Transition: obsolète, la durabilité?

Comme dirait Greta du haut de ses 16 ans : vous qui m’avez mise au monde et qui vous me volez ce monde, écoutez ce que dit la science. Alors, que dit la science?

Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) nous indique un réchauffement moyen à la surface de la Terre de + 1°C depuis le début de la mobilisation du carbone fossile (+2° en Suisse !) et une montée des mers de 0,4 cm/an, parmi d’autres nouvelles du même acabit. Avec 660 millions de personnes vivant à un altitude de moins de 10 m au-dessus du niveau de la mer… bonjour les dégâts !

Quant à l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques), elle signale que les ¾ des milieux terrestres et 2/3 des milieux marins sont sévèrement altérés et qu’un quart des espèces de vertébrés, d’invertébrés et de plantes sont menacées d’extinction. Ce serait ainsi la 6e grande extinction de la vie sur notre Planète.

A cela s’ajoutent des inégalités croissantes au sein de nos sociétés : en 1970 les 50 Américains les plus riches devaient payer 50% de leurs revenus en impôts, aujourd’hui seulement 25%; 1% de la population américaine la plus riche représentait voici 50 ans 10% des revenus de toute la population, aujourd’hui c’est 20%. De l’égalité de chances promise, on a passé à la fracture sociale ! Et dans le monde, quelque 800 millions de personnes ne mangent pas à leur faim, n’ont pas de véritable toit… alors que d’autres ne savent que faire de leurs gadgets inutiles.

Face à ces menaces concrètes sur le vivre-ensemble sur cette Terre, qui peuvent parfaitement déboucher sur un monde en miettes et en ruine marqué par une lutte de tous contre tous, on note une certaine radicalisation : collapsologie, décroissance, altermondialisme plaident pour un changement de système, et la notion de durabilité est rejetée pour celle de rupture. Ce procès en obsolescence, voire en complicité, fait à la durabilité est-il justifié ?

Que faut-il faire ?

En effet, l’avidité, l’accaparement et le matérialisme sont parmi les causes profondes de la situation actuelle, tout comme la course à la facilité, une séparation croissante avec la nature et ses fonctions, et la négation de sa fragilité, l’illusion aussi que la science finira par trouver des solutions…

Le cœur de la question est bien aujourd’hui que l’économie marche sur la tête, est devenue sa propre loi, a quitté la sphère de l’utilité, néglige ses coûts écologiques et sociaux. Mais on peut parfaitement soutenir une rentabilité des entreprises, tout en demandant que celles-ci répondent à une utilité, aient un effet écologique et social positif et que leurs bénéfices restent limités (et bien entendu honnêtement gagnés). Autrement dit, il s’agit d’aligner les rentabilités écologiques, financières et sociales; c’est ce que préconise par exemple l’Economie sociale et solidaire.

Réparer plutôt que jeter, fournir des énergies renouvelables plutôt que du fissile et du fossile, généraliser des bâtiments positifs, le commerce équitable et l’agro-écologie (seule façon de nourrir une population croissante sans détruire les sols), remplacer la recherche de l’obsolescence par la mise en valeur de la durée de vie et la réparabilité (économie circulaire) sont autant de sources de rentabilité (raisonnable) que les modèles fonctionnant sur le court terme et la fragilisation écologique et sociale.

Le vrai problème est ailleurs. Il est dans le refus des Etats de réguler l’économie, d’imposer cette mutation indispensable. L’écologique et le social sont vus comme les conséquences d’une économie prospère – alors qu’ils en sont tout au contraire la conditions et le but!

S’il existe aujourd’hui dans pratiquement toutes les filières des produits de qualité «durable», si personne n’est obligé d’acheter des biens ou des services inutiles, produits dans de mauvaises conditions écologiques et sociales, il n’en reste pas moins que les loisirs destructeurs (zapping du weekend dans des villes européennes qui finissent toutes par se ressembler, croisières dans des bateaux gigantesques), l’achat de 4×4 inutiles et fortement émettrices de CO2, l’engouement pour la viande et le fast-food issus du massacre de la forêt tropicale (et de ses habitants) restent des options encore bien trop répandues. L’action des consommateurs, aussi indispensable soit-elle, ne suffira pas. Tout comme du côté producteurs, il y aura toujours des acteurs qui iront jusqu’au bout de ce qui est permis, voire au-delà.

En matière de fiscalité ou de circulation routière, on nous demande de respecter la loi – et les conditions d’une planète viable et vivable, seraient abandonnées au seul volontariat ? L’économie de marché exige un pouvoir étatique fort, équitable, efficace et indépendant des lobbies du court terme et du profit maximum pour quelques-uns et à n’importe quel prix, actuellement infiniment trop écoutés.

La durabilité exige un changement en profondeur

Ceux qui rejettent aujourd’hui, devant tant d’inaction ou d’action insuffisante, la notion de durabilité la remplaceraient volontiers par celle de transition. Oubliant de dire : transition vers quoi ? or, ce ne peut être que vers la durabilité. En effet, comment mieux définir ce qu’il faut faire, à savoir :

– Opter pour »un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion: le concept de besoins, et plus particulièrement des besoins essentiels des plus démunis, à qui il convient d’accorder la plus grande priorité, et l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation sociale imposent sur la capacité de l’environnement à répondre aux besoins actuels et à venir».

