Le 24 septembre: pour un système agro-alimentaire durable

La votation du 24 septembre prochain sur l’ajout d’un complément (art. 104 A) à l’article constitutionnel définissant le rôle de l’agriculture nous offre l’occasion de débattre de la manière dont nous voulons gérer notre système agro-alimentaire. La nouvelle disposition demande notamment une «production de denrées alimentaires adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources naturelles de manière efficiente» et «une utilisation des denrées alimentaires qui préserve les ressources naturelles». Ces principes s’ajoutent à ceux de l’article existant et régissent la production en Suisse.

Comme nous importons en gros la moitié de notre alimentation, l’alinéa concernant l’importation a toute son importance et il réclame «des relations commerciales transfrontalières qui contribuent au développement durable de l’agriculture et du secteur agroalimentaire». En effet notre taux d’auto-approvisionnement alimentaire est de quelque 50% en moyenne de toutes les denrées, sachant qu’il y a de très importantes différences selon les secteurs : nous sommes excédentaires pour les produits laitiers et les fruits à pépins, autosuffisants à plus de 80% pour le sucre, la viande de porc et de boeuf, les céréales et pommes de terre. Par contre, nous dépendons à quelque 50% des importations pour la volaille, les œufs et les légumes, à 33% pour les huiles végétales et à 25% pour les fruits à noyaux.

Une dépendance croissante
Plus inquiétant : le taux d’auto-approvisionnement a passé de 58% en 1990 à 48% actuellement. Un des enjeux de la votation est ainsi de reprendre conscience de la nécessité de défendre la zone agricole, et notamment de garantir les surfaces d’assolement exigées par l’aménagement du territoire. Mais aussi de protéger la productivité naturelle des sols de l’érosion et des charges polluantes.

Mais même pour ce que nous produisons dans le pays, il faut prendre en compte en particulier l’énergie importée pour produire les intrants agricoles («énergie grise»), et de manière générale assurer le fonctionnement du système agro-alimentaire. Alors que de plus en plus d’exploitations valorisent leur potentiel d’utilisation des énergies renouvelables (biomasse, solaire), la part de l’énergie fossile en agriculture reste importante : machines agricoles, engrais, phytosanitaires (plus de 2’000 t/an).

De plus, le secteur animal (viande et lait) s’est mis sous une dépendance croissante de fourrages importés tels le tourteau de soja ; dans le monde, 80% de la production de cette légumineuse – qui pourrait nourrir directement et sainement l’humanité – sert à l’alimentation animale! Les surfaces destinées à la culture industrielle du soja ont plus que doublé ces 20 dernières années en Amérique latine, au détriment de la forêt tropicale.

Ainsi que le disent les importateurs suisses eux-mêmes, «les importations d’aliments pour animaux s’élèvent désormais à 1 million de tonnes avec la répartition suivante : 455’000 tonnes de protéines et 550’000 tonnes de céréales fourragères et autres matières premières des aliments pour animaux. Avec un volume de 290’000 tonnes, les tourteaux de soja occupent la première place parmi les supports protéiques, suivi par le gluten de maïs avec 35’000 tonnes et les tourteaux de colza avec 35’000 tonnes. Etant donné que l’approvisionnement en aliments protéiques est très mauvais en Suisse, plus de 80 % des besoins doivent être couverts au moyen d’importations en provenance de pays lointains. L’offre indigène est pour l’essentiel limitée aux tourteaux de colza (42’000 tonnes), aux pois (13’000 tonnes) ainsi qu’à quelques autres composants.« (source : www.vsf-mills.ch/fr/VSF/Futtermittel/Rohstoffe/Importe.aspx).
70% de ce soja provient du Brésil. Une bonne partie de notre production “interne” dépend donc de ressources externes et le calcul notre taux d’auto-approvisionnement doit être clairement révisé à la baisse! Vouloir augmenter notre autonomie agro-alimentaire commence par ne plus occulter ces flux d’énergie et de ressources environnementales en provenance d’autres régions du monde. Pour reprendre le texte soumis au vote, il y a encore du chemin à faire si l’on veut réellement que notre système agro-alimentaire corresponde au critère d’un usage rationnel des ressources naturelles – celles d’ici et celles d’ailleurs dans le monde!

Faire les bons choix aussi pour les denrées importées
Comme il semble peu envisageable d’augmenter nos taux d’auto-approvisionnement, il importe d’appliquer les critères de durabilité non seulement à la production dans le pays, mais aussi aux denrées importées. C’est l’autre volet de la disposition proposée au vote le 24 septembre.

Les récentes informations publiées notamment sur le marché mondial de la tomate illustrent parfaitement la situation. Citons ici l’enquête de Jean-Baptiste Malet, L’empire de l’or rouge, parue tout récemment chez Fayard. Le Matin a également consacré plusieurs articles ce mois d’août sur les conditions sociales et écologiques déplorables de l’industrie de la tomate en Italie.

Il s’agit donc d’introduire dans le commerce extérieur agro-alimentaire désormais des critères de durabilité et ainsi de lutter contre les effets désastreux de la sous-enchère environnementale et sociale. Vaste programme, qui consiste en rien de moins que de modifier les conditions et critères d’échanges actuellement très largement dominés par une production au moindre coût, quels qu’en soient les effets environnementaux, sociaux et pour notre santé. Système certes efficient – mais terriblement niveleur et réducteur. Beaucoup reste à faire là aussi, et le diable est comme souvent dans le détail. C’est toute une mentalité qu’il faut corriger, tout un mode de pensée fondé sur la croyance que le marché serait d’autant plus efficient qu’il n’est pas régulé.

Ce virage est essentiel et le nouvel article nous permet de l’amorcer. L’expérience nous enseigne qu’il ne suffit pas d’inscrire de belles phrases dans un texte légal, fût-il de rang constitutionnel. La clé de la mise en œuvre reste toujours la volonté politique des élu-e-s et de l’administration – et la cohérence de nos choix quotidiens en tant que consommatrices et consommateurs.

Heureusement, depuis un certain nombre d’années, une conscience critique se développe, tant au niveau des producteurs que des consommateurs, et les labels du commerce équitable et de modes de production plus respectueux de la qualité du produit et des conditions environnementales augmentent peu à peu leurs parts de marché. Le bio atteint en Suisse entre 7 et 8% du volume des denrées produites, et des parts de marché ; la part du commerce équitable est plus faible mais progresse également. Certes on est encore loin du mainstream, mais on est sorti de la marginalité et des marchés de niche.

Pour peu que le consommateur soit constant dans ses options et accepte de consacrer un peu plus de ses moyens à une alimentation de qualité – réalisant que nous sommes faits de ce que nous mangeons, la durabilité pourrait progresser plus rapidement dans les critères de notre production et de nos importations.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.

Une réponse à “Le 24 septembre: pour un système agro-alimentaire durable

  1. Merci pour votre travaille, et vos information, c’est sur qu’a ce rythme on ira pas loin.
    Les habitudes sont faites pour être changer, ils suffit d’informer les lecteurs, j’en suis sur que tout le monde voudrait faire un effort de ce coté là. les tomates en hiver, c’est une aberration, la surconsommation de viande aussi, on peut changer, le changement dans ce domaine est synonyme d’évolution, d’une prise de conscience pour le mieux vivre pour soi et pour les autres.

    LA SOCIÉTÉ DES BIENS DE CONSOMMATION A SA LIMITE. ET LE TERRE NE PARDONNE PAS.

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