Grèce : et la Suisse dans tout ça ?

D’abord, la précaution rhétorique d’usage : je ne suis pas économiste. (Vous avez remarqué comme il est difficile, dans notre monde postmoderne au rythme dicté par les avis d’expert, d’émettre une opinion sur un sujet complexe, sans se voir réciter en retour le catéchisme de la science en question ?). Mais comme je crois bon que la parole ne soit pas entièrement laissée aux économistes, par les temps qui courent, je poursuis :

La Suisse jouit d’une position tout à fait singulière et dans l’Europe politique et dans l’Europe économique. A la fois centrale mais marginale, entièrement imbriquée mais politiquement en partie autonome, elle est au mieux jalousée, souvent ignorée. Ne pourrait-elle pas jouer, dans les jours qui suivent, l’un des premiers rôles ?

Nul besoin d’être grand clerc (ni économiste) pour comprendre que l’appréciation du franc suisse face à l’Euro constitue le plus grand risque macro-économique pour l’économie suisse ces prochains temps. Malgré l’abandon du taux plancher, la Banque nationale devra dans tous les cas poursuivre sa politique monétaire en rachetant des euros par milliards, comme elle l’a fait ces derniers mois, sans quoi l’économie suisse en ressentira les conséquences de plein fouet. Dans ce contexte et puisque tout le monde s’accorde maintenant à dire que la dette grecque devra être « restructurée », pourquoi la Suisse ne pourrait-elle pas massivement racheter de la dette grecque, à fonds perdus ? Et l’annoncer avant tout le monde, pour créer une dynamique positive ?

J’imagine bien que Thomas Jordan et les autres y ont déjà pensé… et je donnerais cher pour être une mouche et savoir ce qui les retient. Car l’enjeu majeur pour l’économie suisse est de préserver le franc contre les attaques spéculatives qui ne manqueront pas de survenir, avec ou sans Grexit. Si la Suisse peut au passage battre en brèche l’image qui est la sienne d’un paradis fiscal ayant siphonné des impôts grecs, alors cela devient doublement intéressant. Vu le contexte, je ne m’imagine pas que les risques d’inflation soient si graves qu’il faille définitivement enterrer l’idée de faire marcher la planche à billets.

En l’espace de quelques semaines et en tordant le droit constitutionnel, la Suisse a trouvé des dizaines de milliards de francs pour sauver les banques suisses « too big to fail ». Il s’agissait d’un risque systémique, plaidait-on alors. Et la faillite de la Grèce, n’est-ce pas un risque systémique ?

Entièrement farfelu ? Peut-être bien. Mais alors que les économistes (et les autres) m’expliquent pourquoi. Et proposent des alternatives. Car c’est bien la créativité de tous les Etats du continent européen qui est questionnée ces jours-ci. Personne ne pourra contester que les cinq ans d’austérité en Grèce ont conduit à une impasse. Le remède a été administré jusqu’à l’indigestion. Il faut trouver une autre recette. La Suisse pourrait proposer quelques nouveaux ingrédients.

Raphaël Mahaim

Raphaël Mahaim est député vert au Grand Conseil vaudois depuis 2007. Licencié en droit et titulaire d'un bachelor en sciences de l'environnement de l'Université de Lausanne, il a obtenu un doctorat en droit de l'aménagement du territoire à l'Université de Fribourg. Il est actuellement avocat à Lausanne.