Elections en Turquie novembre 2015 (II) – La démocratie sur le fil

A la suite des élections de juin 2015, l’AKP a gagné une majorité de voix, mais pas assez pour pouvoir changer la Constitution du pays une fois encore, pour le transformer en république présidentielle. Le HDP, Parti Démocratique de Peuples a ravi la possibilité de cette victoire absolue en gagnant 79 places. Depuis, l’AKP s’est évertué à mettre en impasse toute possibilité de coalition au gouvernement, et a réussi à convoquer des nouvelles élections pour novembre.

Tout est bon pour, à la fois, faire taire et ramasser des voix : agressions et censure de la presse libre sous prétexte qu’elle est « frivole » et ne respecte pas l’autorité et la nation ; la prison pour ceux qui contestent les stratégies économiques et politiques du pouvoir en place ; attiser les haines fratricides à peine endiguées entre turcs et kurdes et donc accroître le sentiment d’insécurité ; et maintenant, carte maîtresse, l’instrumentalisation de la question des réfugiés pour se redorer le blason et faire quelques demandes à une Union Européenne minée par ses propres défaillances et court-termismes.

Il est à espérer que personne ne se voile la face (faute d’une meilleure expression) quant au jeu qui se joue concernant la relance des négociations d’élargissement avec l’UE en échange d’une collaboration plus active dans la question des réfugiés.

Le prix à payer

Un rapprochement avec l’UE voudrait dire plus de surveillance quant aux promesses de respect des droits des minorités (p.ex. le kurdes), aux conflits avec les voisins, et quant au respect de toutes sortes de droits et libertés actuellement fragilisés dans le pays et ainsi de suite. Or, le régime actuel – auquel les sceptiques de la « Turquie en Europe » qui semblaient être actifs dans l’UE, allaient comme un gant – ne donne pas de signes crédibles dans ce sens. Par contre, il a fait la preuve qu’il sait très bien comment utiliser l’apparence de ces intentions à sa faveur. Donc, rien ne nous empêche de faire l’hypothèse que dans les deux semaines à venir il va capitaliser sur le désir d’Europe des Turcs, ainsi que sur leur aspiration à pouvoir y voyager librement, pour gagner des voix et la majorité absolue tant convoitée au Parlement. Le prix à payer serait exorbitant, d’autant plus que l’Europe n’est plus ce qu’elle était.

Que dire de l’autre côté de l’ « équation turque », à savoir les fameux « partenaires européens » qui en ce moment abondent dans le sens du Président et font des promesses de fonds européens et de régime de voyage sans visa pour les turcs ? 100 universitaires turcs ont écrit une lettre ouverte à Angela Merkel à l’occasion de sa visite à Ankara, soulignant combien ce geste peut s’avérer être au détriment de la démocratie dans leur pays : en prêtant main forte au parti AKP, cela ranime des espoirs vers l’Europe d’une partie de la population qui pourrait bien voter avec le parti, malgré son bilan décevant sur la question.

En plus, cela ne fait pas honneur à aucune des deux parties que de transformer les réfugiés dans une monnaie de marchandage : « je te donne de l’argent et prétends que tout va bien chez toi, pour autant que tu ériges des barrières et gères la difficulté que nous se saurions affronter ». Cela témoigne d’encore un autre coup aux idéaux de droits et liberté assené, cette fois-ci, par les deux acteurs en tandem. A suivre…

Ruxandra Stoicescu

Ruxandra Stoicescu est analyste et productrice média indépendante. Depuis quatre ans elle tient le blog audio Tales of the World et enseigne les relations internationales dans divers centres universitaires en Suisse romande. Formée à l'étude des relations internationales à la lumière de l'Histoire, elle propose un blog où les questions politiques et sociales contemporaines sont examinées sous l'angle de la longue durée.