De la carte papier au jumeau numérique du territoire

Pour lancer la saison des colloques swisstopo, la thématique des jumeaux numériques a été présentée. La première fois que j’ai entendu ce terme, c’était il y a presque dix ans lorsqu’un ami entrepreneur avait lancé sa start-up, Akselos, qui propose un outil de simulation de structures mécaniques, par exemple des éoliennes. En effet, ce terme a d’abord été utilisé dans l’industrie, pour concevoir des composants ou des systèmes mécaniques. Lors du processus de développement d’un système, les objets sont d’abord créés de manière digitale afin de tester leurs bons fonctionnements et de rectifier les erreurs. Les composants physiques sont fabriqués à la fin, une fois le design optimisé, pour éviter de produire de nombreux prototypes.

Durant le colloque, l’université de Melbourne a présenté sa plateforme de jumeau numérique dans un contexte urbain. L’idée est d’appliquer le même concept, mais à l’échelle d’une ville. Cette plateforme combine plusieurs sources de données du territoire et les visualise en trois dimensions (voir en quatre dimensions si l’on rajoute l’évolution dans le temps). Lorsque des changements majeurs sont planifiés dans cet environnement urbain, l’impact peut être testé et simulé dans le monde virtuel avant d’être mis en œuvre dans le monde réel.

On peut classer les applications de ces jumeaux numériques du territoire en deux grandes catégories.

Maintenance des infrastructures et augmentation de la résilience

Planifier la rénovation des infrastructures a été la motivation première pour les projets de jumeaux numériques de l’université de Melbourne. Un audit effectué en 2015 concluait que la majorité des infrastructures australiennes seraient en 2030 dans un état de qualité inférieure aux normes.  Au vu de l’ampleur des défis, des recherches ont été lancées pour créer une plateforme d’aide à la prise de décision sur les travaux de rénovation prioritaires à effectuer.

Dans le canton de Neuchâtel, toutes les routes cantonales viennent d’être « scannées » (acquisition d’images et de nuages de points avec des capteurs sur un véhicule). Ces informations permettent au service des routes de planifier les travaux de maintenance sans avoir à aller sur le terrain. Dans le futur, en intégrant sur une même plateforme les données de trafics fournies par les caméras, il sera par exemple possible d’évaluer quelles sont les routes les plus fréquentées et prévoir un calendrier de rénovation basé sur le taux d’utilisation.

Ces jumeaux numériques peuvent également jouer un rôle dans la prévention des catastrophes naturelles et augmenter la résilience de nos villes. Un projet est en cours à l’université de Melbourne pour modéliser les flux d’eau générés par les orages sur un jumeau numérique d’un réseau routier en transformation. Cela permettra de proposer des améliorations pour augmenter la capacité d’absorption d’eau lors d’orages abondants, et ainsi d’éviter des inondations.

Planification urbaine et développement participatif

Ce sont probablement les applications les plus rependues actuellement : intégrer les nouveaux projets de construction dans un jumeau numérique afin de visualiser son impact et de modéliser différents scénarios de construction. La ville de Zürich utilise déjà cette solution pour la sélection de projets à l’occasion des concours d’architectures pour le développement de nouveaux quartiers. Combiner avec des outils de réalité mixte permet aux architectes, promoteurs et administrations publiques de s’« immerger » dans le futur quartier.

Ces applications ne doivent cependant pas se limiter aux professionnelles de la construction. Une utilisation plus large en intégrant la population permettra de construire des quartiers répondant mieux aux besoins de ces utilisateurs. Des initiatives sont en cours pour explorer comment introduire de telles solutions dans la planification et sensibiliser les habitants. Dans un quartier d’Helsinski, une application permet aux résidents de rajouter des espaces verts, arbres ou buisson sur une application contenant un jumeau numérique de leur espace de vie. Une manière ludique d’impliquer le citoyen et de voir de quelle manière il peut contribuer à l’évolution de son quartier.

