Chère Francine Kreiss,

Je vous le dis tout de go, nous ne sommes pas du même monde. La mer est votre résidence première, je me noie dans un verre d’eau. Vous êtes apnéiste reconnue, sportive aguerrie, photographe des fonds marins, vous plongez avec les requins… Je suis à bout de souffle à la vue d’un bulot. Mais qu’importe, je n’ai pas hésité longtemps à ouvrir votre ouvrage. L’étendue bleue de la couverture, peut-être !
Sachez qu'”Il n’y a pas de hasard, il y a des rendez-vous” *. Et parfois, d’improbables. Comme celui avec, Recco et ses frères. Et avec le plus sanguinaire d’entre eux : Thommy. Un homme au centre d’un pénitencier. Quatre murs érigés en perpétuité. Le tueur de sang-froid est en cage. Vous, vous êtes libre. Mais vous avez soif d’apprendre.
Le vieil homme et la mer a ses secrets que vous souhaitez découvrir. Alors s’ensuit une correspondance frénétique, avec l’un des plus anciens détenus de France.
Mais celui qui fut apnéiste de combat est prégnant, il a horreur de votre vide et se délecte de l’investir par n’importe quels interstices. Dangereux l’animal ! Vous en avez connu d’autres, sous  la mer, mais qui tuaient pour manger. Celui de vos relations épistolaires, c’est autre chose. Parangon de l’horreur.
Mais ce qui vous lie, vous rend plus forte. En l’occurrence la mer. Pas celle que l’on voit danser. Celle des profondeurs “j’y suis, je me laisse couler comme une plume, je vole”. Celle qui rend les hommes fous ou riches, ou les deux à la fois. Qui peut comprendre la jouissance de ses interminables secondes sous l’eau, si l’on n’a pas, soi-même, bu la tasse ?
Mais qu’est-ce qui vous a pris ? Correspondre avec un tueur en série, l’un des plus dangereux, sans doute. Il y a plus tranquille comme quotidien. Mais je crois que vous aimez les emmerdes. Ou alors vous avez gravé au fronton de votre océan ce proverbe bosniaque : “homme sans ennemis, homme sans valeur”.
Et cette récurrente interrogation dans votre livre : comment un homme qui est né en mer, peut-il survivre dans les profondeurs du monde carcéral ? C’est à couper le souffle d’une apnéiste.
Je dois vous avouer, je ne lis pas la 4e de couverture d’un ouvrage avant de m’y plonger. Ni d’ailleurs les commentaires ou articles. Encore moins les rubriques faits divers. Je ne savais plus, au fur et à mesure des pages, si cette histoire était bien réelle. Si Thommy Recco avait bien existé. Alors je n’ai pas voulu savoir, qu’importe. Je verrai bien à la fin du livre. J’ai lu, j’ai vu, j’ai su.
Ah au fait, “Il y a deux sortes de gens, il y a les vivants et ceux qui sont en mer” Jacques Brel. Vous êtes évidemment dans la deuxième catégorie.
* Paul Eluard

Le squale
Francine Kreiss
Le Cherche Midi

Sebastien Beaujault

Rédacteur web freelance, ici je vous parle de littérature sportive. Et plus généralement de la culture et du sport. Du livre de sport, de la bande dessinée de sport et même, parfois, de documentaire sportif. Malheureux à plus de 3 mètres d'un livre.

2 réponses à “Chère Francine Kreiss,

  1. Sebastien…. surement l’un des plus beaux retour que j’ai pu lire sur le Squale…. vous l’avez compris. Merci du fond de mes branchies. Francine K

Les commentaires sont clos.