Et si réduire nos émissions de CO2 ne suffisait pas à sauver la planète ?

En octobre 2017, la Suisse a ratifié l’Accord de Paris sur le climat. Texte ambitieux, il enjoint les parties prenantes à définir une stratégie de long terme pour réduire les émissions de dioxyde de carbone et limiter le réchauffement climatique à 2°C au maximum d’ici à la fin du siècle. En 2020, la Suisse devra fournir aux Nations-Unies sa stratégie pour tenir son engagement vis-à-vis de la planète. Le temps presse et le Conseil fédéral a décidé que le pays devait réduire à zéro ses émissions nettes de CO2 d’ici à 2050. Mais comment ? Le débat reste ouvert !

 

Une stratégie de long terme pour répondre à l’Objectif climat 2050

 

C’est la base de l’Accord de Paris sur le climat : chaque partie doit fournir, au plus tard à la fin 2020, « une stratégie à long terme de développement à faible émission de gaz à effet de serre ». Le but est ici de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2°C – voire 1.5°C – en tenant compte « des responsabilités communes, mais également des spécificités et capacités respectives de chaque pays ». Pour ce faire, les nations sont libres de choisir les moyens qui leur semblent appropriés pour autant que la neutralité carbone soit atteinte au plus tard dans la deuxième partie du XXIe siècle.

 

En 2019, une autre problématique est toutefois venue s’ajouter à la difficile mise en œuvre de l’Accord de Paris : le rapport spécial du GIEC (Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) publié en 2018. Celui-ci démontre, sans ambiguïté, qu’une nette accélération des mises en œuvre est nécessaire pour pouvoir contenir le réchauffement à 1.5°C. Conséquence, réduire les émissions de CO2 pourrait ne plus suffire et il faut envisager l’utilisation de technologies d’émission négative, comme l’enfouissement du dioxyde de carbone à la source ou la maîtrise du rayonnement solaire.

 

 

Si les contours de la stratégie suisse restent flous, on peut déjà regarder les décisions prises par nos voisins : l’Union européenne renonce par exemple aux carbones fossiles dès 2050, en complément des mesures de captation du CO2 inévitable. Certains pays ont également déjà inscrit la neutralité carbone dans leur législation. C’est le cas en Norvège (2030), Suède (2045), France, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande (2050), etc. Dans ce contexte, il y a fort à parier que la stratégie suisse ne diffère que peu, avec des mesures et orientations aux niveaux technique, social, politique et économique qui s’articuleront notamment autour de secteurs-clés comme le transport, le bâtiment, l’industrie, l’agriculture, les déchets et les marchés financiers. Sans oublier bien sûr l’approvisionnement énergétique et électrique.

 

Réduction du CO2 ou technologies d’émission négative ?

 

La base scientifique de l’Accord de Paris de 2015 permettait d’envisager un plafonnement du réchauffement climatique autour de 1.5°C à 2°C en limitant drastiquement les nouvelles émissions de gaz à effet de serre. La simple réduction de la production de CO2 paraissait donc possible à long terme.

 

Toutefois, le rapport spécial du GIEC est venu jeter une ombre à ce tableau en 2018 en affirmant que les objectifs de Paris ne pourraient désormais plus être tenus sans la mise en place urgente de technologies d’émission négative. Conséquence majeure : il ne suffit plus de contrôler l’augmentation des émissions de CO2, il faut largement les diminuer ET capter une partie du dioxyde de carbone déjà présent dans l’atmosphère. Un changement de paradigme qui rend plus urgente et plus ambitieuse la stratégie à long terme de la Suisse.

 

 

Quelles sont les technologies d’émission négative ?

 

Elles sont complémentaires des politiques de réduction des émissions carbone en étant plus ambitieuses. D’une part, les NET/CDR (Carbon Dioxide Removal) piègent et retirent durablement le CO2 présent dans l’atmosphère. D’autre part les SRM (Solar Radiation Management) visent à diminuer l’impact du rayonnement solaire reçu à la surface de la Terre. Ces deux technologies s’attaquent donc à la source du réchauffement climatique : les gaz à effet de serre et l’effet de serre lui-même !