De nouveaux services à imaginer

Ces jumeaux numériques vont faire émerger de nouveaux services. Un projet passionnant sur la mobilité, enjeu majeur de nos villes, a été lancé par la ville d’Helsinki : « Digital Twin for mobility ». Dans ce projet, une liste de nouveaux services potentiels a été imaginée, il concerne le transport de marchandises, la gestion dynamique des espaces de stationnement en passant par l’amélioration des services de micro-mobilité.

L’acquisition aérienne des données du territoire à une fréquence de plus en plus élevée, le déploiement de nombreux capteurs, l’évolution des standards et finalement l’accès à des outils de développement performant (notamment ceux créés par l’industrie des jeux vidéo pour la visualisation) permettront de généraliser ces jumeaux numériques.

Améliorer nos lieux de vie en expérimentant sur un territoire virtuel, c’est finalement l’un des objectifs de ces jumeaux numériques urbains.

 

Jumeaux numériques, les éléments clés à mettre en œuvre :

A quelle vitesse se déploieront les véhicules sans conducteur?

Se déplacer en navette autonome, c’est possible dans de nombreuses régions de Suisse où les projets pilotes se multiplient. Ayant parcouru quelques kilomètres dans l’une d’elles, j’ai été enthousiasmé par les progrès accomplis. On est encore loin d’un déploiement à large échelle, mais il est temps d’apprendre à cohabiter avec ces nouveaux véhicules

19 km/h, c’est la vitesse actuelle de la navette autonome des TPG (Transports publics genevois) qui sillonne les rues de Meyrin. Son parcours est compliqué. Elle roule dans une zone limitée à 30 km/h, avec une circulation à double sens sur une route très étroite, car des places de parcs ont été aménagées sur les bords. La dernière fois que je suis monté dans un véhicule autonome, c’était en 2015 sur le campus de l’EPFL. Quel progrès accompli entre-temps! La navette n’est de loin pas encore parfaite, mais elle permet déjà de connecter de façon assez fiable les quelques kilomètres qui séparent la gare de Meyrin à la ligne de tram. On pourrait comparer son comportement à celui d’une apprentie conductrice. Elle effectue de nombreux freinages secs et roule plus lentement.

Apprendre à cohabiter

La navette circule dans les rues de Meyrin depuis maintenant un an et demi. Ses améliorations progressives consistent principalement à se rapprocher du comportement d’un conducteur «idéal». C’est-à-dire: sélectionner la trajectoire optimale, anticiper les manœuvres et définir les actions correctes à entreprendre selon les différents obstacles qui se présentent.

Au cours du temps, les habitants du quartier se sont habitués à sa présence. Comme il est bien plus facile de faire respecter le Code de la route à un robot qu’à un humain, la navette est exemplaire. On observe même qu’elle a une influence positive sur le comportement routier des conducteurs qui fréquentent quotidiennement cette route.

Garantir la confiance

Les défis technologiques restent cependant nombreux. Les véhicules autonomes actuellement en service n’ont pas encore suffisamment de capteurs pour être aussi performants que l’humain. A l’image de nos cinq sens, les navettes ont besoin d’une combinaison de senseurs comme la détection par laser (lidar), de caméras et de systèmes radars pour améliorer leur autonomie.

Fin février, une personne est tombée de son siège lors d’un arrêt brutal d’une navette dans la ville de Columbus (Ohio). Les autorités américaines ont immédiatement pris la décision de suspendre les 16 navettes similaires en fonction dans 10 villes américaines.

Permettre l’expérimentation pour améliorer la technologie tout en préservant la confiance des utilisateurs en évitant des accidents est un des nombreux défis.

 De nouveaux métiers se créent

Pour opérer ces navettes sans conducteur, il faut effectuer régulièrement une cartographie numérique de la route. Sur cette carte, la trajectoire du véhicule doit être définie précisément. Chez BernMobil, l’entreprise de transports publics de la ville de Berne, une personne est en formation pour acquérir ces nouvelles compétences et ainsi devenir un designer de trajectoires pour véhicules autonomes. Une navette circule actuellement le long de l’Aar et le trajet doit régulièrement être adapté, notamment en fonction des saisons.

