Squattant le débat climatique, l’hydre nucléaire relève la tête

Le lobby nucléaire qu’on croyait mort et enterré après le vote le 21 mai 2017 de la nouvelle loi sur l’énergie qui interdit toute nouvelle centrale nucléaire en Suisse (« L’octroi d’autorisations générales pour la construction de centrales nucléaires est interdit ») relève la tête, prenant en otage le débat climatique.

Remplacer le fossile par le fissile, est-ce vraiment si facile ?

Un petit calcul va permettre de donner rapidement la réponse. C’est la règle des 3 x 10: 10 ans de travail avant la mise en service d’un réacteur nucléaire, 10 milliards de $ par unité de production de 1000 MWe, 10 % de la production d’électricité est d’origine nucléaire dans le monde.

10 ans de travail : le dossier de construction et d’autorisation, la préparation du site, les travaux de génie civil, l’installation elle-même, les essais.
10 milliards, sans les coûts de démantèlement (estimés à la moitié de ce montant) et de gestion des déchets.
10% de l’électricité mondiale, qui elle-même représente 20% du mix énergétique mondial, c’est donc…2 %. Le fossile quant à lui représente environ 75% de ce mix, le solde étant la biomasse (bois…).

Ces 2% sont assurés aujourd’hui par quelque 450 réacteurs. Pour ne serait-ce que doubler cette part, passer de 2% à environ 5% (en supposant une stabilisation de la consommation, qui est malheureusement loin d’être acquise), il faudrait attendre 10 ans, dépenser 4500 milliards… pour un effet condamné à rester fort limité. A moins que… comme certains pronucléaires ne se gênent pas de le revendiquer, on accélère le rythme. Ainsi pouvait-on lire dans le journal allemand Die Welt du 27 février dernier qu’il faudrait construire… 115 réacteurs par an dans le monde !

La stratégie de la mise en valeur des énergies renouvelables décentralisées, géothermie, éolien, solaire, hydraulique, biomasse combinée avec une vraie volonté de parvenir à un usage économe des énergies est infiniment plus réaliste. Elle est clairement meilleure en termes d’efficience par rapport au résultat, d’engagement de moyens et de résilience du système énergétique, y compris en termes d’emplois diversifiés et locaux.

Et les risques ?
Tout cela sans prendre en compte le problème clé de cette forme de production d’énergie : la radioactivité. Une centrale nucléaire, c’est tout simplement une chaudière à eau dont la vapeur actionne une turbine, sauf que … la chaleur à l’origine de la production de vapeur est issue de la réaction radioactive. Il se trouve que si l’on sait parfaitement mettre en route cette radioactivité, l’on reste totalement incapable de la stopper une fois lancée.

Et c’est ainsi que le nucléaire dit civil ajoute sa dose de radioactivité à la radioactivité naturelle et celle militaire. Chaque réacteur nucléaire de plus, c’est autant de radioactivité en plus qu’il faut pouvoir confiner de manière étanche de la biosphère. Ceci sur tout le circuit de l’atome, la mine, les transports, l’enrichissement, son usage dans les réacteurs sous forme de barres de combustible – puis sa gestion comme déchet durant des milliers d’années.

Ce problème n’a jamais été résolu et c’est pourquoi de nombreux pays ont décidé de ne pas s’engager sur cette voie, ne voulant pas faire payer les générations à venir pour notre confort (ou notre paresse) d’aujourd’hui. S’ajoutent, en quelque sorte comme le “sommet de l’iceberg nucléaire”, les accidents tels que celui de Tchernobyl ou de Fukushima, qui statistiquement vont nécessairement augmenter avec le nombre des installations, quelles que soient les précautions prises.

Remplacer le fossile par le fissile, non merci, nous avons mieux à faire. Ne cédons pas à la tentation de cette diversion que ne fait que remplacer (très partiellement vu les coûts et les délais) un mal (le changement climatique) par un autre (l’irradiation radioactive progressive de la Planète). Et au final, au lieu d’avoir un problème, nous en aurons deux.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

7 réponses à “Squattant le débat climatique, l’hydre nucléaire relève la tête

  1. Bonjour,

    Depuis mon adolescence, dans les années 70, j’ai été farouchement anti nucléaire. J’ai toutefois récemment effectué un virage à 180 degrés. Ce sont les arguments de Jean-Marc Jancovici conjugués à l’évolution de la situation climatique et de l’utilisation toujours accrue des énergies fossiles qui m’ont amené à changer d’avis.

    Mon raisonnement est simple. De manière générale, les pays refusent de renoncer aux énergies fossiles. La Chine met en service chaque semaine une nouvelle centrale à charbon. L’Inde, et les pays sous-développés ne font pas beaucoup mieux. Il me semble rationnel de penser qu’en l’absence de volonté de renoncer aux énergies fossiles pour les remplacer par les énergies renouvelables et une meilleure efficacité énergétique couplée à une réduction de la consommation, il vaut mieux (re)mettre l’accent sur le nucléaire.

