Genève doit jouer la carte des villes

Lors de la cérémonie marquant mon investiture comme Maire de la Ville de Genève, le mercredi 6 juin 2018, j’avais cité le professeur Benjamin Barber, célèbre écrivain et essayiste américain, décédé en avril 2017, qui avait eu ce mot célèbre : « Si les maires gouvernaient le monde, le monde irait mieux ». Barber a choisi cette formule quelque peu provocante pour mettre en avant l’importance de cette fonction et de son pouvoir d’action grâce à sa proximité avec la population et à la responsabilité très concrète d’assurer les meilleures conditions de vie possibles, pour toutes et tous, au quotidien.

Le 18 octobre 2018, Olivier Bot, rédacteur en chef adjoint de la Tribune de Genève, publiait un texte intitulé « Genève doit jouer la carte des villes », en plaidant pour une diplomatie renforcée des villes tout en regrettant que Genève n’y soit pas assez active. Je ne peux que souscrire à la montée en puissance de la diplomatie des villes, et de son importance, tout en confirmant que Genève en fait une réelle priorité, même si elle n’est pas encore assez valorisée.

Les villes : en première ligne

En effet, l’enjeu des villes est d’ailleurs crucial, à Genève, comme ailleurs en Suisse ou dans le monde. La population vivant dans des centres urbains est de plus en plus nombreuse. Ces centres regroupent déjà actuellement plus de la moitié de la population mondiale, et bientôt même 70%, selon les experts des Nations Unies. Le poids économique, culturel et social des villes est considérable ; il doit impérativement être mieux pris en compte sur les plans institutionnel et politique.

Les villes sont en première ligne, à travers le monde entier, pour prendre la mesure des défis actuels que sont les inégalités sociales, les migrations, le vieillissement, les discriminations, ou la pollution. Mais c’est aussi dans les villes que se trouve un formidable potentiel de créativité et d’innovation pour aborder ces défis, un potentiel ancré dans une envie de faire évoluer positivement le monde, tout en tenant compte des réalités de terrain. Les villes sont souvent aussi celles qui se mobilisent ensemble contre les dérives croissantes de nombreux Etats en matière de droits humains, de prévention des conflits, de gestion du changement climatique, et ainsi de suite.

Lors de la COP21 à Paris en décembre 2015, Anne Hidalgo, Maire de Paris, avait invité près d’un millier ( !) de maires de grandes villes du monde, dont Genève, pour adresser un message très fort aux chefs d’Etat réunis à cette occasion.

Aux Etats-Unis, les villes, y compris avec des maires républicains, sont en tête de file depuis 2016 pour contrer les dérives réactionnaires du gouvernement américain sous l’égide de Donald Trump, que ce soit en matière de gestion des flux migratoires ou de lutte contre le changement climatique.

Très concrètement, ce sont des maires italiens qui essaient de maintenir un semblant d’humanité et décence dans la gestion de la question migratoire sur les côtes italiennes, face aux dérives fascisantes du gouvernement italien, parfois au péril de leur fonction, comme en témoigne l’action inlassable du maire de Palerme, Leoluca Orlando.

Fin octobre, en Argentine, pays qui va accueillir le prochain sommet des puissances du G20, les Maires de Paris et de Buenos Aires ont rassemblé une belle brochette de maires des grandes villes du G20 pour adresser une déclaration ambitieuse et offensive aux Etats, exigeant enfin des démarches fortes et efficaces face aux grands défis de notre monde, démarche à laquelle plusieurs villes importantes hors G20, dont la Ville de Genève, ont été pleinement associées.

Au mois de décembre 2018, lorsqu’auront lieu à travers le monde des manifestations majeures pour marquer les 70 ans de la Déclaration universelle des droits de l’homme ratifiée par l’Assemblée générale des Nations Unies en 1948, en bonne partie rédigée à Genève, les villes seront aux premières loges pour en rappeler l’importance vitale.