Pour l’instant, un opérateur doit toujours être à bord du véhicule. Dans le futur, on peut imaginer que l’opérateur ne sera plus présent dans chaque véhicule, mais dans un poste de contrôle et devra gérer une flotte de navettes. Dans 10 ans, on aura probablement beaucoup moins de chauffeurs de bus, mais de nouveaux postes seront créés, comme celui de designer de trajectoires ou d’opérateur de véhicules autonomes.

On observe à nouveau que l’introduction d’une nouvelle technologie modifie le type de compétences et crée de nouveaux métiers. Il est important de se préparer à ces changements pour éviter un choc au niveau de l’emploi. Le professeur David Autor du Massachusetts Institute of Technology, venu dernièrement donner une conférence à Lausanne, exprimait très clairement cet enjeu: si demain, on n’a plus besoin des 4 millions de chauffeurs routiers qui circulent aux États-Unis, c’est un gros problème. Si l’on anticipe et que l’on prend les mesures adéquates, maintenant, en sachant que les camions autonomes deviendront une réalité dans 20 ans, on peut parfaitement gérer le changement.

Obtenir une mobilité durable

La plupart des projets pilotes actuels testent la mise en place d’une ligne de transport public avec des arrêts et des horaires fixes. La vitesse maximum étant actuellement de 19 km/h, ces véhicules circulent dans des zones 30 pour ne pas trop perturber le trafic. Les avantages sont donc très limités dans ces cas d’usage. L’objectif est de tester et d’acquérir de l’expérience.

Pour qu’une telle solution devienne intéressante, il faudra pouvoir introduire un système d’offre à la demande. C’est d’ailleurs tout l’intérêt d’avoir des navettes plutôt que des voitures individuelles autonomes. Pour éviter une explosion du trafic, il est essentiel de pouvoir mutualiser les trajets.

Se familiariser avec le véhicule sans conducteur

Les promesses et les perspectives offertes par l’introduction des véhicules autonomes sont énormes: sauver des millions de vies en réduisant massivement le nombre d’accidents, faire gagner aux usagers de la route des centaines d’heures qu’ils perdent normalement en étant au volant et réduire les émissions de CO2. Mais, le chemin est encore long.

C’est une thématique passionnante à suivre et nous avons la chance d’avoir de nombreux projets pilotes en Suisse. N’hésitez pas à expérimenter vous-même cette mobilité du futur en allant vous promener à Meyrin, le long de l’Aar à Berne ou dans le quartier du Marly Innovation Center à Fribourg. De plus, pour le moment, il y a toujours un opérateur ou une opératrice sympathique à bord qui vous expliquera avec plaisir son travail, consistant à éduquer le cerveau algorithmique de son véhicule. Cette personne développe d’ailleurs une autre nouvelle compétence essentielle du XXIe siècle: la pensée computationnelle (comprendre comment formuler un problème pour que la machine puisse le résoudre).

 

Lors du Forum des 100 «Les Suisses face à l’intelligence artificielle » le 25 septembre à l’EPFL, cette thématique sera abordée lors d’une des sessions : L’AI et la mobilité, à quelle vitesse vers l’auto sans conducteur ? Les enjeux liés aux données qui nourrissent les algorithmes seront notamment discutés.

La prochaine fois que vous changerez de voiture, ce sera pour un abonnement sur votre smartphone

Ces derniers mois, j’observe une accélération du développement des plateformes de mobilité. Si votre voiture arrive bientôt en fin de vie et que vous pensez la changer pour une voiture électrique, il est peut-être préférable d’attendre. La mobilité comme service (Mobility-as-a-Service en anglais) se profile à l’horizon.

Ce modèle d’affaires consiste à payer un abonnement mensuel qui vous donne accès à plusieurs modes de transport : bus, train, voiture de location, taxi, service d’autopartage ou encore vélo et trottinette en libre-service. L’application vous indique pour tous vos trajets la combinaison optimale pour arriver à votre destination.

Sachant qu’en moyenne votre voiture est parquée 95% du temps, cette solution mérite d’être considérée.

Qui s’imposera comme le nouveau Netflix de la mobilité ?

