Chaleur résiduelle

L’exploitation de la chaleur résiduelle

L’idée d’utiliser la chaleur résiduelle (appelée aussi chaleur fatale) pour couvrir les besoins en chauffage et en eau chaude n’est pas nouvelle. En effet, les installations de chauffage à distance jouissaient d’une certaine notoriété dans les années 1960 et 1970, où elles exploitaient des sources de chaleur à haute température. Le développement des pompes à chaleur a permis plus tard d’exploiter la chaleur à plus basse température, ouvrant un potentiel plus grand avec des sources diversifiées. Aujourd’hui, les « chaleurs perdues » ne sont plus une option de la transition énergétique, elles en sont un élément-clé.

La récupération de la chaleur fatale est l’opportunité, pour les entreprises industrielles notamment, de faire des économies et de réduire la facture d’énergie. Les chaleurs perdues peuvent en effet être valorisées soit en interne (pour répondre aux besoins de chaleur de l’entreprise), soit en externe (pour couvrir les besoins d’autres entreprises ou, plus largement, d’un territoire grâce à un système de réseau de chaleur).
Remplacer les énergies fossiles pour le chauffage est sans conteste une question de bon sens. Pourtant, chaque jour, des entreprises et des industries laissent une précieuse source d’énergie thermique s’échapper. Grâce à des mesures ciblées, vous pouvez réaliser d’importantes économies d’énergie et de coûts.

Un potentiel encore grand

Selon SuisseEnergie, le programme d’encouragement de la Confédération en matière d’énergie renouvelable et d’efficacité énergétique, la Suisse dispose de plus d’un millier de réseaux thermiques qui fournissent – selon des indications qui peuvent diverger – entre 6 et 8 TWh de chaleur par an, couvrant ainsi environ 6 à 8% des besoins en chaleur dans notre pays (chiffres 2021). Et selon les « Perspectives Energétiques 2050+ » de l’OFEN, la consommation de chaleur à distance augmentera en particulier dans les ménages privés, où elle triplera pratiquement d’ici à 2050. Elle doublera pratiquement dans le secteur des services pendant la même période alors qu’elle restera à son niveau actuel ans le secteur de l’industrie.
En décembre 2021, le Conseil fédéral a quant à lui adopté le rapport « Potentiel des installations de chauffage et de refroidissement à distance », qui fait suite à un postulat déposé deux ans plus tôt. Il y évoque le potentiel réalisable sur les plans économique et de l’aménagement du territoire pour un approvisionnement en chaleur à distance exempt de CO2 et il est grand : entre 17 et 22 TWh par an. « À l’heure actuelle, ce potentiel n’est, au plus, utilisé qu’à moitié. Le développement des réseaux thermiques doit par conséquent être considérablement renforcé et accéléré. » Le Conseil fédéral recommande en outre aux communes, dans le cadre de leur planification énergétique, d’envisager la désaffectation de conduites de gaz et le développement de réseaux thermiques en collaboration avec les entreprises d’approvisionnement en énergie, afin d’éviter une concurrence entre infrastructures d’approvisionnement en chaleur et des investissements inappropriés. Le Conseil fédéral est désormais chargé d’étudier la situation en collaboration avec les acteurs de la branche, afin de rendre compte des obstacles réglementaires, de clarifier la répartition des tâches (Confédération/canton/communes), d’esquisser les plans d’actions et d’évoquer les améliorations possibles du système actuel.

Où récupérer la chaleur ?

La température d’un rejet de chaleur peut varier de plusieurs centaines de degrés à une température proche de celle de l’environnement. La méthode de valorisation sera donc différente d’une situation à l’autre, pouvant aller d’une turbine à vapeur à une pompe à chaleur en passant par un échangeur de chaleur. Quoi qu’il en soit, les rejets de chaleur sont inévitables, car liés à la physique de certains processus.

Rejets de chaleur des usines de valorisation thermique des déchets

La plupart des usines d’incinération des ordures ménagères de Suisse valorisent déjà leur chaleur en produisant de l’électricité, de la vapeur utilisable par l’industrie et de la chaleur pour le chauffage à distance. C’est le cas de l’usine Tridel à Lausanne, qui soutire la vapeur avant de l’envoyer dans des échangeurs qui produisent de l’eau surchauffée. Plus de 1000 bâtiments lausannois, dont le CHUV, sont ainsi chauffés. Selon energie-environnement.ch, on pourrait encore doubler les possibilités pour le chauffage et multiplier par un facteur encore plus grand les bâtiments raccordés, si tous étaient mieux isolés.

