Diaboliques éoliennes?

Dans le monde, les éoliennes produisent aujourd’hui davantage d’électricité que l’ensemble des quelque 450 réacteurs nucléaires: 432 GW installés fin 2015, contre 350 GW pour le nucléaire. Un tiers des turbines se trouve en Chine, un sixième aux Etats-Unis, selon le Global Wind Energy Council www.gwec.net/global-figures/graphs/. La part qu’atteint au Danemark l’électricité produite par les 5’200 éoliennes installées correspond à celle du nucléaire en Suisse, soit plus de 40%.

Une Suisse très en retrait

Et, précisément, en Suisse ? Les éoliennes sont au nombre de 35 ( !), dont près de la moitié sur un seul site, le Mont-Crosin dans le Jura Bernois, installées voici… 20 ans et devenues depuis un des atouts touristiques de la région : http://www.jurabernois.ch/fr/decouvertes/les-insolites/centrale-eolienne-mt-crosin.1049.html. En 2015, elles ont produit un total de 109 millions de kilowattheures, soit la consommation électrique de 30’000 ménages. Très loin de l’objectif fixé pour 2035 de 375 éoliennes, de 2 MW chacune, fournissant 2,5% de la consommation d’électricité. Pour 2050, la planification visait 800 éoliennes, plus puissantes et produisant l’équivalent de la consommation d’un million de ménages, soit environ 8% de l’électricité consommée en Suisse. Au fur et à mesure que les mesures d’optimisation de la consommation se développent, cette part augmentera évidemment d’autant.

Le potentiel productif et donc le nombre d’installations implantables est fonction des mesures de vent. Les données récemment actualisées sur www.atlasdesvents.ch permettent une réévaluation à la hausse. L’écart entre le techniquement possible et ce qui est réalisé est d’autant plus frappant. C’est que l’éolien est fortement contesté. Certes, notre pays est densément peuplé, le chuintement des pales dérange; en raison de cette densité, le paysage en Suisse, tout comme la biodiversité, est particulièrement sensible. Il est clair que le techniquement possible ne peut pas faire fi des exigences d’insertion dans les sites, de la présence d’habitations à proximité et de la protection de l’avifaune.

Toutes les nuisances ne sont pas égales

Toutes les formes d’énergie génèrent des nuisances. Toutefois, celles-ci peuvent être clairement situées et classées. Le nucléaire pose le problème qu’une réaction radioactive une fois déclenchée ne peut plus être stoppée. Les déchets de l’exploitation d’une centrale, et les éléments irradiés de celle-ci, nécessitent un gardiennage en lieu sûr pour des durées extrêmement longues. Outre le risque d’un accident (du type Tchernobyl ou Fukushima), cette caractéristique obère de manière fatale le calcul économique de la filière. Seuls ceux qui n’ont aucun scrupule à reporter les problèmes sur les générations à venir peuvent encore se réjouir à la vue d’une centrale nucléaire.

Quant au fossile, les enjeux climatiques le condamnent clairement : un tiers des réserves de pétrole, la moitié du gaz et plus de 80 % du charbon devront rester inexploitées si l’on veut atteindre l’objectif de l’Accord de Paris. Il s’ajoute que ni l’uranium ni les ressources fossiles ne sont renouvelables à échelle humaine. Restent donc les énergies renouvelables, également nettement moins polluantes. Certes, exploiter chaque goutte des cours d’eau au risque de les assécher n’est pas acceptable, et c’est pourquoi des débits résiduels ont été imposés. Certes, les panneaux photovoltaïques doivent être gérés correctement une fois devenus déchets. Certes l’éolien doit être implanté avec prudence.

Une opposition exagérée

Mais on peut dire sans crainte de se tromper que l’opposition aux éoliennes en Suisse est exagérée. L’argument esthétique ? Qui aurait parié que la Tour Eiffel, héritage d’une exposition universelle, gagne le cœur des Parisiens et du monde ? Elle était pourtant destinée à être démolie: https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_la_tour_Eiffel#La_tour_promise_.C3.A0_la_destruction_est_sauv.C3.A9e_pour_son_int.C3.A9r.C3.AAt_scientifique Qui aujourd’hui oserait dire qu’un moulin à vent de l’ère préindustrielle gâche un paysage ? Au contraire, les régions qui en ont conservé, les îles de la Méditerranée par exemple ou l’Europe du Nord, en tirent un argument touristique et patrimonial. Qui peut vraiment affirmer que les éoliennes modernes sont laides et défigurent nos sites ? Question éminemment subjective… Le bruit ? Et celui des routes, des motos pétaradant sur les petits chemins de campagne, des avions ? Le fait que la radioactivité agit en silence, et le gaz carbonique également, ne doit tromper personne. Les dangers pour l’avifaune ? Oui là il y a des arbitrages à faire et il faut avoir le courage de renoncer à des équipements lorsque le risque est établi.

Enfin le mode de financement est certainement aussi un élément de la réponse. Quand c’est le fait d’investisseurs extérieurs aux sites d’implantation, il est toujours facile de prétendre que d’autres empochent la mise, même quand ce sont des compagnies d’électricité en mains publiques. Mais quand c’est la communauté elle-même, aidée de «crow-funding», qui met la main au portemonnaie, les éoliennes se rapprochent du coup émotionnellement des riverains. Ce mode de financement est courant en Allemagne et démarre aussi en France, notamment en Bretagne : www.eolien-citoyen.fr/accueil-begawatts.html

Se libérer de l’étreinte du fossile et du fissile

La transition énergétique est indispensable pour nous libérer de l’étreinte du fossile et du fissile, elle passe par une optimisation de nos consommations et un développement important des énergies renouvelables. Exactement ce que décrit la Société à 2000 W, modèle  lancé voici 20 ans par l’EPFZ : diviser par trois la consommation et assurer les ¾ de celle subsistante par les énergies renouvelables http://www.2000watt.ch/fr/societe-a-2000-watts/. Un tel objectif ne peut être atteint que par un bouquet de mesures agissant aux différents niveaux, et ce serait vraiment dommage de laisser volontairement de côté l’énergie abondante et facile à capter du vent, qui a permis à nos ancêtres de traverser les mers et d’actionner moult machineries hautement utiles.

René Longet

Licencié en lettres à l’Université de Genève, René Longet a mené en parallèle d’importants engagements, dans le domaine des ONG et du monde institutionnel, pour le vivre-ensemble ainsi qu'un développement durable. Passionné d’histoire et de géographie, il s’interroge sur l’étrange trajectoire de cette Humanité qui, capable du meilleur comme du pire, n’arrive pas encore bien à imaginer son destin commun.