On peut distinguer trois types d’entreprises qui développent cette nouvelle manière de “consommer” la mobilité :

  1. Des start-up lancent de nouvelles plateformes avec l’ambition de conquérir le monde
  2. Les applications de transports publics élargissent leur service
  3. Les plateformes de transport par chauffeurs privés tels que Uber et Lyft intègrent dans leur application des modes de transport alternatifs

Parmi les nouvelles entreprises, la société Maas Global vient tout juste de terminer un tour de financement de 29.5 millions d’euros. Elle a lancé l’application Whim il y a 2 ans en Finlande. A Helsinki, l’application propose par exemple un pack Whim Unlimited qui comprend les transports publics, les vélos en libre-service, les taxis et les véhicules de location pour 499 euros par mois. Plus de 6 millions de trajets ont déjà été effectués en utilisant cette solution.

Cette nouvelle levée de fonds vise à soutenir l’expansion dans de nombreuses villes. Comme dans le cas de la téléphonie mobile, le succès d’un tel service dépendra des possibilités de « roaming ». Pouvoir utiliser la même application partout où l’on se déplace est primordial pour obtenir un taux d’adoption élevé. Comme utilisateur, on ne veut pas devoir installer sur son smartphone une application par ville et gérer de multiples abonnements.

Les applications des transports publics étendent leur offre avec des forfaits intégrant plusieurs modes de transport. Lausanne et Genève ont uni leur force pour lancer l’application ZenGo. Vous pouvez, depuis cet été, faire partie du pilote et souscrire un abonnement qui vous donne accès aux transports publics et à l’offre de PubliBike. En complément, avec un système de jetons, l’abonnement vous donne aussi accès aux services de Mobility et de TaxiService. La mise en place des partenariats et l’harmonisation du service est un défi. Dans ce pilote, Mobility est par exemple uniquement disponible à Genève.

Avec une approche plus globale, Moovit, l’application leader pour la recherche de trajet en transports publics, vient de signer le mois dernier un partenariat avec Waze pour intégrer son service d’autopartage. Moovit, déjà mentionné dans mon article précédent sur le Big data, compte maintenant plus de 500 millions d’abonnés dans le monde. Cette intégration leur permet de proposer une solution alternative pour des trajets qui sont mal desservis par les transports publics.

Finalement, les plateformes de transport par chauffeurs privés évoluent également dans cette direction : Uber a lancé son service Transit dans douze villes dont Paris. Son application vous propose des itinéraires en bus et en métro. L’entreprise a également intégré dans son application Jump, son service de vélos électriques.

L’objectif d’Uber est d’augmenter la fréquence d’utilisation de son application. En contrôlant la relation client, ils espèrent, dans le futur, trouver des moyens de monétiser ces services, probablement en utilisant nos données de mobilité qu’ils auront collectées.

Comment nos données sont-elles utilisées ?

Avec ces deux milliards d’utilisateurs, Facebook possède suffisamment de données pour analyser nos comportements et connaître nos préférences et nos envies. De façon similaire, l’entreprise qui s’imposera sur ce marché de la « mobilité comme Service » possèdera une mine d’or d’informations sur tous nos mouvements. On peut déjà observer les premiers signes : avec ses 500 millions d’utilisateurs, Moovit revend déjà des données à Uber pour son service Transit.

En conséquence, avant de remplacer sa voiture pour un abonnement à une de ces applications, il faudra se demander à qui l’on veut donner l’information sur tous nos déplacements et savoir ce que ces sociétés vont en faire. Obtenir une transparence sur les algorithmes sera important pour savoir de quelle manière ces entreprises vont influencer nos déplacements.

Ce marché est estimé par certains analystes à $100 milliards en 2030. On peut s’imaginer qu’une partie du revenu sera générée par la monétisation de nos données.

