mobilité électrique

Quand les véhicules électriques se transforment en batteries mobiles

Planair SA, bureau d’ingénieurs conseils spécialisé dans les questions d’efficacité énergétique et de développement durable, participe au projet européen RegEnergy. Sur le site Y-PARC d’Yverdon-les-Bains*, la technologie « vehicle-to-grid » (V2G) est prête à être implantée. L’approche pourrait bien révolutionner le monde de l’automobile, tout comme celui de l’énergie.

Geoffrey Orlando est responsable de projets mobilité électrique au sein du bureau Planair SA. Il est également responsable de la conception et de la mise en œuvre du SunnYparc, un projet révolutionnaire – osons le mot – dans lequel la production photovoltaïque et les véhicules électriques font très bon ménage, grâce au vehicle-to-grid (V2G). Les véhicules électriques se transforment alors en batteries mobiles, capables de donner et de prendre l’électricité partout et en tout temps. Geoffrey Orlando nous en dit plus.

 

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Où en est aujourd’hui le projet SunnYparc ?

Le projet pilote et de démonstration est prêt. Nous avons modélisé le réseau électrique intégrant le concept de vehicle-to-grid (V2G), afin de clarifier les besoins techniques et économiques nécessaires à son développement. Nous avons le concept, les partenaires, les financements, l’ingénierie, la structure, mais tout est à l’arrêt depuis janvier 2021, en raison d’une opposition pour la construction d’un parking centralisé de sept étages sur le site.

 

Et en quoi cela impacte-t-il votre projet ?

Nous prévoyons la pose de 250 bornes de recharge, dont 50 bidirectionnelles, et d’ici 2025, nous planifions jusqu’à 350 véhicules électriques sur le site. Il s’avère qu’une part importante de la production électrique qui alimentera les bornes doit se faire via des panneaux photovoltaïques prévus en toiture et en façade de ce parking. Nous attendons donc impatiemment la levée de cette opposition.

 

Pourriez-vous nous expliquer ce qu’est le vehicle-to-grid (V2G) et ce qu’il permet ?

C’est un concept de recharge intelligente (ou smart charging) qui permet la charge et la décharge d’un véhicule électrique, à l’aide d’une borne de recharge dite bidirectionnelle. Il faut savoir qu’un véhicule reste immobile en moyenne 95% de son temps. En le connectant à une telle borne, on peut alors non seulement charger une batterie de voiture électrique, mais également la décharger sur le réseau (vehicle-to-grid / V2G), sur une maison (vehicle-to-home / V2H) ou sur un bâtiment (vehicle-to-building / VTB). Le véhicule électrique à l’arrêt devient alors une batterie stationnaire. Si on accélère le développement des énergies renouvelables, il faudra trouver des moyens pour les stocker, et le V2G est une solution flexible et à moindre coût.

 

Les modèles de véhicules électriques actuels sont-ils compatibles avec le V2G ?

Non pas tous, mais les constructeurs prennent le virage et se préparent à un déploiement à grande échelle. Nissan a été pionnier sur cette question, puisqu’il développe depuis 2012 déjà des modèles de véhicules compatibles. Dans les cinq prochaines années, un grand nombre de constructeurs en proposeront. Le groupe Volkswagen a par exemple annoncé qu’à partir de 2022, chaque voiture électrique du groupe – Volkswagen, Audi, Skoda et Seat – sera compatible V2G. Il y a quelques années, le V2G était une question de chercheurs, puis c’est entré dans l’industrie. On voit qu’aujourd’hui les constructeurs annoncent qu’en plus d’électrifier leurs flottes de véhicules, ils se dirigent vers le V2G.
Rappelons que pour que le concept soit possible, il faut effectivement un véhicule compatible, mais surtout une borne de recharge bidirectionnelle. C’est elle qui va gérer la charge et la décharge, en fonction des besoins du réseau. De plus en plus de fournisseurs de bornes de recharge s’y mettent donc. Toutefois, le cadre réglementaire et les règles techniques doivent encore être clarifiés, notamment avec la norme ISO15118. Elle doit permettre le smart charging, soit la communication entre la borne et le véhicule, aujourd’hui encore difficile. Cette question mobilise aujourd’hui le secteur.

 

Quels sont les défis qui attendent les gestionnaires de réseaux (GRD) en matière de V2G ?

Généralement, les gestionnaires de réseaux produisent, distribuent et vendent l’électricité aux consommateurs. Avec le V2G émerge un concept de réseau électrique virtuel. Je m’explique : si on charge un véhicule électrique au point A, à la maison par exemple, et qu’on se rend au point B le lendemain, disons au travail, alors l’électricité chargée au point A pourra être déchargée au point B dans une autre ville, voire un autre canton. Ce qui est alors révolutionnaire, c’est qu’on a transporté cette électricité sans utiliser le réseau électrique classique, mais en utilisant le réseau routier. Le risque pour les GRD est donc de perdre en partie la maîtrise habituelle de certains flux et de devoir repenser les modèles de prédiction pour intégrer cette nouvelle fonctionnalité. Il va falloir également mettre en relation des mondes qui n’avaient jusqu’ici aucun besoin de communiquer : les constructeurs automobiles et les énergéticiens, avec au milieu les fournisseurs de solutions de recharge.

