12 février: nouvel an tibétain, mais le Tibet n’est pas à la fête

L’année ne commence pas partout le même jour. Dans des temps anciens, son début a souvent coïncidé avec l’arrivée du printemps et dans diverses régions du monde, c’est encore ainsi. Quant au peuple Tibétain, il entre ce 12 février, en fonction de calculs liés au calendrier lunaire, dans l’année « Bœuf de Métal ».

Mais le Nouvel an tibétain, le Losar, la plus importante fête tibétaine, pourra-t-il même être célébré ? Si dans la plupart des lieux où vivent les quelque 150’000 Tibétaines et Tibétains qui ont pu fuir leur pays, les mesures sanitaires entravent les rassemblements, dans leur patrie occupée depuis sept décennies, c’est pour des raisons politiques que les réunions sont étroitement surveillées voire interdites. Décidément le Tibet n’est pas à la fête.

Souhaitons néanmoins de tout cœur à ce pays et à ce peuple si durement traités de trouver un peu de paix, de joie et de sérénité. C’est sans doute trop demander aux dirigeants chinois, qui s’installent plus que jamais dans leur obsession totalitaire, ne pouvant imaginer faire confiance à leur propre peuple ni aux autres peuples vivant sur leur territoire.

Chape de plomb sur l’Empire du milieu

Désormais plus aucune voix dissidente n’est tolérée, et le sort fait au médecin de Wuhan qui avait le premier alerté sur l’apparition du Covid est encore dans toutes les mémoires. Après avoir procédé en diverses régions du monde à de vastes achats de terres et placé ses infrastructures néocoloniales (chemins de fer, ports) un peu partout, le pouvoir chinois s’applique à détourner et à reformater le fonctionnement et les fondements des organisations multilatérales. Que ce soit à l’ONU ou ailleurs, droits de l’homme, gouvernance, options de fond sont l’objet de subtiles mais incessantes réinterprétations à la mode chinoise.

Dans les territoires sous domination de Pékin, aucune liberté d’opinion n’est admise, l’arbitraire pénètre tous les aspects de la vie et il s’agit de faire preuve activement de son attachement aux dirigeants autoproclamés ; au moindre écart, les sanctions les plus diverses menacent. Même le puissant patron d’AliBaba, naguère vitrine de la réussite économique chinoise, y a eu droit.

Un Tibétain est par définition un dissident

Mais tout ce que ce pouvoir imagine, exécute et inflige à ses sujets de nationalité han est infligé bien plus lourdement au peuple tibétain… Car quand on est Tibétain on est par définition… dissident et suspect, car différent. A l’inverse, la situation du Tibet renvoie directement aux méthodes du pouvoir chinois, faisant du peuple tibétain le premier témoin et la première victime de ses procédés.

Récemment, les autorités chinoises ont achevé la prise de contrôle de la vie religieuse, frappant l’identité tibétaine au cœur. Des cellules du parti ont été créés dans les institutions religieuses, la formation et la vie spirituelles sont soumises à la doctrine officielle. Les moines doivent passer une partie de leur temps à réciter la « pensée de Xi Jinping » plutôt que d’étudier les écrits du Bouddha et des grands maîtres de la « voie du diamant «. Pire, ils doivent se tenir prêts à vilipender la figure sacrée du Dalaï Lama.

Cette ingérence du pouvoir dans les affaires internes du bouddhisme tibétain n’est pas nouvelle. Ainsi,le 11e Panchen Lama, désigné selon les procédés traditionnels, a été enlevé en 1995 par les autorités chinoises et remplacé par un personnage à leur dévotion. Mais elle a pris une nouvelle dimension. Il est désormais interdit de se rendre dans un monastère pour y recevoir des enseignements ou des bénédictions. Tout Tibétain occupant un poste d’un certain niveau de responsabilité pris en “flagrant délit de prière dans un monastère” est susceptible de perdre son emploi. Des fouilles à domicile sont opérées pour détecter des images et des écrits interdits, une peur omniprésente s’insinue dans la vie des Tibétaines et des Tibétains.