Genève : une ouverture internationale pour les collaborations locales

La forte croissance des réseaux de villes témoigne de cette dynamique, croissance qui crée de belles opportunités mais aussi un risque de confusion, d’où la nécessité d’établir une stratégie proactive, pragmatique et lucide. Comment se situe Genève dans ce contexte ?

Lorsqu’on parle de diplomatie des villes, il ne s’agit pas d’une diplomatie abstraite et protocolaire, encombrée de contingences de luttes de pouvoir et corsetée par le poids parfois lourd de l’histoire, mais d’une diplomatie concrète, à la fois ambitieuse et concrète, avec une légitimité basée sur l’expérience de la proximité. Avec mes homologues à Genève (Union des Villes Genevoises), en Suisse (Union des Villes Suisses) et dans le monde, je me rends compte à quel point nous avons intérêt à collaborer, à mettre en commun les bonnes pratiques et à faire entendre notre voix auprès des instances nationales et internationales. Genève a un rôle particulier à jouer dans cette diplomatie des villes, ce que dit Olivier Bot à juste titre, et le fait, de manière de plus en plus active.

Genève est une ville dont le nom résonne très fort sur la scène internationale. Ses atouts et ses richesses sont reconnus dans le monde entier, dans des domaines les plus divers comme la diplomatie internationale, le siècle des Lumières, la défense de la biodiversité, la vitalité de notre monde scientifique, la promotion des droits humains, la grande diversité culturelle de sa population… Il est donc vital d’ajouter cette composante « urbaine » au spectre déjà riche de la Genève internationale, l’espace dans lequel on parle de thèmes concrets pour le quotidien de nos concitoyens et concitoyennes ! Ce poids de Genève, à la fois symbolique et réel, constitue surtout une responsabilité qui nous oblige à nous intéresser aux enjeux du monde, sans perdre de vue les intérêts et besoins de nos habitantes et habitants.

 

Donner une voix à la Genève internationale

Dans ce contexte, force est toutefois de constater que notre système de rotation annuelle de la

fonction de maire au sein de l’exécutif de la Ville de Genève doit changer, car il est totalement illisible sur le plan suisse et international, Genève étant, à ma connaissance avec Dublin, la seule ville importante au monde à connaître ce système. Le folklore peut parfois avoir son charme, mais pas dans ce domaine.

 

Investir les réseaux de villes

Malgré cette restriction, Genève est membre actif dans un certain nombre de réseaux de référence, généralistes ou spécialisés. La principale organisation regroupant le plus grand nombre de villes sur la planète est CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis), dont le siège est à Barcelone, et qui est devenue le principal interlocuteur des Nations Unies lorsqu’il s’agit de prendre l’avis des villes. La Ville de Genève y préside la Task Force sur la résilience des villes, qui examine de près la capacité des villes à gérer dans la durée des crises majeures et à passer d’un mode réactif à une mode proactif et durable. Cette Task Force est elle-même un des piliers de la « Global Alliance on Urban Crises » (GAUC), qui regroupe de très nombreuses organisations internationales dans le domaine de l’urbanisme et de la gestion et prévention des crises, mais aussi de grandes organisations autonomes et non-gouvernementales, et des réseaux de villes. La GAUC s’est d’ailleurs réunie récemment à Genève, avec l’appui de la Ville de Genève. Et la Ville de Genève sera l’un des partenaires essentiels, avec d’autres villes de la grande réunion de la Plateforme internationale sur la réduction des risques de catastrophes (qu’elles soient socio-économiques, migratoires, climatiques…), sous l’égide de l’agence onusienne UNISDIR, au mois de mai 2019.

La Ville de Genève est également membre actif du Bureau de l’AIMF (Association internationale des maires francophones), dont l’Assemblée générale s’est tenue à Lille début novembre, et qui permet en particulier des liens forts entre des villes européennes, nord-américaines et africaines, avec de nombreux projets concrets de collaboration. Genève est également présente dans de nombreux réseaux spécialisées, comme le programme Cités interculturelles du Conseil de l’Europe (diversité culturelle), Mayors for Peace (lutte pour contre la course aux armements, notamment nucléaires), Rainbow Cities (engagement pour les droits des personnes LGBT), les réseaux émergents en matière de soutien à la finance durable, etc. Elle développe aussi depuis deux ans sa présence dans les réseaux liées  la transition numérique et la gestion urbaines, comme « Open and Agile Smart Cities ».

