La start-up comme partenaire d’innovation

Créer des ponts entre une grande entreprise et des start-up n’est pas toujours simple. Cependant cela devient indispensable pour assurer sa capacité d’innovation. Si l’on est par exemple un assureur qui cherche à valoriser ces milliards de données médicales pour aider ses clients à rester en bonne santé, développer des partenariats avec des start-up spécialisées en intelligence artificielle est nécessaire, il n’est plus possible de tout faire en interne. Alors comment rendre ces ponts moins glissants ?

Innover, ce n’est pas juste avoir une idée originale. L’innovation consiste à réussir à obtenir un succès sur le marché. Dans les grandes structures, un des freins dans la mise en œuvre d’une innovation réside dans la culture d’entreprise, généralement mieux adaptée à améliorer les produits existants et à réduire les coûts. Collaborer avec des start-up est une solution pour augmenter la capacité d’une entreprise à innover, mais les ingrédients du succès restent encore très mystérieux.

De l’autre côté, une start-up a besoin d’utiliser les forces d’une grande entreprise telles que son savoir-faire, son accès aux clients et sa capacité à déployer des solutions à large échelle pour lui permettre d’atteindre la phase de croissance.

Dans le but d’identifier ces « ingrédients » qui permettent de réussir un partenariat avec une start-up, l’EPFL Innovation Park a lancé en novembre dernier une nouvelle formation sous la forme d’ateliers. Au programme, partages d’expériences, session de brainstorming et résolution collective des défis de chaque participant.

Après deux séries d’ateliers très enrichissantes, voici quelques éléments et exemples intéressants qui permettent de progressivement lever le voile sur certains ingrédients du succès.

Quelles sont mes motivations ? 

En premier lieu, formuler clairement les raisons pour lesquelles on souhaite collaborer avec des start-up est essentiel, cela permet de focaliser les recherches, d’optimiser les interactions et de clarifier les attentes. Deux motivations sont fortement ressorties des échanges :

Développer un nouveau marché : l’interaction avec des start-up permet de faire de la veille économique et d’entrer sur de nouveaux marchés. L’entité d’innovation de Samsung a par exemple mis en place des partenariats et investi dans des start-up dans l’objectif de définir son positionnement sur le marché des transports.

Samsung a investi dans AImotive, société qui développe de l’intelligence artificielle pour la conduite des véhicules autonomes. Elle a également pris une participation dans Valens qui propose des solutions de connectivité pour véhicules. Grâce aux algorithmes d’AImotive, nous n’aurons plus à nous concentrer sur la route, il faudra donc nous occuper autrement, en visionnant nos films préférés grâce à une excellente connectivité dans notre voiture. Brique après brique, Samsung développe sa proposition de valeur dans la mobilité du futur.

Faire évoluer sa culture d’entreprise et acquérir de nouvelles compétences : Le co-développement de produits avec des start-up permet d’accéder à de nouvelles méthodes de travail et de combiner des équipes avec des profils différents. L’approche « tester et apprendre » qui est simplement une question de survie pour une start-up est ainsi appliquée dans la grande entreprise, plus souvent habituée à lancer de grands projets.

Différents mécanismes existent pour permettre d’identifier les startups avec lesquelles lancer des projets de co-développement, le Groupe Mutuel a par exemple mis en place l’année dernière sa « roue de l’innovation » :

Quelles formes de collaboration mettre en place ? 

Conserver ses clients en bonne santé en mettant l’innovation (big) data au cœur de sa stratégie, c’est un des axes forts de la vision présentée lors des ateliers par Nicolas Loeillot. Pour y arriver, deux mécanismes ont été mis en place pour acquérir les compétences nécessaires, fournir l’infrastructure et l’environnement de travail adéquat :

Lancement d’un accélérateur : Dans le but d’attirer les meilleures start-up qui possèdent des compétences en intelligence artificielle pour valoriser les informations médicales que possède l’assureur, Groupe Mutuel a lancé un accélérateur nommé InnoPeaks. Chaque année une dizaine de start-up s’installent pour une durée de 12 semaines dans les locaux de l’assureur.

