Les réfugiés climatiques : les oubliés ou les négligés ?

La crise écologique déséquilibre fortement plusieurs domaines au sein de nos sociétés. Un des impacts dans ce dérèglement climatique est la migration. D’après la Banque mondiale, l’aggravation des effets du changement climatique pourrait pousser plus de 140 à 250 millions de personnes à se déplacer à l’intérieur de leur propre pays, ou à émigrer, d’ici 2050. Selon UNHCR au cours de la dernière décennie, les événements météorologiques ont déclenché en moyenne 21,5 millions de nouveaux déplacements chaque année, à savoir plus de deux fois plus que les migrations causées par d’autres facteurs. Autrement dit, les événements climatiques sont (et seront) la raison principale de la migration locale et mondiale indépendamment de la nature et la gravité de changements climatiques. Pourtant, il n’existe aujourd’hui aucune disposition juridique à l’échelle internationale pour reconnaitre les réfugiés climatiques dans le cadre d’une procédure d’asile. La raison principale est la suivante : le critère « climat » ne figure pas dans la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. Pour rappel, ce traité international assure une protection uniquement à l’égard des « réfugiés politiques », c’est-à-dire celles et ceux qui subissent des persécutions ciblées pour des raisons politiques, religieuses ou d’appartenance à un groupe social.

Alors qu’en 2021 on fête les 70 ans de cette Convention internationale et que les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) continuent d’alarmer au sujet de l’impact climatique sur la migration, qu’en est-il réellement de la protection et la reconnaissance à l’égard des réfugiés climatiques ? Quelles sont les réflexions politiques et juridiques qui tentent de répondre à ce phénomène unique dans notre histoire ?  

La causalité entre le changement climatique et la migration ne peut être contestée et plusieurs experts du domaine en font le constat. Cette causalité se traduit fortement dans les pays en développement par notamment la sécheresse, la salinisation, l’érosion, la toxicité du sol et l’eau-air, la montée des eaux, etc. Ces phénomènes, causés en grande partie par les activités humaines, obligent les populations généralement du Sud à émigrer.

 

Tout d’abord, il est important de mentionner qu’il existe un débat d’ordre politico-juridique sur la qualification employée entre : « réfugié climatique », « migrant climatique / environnemental » et/ou « personne déplacée ». En résumé sans rentrer dans l’analyse discursive approfondie, les États occidentaux qui sont réfractaires à l’accueil des réfugiés, écartent stratégiquement de formuler l’appellation de « réfugié climatique ». Ces derniers valorisent plutôt l’utilisation de « migrant climatique / environnemental » ou « personne déplacée », car précisément le mot « réfugié » est politisé et porte des caractéristiques juridiques bien définies. En effet, comme cela est mentionné dans la Convention de 1951, le « réfugié », sous-entendu « politique », est (relativement) reconnu dans le cadre d’une procédure d’asile. En opposition, les ONG entre autres telles qu’Amnesty International, et Human Right Watch (HRW), ainsi que certains acteurs universitaires et militants, analysent ce phénomène migratoire en employant le terme « réfugié climatique ». De manière générale, les réflexions défendues et soulignées par ces derniers, consistent de surmonter la logique de catégorisation entre le « bon » et « mauvais » réfugié basée sur l’unique de persécution individuelle codifiée par la Convention de 1951. Les différents motifs migratoires (politiques, économiques et écologiques) sont, de nos jours, étroitement interdépendants et s’articulent mutuellement. Par conséquent, il faudrait considérer la question migratoire comme un phénomène multifactoriel. Autrement dit, un raisonnement objectif qui consiste d’avoir une approche globale sans catégoriser de manière « essentialiste » les demandes d’asile.

