Dérégulation: une dérive cher payée

La différence entre libéralisme et néolibéralisme ? Le libéralisme correspond idéalement à une économie de marché où l’Etat fixe les conditions-cadre et assure les infrastructures de base au service de la population et des entreprises. Quant aux acteurs privés, personnes physiques et morales, ils savent – idéalement aussi – que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, et devient tyrannie si elle n’est pas guidée par le sens des responsabilité.

Le néolibéralisme est une dérive qui prétend faire table rase de ce subtil équilibre, pour revenir à la « vraie foi » : la loi de Ricardo ; la loi d’Adam Smith. La loi de Ricardo : celle dite des avantages comparatifs: chaque pays est prié de se concentrer sur ce qu’il sait le « mieux » faire. La loi de Smith : la « main invisible », soit la croyance que l’intérêt général est le produit de l’addition des intérêts individuels. Ces deux affirmations se sont révélées fausses.

Un coût écologique et social énorme

Cette dérive a un coût écologique et social énorme, car la mise en compétition globalisée s’est jouée à armes inégales. Au lieu de répandre les bienfaits d’une prospérité largement partagée, elle a vidé des régions entières, fait disparaître des savoirs-faire précieux, des biens et services de qualité. Et de l’addition des égoïsmes individuels n’est aucunement sorti comme par miracle l’intérêt général.

Car le marché est faussé, avec des externalités positives qu’il ne parvient pas à rémunérer, et des externalités négatives donnant un avantage indu à des façons de faire qui, en complète transgression du principe du pollueur-payeur, n’intègrent pas dans leur prix le coût des dommages écologiques et sociaux infligés à autrui.

Ces deux erreurs de perspective ont poussé des populations entières dans les bras de populistes réclamant la fermeture des frontières, et prônant le repli sur soi et un nationalisme revanchard. Et qui, se refusant eux aussi à réguler l’économie, n’arrivent pas non plus à tenir leurs promesses.

Pas de marché sans régulation, pas de régulation sans marché

Il est temps de rappeler qu’il n’y a pas de marché sans régulation – et pas de régulation sans marché. La vertu, les égards pour autrui et l’éthique n’étant pas équitablement répartis parmi les humains, ce qui est important pour la vie en société ne peut pas être laissé au libre choix des personnes. C’est ainsi par exemple pour le paiement de l’impôt ou le respect des règles de la circulation routière, et personne ne songerait à les laisser à l’adhésion volontaire des individus…

Le marché – la rencontre entre une offre et une demande – et sa régulation – l’affirmation de l’intérêt public – se conditionnent mutuellement. Déjà dans l’Antiquité, l’État se faisait garant des moyens d’échange (l’étalon monétaire, la vérification des poids et mesures) et contrôlait la loyauté de l’offre (qualités alléguées, hygiène et sécurité, probité…). Puis on a réglementé les taux d’intérêt, les relations de travail, les risques pour la santé et l’environnement…

Garantir l’intérêt général

À chaque fois, il a fallu trancher entre profit à court terme pour quelques-uns et bien commun, et contrer des intérêts particuliers. La difficulté de le faire, face aux grands enjeux actuels, souligne la faiblesse de l’État, alimentée par cette dangereuse dérive clairement démentie par les faits : que l’économie fonctionnerait d’autant mieux qu’on ne s’en mêlerait pas.

Les mesures tant de soutien de l’économie que sanitaires prises durant la pandémie, les sanctions contre la Russie de Poutine agressant un pays indépendant depuis 30 ans, marquent le réveil de la puissance publique. Mais elle reste encore timide face aux « paradis fiscaux » organisant une prédation éhontée par un petit cercle, qui prive chaque année les États de quelque 420 milliards de dollars de recettes hautement nécessaires; face à des délocalisations sacrifiant les humains et les territoires sur l’autel de la baisse des coûts ; face aux licenciements économiques abusifs opérés pour augmenter marges et dividendes ; face à la difficulté de trouver du travail quand on est trop jeune, trop âgé, pas assez qualifié, trop qualifié…

Réhabiliter l’Etat mais quel Etat ?

Il nous faut donc réhabiliter l’État, car l’alternative est la loi du plus fort. Mais quel État ? Si cet État est corrompu, inefficace, ne respecte pas les droits fondamentaux, il pratique à son tour la loi du plus fort. Il n’y a pas d’autre solution que l’État de droit, la séparation des pouvoirs et leur contrôle mutuel, la proportionnalité des mesures édictées, le monopole étatique de la violence, une prise de décision démocratique et informée, une organisation décentralisée.