– Constater que “des changements fondamentaux dans la façon dont les sociétés produisent et consomment sont indispensables pour réaliser un développement durable à l’échelle mondiale».

– Vouloir une économie «qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources» ?

Et se référer à la notion d’empreinte écologique, qui fait dire à l’Office fédéral de la statistique que notre «mode de vie (…) n’est pas durable car la consommation suisse par personne est 2,8 fois plus grande que les prestations et ressources environnementales globales disponibles par personne (…). Nous vivons donc aux dépens des générations futures et d’autres régions du globe.»

– et au principe de précaution : “En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement», auquel d’aucuns veulent substituer un «principe d’innovation» ?

Tous ces contenus énoncés par des documents officiellement validés se retrouvent aujourd’hui dans les 17 Objectifs de développement durable (ODD) – avec leurs 169 cibles et 232 indicateurs – adoptés en septembre 2015 par les Nations Unies dans l’Agenda 2030.

Ceux qui ont inventé la notion de durabilité «faible», ou qui ont réduit la durabilité à une vague conciliation entre économie, écologie et social ne sont aucunement dans la cible de la définition originelle. Leur interprétation ne doit pas être prise pour argent comptant et, encore moins, légitimée par la mise en question de la durabilité comme telle.

Rejeter une notion désormais largement répandue et reconnue, adéquate en termes de contenus et universellement valable, sous prétexte d’application insuffisante, c’est un peu comme récuser la notion de droits humains du fait que trop d’Etats ne la respectent pas. Ce serait se priver de l’instrument même permettant de faire pression sur les acteurs défaillants. Pas besoin de réinventer constamment de nouveaux concepts pour dire en gros la même chose, mais appliquons ce que nous avons!

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

4 réponses à “Transition: obsolète, la durabilité?

  1. Homo sapiens semble avoir effectivement de la peine à imaginer son avenir commun sur une planète unique idéalement placée par rapport à son étoile.
    Au paléolithique, il a été successivement cueilleur et chasseur, puis au néolithique cultivateur et éleveur. Son mode de fonctionnement n’a pas beaucoup changé, car il continue à puiser dans son environnement les ressources accumulées depuis des temps géologiques, avec des moyens techniques incomparables et puissants, sans se préoccuper des conséquences; la contrepartie, disons financière, semble avoir largement pris le dessus. Les conséquences on les découvre et on les constate depuis des décennies.
    Je ne vais pas entrer dans les détails et vous avez aussi énuméré des pistes.
    Les faits physiques, chimiques et biologiques imposeront probablement à moyen et long terme des décisions complexes encore difficiles à prendre par le monde politique, économique et social. Je peux le comprendre.

  2. Le GIEC et la science , ça fait 2 ! Le +1 degré mesuré n’est pas exclusivement d’origine anthropique, divers phénomènes participent aux variations climatiques . Les nier ne sert pas la science mais une poignée de gourous !
    Les autres aspects de la biodiversité dépendent principalement de la pression démographique humaine croissante.
    Mettre tous les problèmes sur le compte du réchauffement climatique montre une tendance hystérique qui ne mène nulle part et en tout cas pas vers les bonnes solutions !
    En fin de compte, le problème de base reste celui de la surpopulation , dont personne ne souhaite parler et on le masque avec plein de formules creuses qui ne servent à rien !!!

  3. Pour Hubert Gio.
    Si on s’intéresse à ce que signifie vraiment surpopulation, pas seulement en lien avec l’environnment, on est obligé de compter les personnes + leur empreinte écologique (voir texte de M. Longet; on pourrait aussi parler de l’empreinte carbone…) parce que les humains ne sont pas que des nombres, ils sont les personnes qui vivent et qui ont leur manière de vivre comme bagage. A l’échelle de la planète, il y a surpopulation depuis longtemps déjà. Mais les endroits supeuplés, si on veut parler de surpopulation, ce sont d’abord les pays du nord, déjà développés et toujours en développement souvent. C’est pourquoi en effet pas mal de gens ne souhaitent pas en parler, comme vous le dites. C’est très gênant, pourtant tous ceux qui y réfléchissent de manière honnête savent que ce sont les riches qui ont détruit et détruisent la vie, ce sont les acteurs de cette destruction… malheureusement, des populations pauvres aussi la détruisent parfois, mais ce sont souvent plutôt des agents… Nous sommes de plus en plus en nombreux à avoir une empreinte de plus en plus grande. Il est là le développement non durable. Donc il faudrait réduire nos empreintes écologiques et pas seulement notre nombre… Les Chinois font de moins en moins d’enfants – et la population chinoise va se stabiliser bientôt – mais ceux-ci ont une empreinte bien plus grande que celle de leur parents. Si dans pression démographique vous ne mettez que le nombre de personnes, alors votre formule risque d’être creuse. Si vous incluez les modes de vie et la pression sur le vivant, alors je suis d’accord avec vous. Cordialement.

  4. Il faut se rappeler que le GIEC a été créé en 1988 et que l’influence de dirigeants tels Thatcher et Reagan, très méfiants à l’égard des scientifiques, ont voulu que le politique ait au moins autant d’influence que les experts du climat (sinon plus !). Où en est-on aujourd’hui ? N’est-ce pas pire ? Les dirigeants climato-sceptiques sont légion. Ils laissent ces experts faire joujou avec leurs constats alarmants et s’en soucient comme de leur première couche-culotte !

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