Travail des enfants dans le cacao : Vers une transformation en profondeur du secteur

Du chocolat, presque tout le monde aime en manger. Surtout chez nous en Suisse, où nous comptons parmi les premiers consommateurs au monde. Pourtant, des enfants travaillent dans la cacaoculture. Alors que 2021 marque l’année internationale pour la lutte contre le travail des enfants, qu’en est-il des avancées, et comment y remédier à plus grande échelle ?

Un enjeu ouest africain

Un récent rapport publié conjointement par le Bureau International du Travail (BIT) et le Fonds des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF) estime à environ 160 millions le nombre d’enfants âgés entre 5 et 17 ans en situation de travail au début de l’année 2020, dont 79 millions réalisent des tâches dites dangereuses. Des chiffres en stagnation depuis 2016 (et la crise du COVID-19 n’arrange pas les choses). L’Afrique Sub-Saharienne, où environ 40% de la population vit en situation d’extrême pauvreté, est particulièrement touchée. Une région où la protection sociale est quasiment inexistante et où le secteur informel fait office de règle plus que d’exception.

Globalement, 70% du travail des enfants se trouve dans le secteur agricole[1], et la production du cacao n’est pas épargnée. La Côte d’Ivoire et le Ghana en dénombrent 1,56 million[2]. Ces deux pays d’Afrique de l’Ouest représentent à eux-seuls environ 70% du commerce mondial du cacao, et 60% de leur production est exportée vers l’Union européenne.

Des formes variées de travail des enfants

Toute tâche effectuée par un enfant n’est pas forcément considérée comme travail qui doit être éliminé. Il faut prendre en compte le nombre d’heures et la nature du travail effectué. Un ensemble de facteurs qui varient d’un pays et d’un secteur à l’autre. Selon le BIT, qui sert d’autorité en la matière, est considéré comme travail des enfants toute activité qui est mentalement, physiquement, socialement ou moralement dangereuse et/ou qui interfère avec la scolarité. La liste des travaux dangereux interdits aux enfants est, en revanche, définie par chaque pays indépendamment.

Dans le secteur du cacao, il s’agit dans la quasi-totalité d’enfants qui travaillent dans le cadre familial dans de petites exploitations agricoles afin de soutenir l’activité économique du ménage, et la plupart (88% en Côte d’Ivoire et 96% au Ghana) vont à l’école, comme l’indique le rapport NORC  de l’Université de Chicago publié en 2020. L’étude révèle également que la durée du travail s’élève en moyenne à 8,3 heures par semaine. Par ailleurs, la méthode de récolte de cacao fait que ces enfants sont le plus souvent amenés à effectuer des tâches dangereuses (utilisation de machette, port de charges lourdes et exposition à des pesticides notamment). C’est à cela qu’il s’agit de remédier.

Efficacité des mesures entreprises

Une autre étude NORC estime que certaines mesures prises par les entreprises peuvent réduire d’un tiers la prévalence du travail des enfants. Il s’agit de programmes communautaires et de Systèmes de Suivi et de Remédiation du Travail des Enfants (SSRTE). Aujourd’hui adoptés par presque toutes les grandes sociétés du secteur, ces derniers restent cependant encore insuffisamment déployés.

Les SSRTE mis en place par la fondation International Cocoa Initiative ont permis une réduction de près de 50% du travail dangereux parmi les enfants identifiés. La méthodologie se base sur le principe de diligence raisonnable tel que décrit par les Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, qui est aussi repris (d’une certaine façon) dans l’ordonnance du contre-projet à l’initiative pour des entreprises responsables qui devrait entrer en vigueur en Suisse en 2022.

Comment cela fonctionne-t-il ? Une personne qui fait office de relais communautaire et qui est généralement un producteur, sensibilise les membres de sa communauté aux enjeux du travail des enfants. Les entretiens qu’il ou elle mène lui permettent d’en savoir plus sur la situation des familles et en particulier celle des enfants qui y vivent. Le relais communautaire s’efforce d’adopter une approche empathique qui suscite la confiance et lui permet de récolter des données précises et complètes. La personne est, de cette façon en mesure d’identifier les enfants à risques ou en situation de travail. Les informations recueillies sur smartphone ou tablette sont consolidées et analysées dans le but de définir et de mettre en œuvre des mesures de remédiation adaptées à la situation. Cela permet également d’évaluer régulièrement leur efficacité. La force de ce système réside donc dans son approche incitative (et non punitive) d’amélioration continue spécifique à chaque situation. Une logique de plus en plus adoptée par les organismes de certification, certains s’efforçant d’intégrer davantage les caractéristiques des SSRTE dans les exigences liées à la certification.

Vers une démultiplication des efforts

Pour que ces efforts puissent véritablement porter leurs fruits et atteindre les résultats escomptés, c’est-à-dire contribuer à l’élimination du travail des enfants, un certain nombre de facteurs doivent être réunis. D’une part, ces systèmes doivent être étendus à l’ensemble des communautés productrices de cacao, en Afrique de l’Ouest particulièrement. De cette façon, les progrès au niveau de toute la filière pourront être mesurés, plus systématiquement communiqués et donc continuellement améliorés. D’autre part, le contexte socio-économique dans lequel vivent ces communautés cacaoyères favorisant le travail des enfants, l’éradication du problème ne pourra s’opérer durablement sans une transformation en profondeur de ces sociétés. Ceci passe inévitablement par un soutien politique et financier de la part des pays consommateurs.

Certes, l’année internationale pour la lutte contre le travail ne permettra pas de balayer d’un revers de la main l’ensemble du problème. En revanche, elle doit nous rappeler que plus de cohérence d’action, de cohésion et donc de collaboration est nécessaire entre tous les acteurs du secteur si nous voulons y arriver collectivement.

[1] https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—dgreports/—dcomm/documents/publication/wcms_575499.pdf

[2] https://cocoainitiative.org/wp-content/uploads/2020/10/WCF-Report_NORC_Final-10_17.pdf

Sarah Dekkiche

Experte en droits de l’homme en entreprises, Sarah Dekkiche observe d’un œil critique les enjeux de ce domaine. Diplômée en sciences-politiques et titulaire d’un MBA, elle a rejoint la fondation International Cocoa Initiative comme directrice des politiques et partenariats. Passionnée d’art, de montagne et de mer autant que de politique, elle s’engage en faveur d’une économie de l’éthique.

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