« Brexit means Brexit », ou la nouvelle guerre civile anglaise

Le gouvernement britannique fera appel auprès de la Cour Suprême d’un jugement délivré par des juges de la Haute Cour de justice concernant la décision de déclencher le Brexit, qui devrait, selon l’arrêt, passer par le Parlement.

En procédant ainsi, Theresa May et son gouvernement – sont-ils en train de livrer un coup potentiellement mortel à la démocratie parlementaire britannique ? La Grande Bretagne dans l’ère du pro-Brexit, vaut-elle vraiment mieux que la Turquie d’Erdogan post-coup d’état raté ?

Voilà deux questions en filigrane de la dernière controverse qui menace de devenir outre-manche une crise constitutionnelle à part entière.

Certains juristes et membres du Parlement britannique ont été rapides à pointer qu’en essayant d’outre-passer ce dernier dans la question du Brexit, en invoquant le « Royal Prerogative » dont il serait investi, le gouvernement du Royaume Uni serait en train d’affaiblir les acquis de la guerre civile anglaise (1641-1652), qui a réussi, au bout de dix années de luttes sanglantes et décapitations royales a établir la démocratie représentative telle qu’on l’a connaît dans ce pays. A savoir, un régime qui prône la séparation des pouvoirs – exécutif (longtemps le Roi, maintenant le gouvernement)), le législatif (Parlement) et le judiciaire (les cours et tribunaux).

Le vitriol déversé par la presse populiste et pro-Brexit sur la décision des juges a enflammé les esprits encore plus, étant, au fait, le facteur qui a mené à un nouveau durcissement des positions d’une part et d’autre.

En fait, le tollé populiste contre les juges noie un débat légal et intellectuel très intéressant, qui pointe au besoin d’une lecture nuancée de la décision et de la suite du processus. Postées sur le site Judicial Power Project, les diverses opinions des luminaires juridiques du royaume soulignent le fait que, tout en se basant sur des précédents, les décisions juridiques dans ce cas doivent faire la part des arguments légaux ET de ceux politiques ; en plus, il faut trouver un équilibre entre « ancien » et « nouveau » constitutionalisme, différenciés l’un par le respect de l’orthodoxie de la démocratie représentative et l’autre par un approche plus flexible et interprétative des statuts existants.

Au-delà des éléments techniques qui dépassent la majorité du public, ce qui inquiète dans ce cas est la précipitation accusatrice avec laquelle les arguments populistes cherchent à abattre toute possibilité de débat intelligent et informé sur une décision qui, après tout, n’a rien de naturel, juste parce qu’elle aurait été approuvée par une petite majorité du « peuple ». « Brexit means Brexit » ne veut en fait rien dire, tant qu’une feuille de route n’existe pas à cet effet.

C’est juste une formule rassurante pour certains, qui résume de façon creuse les raccourcis fallacieux de pensée qui caractérisent une époque lasse de réfléchir aux enjeux du futur, au prix de l’avenir des nouvelles générations.

 

 

 

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.