Mais Pourquoi? UDC, Images et Statistiques

Le peuple Suisse paiera probablement le tribut de l’alliance régulière entre la droite économique et l’UDC.

REMERCIEMENT: Merci à Pierre Dessemontet qui a largement contribué à ce billet, en particulier à travers la réalisation des quatres cartes ci-dessous. Je vous recommande chaudement la visite de son excellent blog sur ce même site. 

Ces prochaines semaines, je vous proposerai trois analyses sur la libre circulation des personnes, et sur les suites à donner à la votation.

Premièrement, je souhaiterais revenir sur les raisons de ce oui de justesse, et en particulier sur les avalanches de graphiques qui nous ont été montrés, et qui nous ont surpris. Je vous propose une analyse statistique qui permet d’isoler certaines autres causes, importantes, du cet échec de la classe politique.

Je vous proposerai ensuite deux analyses plus prospectives. D’abord je tenterai de clarifier un peu l’immense jungle des conséquences de la votation, en faisant un tour d’horizon et en expliquant de façon vulgarisée ce qui a été beaucoup dit de part et d’autre. En troisième, je vous proposerai une synthèse des solutions proposées avec une analyse des conséquences économiques de ces solutions.

Cause et effet

 

De nombreux analystes ont montré des phénomènes intéressants, notamment en expliquant le oui à l’initiative avec divers facteurs: niveau d’études, richesse, taille des districts, densité de population. L’un des graphiques les plus connus à ce sujet est probablement celui de Martin Grandjean, qui (comme d’autres) a montré sur un graphe simple le rapport entre taux d’étrangers et taux de oui.

Multiples causes

Il y a toutefois un principe important: ce oui est un phénomène complexe, qui est explicable par de nombreuses causes en même temps. Lorsque l’on fait face à ce genre de chose, il faut utiliser des techniques d’analyse qui tiennent compte de tous ses effets en même temps. Une technique qui permet cela s’appelle la "régression multiple". Elle permet de tester plusieurs causes en même temps, et voir s’il y a un rapport fort entre elles et quelque chose qu’on veut observer. C’est l’analyse que je vous propose ici.

J’ai donc analysé le oui au niveau des districts, avec comme facteurs explicatifs potentiels le taux d’étrangers du district, la densité de la population, les forces politiques des grands partis, et certaines données cantonales ou régionales. On peut constater un élément important : le facteur qui influence largement, et le plus fortement, le résultat de la votation est simple : il s’agit des forces politiques. Si beaucoup de facteurs sociodémographiques peuvent contribuer à expliquer le oui, les forces politiques en présence dans les districts sont celles qui ont le plus influencé le résultat.

Les résultats ont été analysés par districts. Cela permet d’avoir beaucoup de données, mais aussi de saisir au mieux la diversité régionale (au niveau d’un même canton, il peut y avoir beaucoup de différences, comme par exemple entre Payerne et Lausanne).

Résultat inattendu

C’est logique, plus le PS est fort dans un district, plus la population a eu tendance à dire non (le PS s’est opposé au texte). C’est aussi logique, et c’est l’effet le plus fort, plus l’UDC est présente dans un district, plus l’initiative a obtenu de voix. Par contre, il y a un résultat surprenant, et qui explique fortement le désastre de dimanche passé: il n’y a aucun effet des partis de droite économique sur le résultat. En d’autres termes, ces partis (PLR, PDC), malgré leur mot d’ordre, n’ont pas contribué à convaincre la population. On peut observer cela de façon graphique.

Force de l’impact

Dans le graphe ci-dessous, vous pouvez voir représentée graphiquement la force de l’impact des partis (et aussi du taux d’étrangers dans le district, qui est un facteur important). Un coefficient négatif signifie que le facteur a contribué à pousser les gens à dire non. Un coefficient positif signifie que le facteur a contribué à pousser les gens vers le oui.

Il faut noter que pour le PDC, le facteur est positif, mais il n’est pas statistiquement significatif. Cela veut dire que l’effet est probablement positif, mais que nous n’avons pas assez de données pour l’affirmer sans ambiguïté.

En version graphique

Comme il n’est pas évident de saisir ce que signifie une régression multiple, voici quelques graphes qui permettent d’observer le phénomène. On constate sur les deux graphes ci-dessous le rapport qu’il y a entre la droite économique et le taux de oui, et ensuite le rapport entre la force du PS et le taux de non.

Ci-dessous, on voit le rapport entre la force de l’UDC et le oui, puis une nouvelle fois le rapport entre le taux d’étrangers et le oui:

Cartes des districts

Afin de se faire une idée des régions concernées, Pierre Dessemontet a réalisé dans le cadre de cette analyse des cartes. La première montre le taux de oui et de non dans la votation par district. Les suivantes montrent les forces politiques. On peut constater que la carte de la votation ressemble beaucoup à la carte des forces politiques du PS ou de l’UDC mais pas du tout à celle du PLR. On peut considérer, toutefois, le Tessin comme une exception très particulière à cette règle. Pour l’UDC, cela s’explique notamment à travers la présence de la lega, un autre parti d’extrême droite.

Voici l’analyse du vote oui-non (rouge, oui, vert, non)

Voici une carte qui représente les forces du PLR (foncé = plus fort)

Et voici celle qui représent les forces du PS (foncé=plus fort):

Enfin, voici l’UDC  (foncé = plus fort):

L’alliance qui coûte cher à la droite

Le canton de Vaud est à cet égard intéressant, car l’UDC et le PLR y ont développé une forte alliance lors des élections et des votes politiques. On peut constater dans ce canton que même le PLR a eu un effet positif sur le résultat de l’initiative, poussant au OUI :

L'UDC et le PS ont convaincu

Bien sûr, chacun a des choses à se reprocher dans cette campagne. Toutefois, il semblerait que malgré tout, le PS a réussi à convaincre son électorat, au moins dans une certaine mesure (les sondages le montraient d’ailleurs clairement). Toutefois, la stratégie d’alliance de la droite avec l’extrême droite a probablement contribué à faire que la campagne de la droite n’était pas assez claire. Il est toujours plus facile de dire les choses après, mais il semble clair que si des moyens suffisants avaient aussi été mis en œuvre pour convaincre l’électorat de la droite classique, et si celle-ci s’était par le passé mieux démarquée de l’UDC, le résultat aurait été différent.

 

Samuel Bendahan

Conseiller national socialiste vaudois et Docteur en sciences économiques, Samuel Bendahan enseigne à HEC Lausanne (UNIL) et à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL), au Collège des humanités et y fait de la recherche. Il est également président de BSC Association, une entreprise organisée sous forme d'association à but non lucratif.