Prix de l’énergie, rien ne va plus

Depuis plusieurs mois, avec une amplification suite à l’éclatement du conflit russo-ukrainien, le prix des hydrocarbures flambe pour atteindre des records des plus inquiétants. Une hausse brutale qui contraste fortement avec la période Covid, durant laquelle la faible demande avait largement fait chuter les prix. Quels facteurs influencent, et influenceront le prix de l’énergie ? Et quelles sont les répercussions par filière ? Pour décrypter cette dynamique complexe, Laurent Mineau, responsable du segment Entreprises chez Romande Energie, nous livre quelques clés.

Depuis quelques semaines, le prix du baril de pétrole flirte régulièrement avec les 115 à 120 dollars. Des niveaux records qui inquiètent, engendrés par le conflit qui sévit en Ukraine suite à l’offensive russe. Si la conjoncture influence directement le prix de l’énergie, des mécanismes structurels sont aussi à prendre en compte pour comprendre ces changements. S’ajoute à cette dynamique des effets d’interdépendance entre filières énergétiques et réglementation du marché. Le tout avec, durant ces deux dernières années, une pandémie qui a complètement bousculé la donne. Pour y voir plus clair, le spécialiste de l’énergie et des besoins industriels Laurent Mineau nous explique comment et pourquoi les prix de l’énergie font le yoyo. Interview.

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La flambée du prix de l’énergie suite au conflit russo-ukrainien atteint des records historiques. En cas de paix, peut-on espérer que le marché se calme pour retrouver une situation similaire à ce que l’on a connu auparavant ?

Je ne pense pas. Et cela pour plusieurs raisons. En considérant la situation de ces deux dernières années, il faut bien sûr considérer les forts effets de levier engendrés par la crise du Covid sur le marché de l’énergie. Suite à l’arrêt brutal de l’industrie, les prix avaient fortement chuté puisque la demande se trouvait soudainement réduite dans de très larges proportions. On se souvient même du prix négatif du brut américain en raison du fort déséquilibre entre offre et demande. La reprise économique palpable depuis quelques mois a tout de même partiellement relancé la machine industrielle, et avec elle les prix de l’énergie. Mais le déclin progressif des réserves en hydrocarbures va commencer à peser de plus en plus fortement sur les prix. Car actuellement, les solutions de remplacement capables de maintenir la cadence industrielle de notre société de consommation tout en tendant vers des alternatives plus durables tardent clairement à se concrétiser.

Si les effets diffèrent, quelles similitudes ou tendances proches décelez-vous au niveau énergétique dans la crise du Covid et celle du conflit russo-ukrainien ?

Ces crises ont principalement montré à quel point notre paradigme économique et industriel repose sur une très forte dépendance envers les hydrocarbures et matières premières issus de filières étrangères. Ces chocs ont ainsi provoqué une prise de conscience massive à propos de la nécessité de développer au plus vite des alternatives plus durables, autonomes et éthiques. Seulement, on remarque en parallèle le dilemme auquel sont confrontés les gouvernements qui doivent opérer un arbitrage délicat entre la sécurité de l’approvisionnement énergétique – d’où l’impossibilité de se passer complètement du gaz et du pétrole russe si l’on veut éviter des effets économiques négatifs trop brutaux – et le développement de filières plus durables.

Justement, peut-on s’attendre à ce que ces chocs constituent un nouvel élan pour le développement des énergies renouvelables ?

Si la prise de conscience est palpable, tant au niveau des différents milieux industriels que des consommateurs particuliers, on observe plutôt une tendance inverse dans les faits. Plus précisément, on voit que le gouvernement français a, peu avant l’éclatement du conflit, opté pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Tendance similaire en Belgique, où l’échéance de la sortie du nucléaire annoncée en 2025 a été repoussée de dix ans. On observe également en Europe que les plans de fermeture de centrales thermiques – dont la production d’électricité repose sur l’utilisation de gaz ou de charbon – sont progressivement repoussés, voire annulés.

Mauvaise nouvelle environnementale, mais bonne nouvelle économique à court terme si l’on considère le faible coût de l’énergie issue des centrales thermiques ?

Pas vraiment. Car ce type de centrales constituent souvent le dernier chaînon avant les consommateurs. Le prix de l’énergie est donc indexé sur leur exploitation. Et leur coût d’exploitation dépend directement du prix des matières premières. Comme on le sait celui du gaz s’envole en raison du conflit. En parallèle, ces centrales thermiques sont soumises à l’achat de certificats de CO₂ pour indiquer la quantité d’émissions compensées. Un certificat correspondant à une tonne de gaz à effet de serre. Et durant l’année dernière, il faut savoir que le coût du certificat est passé d’environ 20 à 100 euros la tonne.