Porter les promesses du futur : du local au global

Cette composante essentielle de la diplomatie des villes, qui doit prendre sa place dans la Genève internationale, fait l’objet de contacts pour la mise en place d’une coordination efficace avec la Confédération suisse et sa représentation à Genève, ainsi qu’avec l’Office des Nations Unies à Genève. Le Canton a tout intérêt à également appuyer cette démarche, dans la mesure où elle renforce très clairement l’écosystème de la Genève internationale, et qu’elle évite que d’autres centres internationaux ne s’en emparent.

Comme le disait Victor Hugo, « Les villes portent les stigmates des passages du temps, et occasionnellement les promesses d’époques futures.» A nous de nous engager pour que ces promesses existent et soient suivies d’effets, pour toutes et tous.

Sami Kanaan

Sami Kanaan est Maire de Genève 2014-2015, 2018-2019 et 2020-2021, Conseiller administratif en charge du Département de la culture et de la transition numérique, Président de la Commission fédérale pour l'enfance et la jeunesse, Vice-président de l'Union des villes suisses et de l'Union des villes genevoises.

5 réponses à “Genève doit jouer la carte des villes

  1. Belle ambition et tous mes voeux de succès.
    En parlant ville et canton, il sera sûrement nécessaire de réunir le tout, pour une performance optimale et pour accomplir tout ce programme ambitieux?

    Et malgré la séparation des pouvoirs, il faudrait que l’ensemble pousse la justice à agir plus vite. Les Genferei ne sont bonnes pour personne, ni pour la politique suisse, ni même la Suisse.
    Dix sept mois pour annuler le vote de Moutier n’est pas admissible.

    Il faudra absolument que les politiques engagent un nouveau chantier, la refonte et la modernisation de la justice qui a un siècle de retard, ce troisième pouvoir dont on ne sait pas trop (ou que trop) quelles marionettes l’agite!

  2. Bonjour,

    Je suis tout a fait d’accord avec vous mais la ville , sa force ce sont ces citoyens. Ceux qui vont croire à ces projets , donner cette dynamique mais ci ces derniers ont trop de soucis comme payer ces assurances sont loyer se nourrir il est plus dur de réaliser ces réves. Ils sont des nuages qui cachent l espoir , d’imaginer les choses autrement d’avancer , d’avoir de l’audace tout ce qui est nécessaire pour relever les défis de demain qui sont sans aucune mesure les plus grand de l’humanité (matiere premiere , populuations , environnement etc etc)

  3. Au lieu de laisser la Suisse s’embourber dans tout ça.
    Et si la Genève internationale et les autres faisaient acte de contrition, en disant, oui, nous avons failli, avec un pacte de tous les cantons, établissant des règles simples pour les politiques de toute la Suisse (bon, je vois déjà le tableau :)?

    Amnistie générale et on repard du bon pied.

    Bien sûr, un politique qui doit voyager n’aura pas les mêmes frais que celui qui passe son temps devant son écran. Bien sûr le politique va crier au loup, mais…

    … mais on va de l’avant et on ne perd plus de temps?

    1. Bon, moi je ne suis ni libéral, ni socialiste et encore moins UDC, ni rien, d’ailleurs.
      Mais de bons politiques il y en a peu.

      Alors, il ne faut pas que le jeu politico-médiatique, allumé par des incapables (inclus journalistes), ruine des gens qui essaient de lutter pour le pays

      1. J’ai travaillé à Berne, dans un satellite de l’ONU.
        Quand un chef de traduction anglaise a, comme adjointe sa femme, c’est déjà bizzarre.

        Mais quand ce même chef part à la retraite et que sa femme reprend le poste, pour deux ans avant sa retraite, c’est de l’escroquerie mondiale!

        La Genève internationale a du pain sur la planche
        🙂

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