A la surprise générale, la COP 15 des Etats partie à la convention des Nations Unies sur la biodiversité n’a pas débouché sur rien. Au contraire, un document assez précis et comprenant des valeurs chiffrées, a pu être adopté, de plus dans les délais fixés et sans les prolongations usuelles qui sont toujours le signe de désaccords persistants.
Que faut-il entendre par conservation ?
Reste que la notion de conservation et la valeur de 30% du monde à placer en zone protégée interpelle. Que va-t-il se passer avec les 70% restants, tout y serait-il permis, ou presque ? Les livrer à une exploitation démesurée ne serait pas du tout une bonne idée. Et en quoi consiste la protection ? Comment éviter que ce soit une coquille vide ou alors qu’on en expulse les êtres humains, qui souvent y vivent depuis des millénaires et dont la présence participe du maintien d’équilibres écologiques importants ? Les droits des peuples autochtones sont eux ainsi à protéger – par contre pas ceux de l’exploitation minière, de la surpêche ou de toute autre forme de gestion non durable. Un partage du territoire entre « tout » ou « rien » poserait fortement question.
La logique demande qu’on parte des besoins des espèces animales et végétales qui peuplent notre Terre et dont les effectifs globaux et locaux fondent dangereusement, un peu comme fondent les glaces du monde. Elles ont besoin, en effet, de refuges suffisamment vastes qui leur assurent leur capacité de reproduction et de survie en tant qu’espèces. Elles ont besoin de corridors de biodiversité, et donc qu’on leur garantisse et rétablisse une infrastructure écologique digne de ce nom. Cela peut en effet constituer ce petit tiers de la surface de la Planète, mais en exclure par principe tous les humains ne semble ni praticable, ni judicieux.
Partager les espaces avec les espèces
Mais il ne faut surtout pas imaginer livrer le reste de la surface terrestre à un saccage inconsidéré. C’est l’ensemble de la biosphère qu’il nous faut partager avec les autres espèces peuplant notre petite planète. Comme la politique climatique, la politique de la biodiversité repose essentiellement sur des changements de pratiques au niveau des méthodes agricoles et sylvicoles et de la manière de bâtir et de gérer notre patrimoine immobilier et nos infrastructures. Il s’agit aussi de réduire la pollution de l’environnement par les substances de synthèse (molécules écotoxiques, matières plastiques) et la surexploitation des espèces terrestres et marines.
C’est la seule manière de préserver les multiples fonctions écosystémiques de la biodiversité sans lesquelles nous ne pourrions guère survivre dans des conditions acceptables sur cette Terre. Et tout cela est, en substance, le contenu du document adopté le 19 décembre à Montréal, intitulé “Faire la paix avec la nature.”
Mais l’humanité sera-t-elle capable de modifier ses manières d’utiliser et surtout d’abuser d’une nature qu’inconsciemment nous considérons encore, comme les conquérants des siècles passés, comme illimitée alors qu’elle est désormais terriblement fragilisée ? Le poids de nos créations dépasse à l’ère de l’anthropocène celui de tous les êtres vivants, qui, lui, se trouve divisé par deux !
Une grande réticence à modifier nos pratiques
De manière plus générale, nous avons connu cette année, avant la COP biodiversité en décembre, en mai celle sur la désertification et en novembre celle sur le climat. Quels qu’en soient les résultats, la vraie question est ensuite leur mise en œuvre. On l’a vu avec l’Accord de Paris, on n’arrive pas à changer vraiment de trajectoire, du moins pas suffisamment et suffisamment vite. Les résistances au changement sont énormes. Alors qu’en termes d’emploi, les choses sont claires, la transition vers un usage durable des ressources en fait en effet disparaître de nombreux – mais en crée davantage. Et que la finance durable qui en est le moteur permet des rendements tout à fait honorables (et s’ils ne sont pas abusifs, tant mieux), ce que de nombreux financiers refusent toujours de prendre en considération.