Parmi la première volée, on trouve le start-up Medicus. Cette société interprète les rapports médicaux et les traduit en action simple et compréhensible pour le patient. Vous installez leur application, vous prenez une photo de vos analyses sanguines et vous découvrez ensuite leur signification et des conseils pour par exemple réduire votre taux de glucose.

Création d’un Innolab : la roue comprend également la mise en place d’un laboratoire d’innovation autour de la donnée. Il consiste à regrouper toutes les informations à disposition dans le groupe pour permettre d’y développer des algorithmes et explorer de multiples possibilités de valorisation.

Un des premiers défis adressés est le suivant : aider le patient à guérir plus rapidement. En analysant le chemin de santé de milliers de patients, l‘objectif est de déterminer la thérapie et la séquence d’actions la plus efficace à entreprendre pour soigner le patient.

Une approche collaborative pour identifier les ingrédients d’un partenariat réussi

A l’image du Groupe Mutuel, de nombreuses sociétés lancent des initiatives pour innover en faisant des partenariats avec des start-up. Genève Aéroport, Coty, Total, Berney Associés ou encore Maxon Motor ont participé à nos deux premières formations, tous ayant mise en place des formes de collaborations avec des start-up.

De l’autre côté, des entrepreneurs suivent également ces ateliers pour amener leur perspective. La mise en commun de ces expériences et la confrontation des différents points de vue (écart de perception entre l’entrepreneur et le responsable innovation d’un grand groupe) vont nous permettre à terme d’identifier et de partager tous ces ingrédients qui permettent d’augmenter les chances de succès d’un partenariat.

Si vous souhaitez rejoindre cette communauté, la prochaine session aura lieu le 5 et 6 septembre prochain : https://epfl-innovationpark.ch/collaboration-workshops/

Big data, big profit ?

Réduire les coûts de la santé en améliorant la prise en charge des malades. Améliorer l’expérience en transports publics pour réduire les émissions de CO2 et fluidifier le trafic. Des entreprises s’attaquent à ces enjeux de sociétés en adoptant une stratégie d’acquisition de multiples sources de données pour constituer un « Big Data ». Ils développent ensuite une capacité à transformer cette nouvelle ressource en un service innovant qui a le potentiel de modifier durablement les domaines sur lesquels ils sont actifs.

Lors du Meyrin Economic Forum sur le thème « l’innovation au service de l’humain » organisé le vendredi 8 février dernier, les organisateurs m’ont demandé de faire une présentation autour de la question suivante : Big data, big profit ? Voici trois tendances illustrées par des exemples qui me permettent de répondre par l’affirmative.

1. Acquérir toujours plus de données – l’exemple de Google

Le printemps arrive, c’est jeudi et le week-end s’annonce radieux. Cette perspective vous donne envie d’acheter une nouvelle paire de lunettes de soleil. Un critère d’achat important est de pouvoir les obtenir avant le week-end ! Lorsque vous faites une recherche sur Google, la première annonce référencée est un opticien qui vous propose les Ray Ban de vos rêves, disponibles en stock, à deux pas de chez vous. La raison : Google intègre cette notion « d’urgence » en proposant un référencement préférentiel à l’opticien qui lui fournit ces données d’inventaire. Ce service s’appelle « Google Merchant Center ».

Google a déjà une compréhension de la demande : l’entreprise a généré en 2018 un chiffre d’affaires de $116 milliards grâce à de la publicité ciblée basée sur les données qu’elle collecte sur vous lorsque vous utilisez des services tels que Google Search, Gmail, Google Maps et YouTube. Avec ces données, Google connaît vos besoins et vos préférences.

En lançant Google Merchant Center, la société augmente encore son « Big Data » en intégrant les données d’inventaire des magasins. Elle obtient ainsi une compréhension de l’offre.