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Sur un plan international, plusieurs discussions ont eu lieu. Le premier débat réflexif concernera l’addition d’un protocole à la Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Contrairement aux États occidentaux, plusieurs pays africains ont été favorables en 2005 au colloque de Limoges (et à celui de 2006 aux Maldives). Il s’agissait de joindre une clarification et meilleure reconnaissance des réfugiés climatiques au traité international. À ce titre la spécialiste de la politique d’asile et d’immigration Christel Cournil indique que « le principal avantage d’un amendement de la Convention de Genève réside dans son application qui serait mise en œuvre facilement puisque les États parties de la Convention ont mis en place un système de reconnaissance déjà opérationnel » (Christel Cournil, 2010). Cependant, des réserves peuvent être émises. D’une part ce projet de loi risque fortement d’exclure les déplacés internes. D’autre part, les États industrialisés refusent catégoriquement d’accepter un tel changement. La raison est la suivante : les États du Nord craignent que le droit d’asile soit systématiquement octroyé aux ressortissants des continents africain et asiatique pour des raisons climatiques. En résumé, ces pays tentent de consolider leur politique anti-immigration en évitant un nouvel amendement à la Convention de 1951.  

 

Toujours dans une approche globale, une Convention internationale spécifique aux réfugiés climatiques a également été proposée par des quelques chercheurs universitaires (Véronique Magniny, Benoit Meyer et autres). Cette nouvelle Convention, qui dépasserait le traité de 1951, viserait à reconnaitre les réfugiés climatiques qui soient au niveau national ou international. L’objectif consisterait à adopter des règles préétablies et acceptées par l’ensemble des parties prenantes, dont le principe de « non-refoulement ». En fonction de la situation écologique du pays concerné, cette protection immeuble à l’égard d’un migrant peut éventuellement être durable ou temporaire. Toutefois, une telle disposition juridique à l’échelle internationale est difficile à concrétiser, car le consensus actuel entre différents États sur la politique d’asile demeure inexistant. Pour rappel, la majorité des États industrialisés sont dans une posture restrictive en contrôlant et en fermant davantage leurs frontières. Leur droit de souveraineté sur cette matière vient contrecarrer cette approche globale. Dès lors, cette proposition semble ambitieuse, voire utopique.

 

Face aux difficultés susmentionnées, certains experts, tels qu’Angela Williams, proposent la mise en place des normes juridiques à l’échelle régionale qui incluraient le facteur climatique. Le raisonnement derrière une Convention régionale s’explique de la manière suivante « Les États voisins d’un État affecté par les migrations environnementales ont souvent des cultures et des problèmes socio-économiques similaires permettant une meilleure communication » (Cournil, Mayer, 2014 : 119). C’est pourquoi une politique migratoire d’ordre bilatéral peut s’appliquer entre ces pays voisins concernés.  En raison de leur interdépendance mentionnée, les États ont meilleur temps de définir un cadre face aux migrations environnementales propres de leurs contextes spécifiques. Toutefois, une coopération régionale ne répondrait que partiellement au problème actuel. En effet, les réfugiés climatiques se trouvent généralement dans les pays en développement, et à ce jour, ces États ne disposent pas des moyens logistiques et économiques pour y faire face. Ainsi, la coopération exigée dans ces pays en développement en matière de migration doit être accompagnée dans un processus plus large. Ceci inclurait la responsabilité des pays industrialisés (États du Nord), et ce notamment au travers d’aides financières et/ou soutiens logistiques.

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Finalement, tous les États doivent trouver une solution pragmatique face à ces deux phénomènes fortement interdépendants que sont la migration et la crise écologique. D’après moi, le lien de causalité entre la migration et le changement climatique peut être atténué par des politiques publiques ayant approche pragmatique, humanitaire et écologiste. Elles se fonderaient sur le principe de la « solidarité commune, mais différenciée ». Ce principe si connu dans la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se veut inclure la participation de toutes les parties prenantes – ici principalement tous les États – dans une politique environnementale internationale, mais dont les obligations et mesures (normes) seraient différenciées en fonction de l’industrialisation des pays. Par conséquent, les États développés qui sont à juste titre des grands pollueurs de la planète doivent participer activement à la protection des réfugiés climatiques à l’échelle internationale. Pour conclure, j’espère que le projet « initiative Nansen », dont le but premier est de parvenir à un consensus entre les États sur les principes et les éléments fondamentaux relatifs à la protection des personnes déplacées/réfugiées, permettra d’établir des réponses claires et humanitaires dans les années à venir. De surcroit, la décision historique, rendu par un organe de l’ONU chargé de la protection des droits humains, en faveur du réfugié climatique Ioane Teitiota (originaire des Kiribati) donnera une base réflexive et juridique aux prochaines décisions qui seront exprimées à ce sujet.

 

 

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