EU Emergency Trust Fund for Africa (EUTF for Africa) a pour mission de subventionner des projets relatifs aux développements dans le continent africain. Derrière ce projet, les investisseurs étatiques européens ont un objectif : freiner les flux migratoires vers le Vieux Contient. En d’autres termes, les pays européens tentent de réduire l’arrivée des réfugié-e-s en accordant diverses aides, surtout financières, aux États du Sud afin que ces derniers puissent encourager, voire obliger, leurs citoyen-ne-s à rester dans leur pays. Ainsi, l’Union européenne vient d’accorder un montant à une hauteur de 60 millions d’euros au gouvernement Erythréen pour des projets de « réhabitation », à savoir des constructions routières entre l’Érythrée et l’Éthiopie. Toutefois, ceci pose un problème qu’on peut qualifier « effet pervers ». Il s’avère que cette aide économique est accordée au gouvernement érythréen alors que ce dernier est caractérisé comme un des pires régimes autoritaires du 21ème siècle.
Ceci soulève la question suivante : peut-on subventionner un État gouverné par un dictateur dont le principe des droits de l’homme est systématiquement bafoué et ignoré ? D’ailleurs à ce titre l’Union européenne est censée préserver et protéger les droits fondamentaux dans ses accords signés avec les États et les divers acteurs internationaux. Par définition, l’UE doit préconiser les valeurs des droits de l’homme et dénoncer les mécanismes politiques contraires au droit impératif.
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L’idée de réduction des flux migratoires par le biais d’investissements économiques mérite d’être questionnée. Cette stratégie peut se révéler pertinente pour un État qui cherche une certaine cohérence dans le développement économique et reconnaît le principe de bon usage d’une aide internationale. Or, en Érythrée, le gouvernement despotique raisonne de façon frauduleuse et n’hésite pas à renforcer sa position dictatoriale en utilisant ces subventions externes dans son propre intérêt. D’une certaine façon, ce gouvernement peut tactiquement détourner ces fonds à des fins purement stratégiques. Ceci se confirme par la convocation des conscrits hommes et femmes. Ces derniers sont forcés à travailler dans des chantiers planifiés par l’Union européenne sans être payés dignement par leur propre gouvernement. À ce titre, cette réalité d’asservissement est qualifiée par certaines ONG, telle qu’Amnesty International, d’« esclavagisme moderne ». Concrètement, un-e conscrit-e enrôlé-e par la force, touche un salaire misérable qui ne couvre pas le minimum vital en Érythrée. Parallèlement, cette subvention européenne contribue étroitement aux travaux forcés des enfants. Selon Sheila B. Keetharuth, rapporteuse des droits de l’homme de l’ONU (2018), des mineurs sont embrigadés dans le service militaire et participent activement dans des tâches inhumaines souhaitées par l’État central. Ce rapport peut s’avérer daté. Pourtant, la présence de mineurs dans le service militaire est toujours d’actualité, et par définition ils sont incorporés dans ces chantiers.
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Dans cette situation, la Suisse ne reste pas inactive. Certes, la Confédération participe à ce fonds européen, mais, elle a également signé un accord bilatéral sur le développement de formation professionnelle. Depuis 2017, cet accord administré par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) et la Direction suisse au développement et de la coopération (DDC) vise deux objectifs étroitement complémentaires. D’une part, l’accord repose sur la volonté d’accroitre les compétences professionnelles de la population érythréenne, de sorte que ces derniers puissent accéder au marché professionnel. D’autre part, cet accord met l’accent sur l’importance d’une diplomatie politique et notamment sur les questions relatives à la migration. En d’autres termes, le DFAE espère gagner la confiance du dictateur Isaias Afewerki. Or, cette perspective suisse pose une ambiguïté. En effet, l’économie érythréenne est volontairement centralisée et fermée. C’est précisément cette condition économique souhaitée par le gouvernement qui contribue véritablement à la consolidation du régime répressif. Ainsi, le dictateur Isaias Afewerki a un meilleur contrôle sur le flux économique érythréen et peut, de ce fait, dominer ses citoyens. Par conséquent, le fond du problème n’est pas celui du manque de formation, comme prétendent le DFAE et la DDC, mais plutôt la structure économique isolationniste du pays. D’ailleurs, l’Université d’Asmara et certaines hautes écoles ont été intentionnellement fermées dans le but de restreindre les formations intellectuelles de sorte à empêcher le développement d’esprit critique chez les jeunes. En conclusion, ceci nous amène à questionner la pertinence du projet du DFAE et de la DDC. Peut-on réellement envisager un projet de développement dans un pays où le gouvernement contrôle l’économie de façon étroite et réduit les formations professionnelles et intellectuelles à des fins purement répressives ?
