Réponses à Monsieur Benoît Gaillard sur le droit de timbre

En préambule, je souhaite préciser que ce texte a été rédigé par Monsieur Verrey, conseiller fiscal qui m’a autorisé à le publier.

Vous avez probablement vu passer, si vous êtes beaucoup sur les réseaux sociaux, les arguments de campagne des tenants du NON à la suppression du droit de timbre. Monsieur Benoit Gaillard, interviewé dans le 24 heures, avait déjà exposé des arguments qui fleuraient bon les “Fakenews”. Nouvelle production longue épinglée sur le profil Twitter de Monsieur Gaillard, on va s’attarder un peu sur son argumentaire trop long à lire, loi de Brandolini oblige.

Première approximation : confondre l’impôt minimum sur le bénéfice, un mode d’imposition directe, avec les droits de timbre – un impôt indirect. Il n’y a pas de rapport entre les deux sujets. Pourquoi ? Parce qu’un impôt direct se détermine sur le résultat net de la société lors d’un exercice commercial. Le second est un droit d’entrée : une augmentation des fonds propres par apport de l’actionnaire induit le paiement d’un impôt. Les mettre en comparaison ne fait absolument aucun sens.

Deuxième approximation : on parle de creuser des niches fiscales. C’est tout le contraire qui est proposé ici. Une portion d’une loi fiscale est abrogée pour tout le monde et pas que pour les multinationales. Ce que ne dit pas Monsieur Gaillard, c’est le fait qu’une PME dont les actionnaires effectuent un versement est, dès le 1er centime, sujet au droit de timbre d’émission (DTE) ; la franchise ne s’appliquant pas dans ce cas. C’est sûr que cela fait tache avec le narratif du « seuls les tout-puissants paient cet impôt ».

La Suisse est le dernier pays au monde avec le Luxembourg à connaître ce type d’imposition. Le Luxembourg qui, d’ailleurs, possède un droit comparable, mais nettement plus indolore. Il est à noter qu’aucune autre juridiction ne possède ce mode d’imposition dans son arsenal législatif. Cela inclut les paradis fiscaux que sont l’Allemagne, la France ou l’Italie… La Suisse est donc en situation de désavantage comparatif sur ce point.

On passera sur la citation de l’ancien Conseiller fédéral, Monsieur Merz, sans toutefois omettre de relever que Monsieur Benoît Gaillard est le roi de la citation hors contexte et sans source, mais on y reviendra plus bas.

La cinquantaine de sociétés qui paient le DTE sont des entreprises qui procèdent à de très grandes augmentations de capital ou à des entrées en bourse. L’idée sous-jacente : seul le grand Satan capitaliste paie cet impôt. Est-ce vrai ? Pas vraiment. La plupart des entités en question sont de grosses PME ou des start-ups qui cherchent à lever des ressources supplémentaires pour passer une étape de développement. Un exemple : Sophia Genetics, une start-up vaudoise qui est entrée au NASDAQ l’an passé en levant $ 234 Mio. Est-ce une multinationale ? Elle est active dans 70 pays, on pourrait donc le penser. Sauf qu’elle ne vend pas encore grand-chose et qu’elle doit à ce stade encore consolider ses opérations, d’où la levée de fonds. Est-ce que les 2.34 Mio payés au fisc suisse auraient été plus sagement utilisés pour le développement de cette société et l’embauche de nouveaux salariés ? Poser la question, c’est y répondre…

À noter qu’avant de devenir une société cotée en bourse, il a fallu procéder à des levées de fonds successives. Ces dernières ont toutes été soumises au DTE à des moments de vie d’une société encore balbutiante où chaque centime compte… Dire que l’on est très loin des PMEs conduit à deux conclusions intermédiaires. Une grande méconnaissance du sujet et, plus grave, une ignorance des problèmes auxquels font face les porte-drapeaux de l’innovation helvétique : les start-ups.

 

 

Le graphique sur la baisse des revenus liée à la réduction du taux du DTE illustre, une fois de plus, les problèmes de compréhension du sujet. On baisse le taux, donc les recettes s’effondrent. Du coup, la mesure ne sert à rien. Or, les effets du DTE sont plus pernicieux que cela. Ce qui pose problème aux investisseurs, ce n’est pas de payer un droit à 3% ou à 1%, c’est de le payer tout court. Du coup, on contourne la mesure autant que possible en structurant les transactions pour tomber dans une exception légale préexistante ou en finançant autrement. Au mieux, la place helvétique ne perd rien, au pire, une partie des fonctions qui pourraient être conduites en Suisse sera transférée à l’étranger impliquant une perte sèche qui avec le temps dépasse largement le 1% de DTE sur l’opération en question.