Un pouvoir impérialiste, expansionniste, totalitaire

Le Tibet est en grande souffrance, mais aussi les Ouïghours – et toute personne qui en Chine ne serait pas alignée sur ce qu’attend d’elle le pouvoir. La mise au pas de Hong Kong montre que le régime chinois ne tolère aucune exception sur le territoire placé sous son autorité, et les visées de la Chine sur Taïwan risquent fort d’être le prochain point d’achoppement international.

Car tant Taïwan que Hong Kong illustrent que la démocratie est parfaitement compatible avec la culture et la mentalité chinoises – or c’est là une démonstration absolument intolérable pour les dirigeants actuels de la Chine.

Ces visées impérialistes, ces comportements expansionnistes et ces pratiques totalitaires n’ont pas fini de nous inquiéter. Malheureusement trop de dirigeants politiques et économiques préfèrent s’accommoder des abus de ceux qui détiennent la clé le plus grand marché du monde et s’arranger avec eux – marché qui est aussi la plus grande prison à ciel ouvert du monde.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

10 réponses à “12 février: nouvel an tibétain, mais le Tibet n’est pas à la fête

  1. « marché qui est aussi la plus grande prison à ciel ouvert du monde »

    … et incidemment le plus grand pays communiste de la planète.
    Le « socialisme réel », j’imagine que ça doit vous parler.

    «Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes.» (Bossuet)

    1. Désolé cher Monsieur Caillet, déjà voici un demi-siècle, lorsqu’il était de bon ton dans certains milieux de se déclarer maoïste et d’arborer le “petit livre rouge”, c’est le Dalaï Lama, “océan de sagesse”, qui comptait pour moi et m’inspirait, avec d’autres grands leaders spirituels et humanistes. Son livre “Mon pays et mon peuple” où il relate ses tentatives de dialogue constructif avec le pouvoir chinois, dans les années 1950, puis sa fuite sous la contrainte (et la protection de son peuple) en 1959, m’avait impressionné par sa cohérence, sa simplicité, sa vérité. Vous tombez vraiment mal.

      1. Tout communiste n’est pas maoïste. Mais bien essayé.

        Vous êtes impressionné par la vérité du récit du Dalaï Lama mais omettez de citer la composante néfaste manifeste du communisme dans le drame tibétain. Cela fait sens si l’on lit les précédents billets que vous avez publiés.

        La citation de Bossuet tombe fort à propos…

        1. A l’attention de M. Laurent. Oui bien sûr il y a la volonté de remodeler l’être humain et de “moderniser” un pays à marches forcées, quels que soient les sacrifices humains, le “grand bond en avant”, la dictature du parti unique sur le modèle stalinien et la “révolution culturelle”, en s’appuyant aussi sur une tradition impériale millénaire de pouvoir autoritaire et une réinterprétation du confucianisme. Comme la Russie, la Chine n’a jamais vraiment connu la démocratie et les tentatives au début du 20e siècle ont été vite écrasées par les partisans du parti unique concentrant le pouvoir dans le petit cercle du bureau politique… C’est tout l’enjeu de l’écrasement de la démocratie à Hong Kong et de la probabilité d’une invasion prochaine de Taiwan.Il est bien connu par ailleurs que les révolutions mangent leurs enfants. Ma note ne se veut toutefois pas une analyse des causes de l’attitude du pouvoir chinois, ce sera peut-être pour une autre fois! Enfin, la colonisation de peuplement et l’accaparement des ressources s’est faite sous d’autres régimes tout aussi violemment au détriment des populations autochtones, dans le monde entier et sur le continent américain tout particulièrement. Sur les 300 millions d’habitants des Etats-unis, 1% sont des autochtones, 99% des immigrés! En ce sens le Tibet est aujourd’hui le far west de la Chine (mais sans les “réserves” pour les descendants des Amérindiens qui ont survécu aux déplacements forcés et aux massacres). Quant à l’éminent et lucide homme d’Eglise et de la cour de Louis XIV que fut Bossuet, c’est un auteur que j’aime bien relire – moi qui ne “chéris” en aucune manière les “causes” invoquées, au contraire des nombreux admirateurs des “hommes forts” et des régimes autoritaires.