Dans le fond, derrière cette politique migratoire européenne nous avons deux craintes intrinsèquement liées. La première est d’ordre politique. Depuis son virage vers le totalitarisme, le régime despotique érythréen a souvent profité des aides externes pour augmenter son pouvoir. Par conséquent, l’Union européenne doit savoir se montrer prudente quant à ses subventions. Elle doit avoir un meilleur contrôle sur l’usage qui est fait de ce montant colossal tout en appuyant sur le principe des droits de l’homme dans la gestion des politiques publiques érythréennes. Cet État ne montre aucune transparence sur ses dépenses. De plus, les rapports rédigés par le ministre de l’« Information » sont fallacieux et ne reposent systématiquement sur aucune preuve tangible. La deuxième crainte concerne l’image que ce pays véhicule. Aujourd’hui, l’Érythrée est vue comme un État souhaitant la paix. Ceci s’est davantage accentué suite au Prix Nobel accordé au Premier ministre éthiopien Aby Ahmed. Ainsi, cet État de la Corne de l’Afrique apparaît plus ouvert, ce qui peut délégitimer les causes politiques qui obligeraient la population à quitter le pays. Cela s’observe notamment du côté du Secrétariat d’État aux migrations (SEM). En se fondant sur le contexte diplomatique liant l’Érythrée et Éthiopie, ainsi que sur le contenu du projet susmentionné impliquant notre pays, ce bureau fédéral a décidé de radicalement changer ses critères d’accueil aux Érythréen-en-s. À ce titre, l’Organisation suisse d’aide aux réfugié-e-s (OSAR) demande à la DDC de ne pas être motiver ses actions par des intérêts de politique migratoire et de se montrer prudente face aux engagements signés par l’État érythréen.
Références :
- Human Rights Council : Report of the Special Rapporteur on the situation of human rights in Eritrea, Sheila B. Keetharuth
- Amnesty International : Rapport sur l’Érythrée 2017/2018
- Organisation suisse d’aide aux réfugié-e-s : Suisse-Érythrée: une coopération controversée
- Image : Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed et le président érythréen Issayas Afewerki, le 16 juillet 2018 à Addis-Abeba. © REUTERS/Tiksa.
Intéressant ! Ce cas n’est pas isolé. D’autres États sont concernés !
Ils faut arrêter. Les droits de l’homme ne s’amélioreront jamais tant que les pays sont pauvres et les peuples dans la misère. La meilleure manière qui soit d’améliorer les droits de l’homme c’est avant tout tirer le peuple de la misère. Une fois que tout le monde a de quoi manger, un travail, que les enfants vont à l’école pour recevoir les meilleures formations, que les infrastructures (eau, routes, hôpitaux, ports, électricité, chemin de fer…) se multiplient, tout le reste suit et la démocratie s’installe comme par magie.
Mais tant qu’il y a la misère et que les gens meurent de fin, vous pouvez faire tout ce que vous voulez, vous n’empêcherez jamais le chaos de s’installer et avec lui la dictature.
Le meilleur moyen de lutter contre la dictature, c’est de lutter contre la misère, car ce n’est pas la démocratie qui crée la richesse, mais c’est l’abondance qui crée la démocratie!
Ce qui fait qu’il y a toujours de dictatures sur terre, c’est que le monde se trompe de combat en voulant traiter les symptômes, au lieu de traiter la maladie.
Vous n’avez pas le sentiment que les Érythréens fuient la misère avant d’hypothétiques percussions ?
N’avez-vous pas marre de voir des érythréens naturalisés suisse rentrer en Erythrée pour les vacances ou pour faire commerce (après avoir bénéficié d’une naturalisation facilitée grâce à leur statut de réfugié) ? et jeter ainsi le discrédit sur tous les requérants d’asile d’origine érythréenne….
Il suffit de prendre un vol Rome-Asmara, via Addis-Abeba, et de discuter un peu… généralement, ils ont un hôtel à faire tourner là-bas ou une (très jeune) épouse à rapatrier (qui déposera une demande d’asile après avoir atterri à Rome… j’imagine ?)…
J’ai beaucoup aimé le reportage de Temps présent où une ministre érythréenne essayait de “refourguer” des médecins érythréens aux journalistes pour qu’ils les amènent en Suisse, bénéficient de l’asile, et reversent de l’argent au pays. Vous n’avez pas le sentiment que la première source financière de ce gouvernement est la diaspora ? Et que beaucoup d’adeptes du régime sont envoyés en Europe pour contribuer financièrement à la cause du parti et que beaucoup d’autres sont raquettés (avec menaces sur leur famille sur place) pour contribuer également financièrement à la survie du régime ?