Le droit de timbre est marginal, nous dit-on ? Finalement, c’est vrai qu’il ne s’agit que d’un impôt de 1%. Le problème est toutefois plus complexe. On passera sur l’argumentaire « Zemmourien » et volontairement populiste sur le coût exorbitant des avocats ou des commissions bancaires. Il reste néanmoins important de préciser que pour entrer en bourse, une quantité très importante de documents légaux doivent être émis. Le but : protéger l’investisseur.

On vous demande quand même votre argent pour le mettre dans une boîte dont on vous promet monts et merveilles. Le minimum, c’est de s’assurer que la société existe réellement et reçoit l’aval d’institutions financières étatiques quant à la réalité de ses activités. Et vous savez quoi ? Ce n’est pas gratuit. Une sorte de mal nécessaire pour s’assurer que l’argent que l’on demande aux investisseurs ne va pas servir à changer les filtres de la piscine du CEO. Et les commissions bancaires alors ? On pourrait s’en passer, cela utiliserait juste des ressources que la boîte cherchant à entrer en bourse n’a pas (c’est un problème) et surtout cela induirait que le management de cette société devrait courir le monde à la recherche d’investisseurs plutôt que de résoudre les problèmes du quotidien. Et dans une start-up, les ennuis volent en escadrilles…

Du coup, on paie une banque qui fait le travail. Le secteur bancaire va trouver les investisseurs et s’assurer que l’argent payé par ceux-ci finit dans la société et que leur qualité nouvelle d’actionnaire est effectivement reconnue. Et vous savez ce que je vais vous dire ici : ce n’est pas gratuit. Par contre, dans les deux cas, c’est un mal nécessaire. On est loin du complot mondial des puissants contre le petit peuple…

Au passage, on peut encore ajouter deux commentaires. Une pareille sortie à la limite du complotisme est surprenante pour un élu de gauche dont la « moralité » est censée être au-dessus de tout soupçon. Mais c’est comme pour tout, il doit y avoir un bon et un mauvais populisme… Deuxièmement, on peut se demander ce que notre avocat pro-État penserait si les entrées en bourse se faisaient sans le moindre cadre visant à protéger les investisseurs… Mais c’est un autre débat. Revenons à la marginalité du taux. On parle donc d’un taux de 1%, sauf que ramené à la moyenne des coûts d’introductions en bourse (IPOs) sélectionnées par Monsieur Gaillard, cela fait plus de 20% de surcoût pour une IPO suisse par rapport à une IPO étrangère (1% comparé à 4.38%, selon son tableau du coût des IPOs). Ce n’est pas grand-chose pour vous, mais pour un investisseur c’est beaucoup. Ce surcoût n’est donc pas marginal et représente un obstacle à l’attractivité de la Suisse pour ce type de transaction.

Ensuite, l’environnement est extrêmement favorable pour les entreprises et les investisseurs. Le problème de ces arguments ? Ils sont à la fois faux et volontairement trompeurs. La Suisse connaît toujours un impôt sur le capital. Et c’est le seul pays au monde à encore le faire à cette échelle. Par contre, il a été prévu que cet impôt puisse être crédité contre l’impôt sur le bénéfice si le contribuable en paie. Une bonne année, vous ne payez pas l’impôt sur le capital, mais uniquement l’impôt sur le bénéfice. Une mauvaise année, vous payez l’impôt sur le capital. Cette assertion est donc fausse. Pas d’impôts sur les plus-values ? C’est trompeur. Seuls les éléments aliénés provenant de la fortune privée d’une personne physique sont exemptés. Cela en fait une belle niche fiscale, mais des exceptions s’appliquent pour requalifier le gain comme imposable. Le reste des plus-values est en principe imposable, notamment pour les indépendants ou les personnes morales. Ce principe connaît aussi son lot d’exceptions, mais dans leur grande majorité, ce que vend une ou un contribuable qui provient de sa fortune commerciale sera imposé. Le dernier point est correct, rien à ajouter là-dessus.

Par contre, Monsieur Benoît Gaillard oublie, volontairement, certains impôts qui sont très lourds pour les personnes physiques et pas très favorables à l’attractivité de la Suisse. En premier lieu l’impôt sur la fortune dont les taux sont très élevés dans la région lémanique ou les impôts sur les successions que le canton de Vaud est un des derniers en Suisse à lever sur les successions en ligne directe. Cerise sur le gâteau, un contribuable vaudois peut subir une imposition marginale maximale sur le revenu à 71.5% (vous avez bien lu) si vous atteignez les paliers d’imposition les plus élevés. Un taux que même le Conseil d’État … français considère comme confiscatoire.