 

Et les opportunités ?

Nos simulations ont montré une meilleure intégration du photovoltaïque dans le micro-réseau. Grâce aux véhicules électriques, dont une partie de V2G, l’autoconsommation est de 87%, contre 50% avant. L’approche permet donc de mieux profiter localement des énergies renouvelables et de minimiser l’impact sur le réseau. Nous avons également constaté la capacité du V2G à diminuer les pics de consommation et à lisser la production d’énergie intermittente, comme le photovoltaïque. Une autre opportunité se trouve dans les services systèmes rendus au réseau. Pour ce faire, de nouveaux acteurs entrent en jeu : les agrégateurs de flexibilité, qui pourront agréger sur plusieurs points du réseau les flexibilités de centaines, voire de milliers de V2G et les vendre sur le marché de l’électricité. Nous avons estimé la valorisation économique d’un véhicule entre 50 et 600 francs/an selon le type de scénario retenu : la maximisation de l’autoconsommation, la minimisation des pics de consommation et de production et les services systèmes.

 

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Cela veut dire que le conducteur/consommateur pourra gagner de l’argent ?

Oui, selon la situation, le gestionnaire du micro-réseau privé va potentiellement économiser de l’argent et/ou se faire rémunérer. Dans le cas de l’autoconsommation, on gagne sur la facture énergétique en consommant une énergie photovoltaïque locale moins chère que l’énergie soutirée du réseau public. Dans celui du lissage des pics de consommation, on économise sur la facturation de la puissance maximale soutirée au réseau public. La société Swissgrid pourra quant à elle rémunérer les services rendus au réseau, puisqu’une réponse à ses besoins en électricité sera possible : le conducteur/consommateur pourra « retirer » en temps réel sa consommation en stoppant la charge, et à l’inverse injecter de l’électricité sur le réseau. Cette flexibilité pourra être valorisée auprès de Swissgrid, par le biais d’un agrégateur. Il y a clairement une création de valeur autour du V2G. La question est aujourd’hui de savoir comment la partager entre les propriétaires de véhicules ou de flottes de véhicules, les gestionnaires de réseaux, les agrégateurs de flexibilité et les gestionnaires de réseaux bornes de recharge.

 

Quelles sont les limites du V2G ?

La limite principale, outre les aspects économiques, réglementaires et techniques, c’est l’utilisateur. Un des buts du projet pilote SunnYparc est d’ailleurs d’étudier l’acceptabilité de l’approche. L’utilisateur doit y trouver son compte, accepter que le gestionnaire de réseau utilise l’énergie de sa batterie, savoir combien il sera rémunéré ou combien il économisera, mais également accepter que l’utilisation de sa batterie par un système extérieur affecte l’état de charge du véhicule et potentiellement le vieillissement de la batterie par exemple. Car si les propriétaires de véhicules électriques refusent de participer au concept V2G, alors tout ce dont nous venons de parler restera uniquement théorique.

Pour plus d’informations sur les activités du bureau Planair SA
www.planair.ch

 

RegEnergy : le réseau européen pour les énergies renouvelables

RegEnergy est un projet européen, doté d’un budget total de 11,08 millions d’euros, qui vise à accroître l’utilisation des énergies renouvelables dans les régions du nord-ouest de l’Europe. En Suisse, c’est le site Y-PARC* à Yverdon-les Bains qui a été choisi.

Pour le bureau Planair et ses partenaires, il s’agit :

  • d’évaluer les impacts d’une importante augmentation de la production photovoltaïque et des besoins énergétiques pour la mobilité sur le réseau électrique,
  • d’estimer le potentiel économique de l’intégration de la recharge intelligente combinée avec la technologie V2G (vehicle-to-grid, ou recharge bidirectionnelle) pour la gestion flexible des besoins et ressources au sein d’un micro-réseau,
  • d’identifier les différents modèles d’affaires applicables à ces nouveaux usages.

L’objectif est d’initier un projet de démonstration permettant de mettre ces résultats à l’épreuve de la réalité et de les tester à grande échelle.

Le projet pilote et de démonstration SunnYparc a reçu le soutien de l’OFEN. Il est co-financé par le canton de Vaud et la ville d’Yverdon-les-Bains et intègre plusieurs partenaires, dont Yverdon Energies, et les sociétés Green Motion (fournisseur des bornes de recharge bidirectionnelle et du software associé), SEL (Smart energy link – gestion intelligente de l’énergie du microgrid), VGT (Virtual global trading – valorisation des flexibilités locales sur les marchés de l’électricité) et le groupe Renault/entité Mobilize (fournisseur de véhicules électriques et de prototypes V2G).