Rejets de chaleur des stations d’épuration

Les STEP représentent à la fois un potentiel d’économie d’énergie électrique et un potentiel de production d’énergie renouvelable. Cela passe par la valorisation des boues d’épuration et de la chaleur des eaux en sortie.
La STEP de Morges montre l’exemple en la matière : si, jusqu’en 2018, les eaux usées épurées étaient rejetées dans le lac Léman, l’installation valorise aujourd’hui cette énergie, qui permet de chauffer le siège de Romande Energie, ainsi que tout le quartier des Résidences du Lac.

Rejets de chaleur des processus industriels

On citera à titre d’exemple Holcim à Éclépens, qui profite des déperditions thermiques de son four rotatif et de son refroidisseur à clinker et utilise cette chaleur fatale en interne (préchauffage et séchage de matières) et en externe (injection dans le réseau de chauffage à distance ou conversion en électricité). Le cimentier alimente ainsi en chaleur quelque 250 bâtiments résidentiels et plusieurs entreprises des environs. La chaleur fournie correspond approximativement à la consommation moyenne de 2000 foyers, précise l’entreprise. En été, l’énergie est utilisée afin de rafraîchir le centre de tri postal.

Rejets de chaleur des bâtiments tertiaires

Commerces, bureaux, hôpitaux, écoles, infrastructures collectives destinées aux sports, aux loisirs, aux transports, hôtels, restaurants, etc. : le potentiel est énorme. Le Prix de l’innovation 2022 dans le domaine des réseaux thermiques a d’ailleurs été décerné au service des bâtiments du canton de Soleure pour le projet « Areal Bürgerspital Solothurn ». La chaleur résiduelle provenant de la stérilisation, des appareils de radiologie ou du centre de calcul de l’hôpital de Soleure alimente aujourd’hui des bâtiments, notamment classés, qui n’auraient pu accéder à un approvisionnement zéro émission sans cette approche.

Rejets de chaleur des applications du froid

Installations de ventilation, frigorifiques ou encore locaux de serveurs informatiques et centres de calcul recèlent un grand potentiel. Puisqu’il faut les refroidir, ils s’en dégagent de la chaleur. Dans le bâtiment NEST, le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche à Dübendorf, un centre de données contribue ainsi au chauffage de l’ensemble du bâtiment. En hiver, la chaleur résiduelle alimente le chauffage du bâtiment et, tout au long de l’année, elle sert de source pour une pompe à chaleur qui fournit l’eau chaude sanitaire.

Rejets de chaleur dans la structure souterraine des bâtiments

Récupérer la chaleur des parkings souterrains via des panneaux muraux pour chauffer les appartements, voilà la solution innovante développée par Enerdrape, une spin-off de l’EPFL. Actuellement en phase de test dans un parking du quartier de Sévelin à Lausanne, ce système pourrait fournir jusqu’à un tiers de l’énergie nécessaire à tempérer l’immeuble d’une soixantaine d’appartements sous lequel il se trouve. L’application de cette technologie est plus large que les parkings souterrains, puisqu’elle est adaptable également pour les tunnels, les gares souterraines ou encore les métros.

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Quelques questions à Laure Deschaintre, directrice d’InfraWatt et ingénieure en énergie et climat

Après avoir travaillé durant sept ans en Allemagne sur la thématique des énergies renouvelables dans les réseaux de chaleur, Laure Deschaintre a rejoint le bureau d’ingénieurs Planair à Yverdon-les-Bains en 2019, où elle est responsable du pôle chaleur dans le secteur énergie renouvelable et innovation. Elle dirige par ailleurs l’association InfraWatt, qui promeut auprès du grand public, des professionnels et au niveau politique, l’utilisation de l’énergie provenant des eaux usées, des déchets, de la chaleur résiduelle et de l’eau potable dans les infrastructures.

La situation actuelle favorise la sortie des énergies fossiles. Le ressentez-vous concrètement ?