 

 

La Suisse ne poursuivant pas activement les approches visant à influencer le rayonnement solaire, notre pays pourrait à terme se focaliser sur les NET/CDR. Il en existe trois types :

 

  • Le captage biologique du CO2 par photosynthèse et le stockage sous forme de biomasse ;
  • Le captage par photosynthèse avec utilisation de la biomasse à des fins énergétiques puis stockage du CO2 dans le sous-sol ;
  • Le captage chimique du CO2 avec stockage géologique durable.

 

Si ces technologies en sont encore à leur balbutiement aujourd’hui, leur place prépondérante dans les recommandations du GIEC ne sont que la conséquence des manquements passés en termes de sauvegarde du climat.

 

Mener le combat sur deux fronts : réduction et captation

 

Si les technologies d’émission négative laissent entrevoir de belles promesses et une recherche de solution à la source du problème, attention à ne pas tout miser sur celles-ci ! Il est en effet possible que leur potentiel soit surévalué et qu’une focalisation sur les technologies d’émission négative grève les stratégies complémentaires de réduction de la production de CO2. En effet, ces technologies sont nouvelles et pour certaines encore théoriques ou inapplicables à grande échelle.

 

Par ailleurs il existe toujours une incertitude sur le coût de ces technologies et le potentiel, notamment en Suisse, de stockage géologique ou dans la biomasse.

 

Enfin, les « puits de CO2 » proposés par les technologies NET/CDR sont pour certains uniquement temporaires. En effet, en utilisant le CO2 capté pour la production d’énergie (carburant ou chauffage par exemple), on ne retire rien de l’atmosphère, on met simplement en place un circuit fermé de production/utilisation du dioxyde de carbone.

 

En conséquence, au regard des connaissances scientifiques et technologiques actuelles, il est important de mener le combat contre le réchauffement climatique sur deux fronts simultanés : la réduction des émissions de gaz à effet de serre et les technologies d’émission négative, qui peuvent soutenir de façon ciblée et efficace un train de mesures ambitieuses !

 

Et la Suisse dans tout cela ?

 

Face à l’urgence climatique, le débat en Suisse devra être mené autour de quatre axes majeurs : politique, scientifique, économique et public.

 

 

Le débat politique est déjà lancé avec la ratification de l’Accord de Paris, la prise de position du Conseil fédéral pour une neutralité carbone totale en 2050 et la multiplication des postulats à Berne autour des technologies d’émission négative. La Suisse a par ailleurs lancé également le débat de la gouvernance mondiale autour de ces questions avec un projet de résolution en mars 2019 devant les Nations-Unies.

 

Le débat scientifique porte lui sur la mise en œuvre, le potentiel et la faisabilité des technologies d’émission négative. Il se poursuit.

 

Le débat économique concerne les secteurs impactés par la stratégie de long terme de la Suisse en la matière. Les grandes orientations semblent connues mais les impacts concrets restent à définir au sein des entreprises et acteurs de l’économie.

 

Enfin, le débat public est lui aussi lancé depuis longtemps et sa force conditionnera l’ambition et l’accélération des autres débats nécessaires à la sauvegarde du climat et au positionnement de la Suisse sur cette question.

 

Martin Reid-Jamond.

Romande Energie

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Une réponse à “Et si réduire nos émissions de CO2 ne suffisait pas à sauver la planète ?

  1. Je n’ai pas pu réagir rapidement sur ce sujet. J’ai essayé d’imaginer ce qu’il faudrait comme énergie pour récupérer en 10 ans l’équivalent de 30 ans d’émission de CO2. En gros, il faudrait 200 pétawattheure par an (15 zéros). Cela représente 20’000 fois la puissance moyenne de Leibstadt les bonnes années. Si l’on fixe le prix de l’électricité à 7ct/kwh, cela représente 14 billards de francs par an uniquement pour l’énergie
    Il reste encore à compenser par des surfaces réfléchissantes la surface de glace perdue, et récupérer le méthane libéré par le permafrost.
    Bon, j’espère ne pas m’être trompé trop lourdement dans les ordres de grandeur. Quelqu’un a-t-il une autre idée?

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