En complément :

Le service de Whim expliqué en anglais :

La version plus locale avec ZenGo, le pilote lancé cet été à Genève et Lausanne :

Les start-up qui inventent les transports et la mobilité de demain

La fédération internationale de l’automobile (FIA) vient de lancer en début d’année un programme d’accélération pour soutenir les start-up actives dans le domaine de la mobilité. Le programme est appelé : « Smart Cities : aider les villes à définir de nouveaux modèles pour une mobilité urbaine durable ».  Cet accélérateur piloté par Masschallenge est ouvert aux start-up du monde entier. Les finalistes retenus seront coachés de juillet à octobre en Suisse dans les ateliers de Renens, nouveau hub d’innovation dans le Canton de Vaud. Sur les dix dossiers que j’ai eu à évaluer, il y a deux tendances qui ressortent :

  • S’inspirer des nouveaux modèles d’affaires implémentés avec succès dans d’autres industries en intégrant des technologies digitales
  • Se profiler comme un nouvel acteur de la mobilité en proposant des solutions pour les véhicules autonomes

Devenir le Airbnb des places de parc ou le Netflix des voitures

Grâce à sa plateforme, Airbnb a transformé l’industrie touristique en permettant à tout le monde de louer son appartement de manière simple et sécurisée lorsqu’on est absent.

Notre place de parc étant le plus souvent libre la journée, il serait intéressant de pouvoir la louer. Parmi les dossiers évalués, la start-up Parkk propose une solution intéressante. Elle a développé une application mobile qui vous permet de réserver une place. Le locataire doit installer une borne connectée gérée à distance par l’application. Le processus de location est entièrement automatisé et piloté par son smartphone :

Depuis l’arrivée du modèle Netflix, nous pouvons consommer des films et des séries sans les acheter. On paye un abonnement mensuel qui nous permet d’accéder au service en tout temps, de l’adapter à notre guise et de l’arrêter quand on le souhaite.

De manière similaire, au lieu d’investir des dizaines de milliers de francs pour acheter une voiture ou prendre un leasing sur plusieurs années, il serait pratique de pouvoir utiliser une voiture en payant simplement un abonnement mensuel. Plus besoin par exemple de souscrire un contrat d’assurance et de demander des plaques d’immatriculation. Si la famille s’agrandit, on modifie simplement son abonnement pour obtenir une voiture plus grande. C’est la proposition de valeur d’une des start-up qui a appliqué au programme, Wagonex. Elle a déjà signé un premier partenariat avec le groupe PSA Peugeot Citroën en novembre dernier. Grâce au digital, toute la chaine a été automatisée pour permettre à la société de vous fournir une voiture clé en main en payant un abonnement mensuel.

Proposer un service de navettes autonomes et des « robotaxis »

De nombreux pilotes sont déployés dans le monde pour introduire des véhicules autonomes. Il est intéressant d’observer les différentes approches :

L’approche disruptive de start-up qui développent de nouvelles navettes autonomes en s’appuyant sur une expertise pointue en développement software et en robotique. Coast autonomous, candidat à l’accélérateur en fait partie et mets en avant son pilote au centre de Times Square à New York.

Ces start-up n’ont cependant pas le savoir-faire de l’industrie automobile qui maîtrise parfaitement les processus de production et elles sont freinées par le cadre législatif qui évolue progressivement. Par exemple, dans le cas du pilote de navettes autonomes à Sion, le lancement a été retardé car la navette n’avait pas d’essuie-glaces, accessoire indispensable aux yeux des autorités fédérales. En effet, les conditions d’exploitation imposent qu’un chauffeur puisse en tout temps reprendre le contrôle sur le véhicule. Il fallait donc assurer une bonne visibilité en cas de pluie.

L’approche hybride de start-up comme Waymo (spin-off de Google) qui se concentre sur le développement de la technologie pour rendre le véhicule autonome. Elle intègre ces solutions sur des véhicules existants qui sont adaptés. Chrysler Automobiles et Jaguar Land Rover sont les deux partenaires actuels de Waymo. Une flotte de véhicules est en ce moment en circulation sur un périmètre restreint de Phoenix en Arizona :

Les véhicules de Waymo ont déjà parcouru plus de 16 millions de km. Les algorithmes d’intelligence artificielle peuvent donc se « nourrir » d’une grande quantité de données. En conséquence, cette start-up semble pour le moment se profiler comme le leader, ce qui peut s’observer en regardant l’estimation de sa valorisation : Waymo est déjà valorisée à $175 milliards selon les estimations de Morgan Stanley. A titre de comparaison, le leader actuel de l’industrie automobile Toyota a une capitalisation boursière de $200 milliards.