Une chose est claire, le DTE ne permet certainement pas de financer la formation, les transports, la sécurité ou la justice. C’est un abus de langage. Vous vous souvenez des 250 Mio par année de recettes fiscales ? Cela représente, en 2020, 0.33% des recettes totales de la Confédération. Pour rappel, 2020 était une année pourrie à cause de la COVID. (bfs.admin.ch). Il est probable que les finances de la Confédération survivent à ce coup dur…

Concernant la compétitivité de la Suisse, Monsieur Gaillard nous rappelle que notre pays est en tête de différents classements mondiaux. Un rappel que les politiques contre lesquelles il a lutté avec tant de force ont porté leurs fruits… Difficile de se dire qu’il pourrait avoir raison cette fois-ci. Autre point, le monde évolue. Penser que l’on pourra rester au sommet sans se remettre en question est une garantie d’échec pour l’avenir.

 

 

Au sujet de la théorie du ruissèlement, ”trickle down”, je suis assez d’accord avec les arguments soulevés. La faiblesse de cette théorie vient du fait que l’on ne peut pas mesurer les effets d’une politique en considérant que seul l’environnement fiscal est déterminant pour justifier de la croissance d’une économie nationale. C’est une sorte de “wishful thinking” des politiques prenant ces décisions. Toutefois, il n’est pas possible de dire que cela ne fonctionne pas à chaque fois.

Pour démontrer que la théorie du ruissellement ne fonctionne pas, les conclusions d’un rapport sont citées concluant sur l’absence d’effet positif d’une précédente réforme (RIE II). Vous vous souvenez du fait qu’il est mieux de citer ses sources ? (theconversation.com). Et bien quand on revient à la source, on y trouve un premier paragraphe intéressant:

(…) Toutefois, l’évaluation précise de l’impact d’une réforme fiscale sur l’activité économique demeure une tâche difficile, voire impossible. En effet, un changement des règles fiscales affecte l’ensemble de l’économie et il est difficile d’attribuer une modification des comportements des acteurs économiques à la réforme plutôt qu’à l’évolution de la conjoncture.

Cet article revient sur une modification de la politique fiscale suisse qui a permis d’évaluer précisément comment des entreprises cotées réagissent à une baisse de la fiscalité des dividendes. (…)

Bref, c’est difficile de mesurer les effets d’une politique fiscale. Du coup sautant sur les conclusions et en les considérant comme appropriées, on effectue un sacré raccourci, celui d’aller contre la mise en garde des auteurs…

Autre problème, l’étude est mal construite. Les entreprises cotées sont rarement détenues, en majorité, par des personnes physiques suisses. Si c’est le cas, on parle plutôt de grosses PMEs cotées et c’est assez rare. Il existe, certes, des petits porteurs, mais ils ne représentent pas la majorité loin de là. Ces personnes ne peuvent pas à elles seules changer la courbe nationale de l’investissement d’un des pays les plus riches du monde. En gros, les auteurs de l’article ont analysé les effets d’une politique qui ne s’applique pas vraiment au cas d’espèce. Pas étonnant du coup qu’il n’y ait pas d’effet positif mesuré.

À titre d’exemple, prenons le cas de Novartis pour 2020. Un dividende de 3 CHF par action a été décidé (Novartis.ch). En termes absolus, cela équivaut à un peu plus de CHF 7.3 milliards d’argent versé. Le problème, les petits porteurs ne représentent que 14% de la détention du capital-actions de la société (Novartis.com). Ils ne sont donc, au plus, que 14% à bénéficier de la mesure. Or, il convient de noter qu’une partie non négligeable de ces actionnaires pourraient tout aussi bien se trouver à l’étranger et donc ne pas « réinvestir » en Suisse. Prendre en exemple les sociétés cotées ne semble pas pertinent puisque ces groupes ne sont de toute manière pas en « mains suisses », mais plutôt détenues par des personnes morales ou des investisseurs institutionnels étrangers. Il y avait donc peu de chance que les dividendes distribués soient impactant pour l’investissement en Suisse. Pour évaluer la mesure de manière plus complète, il aurait fallu regarder l’ensemble des sociétés pouvant bénéficier de la mesure. Bonne chance pour trouver des données fiables sur un panel aussi large… Quoiqu’il en soit, Benoît Gaillard n’a pas souhaité prendre ses précautions. Conclusion: pas de bénéfice pour la réforme. Or, en fouillant à peine, on s’aperçoit qu’il y a quelques problèmes sur les conclusions de l’étude…

La RIE II déployant ses effets à partir de 2011. L’impact de celles-ci peut être mesuré sur les revenus engrangés par la Confédération (et encore, c’est probablement simpliste) à partir de cette date. La conclusion : on ne peut pas dire que c’est négatif. En dix ans (de 2010 à 2019), les recettes ont augmenté de 20% (de 65 mia à 78 mia). Encore une fois, c’est le climat fiscal favorable qui y est pour quelque chose, mais ce n’est pas le seul facteur. Il est probable que cette hausse s’explique par d’autres éléments. Par contre, il n’est pas possible de conclure à l’inutilité de la RIE II.