Donc… vous n’avez pas le sentiment que le meilleur moyen de lutter contre cette dictature serait d’interdire toutes les transactions financières à destination de ce pays. Simplement.
Je vous remercie de vos remarques. Effectivement, vous soulevez énormément de questions (avec une certaine généralité et simplifiée), et cela mérite une réflexion profonde. Permettez-moi de vous répondre sur trois aspects.
Premièrement, il est vrai que certains Erythréens, reconnus comme des réfugiés politiques, profitent de leur passeport suisse pour rentrer en Érythrée. Parallèlement, parmi eux certains n’hésitent pas à soutenir le gouvernement central. Dans ce cas précis, il me semble important de « conscientiser » ces individus sur leur action irrationnelle et de leur rappeler leur responsabilité. Par ailleurs, cela est juridiquement punissable. De la même façon, ces mêmes personnes (par toutes) subventionnent ce régime via la fameuse taxe de 2%. Ici, je vous rejoins, il faut une certaine mesure politique afin d’empêcher ce flux économique vers l’Érythrée.
Deuxièmement, faisons attention à l’amalgame. Ce pays est gouverné par un dictateur, dont l’oppression politique est omniprésente. Donc, la majorité des érythréens quittent le pays, car cette configuration politique est contraignantes sur toutes les structures sociales. Cette réalité est plus ou moins reconnue par l’ensemble des organisations internationales. De ce fait, il ne faut pas généraliser en qualifiant « tous les érythréens » comme des « profiteurs » du système.
Troisièmement, je préfère nuancer votre remarque sur l’interdiction des « aides financières » accordées à l’Érythrée. Il important que ce pays s’oriente vers un processus relatif au développement (politique, économique, sociale etc.). Cependant, ces aides, notamment financières, doivent être administrées/conseillées par des entités externes afin que l’évolution et le changement puissent être « efficaces » pour les citoyens. Ainsi, on peut éviter les diverses corruptions du gouvernement. Toutefois, cela demande une certaine collaboration de la part du gouvernement central… !
J’espère avoir répondu favorablement à certaines vos remarques.
Merci pour vos réponses.
1. Ok
2. “Ce pays est gouverné par un dictateur, dont l’oppression politique est omniprésente. ”
Quelle différence entre l’Erythrée et le Tchad?, la Gambie?, le Togo?, … En quoi la dictature érythréenne se singularise des autres dictatures africaines, généralement aussi militaire, … mais où une persécution généralisée est niée?
Pour avoir été sur place, les gens font avec la dictature (comme dans les autres dictatures) et fuient pour avoir un meilleur avenir en Europe, en Israël ou au Canada. Mais les autorités, corrompues et désorganisées, sont incapables de pratiquer une surveillance généralisée de qui fait quoi ou pense quoi. Je conteste donc le “omniprésente” mais je suis d’accord qu’ils tapent fort (=crimes contre l’humanité) en cas de flagrant délit ou dénonciation. C’est sans aucun doute une dictature.
A cet égard, p. ex., la population au Tchad est plus mal lotie. Dictature sanguinaire + moyens modernes de surveillance.
Je n’emploie pas le terme de “profiteur”. Je conteste en revanche une persécution généralisée mais admet les effets habituels d’une dictature sanguinaire (crimes contre l’humanité, tortures,…). Les motifs d’asile doivent donc être individuels.
3. Je suis contre l’idée d’une nouvelle forme de colonisation. Les africains (de manière générale) et les Erythréens (en particulier) n’ont besoin de personne pour s’en sortir. En Erythrée, la population est jeune, beaucoup sont formés aux armes et ils n’ont rien à perdre. Je pense donc que le gouvernement organise les départs pour se préserver; sans la possibilité de l’exil (soupape de sécurité pour le gouvernement), je suis convaincu que la population aurait déjà renversé le gouvernement. Car le gouvernement est faible et sans alliés puissants.
Je compare généralement l’Erythrée et la Birmanie; contre toute attente, la junte militaire birmane a desserré l’étreinte il y a quelques années. Il se passera la même chose en Erythrée, à condition que la diaspora cesse de financer le gouvernement.