Finalement, si l’objectif est d’obtenir une mobilité durable, il faudra également voir comment se développe le marché : si la mobilité du futur est constituée de robotaxis qui transportent majoritairement des personnes seules, le nombre de véhicules sur nos routes va continuer d’augmenter, voire exploser. Il serait donc préférable d’avoir des navettes autonomes combinées à une application performante qui permet de mutualiser les trajets.

Trottinette électrique en libre-service, un modèle d’affaires numérique valorisé à $2 milliards

Proposer des milliers de trottinettes électriques en libre-service activées au moyen d’une application mobile, c’est la proposition de valeur de Bird. Cette start-up californienne est valorisée à plus de $2 milliards après 1 an d’existence. En appliquant un modèle d’affaires utilisant les technologies numériques, elle a obtenu une adoption rapide et massive de son service et elle accumule des milliards de données sur nos déplacements. Comment les autorités publiques peuvent-elles accompagner plutôt que de subir l’impact de ces nouveaux services ?

Dans les rues de Santa Monica en Californie, en quelques mois, un nouveau moyen de déplacement s’est propagé à une vitesse éclair : on ne peut plus marcher 200 mètres sans voir une trottinette électrique posée au bord du trottoir ou une personne nous dépasser en utilisant ce nouveau moyen de transport !

Une adoption massive grâce à la simplicité apportée par la numérisation

Ces trottinettes sont disponibles en libre-service à tous les coins de rue et le service est très simple à utiliser. Il suffit d’installer une application sur son téléphone portable et de s’enregistrer. On scanne ensuite le QR code présent sur le guidon avec son smartphone et c’est parti, on roule. Pour 1$, vous pouvez déjà parcourir quelques kilomètres.

Vous retrouvez par exemple ces trottinettes à côté des vélos en libre-service. Cependant, à la différence des vélos qui doivent être rapportés à un point de stationnement précis, les trottinettes peuvent être déposées n’importe où.

Le phénomène est impressionnant, des centaines de personnes l’utilisent. Lorsque vous vous promenez, vous observez de nombreuses personnes, de tous âges, devant leur smartphone, qui activent leur nouveau moyen de déplacement.

Il suffit de se connecter dans l’application pour réaliser qu’elles sont effectivement partout. Sur la carte, vous découvrez une centaine de trottinettes dans un rayon de 500m autour de votre position avec pour chacune d’elles, un indicateur du niveau de charge de la batterie.

Cette animation permet de visualiser le phénomène, l’offre abondante proposée est bien utilisée, ces trottinettes sont en mouvement :

Une solution pour résoudre les problèmes de mobilité

La promesse annoncée de ces sociétés : éviter les embouteillages, promouvoir la mobilité douce et réduire l’impact environnemental. A Santa Monica, deux noms se partagent actuellement l’espace public, les entreprises Bird et Lime. Ces start-up ont été créées en 2017 et elles ont déjà atteint une valorisation respective de plus d’un $1 milliard ! Bird a levé un tour de financement en juin de $400 millions pour soutenir sa croissance.

En fin de journée, on les retrouve à côté des arrêts de bus. Les pendulaires les utilisent donc bien comme moyen de transport pour effectuer les derniers kilomètres qui les amènent à leur lieu d’activité. Ils combinent son utilisation avec celles des transports publics à la place de prendre la voiture. Dans une ville comme Los Angeles où la voiture est reine et où les bus sont vides, cette alternative semble séduire, elle leur permet de gagner beaucoup de temps en évitant les bouchons.

Repenser l’espace public

Ce nouveau service qui se diffuse très rapidement contraint les autorités à devoir rapidement réagir. En effet, le partage de l’espace public doit être repensé : ces trottinettes électriques roulant à 30 km/ h sont trop dangereuses pour être utilisées sur les trottoirs. Sur les pistes cyclables, la cohabitation avec les vélos est compliquée.