  2. C’est triste. Le problème semble toujours lié à des matières premières ou une place stratégique.
    Le Tibet semble être un château d’eau pour les chinois.
    De plus du haut des montagnes les chinois peuvent déployer des missiles balistiques vers l’Inde voisine. Ils ne sont pas d’accord sur leur frontière commune.

  3. Souhaitons à tous les Tibétains et Tibétaines une Joyeuse Nouvelle Année et la petite fêtes sera plus facile pour les exilés qui vivent plus en sécurité et avec plus de libertés. Merci Monsieur Longet de nous rappeler leur situation. Chaque fois que je prends connaissance des excès de pouvoir du gouvernement chinois, l’anxiété m’envahit…
    Oui, et si un gouvernement suisse-alémanique m’obligeait à cacher non à détruire mon drapeau vaudois, à ne plus parler que le suisse-allemand et à chanter leurs chansons, à exiger que mes enfants quittent notre domicile pour suivre leur scolarité dans un autre canton, etc. Et alors, quel pays … pourrait m’accueillir avec ma famille en tant que réfugiés pour retrouver un peu de sécurité….
    Merci encore et Joyeux Losar

  4. La dérive totalitaire actuelle du PCC est cruelle et inouïe, les Hans tout comme les minorités de la Chine continentale peuvent être opprimé(e)s d’une façon inimaginable et incroyable pour nous. Pourrait-on ainsi accepter ici que la lecture de la Bible soit déclarée illégale et les Saintes Ecritures proscrites? Pourtant c’est bien ce qui se passe là-bas, le Coran (pas seulement la Bible) y sont notamment interdits et le simple fait de posséder ou de lire ces ouvrages y est considéré comme un crime. Merci de rappeler ici le sort très peu enviable des Tibétains et des Ouïghours (mais aussi des Mongols et d’autres encore) qui ne peuvent s’échapper de ce vaste camp de concentration. Fort heureusement, les enseignements bouddhistes du Tibet sont parvenus aux peuples de l’Ouest notamment grâce au Dalaï-Lama, nous en connaissons la très grande valeur et les conserverons donc comme un trésor. Toute tentative du pouvoir communiste chinois d’envahir la démocratie de Taïwan par la force et la violence déclenchera immédiatement une guerre mondiale, car cela ne sera jamais toléré ni accepté par les peuples libres.

  5. Dans son petit livre, paru en janvier 2020 aux Éditions Allia, « Pourquoi l’Europe – Réflexions d’un sinologue », Jean François Billeter écrit ceci, que je me permets de citer assez longuement :

    « En Chine, les forces de progrès, qui se sont continûment inspirées de notre tradition politique depuis une centaine d’années, ont subi défaite sur défaite. L’ambition des hommes qui sont au pouvoir à Pékin aujourd’hui est de les vaincre une fois pour toutes en Chine et de les affaiblir partout ailleurs. Leur premier intérêt est de faire disparaître toute idée susceptible de remettre en question leur pouvoir. Le fantôme de la liberté ne doit plus surgir nulle part…

    « Les dirigeants chinois ont une stratégie double. Ils cherchent à discréditer en Chine et partout ailleurs les idées susceptibles de mettre en cause leur pouvoir et à faire main basse sur toutes les ressources qu’il faut à leur pays pour devenir la première puissance et le rester… Ils se sont donc engagés contre nous dans une guerre politique. À l’intérieur de la Chine, c’est une guerre déclarée. Ils dénoncent ouvertement le caractère nocif des “valeurs occidentales” et font obligation aux membres du Parti de les combattre activement, en particulier parmi les intellectuels, les enseignants et les journalistes. Dans les relations qu’ils entretiennent avec nous, ils mènent par contre une guerre non déclarée… Ils pratiquent l’antique stratégie du “jeu des encerclements“… Notre ignorance les aide grandement. Elle tient au verrouillage de l’information, à la surveillance exercée sur les étrangers comme sur les Chinois, qui les empêche de communiquer librement…