L’État se portera garant du faible face au fort, sollicitera ceux qui peuvent aller de l’avant et soutiendra ceux qui ne le peuvent pas, afin qu’ils le puissent plus tard. Son rôle est d’agir sur ce qui relève du collectif, non de se mêler de ce qui appartient à la sphère individuelle: il est libéral pour les modes de vie, mais interventionniste lorsque la liberté d’autrui est concernée. Son souci sera que toutes et tous aient un accès à un emploi et/ou à un revenu équitable, il fixera des minimums et des maximums salariaux, encouragera le partenariat social, édictera des normes en matière de travail et organisera la couverture sociale.

Parmi ses rôles : la formation ; la recherche ; la garantie d’un système de santé fonctionnel (en incluant la promotion de la santé et la prévention) et de bonnes infrastructures de transport et de communication ; la justice et la sécurité interne et externe. Mais aussi la bonne gestion des bases naturelles de la vie et le soutien à un ordre international fondé sur le droit et la concertation entre les nations.

Pour une relocalisation solidaire

Face aux dérives de la globalisation, une relocalisation solidaire, une prise de responsabilités et une résilience des territoires sont indispensables. Une voie du milieu entre un commerce mondial sans foi ni loi et une autarcie qui tournerait vite à l’enfermement ! Développer la capacité productive locale est un premier axe, mais le second est la généralisation des principes du commerce équitable aux échanges économiques. Il ne doit plus être possible de ne viser que le bénéfice financier, ni de l’obtenir au prix d’une destruction de valeurs écologiques et sociales. Tout au contraire, il s’agit de viser de pair une rentabilité écologique, économique et sociale. Les entreprises à mission, telles prévues dans la législation française, ou l’approche B-Corp montrent ici le chemin.

Il a beaucoup été question ces dernières années des traités de libre-échange. De tels traités seraient hautement nécessaires, mais pas pour déréguler davantage – pour mettre un terme à la sous-enchère écologique et sociale. Par exemple, en faisant des conventions de l’OIT le standard social mondial. Ou encore en rendant obligatoires les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ou les Principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE.

Acter la fin du néolibéralisme

L’avenir dira si Emmanuel Macron, en se découvrant d’un coup partisan de la planification écologique, a compris le changement de paradigme que cela implique : acter la fin du néolibéralisme et admettre la nécessité et la légitimité d’un État régulateur afin de garantir le bien commun et la primauté de l’intérêt général. L’enjeu est fondamental : la lutte contre les inégalités, et pour le respect des capacités productives des systèmes naturels, sans lesquels rien d’humain ne saurait prospérer. Ce n’est qu’à ces conditions qu’on pourra endiguer un populisme destructeur et assurer les conditions du vivre ensemble sur notre petite Planète.

 

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

7 réponses à “Dérégulation: une dérive cher payée

  1. Tant que l’on continuera à parler simplement de “Paradis Fiscal”, sans aborder la notion d'”Enfer Fiscal”, ces mots serviront juste à excuser facilement une gestion calamiteuse des biens publics. Des pays comme la Belgique et la France, si prompts à parler de “Paradis Fiscal” sont à la fois ceux ayant la pression fiscale la plus forte ET l’endettement parmi les plus importants… Qui en parle ? il n’y a que moi que cela interpelle ?

  2. Ce qui est triste est l’évidence du propos alors qu’on sait pourtant dès sa lecture que 80% des commentaires vont aller à l’encontre de ce texte…
    A croire que l’humain se réjouit de se projetter contre un mur et refuse toutes les propositions qui pourraient alléger l’impact.

  3. Pour avoir travaillé pour toutes sortes d’organisations sur les cinq continents au long ma carrière, de la start-up technologique jusqu’à la multinationale en passant par des institutions étatiques et paraétatiques, et pour avoir suivi au quotidien les aléas professionnels de personnes très proches avec un statut de fonctionnaire, j’ai pu constater que ce qu’on dit des services de l’Etat est en grande partie vrai.