En termes d’emplois, en septembre 2019, l’ONU annonçait que 380 millions de nouveaux emplois pourront être créés d’ici 2030 par la réalisation de l’Agenda 2030. L’Agence internationale pour les énergies renouvelables indique qu’aux États-Unis, on compte huit fois plus d’emplois dans les énergies renouvelables que dans le charbon. L’OIT estime que par la transition énergétique, on gagnerait 18 millions d’emplois (25 millions nouvellement créés et 7 perdus), et 7 millions par l’économie circulaire (71 millions de perdus et 78 de créés). Rien que dans notre pays, il manque 400’000 travailleurs pour monter des panneaux solaires et isoler nos bâtiments…
Quelques hypothèses pour expliquer notre refus du changement
Que se passe-t-il pour qu’on reste aussi englués dans des pratiques destructrices, qui nous rendront la vie de plus en plus difficile sur notre Terre, la seule que nous ayons ? J’ai essayé d’y répondre dans mon livre « L’humanité à la croisée des chemins » paru l’an dernier : « Les raisons de cet écart de moins en moins supportable entre discours et actes, analyses et réalisations, de ‘cette cécité face au futur’ comme le formule Sébastien Bohler dans le ‘Le Bug humain’ sont multiples :
- la posture de non-intervention de l’État, limitant la durabilité aux engagements volontaires ;
- les nombreuses rentes de situation, le lobbyisme qui en résulte et la faiblesse des décideurs politiques ;
- une économie habituée à ne pas se sentir responsable de ses effets écologiques et sociaux ;
- la méconnaissance, soutenue par une artificialisation croissante de notre quotidien, du fonctionnement des cycles naturels et donc des dangers inhérents à leur fragilisation ;
- l’attachement à un mode de vie consumériste et presse-bouton.
Alors que pour d’aucuns ce qui est fait au monde est fait à moi, d’autres peinent à faire les liens entre leur vie personnelle et la destinée collective ou ne s’y intéressent pas :’les problèmes du monde sont considérés comme lointains et sans rapport avec les drames de nos vies personnelles (…). Les problèmes des autres peuples, autres nations, et autres espèces ne nous concernent pas’ relèvent Joanna Macy et Chris Johnstone dans ‘L’Espérance en mouvement’. Pour Edgar Morin, ‘notre mode de connaissance parcellarisé produit des ignorances globales.’
En effet, la manière dont on voit le monde décide de la manière dont on y agit… et les dérèglements du monde ne sont que le reflet de nos propres dérèglements. Pour beaucoup, le sentiment du lien avec la nature s’estompe et nous oublions d’où vient l’eau, la nourriture, l’air, la fertilité naturelle du sol ; on détruit la planète aussi parce qu’on ne sait pas comment elle fonctionne, qu’on s’en sent détaché.
Pierre Rabhi confiait être ‘souvent stupéfait par l’ignorance du citoyen à l’égard de la terre à laquelle il doit sa survie alimentaire’. S’y ajoute la « pensée à l’extrême court terme (…), phénomène assez récent (…), liée à une accélération de notre expérience du temps», ajoutent les auteurs de ‘L’Espérance en mouvement’. On retrouve aussi une confiance excessive en les possibilités réparatrices de la science et de la technique. Relevons aussi que ni le changement climatique, ni la perte de biodiversité n’ont – pour l’instant – d’effets insupportables sur le quotidien de la plupart des habitants du monde industrialisé.
Enfin, les soucis du quotidien peuvent devenir écrasants et prendre toute l’attention disponible : santé, logement, famille, revenu, emploi, situation sociale, et on peut estimer que le reste n’est pas de sa responsabilité, mais de celle des décideurs. Ce qui peut être un réflexe juste – mais que faire quand les décideurs ne font pas leur travail ? »
Pour résumé, le climat est un soucis occidentale qui n’est pas partagé ailleurs. Et c’est justement cet ailleurs qui permettra ou pas d’atteindre des objectifs. Ailleurs ils partagent le soucis si il y a de l’argent à recevoir.
Par conséquent, les objectifs ne seront jamais atteint. L’Europe atteindra inutilement ses objectifs de neutralité, mais au moins assurera une indépendance stratégique.
Quant à la biodiversité….Bel exemple de la Suisse qui vise les 10 millions d’habitants qui vont forcément avoir un impact sur la biodiversité. Si la riche Suisse n’est pas capable de protéger la biodiversité, quid des autres pays ? Ni la droite, ni la gauche ne parlent de surpopulation mais tous parlent de sauver la biodiversité, quelle hypocrisie. L’hypocrisie écologique est ce qui fait le plus mal.
Je ne crois pas aux avancées sur des concepts intellectuelles comme le climat et la biodiversité. Je crois plus à des concepts concrets comme l’indépendance stratégique pour l’énergie ou pour la fabrication locale.
Pour moi, le climat ne m’inquiète guère comparativement à la biodiversité. La Suisse pense à augmenter sa population pour payer l’AVS, cela symbolise le peu de cas de la biodiversité face à certains réflexes même lorsque l’on est riche. La Suisse est le mauvais exemple, et ses partis écologiques sont une honte. Il faut de la cohérence.