Pour plus d’informations sur le projet RegEnergy
www.planair.ch/Planair/Representations/RegEnergy

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*Y-PARC – Swiss Technopole est un parc scientifique et technologique situé à Yverdon-les-Bains. Il se distingue par ses pôles de compétences dans la cybersécurité, les industries de précision et les technologies médicales. Avec plus de 200 entreprises, 1’800 emplois et une superficie de plus de 50 hectares, il est le plus grand du genre en Suisse.

 

Joëlle Loretan

Journaliste

Romande Energie

Energéticien de référence et premier fournisseur d'électricité en Suisse romande, Romande Energie propose de nombreuses solutions durables dans des domaines aussi variés que la distribution d’électricité, la production d’énergies renouvelables, les services énergétiques, l’efficience énergétique, ainsi que la mobilité électrique.

3 réponses à “Quand les véhicules électriques se transforment en batteries mobiles

  1. Admettons qu’il y ait un jour 4 millions de véhicules électriques (VEL) en Suisse, chacun ayant une batterie avec une capacité de 100 kWh, permettant de rouler 500 km d’autonomie par plein, avec une consommation moyenne de 20 kWh/100 km. Cela fait un stock total maximal disponible de 400 GWh, ou 0,4 TWh.
    Si chaque VEL parcourt en moyenne 15’000 km par an, la demande totale sera de 3’000 kWh, ou 3 MWh par an et par VEL, soit au total 12’000 GWh/an, ou 12 TWh/an. Cela donc pour la consommation annuelle de ce parc électrique

    Il faut assurer à chaque VEL au moins une capacité de rouler, disons, 50 km par jour en moyenne, soit une demande de 10 kWh par jour, par VEL, soit aussi une demande totale de 40 GWh par jour. Un plein permettrait de tenir environ 10 jours en moyenne (soit deux semaines de jours ouvrables). Il faudrait donc l’équivalent d’environ 30 pleins complets par an à garantir pour chaque VEL.
    Actuellement, la Suisse consomme déjà en moyenne chaque jour 160 GWh, ou 0,16 TWh d’électricité, soit tout juste 4 fois la future demande des 4 millions de VEL chaque jour ! La consommation journalière du pays passerait donc à 200 GWh, ou 0,2 TWh, à cause de la mobilité électrique.

    Si le VEL est intégré dans un système V2G, lorsque le VEL est stationné et relié à une borne bidirectionnelle, le réseau pourra prélever sur sa batterie une fraction (laquelle ?) des 90 kWh disponibles le premier jour après un plein, en se réservant donc au moins 10 kWh par jour pour rouler. Mais chaque jour le disponible décroîtra, ce qui raccourcira à la fois l’autonomie et le délai pour refaire un plein total.

    La question est : QUI décide de combien de kWh le VEL pourra être délesté chaque jour ? L’utilisateur pourra-t-il poser une limite maximale, disons, de ne partager que 10% de son stock restant chaque jour, soit 9 kWh le 1er jour, puis 7,1 kWh le 2e jour, puis 5,39 kWh le 3e jour, puis 3,851 kWh le 4e jour, puis 2,4659 kWh le 5e jour, puis 1,21931 kWh le 6e jour, et ensuite la batterie est vide ?

    Si, demain, par exemple, comme pendulaire, je ne circule pas seulement de Fribourg à Berne (et retour) comme chaque jour, mais que je dois impérativement ou inopinément aller à Genève (et retour), je me trouverais dépourvu de la réserve suffisante. Il faudrait donc toujours anticiper soigneusement ses déplacements futurs et annuler assez tôt les prélèvements automatiques du système V2G.

    Au vu de cette condition que vous indiquez :
    “Rappelons que pour que le concept soit possible, il faut effectivement un véhicule compatible, mais surtout une borne de recharge bidirectionnelle. C’est elle qui va gérer la charge et la décharge, en fonction des besoins du réseau.”
    ce serait donc le réseau qui commande ! Où est alors la liberté de mouvement qui doit rester garantie ?

    Donc le système ne marchera(it) que dans une situation de routine absolue et de moyenne à respecter par tous. Veut-on devenir un Suisse moyen standardisé ?

    1. Bonjour.
      A ma connaissance, pour avoir posé la question à romande énergie, la communication bidirectionnelle, bien que disponible éventuellement sur certains modèles récents, est interdite en suisse.
      De plus le prix d’une telle installation, si elle était autorisée (selon l’article du tcs du mois de février 22) me semble disproportionné au gain éventuel( sun2wheel 13’000 chf pour une borne bidirectionnelle

    2. L’autonomie d’un véhicule électrique en conditions réelles est déjà bien en dessous des valeurs annoncées (facilement de 30%), si en plus on n’est même pas certain d’avoir sa batterie pleine lorsqu’on recharge son véhicule, que va devenir l’autonomie des véhicules ?
      On ne peut pas uniquement raisonner “en moyenne”, la vie n’est pas une moyenne, la vie est pleine d’imprévus et ne retrouver ainsi limité dans la liberté de se déplacer ne me semble pas acceptable.

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