Autre point, il serait intéressant de savoir où Monsieur Gaillard source les chiffres des distributions de dividendes. Une réponse à une interpellation d’une élue socialiste mentionnait des distributions totales pour plus de 264 mia en 2015 (parlament.ch). La plupart de ces dividendes finissant à l’étranger. On peut probablement imaginer qu’il est fait référence ici à 80 mia de dividendes sujets à l’impôt anticipé. Par contre, cela ne signifie pas que tous les bénéficiaires sont en Suisse loin de là. Il est à noter que ces dividendes sont imposés à 35%, une imposition qui peut, éventuellement, être réduite pour des bénéficiaires étrangers ou crédités contre les impôts suisses pour un indigène. Donc certes, quand on peut se servir on le fait, mais cela a un coût…

Concernant le graphique sur la progressivité de l’impôt, il est compliqué d’en tirer quoi que ce soit. Premièrement, les échelles ne sont pas claires. On ne sait pas de quoi l’on parle (revenus annuels / mensuels ?) ni à quoi le pourcentage correspond. Ensuite, pourquoi cela s’arrête à CHF 24’000 (si ce sont des CHFs) ni dans quel contexte ce graphique a été préparé. Une remarque toutefois : dans le canton de Genève, 3% des personnes physiques paient 81.5% de l’impôt sur la fortune et 4.2% paient 48% de l’impôt sur le revenu (déclaration de Nathalie Fontanet sur son profil LinkedIn postée en décembre 2021). Un phénomène qui s’explique par la progressivité de l’impôt. Les faits sont têtus…

Enfin, la conclusion est également erronée. Le droit de timbre est payé par la société recevant les fonds propres et non pas par ses actionnaires. Histoire de montrer que l’on ne comprend rien à la problématique, autant le faire jusqu’au bout.

En bref, vous êtes bien entendu libre de voter en votre âme et conscience et j’espère que vous le ferez dans un camp ou un autre. Par contre, les éléments soulevés par Monsieur Benoît Gaillard sont au mieux trompeurs, au pire faux.

Un constat toutefois : Le droit de timbre est un impôt d’un autre temps, abandonné dans la quasi-totalité des autres pays et qui, aujourd’hui, est un désavantage comparatif pour la Suisse. La manne qui en ressort chaque année est négligeable (0.3% des recettes de la Confédération), mais peut conduire des sociétés à ne pas investir en Suisse. Enfin, c’est un obstacle au développement des start-ups qui se retrouvent à régler du DTE lors de chaque levée de fonds alors qu’elles ont besoin de ces ressources à des moments cruciaux de leur existence.

Jérôme Verrey
Conseiller fiscal

Sandro Patronaggio

Titulaire d’un Master en Marketing digital et réseaux sociaux, Sandro Patronaggio s’engage depuis plusieurs années en politique comme Secrétaire Général du PLR Lausanne et dans la Commission Innovation du PLR Vaud. Par ailleurs, il préside la Commission d’établissement scolaire d’Isabelle-de-Montolieu à Lausanne et il fait partie de la Commission culturelle de la capitale vaudoise ainsi que de la Fondation lausannoise d'aide par le travail.

2 réponses à “Réponses à Monsieur Benoît Gaillard sur le droit de timbre

  1. Vous parlez des documents juridiques protégeant l’investisseur , alors on pourrait y inclure également le droit de timbre qui officialise le transfert du capital de l’investisseur vers la société . L’Etat aussi doit protéger les règles du capitalisme et régler les litiges . Il est donc légitime de prélever un impôt pour protéger le droit qui n’est pas gratuit ! Il faut payer des juges , …
    Vous pensez que tous les impôts prélevés sur les sociétés sont injustes et toutes les taxes que les personnes physiques doivent s’acquitter sont normales !
    Voilà bien le raisonnement basique typique des personnes égoïstes qui ne pensent qu’à leurs intérêts immédiats . Toujours le profit à court terme , mais la stabilité à long terme a un coût et chacun doit y contribuer …

  2. Vous pouvez nous sortir tous les chiffres que vous voulez, il n’y a qu’une seule réalité : Depuis une bonne décennie l’imposition des entreprises et du capital ne font que diminuer alors que les pressions sur les salaires ne font que s’intensifier, une morne stagnation des salaires en résultant (A l’exception des déjà trop hauts salaires) couplée à une multiplication des taxes et à une augmentation de l’imposition des personnes physiques. La droite du parlement roule pour les lobbies et ne propose rien d’autre que des réponses dogmatiques. Les partis de droite déroulent une politique réactionnaire conservatrice qui n’a que trop duré. Les temps ont changés, les méfaits du capitalisme sauvage sont avérés. Il est temps que les citoyens suisses mettent un terme à cette politique dogmatique du moins d’état (Quand ça vous arrange)

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