Cette dynamique liée au marché européen se répercute-t-elle directement sur la Suisse ?

Oui. Le marché suisse de l’électricité est étroitement lié à celui de l’Europe. En hiver, la Suisse doit d’ailleurs importer de l’électricité régulièrement, elle est ainsi dépendante de la production électrique de ses voisins.

Pour revenir aux certificats de CO2, de quoi résulte leur brusque augmentation de prix et quelles en sont les conséquences ?

Cette augmentation s’explique notamment en raison de la reprise économique qui a suivi le gros de la crise du Covid. En grimpant, la demande énergétique des industries a fait augmenter à nouveau le prix de l’énergie, et de ces certificats par la même occasion. En considérant le contexte actuel, il faut en outre prendre en compte le climat que génère le conflit armé en Ukraine sur le marché, à savoir un effet de doute quant à la pérennité de la reprise. Pour ce qui est des conséquences, on peut déjà observer que certaines industries très grandes consommatrices d’énergie ont dû se résoudre à réduire fortement, voire à stopper, différents segments de leur production.

Pour finir, que dire concernant l’impact économique sur les filières durables que sont le photovoltaïque et l’hydraulique ?

D’un point de vue purement économique, l’effet est plutôt positif puisque le solaire devient de plus en plus rentable. Le problème de la continuité de la production, limitée à la journée et dépendante des variations météorologiques, demeure cependant. Concernant la filière hydraulique, la donne actuelle joue clairement en sa faveur. On se souvient encore de la volonté des grands groupes industriels, propriétaires de nombreuses infrastructures hydroélectriques, à vendre leurs parts dans ce segment il y a deux à trois ans. Aujourd’hui le secteur est à nouveau rentable et plusieurs projets de surélévation de barrages existants et de construction de nouveaux barrages soulignent ce dynamisme.

 

Thomas Pfefferlé

Journaliste innovation

4 réponses à “Prix de l’énergie, rien ne va plus

  1. En grimpant, la demande énergétique des industries a fait augmenter à nouveau le prix de l’énergie, et de ces certificats par la même occasion.
    Qui encaisse la différence entre 20 et 100?

    1. Le marché du carbone a pour but de limiter les émissions de gaz à effet de serre via des quotas d’émissions, qui peuvent être échangés. Chaque participant soumis au marché, doit, à la fin d’une année, restituer autant de quotas que de CO2 émis dans l’atmosphère.

      Chaque année, les entreprises ont un plafond d’émissions de gaz à effet de serre. Un certain nombre de “droits à polluer” gratuits leur sont par ailleurs allouées (pourcentage en réduction). Si les entreprises dépassent le plafond prévu, elles doivent acheter des quotas supplémentaires, soit aux enchères sur des plateformes qui opèrent pour le compte des Etats, soit auprès de sociétés qui auraient suffisamment réduit leurs émissions.

      Les recettes tirées de la mise aux enchères liée à l’actuel système d’échange de quotas d’émission (SEQE) de l’UE sont principalement versées au budget des États membres et servent surtout à lutter contre le changement climatique. Dans le cadre du SEQE de l’UE actuel, les États membres sont tenus de consacrer au moins la moitié des recettes tirées de la mise aux enchères à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, au déploiement des énergies renouvelables, au captage et au stockage du carbone et à l’amélioration de l’efficacité énergétique et du chauffage urbain. Au cours de la période 2018-2020, les recettes se sont élevées à 14-16 milliards d’euros par an. En moyenne, les États membres ont consacré 70 % de ces recettes à des fins liées au climat et à l’énergie.

      En conclusion : la hausse des prix des quotas CO2 doit doublement profiter à la lutte contre le réchauffement climatique en incitant encore plus les entreprises concernées à réduire leurs émissions et à dégager des ressources supplémentaires pour financer de nouveaux projets.

  2. Merci pour cet entretien qui amène beaucoup de clarté. Nous sommes face à de grands défis!

  3. la concentration en co² (et autres Gaz à effet de serre) ne cesse d’augmenter.
    D’autre part les experts du GIEC se sont encore trompés : ce qui était prévu pour dans 10 ans arrive maintenant.
    Les journaux ne promeuvent que de désirables voyages lointains, les dirigeants politiques et des aéroports se félicitent de la reprises de la consommation d’énergie fossile (Pardon ! d’énergie presque verte l’avion à hydrogène ça existe dans le métavers sauf que ça sent toujours le kérosène).

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