Dans un premier temps, les autorités prises de cours n’ont pu réagir qu’en imposant des interdictions. En bordure de plage, tous les matins, le personnel de la voirie de Santa Monica pose des panneaux indiquant qu’il est interdit d’utiliser ces trottinettes sur la zone dédiée aux vélos et aux piétons.

Vers une législation expérimentale et un accompagnement aux changements

Ces nouveaux services remettent en question le cadre légal, celui-ci n’étant souvent tout simplement pas défini. Le panneau interdisant les trottinettes électriques me fait très vite penser à celui pour les drones.

Une solution intéressante pour éviter la confrontation et le conflit avec les autorités est la mise en place d’une législation expérimentale, appelée également bac à sable réglementaire (regulatory sandbox). Elle permet d’accompagner le changement et d’établir une collaboration entre ces nouveaux acteurs de l’économie numérique et le régulateur.

L’objectif est de comprendre ensemble les enjeux et déterminer un cadre qui préserve l’intérêt commun. Le mécanisme consiste à autoriser le déploiement du service sur un certain périmètre et pour une durée limitée. Cette solution est déjà en place dans plusieurs régions : à Singapour, le pays l’utilise pour accélérer l’innovation dans le secteur de l’énergie et en Angleterre, les autorités financières l’appliquent pour introduire de nouveaux services financiers innovants proposés par les start-up du domaine (Fintech).

Dans le cas des trottinettes électriques, une approche collaborative et expérimentale avec les autorités permettrait par exemple de faire émerger la solution suivante : dans les zones à risque pour lesquelles les autorités ne souhaitent pas que les trottinettes soient utilisées, une solution de géorepérage (geofencing) peut être implémentée pour bloquer le fonctionnement de la trottinette lorsqu’elle rentre dans ces zones. Ce serait bien plus efficace que la pause de panneaux d’interdictions et la répression policière. Pour Bird, c’est une simple mise à jour de logiciel à effectuer.

Création de nouveaux emplois et accumulation de données

Ces trottinettes peuvent être abandonnées n’importe où, ce qui est très pratique pour son utilisateur, mais qui force les sociétés qui opèrent ce service à devoir les regrouper en fin de journée. En conséquence, une société comme Bird a dû engager des personnes qui viennent récupérer les trottinettes à la tombée de la nuit, un nouvel emploi.

Si l’on se tourne vers le passé, lors de l’apparition de l’éclairage public, des personnes furent engagées pour allumer les réverbères à gaz. En 2018, un nouveau type de travailleur sort à nouveau en fin de journée, cette fois pour déplacer des trottinettes électriques. Concernant le métier d’allumeur de réverbères, sur Wikipédia, on peut lire : « Le métier d’allumeur de réverbères est des plus précaires, soumis aux intempéries et se réalise en complément d’autres activités lucratives ». Il semble donc que l’histoire se répète, même à l’ère du numérique.

Finalement, des sociétés comme Bird accumulent des milliards de données sur nos déplacements et nos habitudes (où l’on travaille, à quelle heure on part, dans quel magasin on s’arrête en chemin ?). Que va faire Bird de toutes ces données accumulées sur nos déplacements ? Beaucoup d’argent, c’est en tout cas le pari des investisseurs qui ont valorisé la société à $2 milliards après une année d’existence.

 

La mobilité passe à l’ère du Big Data

Les expériences pilotes visant à introduire des véhicules autonomes se multiplient. Le site de l’EPFL a été un des précurseurs, avec ses six navettes qui ont desservi le campus entre avril et juin 2015. En mai dernier, l’université de Genève a été désignée pour piloter le consortium européen Avenue, dont le but est de tester le transport collectif de personnes sans chauffeur en milieu urbain.

La mobilité de demain ressemblera à cette animation créée par le MIT Senseable City Lab :

L’impact attendu est la réduction massive du nombre d’accidents et la disparition des embouteillages. Pour rappel, le nombre d’heures d’embouteillage en Suisse a doublé depuis 2009, avec 24’000 heures en 2016 selon l’OFS.

