Une semaine après les attaques terroristes de Beyrouth et Paris. Une semaine après le déferlement d’une vague de réactions à ce que tout cela soulève. Une semaine pendant laquelle il y a eu une autre attaque au Nigéria et qui conclut avec encore une autre à Bamako.
Dans l’éventail des réponses aux événements il y a une qui a retenu mon attention, comme celle de beaucoup d’autres. Il s’agit d’une réaction qui est devenue, depuis les attentats contre Charlie Hebdo, un leit motif que certains font ressortir chaque fois que ce genre de tragédie advient, notamment la question : « comment se fait-il qu’on pleure les victimes des attaques en Occident et les médias et l’opinion publique restent indifférents aux autres ? »
Quand cette question était posée en janvier 2015, elle émergeait imbue d’un ressentiment qui s’appuyait sur la rhétorique post coloniale et libérale progressiste et qui est cultivé par des bien pensants depuis des années dans ce même Occident tant décrié. Une rhétorique qui, par peur de s’entendre accusée d’universalisme est capable de soutenir des inégalités, des discriminations et des renoncements aux acquis démocratiques au nom du relativisme culturel; elle frappait de plein fouet la réaction, somme toute, légitime, de tout individu qui témoignait de son choc, sa douleur ou son indignation. Il y a eu peu de réponses contrecarrant cette attaque intellectuelle, qui, en gros, délégitimait ce que certains auraient pu sentir en lien avec l’actualité.
Cette fois-ci, après le 13 novembre 2015, la riposte n’a pas tardé à arriver. A tous ceux qui ont repris ce mantra bien pensant, on a pu dire et démontrer que ce ne sont pas les médias qui sont en cause pour le fait que certaines tragédies sont plus véhiculées et plaintes que d’autres, mais bien le grand public, celui qui détermine ce que les médias couvrent en première, deuxième, troisième page, qui s’avère plus sensible ou moins aux tragédies de l’actualité. Car il ne suffit pas que les médias en parlent ; dans notre monde, celui d’aujourd’hui, il faut que cela soit relayé. Et les nouvelles sont relayées en fonction du vécu et du ressenti individuel. Ce ressenti individuel est fait d’attentes, d’images, d’expériences et d’idées qui lient chacun à un coin d’humanité. Qui n’est pas toujours celui prévu selon les idéologies dominantes.
Ceci ne veut pas dire, pourtant, qu’il n’y a pas une inégalité, voire une injustice, dans la manière dont on vit et on perçoit les tragédies au niveau global. Par contre, appliquer une logique du genre « après tout, ils l’ont bien mérité » ou « pourquoi les plaindre eux, vu qu’on reste indifférents à d’autres » ou encore « les vies occidentales valent plus que les vies des autres », c’est appliquer la mentalité de l’œil pour œil et dent pour dent qui nous amène en tant qu’humanité précisément au point où nous en sommes. En plus, cela couvre de manière très convenable les mécanismes globaux et locaux qui cultivent les situations que nous rencontrons, injustice et inégalité inclus. Car, occupés, comme dans une cour d’école à crier «c’est lui qui a commencé le premier » on ignore les logiques profondes qui minent le quotidien de chacun sur cette planète, en gaspillant du temps qui pourrait être investi pour en trouver des issues. (A suivre)