L’ère écologique : qu’en est-il des « réfugiés climatiques » ?

Le changement climatique est devenu un enjeu capital dans l’ensemble de la société internationale. Les résultats des dernières élections européennes, puis fédérales, sont clairs : les Verts ont obtenu une victoire sans précédent dans l’arène politique. Cette grande vague écologiste, qualifiée d’ « historique », semble dorénavant inévitable dans le champ politique, ainsi qu’au niveau des réformes que ce dernier portera. En effet, les détenteurs du pouvoir ne peuvent nier volontairement la sensibilisation environnementaliste véhiculée par le grand public. Cependant, malgré les discours politiques écologisés, les questions relatives aux « réfugiés climatiques » s’avèrent être minimisées en Europe, y compris en Suisse. Pourquoi avons-nous ce constat ? Selon le dernier rapport spécialiste du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, plus de 280 millions de personnes dans le monde seront contraintes à s’exiler dans les 80 prochaines années. Un autre chiffre marquant est avancé par le chercheur François Gemenne qui a confirmé qu’environ 25 millions de personnes ont été déplacées en 2016 à cause du changement climatique — son impact se manifestant via les inondations, les tempêtes, les tremblements de terre, les sécheresses et autres catastrophes naturelles. En d’autres termes, le facteur « écologique » comme cause de migration est trois fois supérieur que les motifs économiques et politiques. Pour mieux comprendre cette problématique, il est intéressant dans un premier temps de souligner que la question des réfugiés climatiques ne date pas d’aujourd’hui. En effet, cette question existe depuis longtemps. Nous retracerons rapidement l’évolution historique de ce débat mêlant migration et environnement. Ensuite, nous verrons quelles sont les lacunes juridiques « justifiant » la non-acceptation des « réfugiés climatiques » considérés comme des « demandes d’asile illégitimes ».

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D’après le chercheur et professeur Etienne Piguet de l’Université de Neuchâtel et ses collègues Antoine Pécoud et Paul de Guchtenerie (tous deux membres d’UNESCO), les migrations environnementales sont souvent illustrées comme un phénomène récent. Néanmoins, selon leur recherche, le débat concernant la migration et l’environnement existait déjà bel et bien au 19ème siècle. En effet, nous avons des preuves et témoignages historiques qui confirment l’existence de flux migratoires majeurs suite à des catastrophes naturelles. Toutefois, au 20ème siècle, l’aspect écologique et/ou environnemental comme facteur explicatif du flux migratoire, a été minimisé pour plusieurs raisons. Nous relevons quatre facteurs principaux qui démontrent ceci. Premièrement, le progrès technologique a largement amené les chercheurs à se détacher de la nature, par conséquent de la vie humaine. Deuxièmement « l’explication des migrations par l’environnement a été progressivement rejetée pour son caractère déterministe, jugé scientifiquement dépassé » (Etienne Piguet, & al., 2011). Troisièmement, les causes économiques ont monopolisé la place du débat au détriment des autres facteurs, tels que l’environnement. Pour finir, comme le précise Emanuel Marx « ce sont les États qui font les réfugiés » (Emanuel Marx, 1990). Autrement dit, le débat sur la migration était développé autour des enjeux politiques. Vers la fin du 20ème et début 21ème siècle, les prévisions alarmistes sur le nombre de personnes qui seraient poussées à migrer pour des causes climatiques sensibilisent l’ensemble des acteurs gouvernementaux, en plus de la société civile. C’est dans ce contexte que nous observons en 1990 le premier rapport intergouvernemental de l’ONU sur le changement climatique et son impact sur la migration. Par la même occasion, la Conférence internationale sur la population et le développement, tenue au Caire, souligne qu’il faudrait « examiner les demandes d’immigration émanant de pays dont l’existence est menacée d’une manière imminente par le réchauffement de la planète et les changements climatiques à en juger par les données scientifiques disponibles ». Ces inputs provoquent d’une part une conscientisation par le grand public des enjeux de la situation, et d’autre part une mise à l’agenda de ces questions du côté des gouvernements étatiques. Aujourd’hui, énormément de conférences internationales sont organisées afin de trouver une solution face à la dégradation de notre planète et son impact sur les flux migratoires. La majorité des États reconnaissent cette réalité, mais aucun gouvernement ne semble être prêt à accorder un statut de réfugié (légal) à ces personnes déplacées. Pourquoi ?

