Covid-19 : L’Érythrée refuse l’aide sanitaire étrangère

Le 22 février 2020, le directeur de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, a lancé un message alarmant aux États africains afin que leurs autorités étatiques puissent se préparer face à la pandémie coronavirus. Ce message insiste sur le fait que les systèmes de santé des pays africains sont peu développés et qu’il est crucial de fournir les forces sanitaires, humaines et économiques pour leur permettre d’affronter le mieux possible le virus. Malgré cet avertissement, aucune frontière ne semble pouvoir stopper le Covid-19, mêmes celles de l’Érythrée pourtant connue pour sa politique isolationniste. Le 21 mars 2020, le Ministre de l’Information Yemane G. Meskel a déclaré sur son compte Twitter «  (…) the first confirmed case of a Coronavirus patient [who] arrived at Asmara International Airport from Norway with Fly Dubai. The 39 year old patient is an Eritrean national with permanent residence in Norway ». À compter de cette date, le gouvernement érythréen a suivi les recommandations préconisées par l’OMS, prenant des dispositions sanitaires dans l’objectif de freiner le coronavirus aussi efficacement que possible. À l’heure actuelle, la Ministre de la Santé n’a signalé aucun décès et seulement 31 personnes contaminées. Ces chiffres paraissent sujets à caution. En effet, la politique de santé de l’Érythrée est aussi faible que sa politique d’information est opaque, relevant depuis 2001 d’une véritable système de désinformation.

Dans ce contexte, un événement troublant questionne la communauté érythréenne : le gouvernement central a refusé la première proposition d’aide sanitaire étrangère, alors que les États et organisations internationales font largement appel à la solidarité humanitaire en facilitant les collaborations. En d’autres termes, ce gouvernement autoritaire a repoussé une aide médicale alors que le pays ne dispose d’aucun système de santé adéquat. Cette décision doublement paradoxale laisse pour le moins perplexe face aux déclarations d’un gouvernement érythréen se présentant comme particulièrement mobilisé en faveur de la sécurité de sa population.

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Le 23 mars 2020, le milliardaire Jack Ma, co-fondateur de l’entreprise chinoise Alibaba, envoie en Afrique 6 millions de masques chirurgicaux, 60’000 combinaisons de protection et 1,1 million de kits de dépistage. Cette aide est arrivée à Addis-Abeba (Éthiopie) pour être ensuite répartie sur le continent africain sous l’administration du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed. L’objectif est clair : subvenir aux besoins des pays africains, dont l’Érythrée, en manque de ressources médicales, logistiques et financières nécessaires pour faire face à la pandémie. Pourtant, les autorités érythréennes se sont opposées à cette aide sous prétexte d’une fermeture stricte des frontières terrestres et aériennes. Rappelons que l’Érythrée se classe parmi les pays les moins développés du monde, notamment en ce qui concerne son système de santé qui reste des plus rudimentaires. Il manque en effet des unités de soins intensifs fonctionnelles, des respirateurs en nombre suffisant et du personnel médical. De surcroît, en 2019, 29 cliniques catholiques qui offraient des services gratuits ont été soudainement fermées. Selon les dirigeants érythréens, ces organisations religieuses auraient représenté une menace pour la stabilité du pays. À l’heure actuelle, la position du gouvernement semble s’orienter à nouveau vers une politique centralisée et d’autosuffisance, y compris dans le domaine médical. Pourtant depuis 2001, cette stratégie a conduit le pays à une situation de plus en plus chaotique, tant sur le plan politique, social qu’économique. Malgré ses échecs répétés, cette politique d’enclavement et de repli, corrélative à un système autoritaire, reste encore d’actualité. Notons que dans le même temps, l’Érythrée accepte volontiers l’aide purement financière fournie de la part de diaspora érythréenne. Envoyez-nous de l’argent mais gardez vos équipements médicaux semble être le mot d’ordre de ce gouvernement, paradoxe qui cache bien mal ses véritables motivations.

En effet, depuis le début du mois d’avril, le gouvernement érythréen a ouvert un fonds national afin que les ressortissants Érythréens puissent y verser des « dons ». D’après le président Issayas Afeworki, ce fonds permettra de subventionner les besoins en matériel médical et en infrastructures nécessaires pour contenir la propagation de mortifère épidémie de Covid-19. C’est ainsi qu’aux États-Unis 2,7 millions de dollars ont été récoltés. La même démarche est en train de s’effectuer en Europe et en Moyen-Orient. Mais que penser de cet immense appel de fonds, ce d’autant plus que ce gouvernement s’est déjà fait connaître pour avoir englouti dans sa corruption les contributions passées, ayant là aussi joué sur la même forme « d’empathie ».  

Cette analyse est partagée par Léonard Vincent, journaliste de Radio France international et écrivain. Il n’existerait selon lui, et d’après son expertise sur Érythrée, ni statistiques officielles faibles, ni publication annuelle du budget national, pas plus qu’une transparence sur l’origine et l’allocation des ressources de l’État. Par conséquent « (…) il est impossible de ne pas imaginer que les fonds récoltés auprès de la diaspora vont simplement venir garnir un panier d’argent qui sera utilisé comme les autres ressources du pays : en vertu des seuls caprices d’un homme, le président Issayas, et du petit clan sur lequel il s’appuie pour gouverner. Cette collecte est révélatrice d’une chose : les dirigeants érythréens ne sont pas préparés à la crise que traverse le monde. Ils n’ont ni les moyens logistiques, ni les moyens financiers pour protéger la population. Ils en appellent donc à leur dernière ligne de défense : la petite bourgeoise de la diaspora. C’est extrêmement préoccupant pour les Érythréens exposés à la maladie à l’intérieur des frontières. Et c’est extrêmement inquiétant pour l’État érythréen lui-même, qui se trouve aujourd’hui face au risque d’effondrement pur et simple, face à la violence de la pandémie et l’inaptitude de ses dirigeants, depuis des années, à faire prévaloir l’intérêt général sur les manœuvres visant à assurer leur propre survie ». Ainsi, en niant systématiquement les droits fondamentaux, ce gouvernement  autoritaire a fini par apparaître comme profondément illégitime aux yeux de la majorité des Érythréens.

 

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Daniela Kravetz rapporteuse spéciale des droits de l’homme auprès de l’ONU a addresé un message à l’État érythréen  «  I call on the Eritrean authorities to immediately and unconditionally release those detained without legal basis, including all political prisoners and prisoners of conscience, and to adopt urgent measures to reduce the number of people in detention to prevent the spread of COVID-19 ». Les militants ressortissants érythréens se joignent à cet appel et demandent instamment au gouvernement de se prendre enfin ses responsabilités et d’accepter immédiatement les offres d’aide étrangères. Les mesures en vigueur actuellement ne garantissent en rien la sécurité des citoyens. Les personnes mobilisées au service militaire vivent dans des conditions déplorables où il leur est quasiment inévitable d’échapper à la contamination par le coronavirus. De même, les prisons érythréennes sont connues pour leurs conditions de détention particulièrement inhumaines. Pour ces raisons, si le gouvernement prend pas urgemment les mesures nécessaires pour préserver la vie des habitants, en particulier les plus vulnérables, les conséquences risqueront d’être aussi désastreuses.

 

Références :