Combiner Big Data et business du lait maternel : le pari réussi d’une PME suisse

La valorisation des données fait évoluer le modèle d’affaires d’une entreprise. Cependant, elle implique une transformation profonde, qui mobilise toute l’entreprise et qui n’est pas juste un projet ponctuel ; il s’agit plutôt d’un cheminement.

Ce cheminement, Medela le parcourt depuis plusieurs années de manière absolument admirable. Cette PME suisse a su adopter le virage nécessaire afin de mettre la valorisation des données au cœur de son business. L’industrie des tire-lait, ces petites pompes qui permettent aux jeunes mères de tirer leur lait et de nourrir leurs enfants par l’intermédiaire d’un biberon, n’est à priori pas à la pointe de la technologie en ce qui concerne les données. Et pourtant!

L’opportunité que représente la valorisation des données, une fois celles-ci rassemblées, demande de revoir la mesure de la performance ainsi que la manière d’appréhender l’activité commerciale dans son ensemble. Il n’y a que comme cela que les entrepreneurs pourront bénéficier pleinement de cette opportunité.

Le changement de modèle d’affaires, c’est à dire la façon dont une entreprise créée de la valeur, n’est en effet qu’une partie de l’équation qui compose la transformation numérique. Il s’accompagne d’un changement du modèle mental, la manière dont l’entreprise et ses collaborateurs conçoivent leur mission.  Le modèle de mesure de la performance doit en conséquence également s’adapter.

Pour réussir sa transformation, il est essentiel d’orchestrer le changement de ces trois éléments en même temps. Medela l’a particulièrement bien compris et j’aimerais ici approfondir son approche.

1. Une application mobile pour augmenter et étendre l’interaction client

Medela a dans un premier temps lancé une application mobile destinée à accompagner les mères – et les pères par extension – autour de la naissance de leur enfant. Avec MyMedela les parents se voient proposer des conseils tout au long de la grossesse et surtout autour de l’allaitement. Ces informations sont contextualisées en fonction du temps restant avant l’accouchement. Par exemple, 3 semaines avant le terme prévu, l’application vous propose de préparer votre valise pour l’hôpital et vous suggère une liste d’affaires à emporter.

Ce service répond à une demande : dans un pays comme les Etats-Unis où Medela réalise la moitié de son chiffre d’affaires, le réseau de puériculture n’est que peu développé. Une application qui fournit continuellement des conseils permet à de jeunes parents de se sentir moins seuls.

Le succès a été au rendez-vous, MyMeleda a déjà été téléchargée presque 1 million de fois.

2. Un objet connecté pour simplifier la collecte d’information

Une deuxième étape a été de lancer un produit connecté, le tire-lait Sonata :

L’intégration avec l’application MyMedela permet d’avoir un suivi automatique de la quantité de lait produite et de la fréquence d’utilisation. Ces informations peuvent être enrichies avec l’enregistrement des séances d’allaitement, du changement des couches, de la durée des siestes et de la mesure du poids et de la taille de l’enfant.

En combinant toutes ces informations, une mère possède alors un tableau de bord complet sur la nutrition et le développement de son enfant, qui peut également être facilement partagé avec sa puéricultrice ou son médecin.

Si des soucis d’allaitement ou une croissance anormale de l’enfant sont détectés, de précieuses informations sont à disposition du médecin pour effectuer son diagnostic.

3. L’utilisation de ce big data pour faire évoluer son modèle d’affaires

Dès que le nombre d’utilisateurs aura atteint une taille critique, on comprend bien que l’entreprise possédera une mine d’or :  des milliers de données en temps réel seront générés, fournissant des indicateurs sur la croissance des nouveau-nés dans le monde entier.

Passer d’un conseil contextualisé à un conseil basé sur l’analyse d’une masse de données

Dans l’application actuelle, les conseils proposés sont principalement liés à la temporalité, par exemple, au cinquième jour après la naissance, MyMeleda propose de combiner l’allaitement au sein avec celui du biberon si cela est nécessaire. Dans le futur, en fonction du volume de lait maternel produit par la maman et la croissance du bébé, l’application pourra au moment opportun, suggérer d’introduire des biberons de lait en poudre.

Les algorithmes pourront apprendre sur des milliers de cas pour proposer la solution optimale.

