1968-2017 : l’Amérique face à ses démons

L’élection de Donald Trump a brutalement rappelé au monde que l’histoire n’était pas linéaire. Et souligné la persistance d’une Amérique qu’on croyait réservée à Las Vegas, Disneyland et aux mauvais films. Ce mardi 4 avril nous permet tout spécialement de nous replonger dans le destin torturé de l’Amérique.

Mourir pour la justice
C’est en effet le 4 avril 1968 qu’un petit blanc frustré du Tennessee tirait sur Martin Luther King. Oui, l’homme décoré trois ans et demie auparavant du prix Nobel de la Paix pour son combat pour l’égalité de droits et de chances. Il devait succomber dans la soirée même. Un peu plus de 3 ans auparavant, le président Kennedy tombait sous les balles d’un sniper dans des circonstances  elles non plus jamais vraiment élucidées. Tout comme Robert Kennedy, ministre de la justice qui a trop pris au sérieux sa mission, le sera deux mois après King.

L’indignation fut immense -et pour une victime célèbre, combien de milliers d’autres emprisonnées, lynchées, tuées ? L’onde de choc obligea le Congrès à voter, enfin, sur demande du président Johnson, les actes législatifs garantissant l’égalité de droits indépendamment de l’origine raciale de tous les Américains.

Un combat de près de quinze ans, dans ces Etats du Sud qui avaient, après avoir été battus en 1865 dans une cruelle guerre civile par le président républicain ( !) Lincoln, fait durant un siècle le gros dos. Une lutte de tous les instants, pour avoir le droit de s’asseoir dans un bus, dans un restaurant, sur un banc public, là où on le souhaite et non pas là où vous contraint à vous confiner. Pour avoir le droit d’aller à la même école. Pour avoir le droit de s’inscrire sur les listes électorales.

Au moment où l’Afrique du Sud blanche s’enfonçait, par peur de la majorité noire, dans un Apartheid sans issue, une partie appréciable de l’Amérique s’y trouvait encore ; décidément, la Constitution des pères fondateurs n’était pas la même pour tous.

50 ans en arrière ?
Aujourd’hui, les propos violents et sans gène de Trump et de son entourage sonnent comme un écho de cette période qu’on pensait révolue. Et après le premier président noir, voici la scène gouvernementale encombrée de personnages grotesques: des créationnistes, des climatosceptiques, des suprémacistes blancs. Parmi eux, des admirateurs d’un lâche groupe terroriste, d’une association de malfaiteurs, ce Ku Klux Klan qui a tant de crimes impunis sur la conscience.

Deux Amériques
Le combat de Martin Luther King souligne qu’il a existé autre chose. Un mouvement rappelant à l’Amérique officielle que sa légitimité provenait de ses valeurs fondatrices, et que celles-ci n’avaient de crédibilité que si elles s’appliquaient à tous. Un mouvement qui refusait de rendre le mal par le mal, en optant dans un pays qui fait du port d’armes une fierté nationale, à l’instar de Gandhi, sur une complète non-violence (ce qui est tout le contraire de la passivité ou de la faiblesse). Ce mouvement qui n’a disparu ni avec le brutal assassinat de son leader, ni avec l’élection de son inverse Donald Trump. Un mouvement qui nous redonne espoir : si des reculs sont toujours possibles – et nous y sommes, l’histoire ne saurait s’arrêter là.

Un passé très actuel
J’ai déjà eu l’occasion d’évoquer dans une précédente contribution la très instructive biographie de King par l’américaniste française Sylvie Laurent, parue voici deux ans aux Editions du Seuil (Collection Points P4323). Je ne résiste pas à l’envie d’en extraire quelques citations d’une brûlante actualité:

• King, s’adressant au Président Johnson en 1967 : «ne prétendez pas que la priorité est d’avoir un budget ‘équilibré’ alors que notre société est si ‘déséquilibrée’» (p. 362).
• L’auteure, au sujet d’un livre paru en 1962: «blanche comme noire, la pauvreté décrite par Harrington est un îlot tragique de misère au milieu de l’abondance, dans lequel les hommes sont emprisonnés et ne peuvent, contrairement au credo national, s’élever par eux-mêmes» (p. 396). 55 ans plus tard, des pauvres (blancs) continuent à s’en prendre à d’autres pauvres (noirs, Mexicains, etc.) pour le plus grand bonheur de ceux qui n’auront ainsi rien à mettre en question.
• A nouveau King, en 1964: «je refuse d’accepter que le désespoir soit l’ultime réponse aux sinuosités de l’histoire… Je refuse de croire que l’homme n’est qu’une épave dérivant à la surface de la rivière de la vie, incapable d’agir sur son environnement» (p. 299).

Laissons toutefois le mot de la fin au Président Roosevelt, s‘adressant au Congrès au soir de sa vie, 11 ans après la prise de pouvoir d’Hitler, 3 ans après l’entrée en guerre des Etats-Unis : «Ceux qui ont faim et sont au chômage sont le bois dont on fait les dictatures» (p. 403). Rappel utile par les temps qui courent…

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.