Absolument. Depuis quelques mois, le téléphone sonne beaucoup chez nos membres, à savoir les exploitants de réseau – les contracteurs ou les services industriels -, avec des personnes qui souhaitent se raccorder au réseau de chauffage à distance le plus proche. Malheureusement, ce n’est pas si simple, il faut ouvrir la route, poser les conduites, etc. Toutefois, le développement doit se faire rapidement, au risque que chaque personne se tourne vers des solutions individuelles pour son bâtiment. On perdrait alors la densité de consommation énergétique nécessaire à la construction d’un réseau thermique.

Quel est le principal frein, mais également les évolutions que vous percevez lorsqu’on parle de réseaux de récupération de chaleur ?

Les réseaux thermiques entrent en concurrence avec les réseaux de gaz. En effet, les uns et les autres utilisent un réseau de conduites différent pour que leur énergie puisse être distribuée, et dans les deux cas, il faut une densité de consommation énergétique suffisante. Les infrastructures entrent donc en concurrence dans certaines zones. Jusqu’à récemment, il était difficile de planifier des projets de récupération de chaleur à côté de ceux dédiés au gaz. Mais le contexte actuel et la demande grandissante ont changé la donne depuis peu. L’importance des réseaux thermiques a également été reconnue à la mi-août : la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga, les présidents de la Conférence des directeurs cantonaux de l’énergie, de l’Association des communes suisses et de l’Union des villes suisses ont signé une charte qui vise à accélérer le développement de ces réseaux thermiques en Suisse. J’ai la sensation que les acteurs ont pris conscience de l’importance de récupérer l’énergie perdue. Bien qu’il y ait des villes avant-gardistes, comme Bâle et Zurich, qui démantèlent leurs réseaux de gaz pour agrandir des réseaux de chauffage à distance, le potentiel de développement est encore important.

Où se trouve le principal potentiel de récupération de chaleur pour une grande entreprise ou une usine ?

Là où les processus tournent en continu, sans arrêt de production, comme dans les STEP ou les centres de calculs. Le risque que l’entreprise déménage ou cesse ses activités est alors minime. Dans une aciérie, par exemple, la gestion du risque est plus compliquée : le danger est que, si les commandes baissent, la production et la livraison de chaleur baissent également. Avec l’Association suisse du chauffage à distance (ASCAD), nous demandons depuis plusieurs années la création d’un fonds géré par la Confédération pour couvrir ces risques et permettre à ces projets de se développer et ainsi éviter de perdre cette chaleur.

Et pour les plus petites structures, comme les PME, voire les ménages ?

À titre individuel, il est possible de récupérer la chaleur de l’eau chaude de sa douche, en installant un échangeur qu’on trouve dans le commerce. À l’échelle d’un bâtiment ou d’un quartier, il est possible de placer un échangeur sur la récupération des eaux usées, avant qu’elles partent à la STEP. Si le bâtiment est à côté d’une conduite qui rassemble les eaux usées, il est également possible de placer directement dans le tuyau un échangeur de chaleur, même si la technique plus classique consiste à d’abord traiter l’eau dans une STEP, puis à installer un échangeur à la sortie pour récupérer la chaleur. Cette dernière approche présente l’avantage de rejeter de l’eau moins chaude, ce qui est mieux pour l’environnement.

 

Joëlle Loretan

Rédactrice

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Ressources et liens utiles :

– InfraWatt : association pour la récupération d’énergie à partir des eaux usées, des déchets, des rejets de chaleur et des réseaux d’eau potable
– Fondation Klik : obtenir des subventions pour les projets de réseaux de chaleur
– Programme Bâtiments : subventions pour la construction ou l’extension de réseaux de chaleur alimentés avec des énergies renouvelables ou des rejets de chaleur
– Pinch : identifier les potentiels d’exploitation et les économies thermiques réalisables
– Francs Energie : comment obtenir des subventions pour l’énergie et la mobilité (par code postal)
– Association suisse du chauffage à distance
– QM Chauffage à distance propose des aides à la planification, des conseils, des formations et des formations continues

Romande Energie

Energéticien de référence et premier fournisseur d'électricité en Suisse romande, Romande Energie propose de nombreuses solutions durables dans des domaines aussi variés que la distribution d’électricité, la production d’énergies renouvelables, les services énergétiques, l’efficience énergétique, ainsi que la mobilité électrique.