuite nous avons accueilli et formé régulièrement toutes les compagnies de légionnaires à l’instar de la 13e demi-brigade, pour trois ateliers différents : le nautisme, le sabotage et… la Voie de l’inconscient. »

Après la dissolution de la 1re compagnie de la 13e demi-brigade de Légion étrangère, le groupe amphibie bascule d’Obock à Arta-Plage.
Il s’entraîne avec le commando de Montfort dont la valeur militaire sera soulignée par le commandement de la 13 au commandant du Groupement des fusiliers marins commandos et vaudra des félicitations au Commando de Montfort.
En 1977, les légionnaires bâtissent à Arta-Plage les infrastructures du centre d’entraînement au combat d’Arta-Plage (CECAP), qu’ils dirigeront jusqu’au départ du régiment aux Émirats arabes unis.

Toutefois, l’éruption de l’Ardoukôba, accompagnée d’un tremblement de terre d’une magnitude de 4,6 le 7 novembre 1978, met provisoirement fin aux entraînements sur la Voie de l’inconscient.
Après le départ des commandos à Arta, la Voie de l’inconscient est reprise par la Légion qui l’améliore et l’entretient. Depuis le départ de la 13e DBLE de Djibouti en 2011, le centre d’entraînement et ses infrastructures ont été repris par le 5e régiment interarmes d’outre-mer
(5e RIAOM) sous le nom de centre d’entraînement au combat et d’aguerrissement de Djibouti (CECAD).

Toujours est-il que l’œuvre de ces cinq fondateurs aura permis, durant des décennies, de former des soldats des forces armées françaises et internationales à l’aguerrissement en milieu désertique et à les préparer lorsqu’ils partent sur les différents théâtres d’opérations dans le monde.

On peut considérer que pendant près d’un demi-siècle, plus de 50 000 soldats de tous grades, armes, armées et nationalités ont suivi la trace de ces cinq pionniers sur la voie qu’ils ont tracée.

Et pourtant, ils restent méconnus à ce jour.

Il n’est certainement pas trop tard pour que l’armée française réhabilite leur mémoire.

Dans cet esprit, un court-métrage sera diffusé le 24 mars 2022 afin de souligner le rôle déterminant exercé par les cinq commandos marine en qualité de créateurs de la Voie de l’inconscient.

 

Serge Kurschat, historien.

Serge Kurschat

Historien diplômé de l'Université de Franche-Comté, multientrepreneur, chroniqueur sur le blog du journal Le Temps.

Une réponse à “La Voie de l’inconscient, un parcours d’escalade créé par cinq marins au beau milieu du désert.

  1. C’est tout de même étonnant les qualités militaires qu’on trouve encore dans l’armée française. Bien sûr, comme sait nous le montrer très bien l’auteur de ce blog, c’est sans doute dû au fait que pendant des siècles elle a été formée par des Suisses et ça laisse des traces. Du moins dans la Légion étrangère, qui est issue de deux régiments suisses reconvertis par Louis-Philipe en troupes coloniales pour conquérir l’Algérie, parce qu’il ne savait pas quoi en faire en métropole où ces troupes étaient mal vues. D’où la devise: Honneur et Fidélité, qui était celles des régiments suisses.

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