    Lenteur, incompétence, lourdeurs administratives, promotion des médiocres, bais idéologiques ou administratifs dans les prises de décisions, définition des « fragilités sociales » selon le parti dominant du moment, etc. j’ai pu observer tout cela lors de mes passages dans des institutions publiques et par les retours que j’ai eu de proches. Et évidemment par les expériences que j’ai eues (et ai malheureusement toujours) avec les services de l’Etat comme citoyen contribuable.

    Il est vrai que j’ai également été confronté à ces dérives dans le privé, mais ces tares finissent tôt ou tard par se résorber d’elle-même, ou par tuer l’entreprise, car elles affectent les performances et, donc, le chiffre d’affaire (la brutalité de la compétition économique a parfois quelques vertus). Ce qui n’est pas le cas à l’Etat où un système défaillant peut perdurer des décennies sans que personne ne cherche à le corriger.

    Si l’Etat est là pour jouer le rôle d’arbitre et s’en donne les moyens et les compétences, je pense que son rôle peut être central pour une transition efficace vers le type de société auquel vous aspirez. Ce serait l’occasion d’utiliser (enfin !) à bon escient les cohortes de juristes qui encombrent les institutions cantonales et fédérales.

    Par contre, si l’Etat devait intervenir activement en tant qu’acteur, je crains que le retour de la force publique, que vous saluez, serait une très mauvaise nouvelle. Ses tares et ses impérities ne feraient que rajouter des problèmes aux problèmes déjà existant.

    J’imagine que ce n’est pas ce que vous voulez.

  4. Je suggère à M. René Longet de faire l’effort de lire du début à la fin les deux articles ci-dessous.

    Je pense que ça l’intéressera de voir exposé très clairement le véritable agenda défini dès les années 70 du XIXe siècle, dont lui même a été un agent zélé, ayant adhéré au projet et construit toute sa carrière professionnelle et politique en se mettant au service des maîtres de cet agenda. Sans doute, il l’a fait avec sincérité et en partie sans se rendre compte de son rôle de petite main au service de riches et puissants donneurs d’ordres, totalement sans scrupules.

    Le projet en question a connu quelques errements dans sa mise en place. L’un d’entre eux a été de ne pas bien calculer les risques de backlash dus à la souffrance sociale causée par le libre échangisme excessif. Le but du présent article de M. Longet est de pointer cette dérive, mais dans le but de corriger le tir, pour la réalisation du masterplan d’ensemble qu’aujourd’hui Davos pense pouvoir imposer au forceps, sous les prétextes mensongers du climat, de la crise sanitaire entièrement fabriquée, et maintenant de la pénurie alimentaire, également fabriquée de toute pièce pour les besoins de la cause.

    https://lesakerfrancophone.fr/penuries-alimentaires-dans-six-mois

    https://lesakerfrancophone.fr/quest-ce-que-le-grand-reset-et-que-veulent-reellement-les-globalistes

    Personnellement je suis très perplexe. Car je pense que les gens comme René Longet sont au fond plutôt des bons types. Ils ont été sincères, ils ont cru à tout ça. Mais ce qui est décevant c’est que quand le caractère inhumain et totalitaire du projet devient évident pour toute personne ayant la moindre capacité de discernement, ils se refusent à prendre conscience de la vérité. Et ils continuent à propager les mensonges voulus par les tyrans du N. O. M.

    Moi, à leur place, j’aurais honte.

    1. Cher Monsieur Martin
      Ca fait un moment que nous menons un dialogue de sourds. Vous êtes persuadé que je serais soit un incorrigible naïf soit un dangereux écologiste qui veut priver la population de son mode de vie gaspilleur et consumériste. Sachez que ce mode de vie fondé sur le gaspillage, les inégalités et la destruction des capacités productives des systèmes naturels est quoi qu’il en soit condamné et que nous tomberons d’autant plus de haut que nous tarderons à réduire la pression sur les ressources planétaires. Mais il est clair que tant que les “riches” pollueront, les “pauvres” ne verront aucune raison de ne pas le faire.
      J’ai suivi votre conseil et regardé les deux vidéos que vous avez signalées et intégrées dans votre commentaire. C’est du pur complotisme, un amalgame d’approximations et de mensonges, et beaucoup de procès d’intention. Où est le problème si le WEF prône la stakeholder value plutôt que la seule shareholder value, intégrant enfin dans le système économique la responsabilité écologique et sociale, et pas que la maximisation de la mise financière. Où est le problème quand le WEF travaille à la concrétisation de l’Agenda 2030 des Nations Unies et de leurs 17 objectifs de développement durable, les avez-vous au moins lus? Par contre dans ces vidéos il y a un problème grave: on nie que le réchauffement climatique soit alimenté par la combustion du carbone !! Rien que ça les discrédite complètement.