Les données numériques vont jouer un rôle clé pour rendre cette vision possible. Pour orchestrer tous ces flux de véhicules à l’échelle de la ville, l’aide d’un aiguilleur sera nécessaire. Cet aiguilleur devra avoir accès à des milliards de données de mobilité.

Comment cet aiguilleur peut-il acquérir ces géodonnées ?

Nos voitures, nos vélos électriques, les capteurs sur les routes produisent des géodonnées. Nous générons également des traces numériques au travers :

Du smartphone que nous avons tous dans notre poche. Collectivement, nos smartphones génèrent par exemple sur le réseau Swisscom plus de 20 milliards de données par jour qui permettent de visualiser nos déplacements comme le montre cette animation faite en ville de Zurich :

D’un bracelet connecté à notre poignet. Les données produites peuvent également permettre de visualiser nos déplacements comme le montre cette vidéo du MIT Senseable City Lab en ville de Boston et à San Francisco :

Qui se profile comme l’aiguilleur de notre mobilité ?

Des entités publiques et privées proposent déjà un service pour nous aider à optimiser nos trajets. Prenons deux exemples :

Le Canton de Genève a déployé des centaines de capteurs routiers connectés sur tout son territoire. Ces données sont à la fois une source d’information précieuse pour la planification urbaine, et d’autre part, elles sont également mises à disposition du citoyen sur le portail infomobilité.

Google propose l’application Waze. Celle-ci nous indique le meilleur itinéraire en fonction des conditions du trafic. L’application combine à la fois les données de positionnement de notre smartphone et les informations sur le trafic remontées par les utilisateurs.

Quels sont les objectifs visés par ces aiguilleurs ?

Suivant le type d’entité qui jouera le rôle d’aiguilleur, les objectifs ne seront pas les mêmes. Si on reprend nos deux exemples :

Réduire le trafic au centre-ville est l’objectif visé par le Canton de Genève. Il a pour cela défini une hiérarchie de réseau : les voitures qui passent par le centre-ville mais qui ne s’y arrêtent pas doivent contourner le centre en utilisant les routes extérieures comme indiqué sur le schéma ci-dessous.

Minimiser le temps de parcours individuel de leurs utilisateurs est l’objectif de Google. En conséquence, si le chemin le plus court pour vous rendre à votre destination consiste à passer par des petites ruelles du centre-ville, c’est le chemin qui vous sera proposé.

Comment assurer l’intérêt commun ?

Il y a donc un conflit d’intérêts entre d’un côté une application qui vise à vous proposer une solution individuelle et de l’autre, les nuisances que cela engendre sur tout un quartier. C’est un phénomène en forte augmentation dans toutes les villes du monde.

L’enjeu pour piloter la mobilité de demain est donc double :

Développer des collaborations qui permettent de combiner les différentes sources de données pour obtenir une compréhension complète de la dynamique du trafic.

Aligner les objectifs des algorithmes développés de sorte que les itinéraires proposés garantissent le fonctionnement adéquat de la mobilité pour toute la population, ainsi que l’assurance de la cohérence avec les politiques publiques en matière d’urbanisme et de transport.

Le rôle de l’Etat est appelé à évoluer car il n’est déjà plus en mesure de rivaliser avec les acteurs privés qui possèdent beaucoup plus de données.

A Genève, c’est une opportunité pour positionner le Système d’Information du Territoire (SITG), structure précurseur sur ces enjeux de la géoinformation. La mission du SITG ne sera certainement pas d’être l’aiguilleur de la mobilité de demain, mais il pourrait devenir la plateforme qui collecte et garantit la qualité des multiples sources de géodonnées. Il pourrait assurer la cohérence dans les développements de solutions de guidage proposées par les acteurs qui utiliseront ces données.

La cité du bout du lac est la plus congestionnée de Suisse selon le dernier classement d’INRIX, elle a maintenant le potentiel de devenir exemplaire dans le pilotage de la mobilité de demain en maîtrisant la gouvernance du Big Data des géodonnées.

Sur ce même thème, ma présentation au Forum des 100 le 24 mai dernier :