La collecte et l’analyse des informations sur la nutrition et la croissance de milliers de bébés ouvrent de nouvelles perspectives :  l’entreprise sera en position optimale pour proposer des solutions thérapeutiques et collaborer avec les hôpitaux et cliniques pour aider les bébés qui souffrent de maladies.

Le modèle mental et le modèle de mesure doivent changer pour réussir

Devenir le numéro 1 dans la fabrication de produits d’allaitement, tel est probablement le but recherché par la compétition. Une organisation qui cherche à atteindre cet objectif ne sera pas en mesure de bénéficier pleinement des opportunités de ce big data nouvellement constitué.

Sans modifier son modèle mental et son modèle de mesure, l’entreprise va continuer à faire de l’innovation incrémentale sur ces produits.

Un nouveau modèle mental doit se diffuser dans toute l’organisation. Pour Medela, il pourrait être exprimé de la manière suivante : j’assure à toutes les mamans une période d’allaitement harmonieuse.

L’entreprise élargit son marché en proposant, grâce à la plateforme MyMedela, un accompagnement complet pour un allaitement optimal du bébé. Elle ne se bat plus uniquement pour augmenter la part de marché de ses produits.

La mesure de la performance évolue en conséquence : au lieu de mesurer par exemple le nombre de variantes de son produit lancé chaque année, l’entreprise se concentre sur la fréquence d’utilisation de MyMeleda ou sur les nouvelles solutions vendues grâce à l’algorithme de recommandation.

En conclusion, le développement par étapes d’un environnement intégré et connecté permet à la fois d’offrir de nouveaux services, mais surtout de collecter des données précieuses qui modifient sa position sur le marché. Les données ouvrent un champ d’utilisation formidable grâce aux nouvelles possibilités offertes par l’intelligence artificielle.

En faisant évoluer à la fois son modèle d’affaires, mais également son modèle mental et les mesures de performances, une PME peut poursuivre sa croissance non plus de manière linéaire, mais de façon exponentielle, phénomène qu’on observe pour le moment principalement chez les acteurs de la nouvelle économie.

 

Lectures complémentaires proposées:

L’article “To change your strategy, first change how you think” dans Harvard Business Review qui décrit le concept des trois modèles  fournit de très bons exemples.

Je vous recommande également l’excellent article en anglais de Nora McInerny Purmort dans Elle.com sur son expérience d’utilisatrice de Meleda : “The new generation of breast pump might not actually suck

Comment acquérir un gisement de Big Data, ce nouveau pétrole de l’économie numérique ?

Tous les objets de notre quotidien deviennent connectés : notre voiture, maison, four, cuisinière, lave-linge, vélo, tv, nous pouvons aussi l’être au travers d’un bracelet connecté ! Tous ces capteurs génèrent un volume de données titanesque qui double tous les ans, celles-ci s’apparentent au nouveau pétrole du 21ème siècle. 

Dès lors, comment les entreprises réussissent-elles à acquérir un tel gisement ? Comment transformer ces données en “Smart Data” ? Quel est l’impact sur son modèle d’affaires ? Et quels en sont les risques ?

Je commence cette année avec une série de réflexions et de partage d’expériences sur ce thème, en débutant tout naturellement par le premier enjeu : Comment acquérir une masse considérable de données nommée “Big Data” ou “mégadonnées” ?

Les entreprises possédant ces Big Data se verront accorder un avantage concurrentiel considérable, pour autant qu’elles soient ensuite capables de les valoriser.  Ce phénomène touche tous les domaines, de la publicité ciblée à l’industrie 4.0 en passant par la médecine personnalisée et l’agriculture de précision.

Dès lors, quelles stratégies mettre en place pour créer un tel gisement de données ? Prenons trois exemples de domaines, la santé, la publicité en ligne et la mobilité.

1.     Constituer une biobanque mondiale de génomes

La médecine va être transformée par les acteurs qui arriveront à obtenir ce Big Data. En effet, pour proposer une médecine prédictive et par la suite, une médecine préventive, l’industrie a besoin d’entrainer ces algorithmes avec un nombre de données considérables. De nombreux acteurs s’attaquent à ce marché avec des stratégies différentes, en voici deux exemples :

La première approche : agréger les données collectées par les hôpitaux.