Lorsque vous faites une recherche, Google peut ainsi adapter le référencement et faire correspondre l’offre et la demande pour augmenter la probabilité d’achat. Ce nouveau « Big Data » va lui permettre de renforcer sa position dominante sur ce marché.

2. Valoriser les données disponibles – l’exemple de Babylone Health

Diagnostic en ligne et consultation en vidéoconférence, la prise en charge du patient se fait par un smartphone. C’est la solution de Babylon Health, nouvel acteur de la santé qui développe une intelligence artificielle qui effectue un diagnostic médical. L’interface se présente sous la forme d’un agent conversationnel (chatbot) qui vous pose des questions pour identifier les symptômes de votre maladie. Les algorithmes sont entraînés grâce à des millions de données de pratique de la médecine mises à dispositions par les organismes de santé publique.

En partenariat avec la NHS (National Healthcare Systems en Angleterre), Babylon Health a lancé son service dans certains quartiers de Londres. L’objectif est d’améliorer la prise en charge des malades et de réduire le temps d’attente en vous mettant rapidement en contact avec le spécialiste adéquat ou l’hôpital, en fonction de la gravité et du type de maladie dont vous souffrez. La solution permet d’interagir directement avec un médecin au travers de l’application installée sur son smartphone. Dans la zone desservie par le pilote, le temps moyen pour avoir accès au conseil d’un docteur est passé de 2 semaines à 2 heures. Ce service s’appelle d’ailleurs « Docteur à portée de main » (GP at Hand).

Cette start-up a déjà levé $85 millions pour son développement. Cet argent lui permet d’être active sur toute la chaine de valeur, en développant un réseau de médecins et de cliniques.

3. Générer de nouvelles données – l’exemple de Moovit

Moovit propose une application mobile dédiée aux transports publics et à la mobilité douce : en installant l’application Moovit, vous obtenez l’itinéraire optimal pour vous rendre à votre lieu de rendez-vous en utilisant soit les transports publics, le vélo ou la marche. Son service prend en compte les conditions de trafic en temps réel.

Pour « nourrir » ces algorithmes, Moovit capte différentes sources de données :

  • Les données « Open Data » des villes et des transports publics telles que les trajets et les horaires des bus et des trains et les emplacements des pistes cyclables
  • Votre position et vos mouvements renvoyés par le GPS de votre smartphone
  • Elle s’appuie sur une communauté de plus d’un demi-million de bénévoles qui via l’application, informent en temps réel des retards, des travaux et des modifications de parcours dans les transports publics

Moovit a déjà plus de 300 millions d’utilisateurs à travers le monde. Elle obtient ainsi plus de 4 milliards de géodonnées par jour, ce qui en fait le plus grand registre de données de transport au monde. Pour proposer des services de mobilité à la demande et réduire les embouteillages, l’accès à un tel registre sera indispensable.

La société revend déjà ces informations aux villes qui peuvent ainsi mieux planifier leurs infrastructures. Elle a également signé en novembre dernier un partenariat avec Microsoft. Cette stratégie d’acquisition de multiples sources de données commence donc à porter ces fruits et lui permet déjà de négocier avec des multinationales qui cherchent à jouer un rôle dans la mobilité du futur.

Quatre types de sources de données

Dans sa stratégie d’acquisition d’un « Big Data », il faut donc pouvoir intégrer plusieurs types de flux pour créer une proposition de valeur intéressante. On peut classer les types de sources de données comme suit :

Les technologies de stockage et de transformation de milliards de données sont disponibles, avec de nombreux outils qui sont souvent open source. Si on ne veut pas expérimenter seul ou qu’on ne possède pas toutes les compétences en data science, des plateformes collaboratives apparaissent, à l’exemple de AIcrown, start-up récemment lancée par un professeur de l’EPFL. La valorisation des données est une tendance forte, il est donc temps d’apprendre à donner du sens à vos données.

Ma présentation lors du forum économique de Meyrin :