Avec ces migrations, une question de définition — quant au type de réfugié dont il s’agit — semble créer un débat au sein de la discussion internationale, car elle ouvre une réflexion politico-juridique. À l’heure actuelle, la Convention de Genève de 1951 relative au statut international des réfugiés (signée par l’ensemble des États occidentaux), définit un réfugié comme étant une personne fuyant une persécution en raison de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. Ainsi, cette définition très étroite nie complètement le facteur climatique. Par conséquent, une demande d’asile pour cause environnementale ne peut être reconnue juridiquement par les États occidentaux. Cette lacune juridique, voire « vide », entre en contradiction avec les principes des droits de l’homme, notamment en matière de la protection universelle. Partant de ce constat, en 1985, le Programme des Nations unies pour l’environnement (ONU) a apporté une première définition à ce qu’un réfugié environnemental dénote : « toute personne forcée de quitter son habitation traditionnelle d’une façon temporaire ou permanente à cause d’une dégradation nette de son environnement qui bouleverse son cadre de vie et déséquilibre sérieusement sa qualité de vie ». Malgré cette précision, aucune réforme tangible n’a été concrétisée en faveur de ces réfugiés environnementaux. Toutefois, depuis 2015 l’initiative Nansen (adoptée par 109 États) tente d’amener des solutions institutionnelles pour reprendre en amont le besoin de ces réfugiés. En résumé, ce processus consiste de parvenir à un consensus régional, voire international, sur les principes et les éléments fondamentaux relatifs à la protection des réfugiés. Un Agenda pour la protection est structuré en trois étapes : 1. la préparation en amont du déplacement 2. la protection et l’assistance pendant le déplacement 3. la transition vers des solutions à la suite de la catastrophe.

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Cependant, une analyse réflexive mérite d’être menée. Le risque consistant à catégoriser de manière assez simpliste les motifs explicatifs qui poussent les personnes à quitter leur pays existe. En effet, les États définissent quels sont les « bons » et « mauvais » migrants avec des critères spécifiques et souvent réducteurs. Actuellement, la majorité des États occidentaux légitiment les réfugiés politiques et refusent le droit d’asile aux réfugiés économiques. Or cette distinction nette s’avère généralement incohérente, voire même sans fondement empirique. Sur le terrain, comme dans certains États africains, les causes politiques sont étroitement liées à la sphère économique. Néanmoins, cette interdépendance structurée et structurante est (in)volontairement ignorée par les États européens, car cela leur permet de repousser certains demandeurs d’asile. De la même façon, les facteurs écologiques et économiques peuvent être liés. En conclusion, comme le précise François Gemenne, il est préférable d’avoir un raisonnement objectif en ayant une approche globale des flux migratoires sans catégoriser de manière essentialiste les demandes d’asile. La réalité est que l’ensemble des causes (politiques, économiques et écologiques) sont mutuellement articulées.

De part de sa politique migratoire très restrictive, actuellement la Suisse ne reconnaît pas les réfugiés climatiques. L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) demande à la Suisse « […] la mise en œuvre d’une politique climatique efficace, de tenir compte du besoin de protection des personnes contraintes de quitter leur pays en cas de catastrophe naturelle ». Parallèlement cette organisation invite le Conseil fédéral à revoir sa politique d’octroi des visas humanitaires pour les personnes ayant été forcées à fuir leur pays pour des raisons climatiques.

Références :