Les hôpitaux universitaires comme le CHUV constituent des biobanques sur la base volontaire des patients. En développant des partenariats avec les hôpitaux, on peut arriver à concentrer une masse de données élevées. Pour obtenir ces données, des solutions de stockage, de partage sécurisé des données et des analyses des résultats du séquençage du génome sont proposées aux hôpitaux. C’est l’approche choisie par la startup vaudoise Sophia Genetics, qui a déjà signé des contrats avec plus de 400 établissements.

La deuxième approche : proposer un service pour lequel le client doit fournir ses données

Pour 99.- USD, la startup 23andme vous propose de connaître vos origines sur les 200 dernières années. On peut ainsi découvrir que nos origines sont par exemple, en majorité suédoise et danoise, mais qu’on a des descendants italiens.  Dès cette année, on peut également obtenir des informations telles que le risque d’avoir une maladie génétique comme Parkinson ou sa prédisposition à être plus maigre ou plus gros que la moyenne. Le processus est très simple, il suffit de commander un kit dans lequel se trouve une éprouvette. On y met un peu de salive et on la renvoie. Au maximum deux mois plus tard, on a les résultats en ligne. En proposant ce service, 23andme a déjà collecté plus d’un million de génomes.

2.     Connaître toutes nos actions sur internet

Comme deuxième perspective, regardons un domaine plus mature, celui de la publicité avec le cas de Google. Son modèle d’affaires est centré sur la donnée, plus de 80% de son revenu est généré en monétisation son Big Data, par la vente de publicités ciblées en ligne. Comment ont-ils fait pour accéder à ce “Big Data” ?

  1. L’accès au flux de données sur nos ordinateurs : Google a introduit gratuitement le navigateur Chrome en 2008. Le graphique suivant montre l’évolution des parts de marché des différents navigateurs internet : en 10 ans, Google Chrome a capturé presque 80% du marché.
  2. L’accès au flux de données sur nos mobiles : Google a racheté la startup Android en 2007 et son système d’exploitation est actuellement utilisé sur plus de 80% des smartphones.

Chrome et Android sont donc les interfaces qui permettent à Google d’acquérir une masse considérable de données sur nos activités. La firme de Cupertino est donc parvenue à obtenir une part de marché telle qu’elle est maintenant devenue incontournable. On peut même résumer la stratégie de Google d’accès à la donnée par la citation de Peter Thiel (dont je lis actuellement le livre “Zero to One”) : “la compétition est pour les perdants, créer plutôt un monopole”.

3.     Capter les données de la mobilité du futur

Les voitures deviennent toutes connectées à leur environnement et elles renvoient des données en continu. Des applications multiples vont voir le jour :  par exemple, si l’on obtient l’information sur le déclenchement des essuie-glaces d’un grand nombre de voitures, on serait en mesure de cartographier en temps réel la position et le déplacement des orages.

Trois exemples de stratégies pour accéder à ce Big Data :

  • Google (encore!) veut rentrer dans nos voitures et propose Androidauto, qui, de la même manière qu’avec Chrome ou Android, lui permettra de capter nos données
  • Tesla propose un véhicule connecté et de plus en plus autonome qui intègre son propre système d’exploitation. Tesla a bien compris qu’elle doit garder le contrôle des données produites par ces véhicules
  • Proposer un service innovant de mobilité sur la base d’une plateforme qui collectent toutes les informations de mobilité. C’est la stratégie adoptée par des sociétés comme Uber ou Lyft. Uber propose déjà ces données anonymisées, Uber Movement, dans le but d’améliorer la planification urbaine.

En conclusion, j’ai pris trois secteurs en exemple, mais l’enjeu de réussir à accumuler un Big Data est présent dans tous les domaines.  Les stratégies d’acquisition de données sont multiples, mais comme le montre le domaine de la publicité en ligne, les sociétés qui auront anticipé cette tendance se retrouveront dans une situation favorable. Il y a peut-être aussi une deuxième question à se poser : est-ce qu’une répartition très polarisée du Big Data est susceptible de créer des déséquilibres économiques et sociétaux ?

En lien ci-dessous, ma présentation sur ce thème au Swiss Data Day de l’EPFL en novembre dernier :