    Concernant les risques liés à la radioactivité et aux déchets nucléaires, je ne cherche aucunement à les minimiser. Mais je vais être politiquement incorrect. Entre choisir de causer quelques centaines ou milliers de morts en raison d’un accident nucléaire et laisser s’accroître les menaces d’un bouleversement climatique qui va rendre notre planète invivable pour les générations futures, la décision me semble claire.

    1. En cherchant à développer le nucléaire pour sauver le climat, nous aajouterions au réchauffement climatique la contamination radioactive. Avec toute la volonté et des finances illimitées (triplement du budget voté à l’origine) la France ne parvient pas a construire son réacteur “à la pointe” EPR à Flamanville et en Finlande. Les mêmes raisons qui nous poussent à protéger le climat nous poussent a fermer pour de bon la parenthèse nucléaire. C’est ce que la population a voté en mai 2018.

  2. Oui, la clé climatique non-USB reste encore à trouver, pas facile l’équation insolvable, pffff!

  3. “L’hydre nucléaire” a quand même permis à notre pays de produire pendant une cinquantaine d’années l’électricité nécessaire à complémenter nos ressources hydrauliques arrivées quasiment au bout de leurs possibilités avec un minimum de production de gaz à effet de serre (alors que la seule alternative possible à l’époque aurait été de recourir au charbon!).
    Evidemment que l’on doit aujourd’hui pousser au maximum l’utilisation des énergies renouvelables mais, pour la plupart d’entre elles, reste le problème de la mauvaise adéquation de l’énergie disponible à la demande qui oblige à prévoir des solutions alternatives en situation de pénurie (le stockage de électricité en grande quantité et à long terme n’ayant pas encore vraiment trouvé de solution).
    Enfin, le développement de réacteurs nucléaire dits de “4ème génération”, permet d’entrevoir la possibilité de disposer à terme de réacteurs intrinsèquement sûrs, plus économiques, générant moins de déchets, … et même capables de “brûler” les déchets de longue durée de vie déjà actuellement accumulés en produisant en plus de l’énergie. Il ne faut donc peut-être pas trop vite définitivement condamner cette source d’énergie.

  4. A force d’avoir diabolisé le CO2, on pourrait croire à la vertu du nucléaire, mais rien n’est plus faux: les ressources d’uranium ou même de thorium ne permettent absolument pas de satisfaire à la demande d’énergie , alors que le solaire est illimité et suffisamment abondant pour combler notre appétit en énergie.
    On doit sans cesse répéter que le Soleil nous apporte au moins 240 watts par mètre carré, quand on tient compte des cycles journaliers et l’ensoleillent moyen, desquels on peut retirer environ 40 watts par mètre carré ou 40 MW par km2. Quand on sait qu’en Suisse , la moyenne de consommation est de 1 kW, la surface à couvrir est largement inférieure aux infrastructures existantes.
    A l’échelle planétaire, il faudrait se contenter de 2 pour mille des terres émergées pour capter cette énergie pour nos besoins.
    Pas besoin de chercher midi à quatorze heures, la ressource d’énergie illimitée est juste au-dessus de nos têtes !
    Le prix de cette énergie ne dépend que de la technologie de transformation qui diminue avec le temps et donc deviendra rapidement bon marché.

    1. L’utilisation de la ressource solaire doit en effet être poussée au maximum, comme celle des autres ressources renouvelables, c’est une évidence comme je l’ai indiqué dans mon précédent commentaire. Mais cette ressource a l’inconvénient d’être fluctuante, et malheureusement souvent le moins disponible quand on en aurait le plus besoin, en hiver par exemple. J’ai des panneaux solaires sur ma maison et en 2017 par exemple ils n’ont pratiquement rien produit en décembre (25 kWh pour tous le mois, alors qu’en moyenne annuelle leur production est de plus de 11 kWh par JOUR), heureusement que le réseau (avec 50% d’électricité d’origine nucléaire en hiver) était là pour suppléer!
      Quant aux réserves de combustible pour les centrales nucléaires, il est vrai qu’elles sont limitées avec la filière de réacteurs à eau ordinaire actuelle, qui n’utilise que le 0.7% (U-235) de l’uranium présent dans la nature. Par contre avec les réacteurs de 4ème génération capables d’utiliser la plus grande partie du potentiel énergétique de ce combustible, les réserves sont là et suffisantes pour des siècles et des siècles.

  5. Une source d’energie Inépuisable, pour ces prochaines 4 Ma d’annees, reste le soleil. Le problème actuel reste que pour l’instant son captage n’est pas encore optimal (rendement 30%) et son stockage (batteries) encore faible. L’eolien est onéreux, bruyant, et vu son caractère aléatoire restera d’un usage très limité. Depuis des années, les rapports périodiques de Jancovici sont réalistes et plein de bon sens. La décision politique prise en 2017 s’est malheureusement faite sous l’emprise de l’émotion, toujours très mauvaise conseillère.
    Reste le problème complexe a concilier l’activité commerciale (vieille comme le monde) avec une politique économique digne de ce nom (update urgent du logiciel), car la démographie progresse et la résolution de l’équation entre les ressources énergetiques et la consommation ne sera pas simple.

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