  5. Bon, effectivement, si quelqu’un approuve l’agenda 2030 des Nations Unies et ne se révolte pas contre cette tentative hypocrite d’instaurer une dictature mondiale, alors il n’y a rien à tirer d’une telle eprsonne. Et c’est absolument vain de vouloir dialoguer avec elle.

    Disons juste ceci : on peut comprendre, étant donné l’hypocrisie avec laquelle le projet délétère, totalitaire et liberticide est présenté, que certains tombent dans le panneau car c’est présenté comme une série d’idéaux généreux (du pur bullshit, mais sympa en apparence) : stakeholder value, soi disant développement durable, normes ESG, protection contre les terribles pandémies (que Bill Gates & Co ont organisées eux-mêmes), etc. OK. Admettons, et soyons indulgents avec les jobards qui gobent ces mensonges.

    Là où ça se gâte c’est quand on voit le vrai visage, dans la vie réelle, de ce projet de société, et les méthodes qu’on emploie pour contraindre les zombies humains à s’y soumettre: “vaccin” expérimental causant des effets secondaires désastreux (myocardites, thromboses, AVC, maladie de Creuzfeld-Jacob, syndrôme de Guillain-Barré, détraquement du cycle mentruel des femmes, stérilité, nourrissons non viables, etc. Difficile de ne pas se demander s’il s’agit d’un projet de réduction drastique de la population mondiale par stérilisation forcée).

    Et on constate que les pouvoirs, n’ayant à la bouche que les idées de Davos et du gouvernement mondial, imposent ce crime de masse par la contrainte, en interdisant les médicaments qui peuvent soigner et en privant de leurs moyens d’existence ceux qui refusent de se soumettre (infirmières licenciées en violation du droit du travail, etc.) On condamne à la ruine les indépendants, petits commerçants et cafetiers restaurateurs, dans le but de créer une nouvelle société collectiviste fondées sur le revenu inconditionnel de base, où “vous ne posséderezrien mais vous serez heureux”.

    La raison en est que la classe moyenne indépendante, ayant de l’épargne, est dangereuse pour le projet. On suspend donc les libertés. On provoque une dépression économique volontaire, dans le but d’opérer une grande réinitialisation exposée tout tranquillement par Klaus Schwab dans son livre ” la grande réinitialisation “.

    Et maintenant, Schwab a écrit un nouveau bouquin: “Le grand narratif”. Comme ça tout le monde comprend qu’on vit dans une réalité parallèle, un narratif, fait de propagande. Le pire c’est que beaucoup de gens acceptent ces fakes.

    Mais le but, tout cela est compris par de plus en plus de gens, le vieil idéal des Lumières d’une société fondée sir la raison. Seulement, c’est sinistre car cette fois la “raison” apparaît sous la forme de l’intelligence artificielle, du traçage par QR Code et su contrôle des corps par des substances injectées par la force (oxide de graphène), enfin par le crédit social sur le modèle chinois. Bref une dystopie totalitaire inhumaine, et un monde de cauchemar.

    Vous voyez bien que les iédaux de l’Agenda 2030 sont mensongers et trompeurs.

    Par conséquent, considérant que vous êtes assez informé pour connaître la vérité, je tire la conclusion que les personnes comme vous qui semblent croire naïvement au projet officiel gentillet, ne doivent pas être vues avec indulgence comme j’aurais la tendance de le faire, par faiblesse. Au contraire on doit les considérer comme des complices particulièrement coupables du crime perpétré, qu’elles tentent de faire passer en le minimisant et en en cachant les véritables intentions criminelles – dont elles ont connaissance.

    Traitez moi de complotiste, si vous saviez ce que ça m’est égal…

    Ce qui compte ce ne sont pas les objectifs affichés (généreux, mais hypocrites et mensongers) , c’est la réalité de ce qu’on met en place pour atteindre ces objectifs. C’est aux fruits qu’on connaît l’arbre.

    Je vous recommande vivement la lecture de ce blog Le Saker Francophone.

    Tous les faits sont vérifiables, et vérifiées, les informations sont sourcées.

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