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Federer le mythe contemporain

Federer un mythe contemporain

Mythe : récit mettant en scène des êtres surnaturels

À pas de velours.
Quand on évoque, ici, avec Le Temps, Roger Federer, le costume d’apparat est de rigueur. C’est que, sur la place, s’érige la statue du Commandeur. Elle veille sur tous les cantons. Vous n’entendrez point de mouches voler, dire du mal du gentleman. En ces terres helvétiques, comme au-delà des frontières, d’ailleurs.
L’homme affole les compteurs. Mais le réduire à des statistiques, c’est lui faire déshonneur. L’enfant de la Bâle est devenu un mythe. Deux hommes éperdus, se sont attelés à comprendre pourquoi et comment.

Une déclaration d’amour

Charles Haroche et Frédéric Vallois sont érudits. Ils ont le verbe et la plume. Deux armes de séduction massive qu’ils mettent à bon profit dans un ouvrage particulièrement passionnant. Comprendre le mythe Roger Federer est une vaste odyssée. Il fallait bien être deux pour mener le bateau à bon port. Ils ont tout lu, tout vu, tout entendu. Ils en sont revenus, comme ils disent, avec un “essai amoureux”. C’est joliment dit. C’est joliment vrai.

Le récit bardé de références, essaye de comprendre comment un homme, bien né (je veux dire par là, doué pour ce jeu), devient en quelques années un dieu vivant. À moins que ce ne soit l’inverse. Un Dieu, s’ennuyant aux confins de l’Olympe, a décidé, de prendre du bon temps, en passant quelque temps sur Terre. Et il décida de s’appeler Roger Federer.

Si vous cherchez une biographie, passez votre chemin. Fuyez bonnes gens. Ce livre est avant tout, une déclaration d’amour. Celle que l’on proclame le soir venu, au bas des balcons. Dans laquelle vous laissez corps, âmes et un cœur dépecé.

Pour mieux comprendre ce qui pousse deux mortels à passer une année de confinement, à réfléchir sur le sujet, nous leur avons demandé de répondre à quelques questions, à la volée. Merci à eux.

 

Interview des auteurs Charles Haroche et Frédéric Vallois :

 

Charles : Nous avons abordé la construction du livre à la manière d’un journaliste et d’un écrivain. Dans un premier temps, nous avons fait un grand travail de recherche (entretiens, lectures, travail documentaire). À partir de ce travail, nous nous sommes livrés à un travail d’analyse et presque d’introspection : en nous rattachant aux grands mythes, nous avons essayé de comprendre d’où provenait notre propre fascination pour le joueur. Notre ambition était vraiment de réussir à mettre les mots justes pour décrire le parcours du joueur, mais aussi sa relation avec le public.

Frédéric : En fait, nous avons pensé ce livre comme un vrai double au tennis : en jouant à deux sans frapper la balle au même moment ! Parce qu’il aurait été trop long d’écrire vraiment à quatre mains, nous nous sommes réparti les chapitres selon nos affinités et domaines de prédilection. Ensuite, il a fallu se relire, lisser le style, enrichir le texte, éviter les redites… Nos relectures croisées ont beaucoup aidé à améliorer le manuscrit. C’est une belle expérience d’écriture partagée.

Charles : Je ne pense pas avoir eu dans mon enfance de fascination comparable pour un joueur dans d’autres disciplines (même si comme tout français, j’ai eu mon poster de Zidane !). C’est à partir de la finale de Wimbledon 2008, pourtant perdue, que je suis devenu un véritable Federolâtre. J’achète régulièrement les tenues de Federer (mais aussi les balles dédicacées). Chaque matin, je tape « Federer » sur Google Actualités comme un premier réflexe. J’ai même trahi mon propre pays lors de la finale de la Coupe Davis en 2014 en supportant le suisse devant des Français médusés (même si je n’étais pas le seul dans ce cas !). Et il m’arrive encore de déplacer des rendez-vous – comme lors du tournoi de Doha en 2021 – simplement pour être sûr de pouvoir regarder ses matchs.

Frédéric : Ce livre est né d’une double passion commune : l’écriture et Roger Federer. D’où le terme « d’essai amoureux », qui donne au livre une dimension analytique (autour du concept de « mythe ») sans rien renier de son parti pris federolâtre. Comme Charles, je me documente beaucoup sur lui, achète certaines de ses tenues (même si je préfère l’époque Nike) et collectionne quelques « unes » de journaux marquantes. Mais le voir jouer en vrai, ce qui ne m’est arrivé que trois fois (à Lille en finale de Coupe Davis, à Bercy et aux Masters de Londres), a été l’expérience ultime. Son tennis s’admire à l’infini. De là en rêver, non… Sauf peut-être pendant l’écriture du livre !

Charles : On a envie de comprendre « à hauteur d’homme » ce qui se passe dans la tête d’un jeune joueur de 19 ans lorsque l’on s’apprête à battre Pete Sampras ? Est-ce que l’on est pris d’un vertige les jours suivants ?

Frédéric : J’aimerais beaucoup lui poser une question sur son rapport à la notoriété. A-t-il pleinement conscience de ce qu’il représente ? Comment vit-il avec et comment le gère-t-il au quotidien ? Être admiré aux quatre coins du globe doit être flatteur et en même temps très pesant…

Charles : Évidemment, on serait tenté de garder une victoire. Clairement, je pense qu’aucun match ne m’a produit autant d’émotions que la finale de l’Open d’Australie en 2017. Tout d’abord parce qu’elle semble inespérée : personne n’imaginait Federer et Nadal revenir en finale treize ans après leur première confrontation. Si les quatre premiers sets donnent une impression étrange où les deux joueurs ne parviennent pas bien jouer en même temps, le dernier est d’une intensité dramatique incroyable. Je pense avoir vu le cinquième set au moins cinquante fois (avec les commentaires français, anglais, même suisse allemand !). Et puis, après avoir serré la main de l’arbitre, il a cette célébration incroyable où il s’agenouille devant le filet. Quasi-chevaleresque ! Mais après, on a aussi envie de garder un geste (le slice de revers, sans doute le plus beau du circuit) ou même une défaite (les larmes de l’Open d’Australie 2009 par exemple).

Frédéric : Comme Charles et sans hésiter, la finale de l’Open d’Australie 2017. Il y avait tout dans ce match : le retour après six mois de blessure, les retrouvailles avec Rafael Nadal, les rebondissements, la remontée au 5ᵉ set, cet échange de 26 coups et la victoire au bout… L’Open d’Australie 2017 est un peu le miroir inversé de Wimbledon 2008. Que d’émotions !

Un grand merci à tous les deux, de vous être prêtés au jeu. Dans l’espoir que nos routes se croiseront, ici ou ailleurs. Pour la beauté du geste, pour Roger Federer.

Dans Le Matin en 2007, le Maître confie : “Mon travail est de bien jouer au tennis, à vous de trouver les mots qui conviennent”. Frederic Vallois et Charles Haroche, les ont trouvé, je crois.

“Federer, un mythe contemporain”
Charles Haroche/Frédéric Vallois

Editions Solar

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