L’Occident kidnappé et la trahison de l’Europe

« « Mourir pour son pays et pour l’Europe » – c’est une phrase qui ne pourrait être pensée à Moscou ou à Leningrad, mais précisément, à Budapest ou à Varsovie » écrivait Milan Kundera en 1984, dans son célèbre essai « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe Centrale ». On en cite souvent quelques idées phare, telles que

  • les pays de l’Europe Centrale (Hongrie, Pologne, et la Tchechoslovakie d’antan) sont occidentales dans leurs cultures et démocratiques dans leurs aspirations ;
  • ayant des frontières avec la Russie, elles savent presque mieux que d’autres ce que signifient les valeurs européennes de liberté et justice ;
  • l’Europe de l’Ouest a « oublié » et abandonné l’espace central européen à son triste sort.

A la lumière de ce qui se passe aujourd’hui dans ces pays, maintenant membres à part entière de l’Union Européenne, qui fut un temps leur unique espoir et aspiration pour une vie meilleure, ces idées apparaissent anachroniques et laissent un goût amer. Car, au lieu de défendre et s’investir pour les valeurs qui les ont portés dans leur bataille pour la liberté, durant ces trente années, ces états et sociétés ont suivi les pires erreurs de leurs confrères occidentaux, en abandonnant leurs principes aux lois et mécanismes du capitalisme cannibale, dont la nourriture première sont les archaïsmes et les peurs irrationnelles des masses.

Peut être on en serait moins surpris si on avait mis en exergue aussi les remarques conclusives de l’essai de Milan Kundera :

« L’Europe Centrale doit donc s’opposer non seulement la force pesante de son grand voisin, mais aussi la force immatérielle du temps qui, irréparablement, laisse derrière lui l’époque de la culture. C’est pourquoi les révoltes centre-européennes ont quelque chose de conservateur, je dirais presque dianachronique : elles tentent désespérément de restaurer le temps passé, le temps passé de la culture, le temps passé des Temps modernes, parce que seulement dans cette époque, seulement dans le monde qui garde une dimension culturelle, l’Europe Centrale peut encore défendre son identité, peut encore être perçue telle qu’elle est. Sa vraie tragédie n’est donc pas la Russie, mais l’Europe. L’Europe, cette Europe qui, pour le directeur de l’agence de presse de Hongrie, représentait une telle valeur qu’il était prêt à mourir pour elle, et qu’il mourut. Derrière le rideau de fer, il ne se doutait pas que les temps ont changé et qu’en Europe l’Europe n’est plus ressentie comme valeur».

A la lumière de ces lignes, on comprend aussi pourquoi ce ne fut pas le cas.

 

 

 

 

 

 

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.