    « Notre incompréhension vient aussi de ce que la plupart d’entre nous ignorons ce que c’est que de subir au jour le jour un pouvoir totalitaire… Qui n’en a pas l’expérience n’imagine pas cette privation de liberté. Le régime chinois donne au totalitarisme des traits nouveaux. Il n’annonce plus de révolution. Il se réclame d’une tradition séculaire, qu’il présente comme pacifique. Il parle, d’autre part, au monde le langage de l’économie, propose des affaires et se crée des obligés qui deviennent des agents d’influence et se chargent d’étouffer la critique autour d’eux… Il ne reconnaît aucun contre-pouvoir et n’a, dans son principe, de limite ni dans l’espace, ni dans le temps… »

  6. Pauvres Tibétains, ils sont oubliés, comme on oublie les Kurdes ou les Palestiniens, les Rohingyas et tant d’autres.

    Pourtant, si la Chine est communiste, Israël ne l’est pas, à ma connaissance.
    D’ailleurs Trump a précipité des millions d’américains dans la pauvreté, quand la Chine, elle a sorti des centaines de millions de chinois de la précarité.

    Si les US sont bipolaires, avec 300 millions d’habitants, un peuple bipolaire de 1.5 milliards n’aurait aucun futur.

    Il est si simple d’en rester aux stéréotypes gauche/droite, ou communisme et autres noms d’oiseaux stalinesques, à capitalisme, néo-libéralisme ou Trumpisme.

    L’état du monde en est une preuve.
    Si on réalise que 1% de riches possèdent 70% des richesses et que cet écart va s’accroître, on se prépare à de grandes désillusions 🙂

    Le détonnateur sera sans doute l’Inde, à moins que les US ne mettent le feu aux poudres, pour gommer leur dette abyssale et réduire la population mondiale?

  7. En effet, le Tibet n’est pas à la fête, car encore après 62 ans d’occupation et de colonisation stratégique, le peuple tibétain tout entier (env. 6 millions) souffrent sur beaucoup de niveaux. Les Tibétains/-nes restés au pays souffrent de la perte de liberté d’expression, de vivre son identité propre, de pratiquer sa foi, de déplacement, de style de vie de nomades, de l’absence du Dalaï Lama, du contrôle totale de la vie quotidienne pour être en conformité avec des lois chinois arbitraires. La diaspora tibétaine dans le monde entier souffre beaucoup de la perte de son pays, de la souffrance infligée aux membres de la famille restés au pays et aux prisonniers politiques, du sentiment de déracinement, de la peur de perdre sa langue, son identité en exil, de la persécution chinoise jusqu’en Suisse, du manque d’ouverture au dialogue du pouvoir chinois. En tant que Tibétaine, je ne suis pas du tout contre le peuple chinois mais contre la politique du régime chinois communiste qui ne respecte même pas ses propres lois pour les droits des minorités en Chine. Le combat du peuple tibétain est un combat pacifique pour pouvoir vivre en paix et en liberté dans son propre pays. Ce n’est pas un combat pour une indépendance totale. Le vrai respect des droits humains et de l’identité tibétaine suffirait pour pouvoir accepter de vivre sous le régime chinois. Mais trop d’intérêts géopolitiques et économiques sont en jeu pour que la voix du peuple tibétain et des Ouïghours soit entendu. Depuis les années 60, l’ONU a été appelé pour étudier la situation et défendre les droits du peuple tibétain. Malheureusement avec de moins en moins de résultats, car la Chine augmente son pouvoir à sa faveur au sein même des instituts mondiaux qui devraient être impartiaux comme l’ONU, l’OMC ou l’OMS. Seuls espoirs:
    1) que le partie communiste se détruit soi-même depuis l’intérieur par ses luttes de pouvoir.
    2) que le peuple chinois voit de plus en plus claire et se relève contre son gouvernement.
    3) que les gens intelligents s’informent correctement sur les interdépendances entre l’agissement du gouvernement chinois, le développement de l’économie dans les pays libres, le réchauffement climatique, la paix mondiale et la sauvegarde des valeurs humaines.

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