L’UDC ou l’art consommé de la zizanie

Je suis un lecteur assidu d’Astérix, spécialement des premieurs albums mythiques du temps de Gosciny et Uderzo; une analyse sociale presque aussi fine et décapante de vérité que Zola, Balzac et Flaubert réunis. La première image qui m’est venue dimanche 9 février dernier, c’est celle de l’UDC dans la peau de Tullius Detritus: le célèbre semeur de zizanie engagé par le funeste César pour diviser le village des irréductibles Gaulois.

Dans un monde pétri d’incertitudes, dans un contexte économique tendu, dans un climat de craintes, il est tellement facile de jouer la carte des boucs émissaires. Il suffit d’un grain de sable dans les rouages du lien social pour que toutes les tensions latentes éclosent subitement, de la plus brutale des manières.

A peine une semaine après la sanction des urnes, que constate-t-on? Que l’UDC a parfaitement réussi son exercice consistant à semer la zizanie en terre hélvétique.

Fort logiquement, l’Union européenne tance l’attitude de la Suisse: on ne peut pas vouloir le beurre (participer au marché commun) et l’argent du beurre (ne rien devoir à l’UE). Les conséquences seront lourdes, quoiqu’en disent les initiants, carrément pathétiques lorsqu’ils cherchent à les minimiser ou lorsqu’ils réclament que leur canton ou région bénéficie des contingents les plus importants. Evidemment, les milieux nationalistes poussent des cris d’orfraie en s’émouvant de ces réactions, une “attaque de plus contre la souveraineté suisse”.

Un peu moins logiquement, certains se distinguent par des propositions farfelues – comme par exemple une application différenciée du nouveau régime selon son taux d’acceptation dans les cantons, en violation totale du principe d’égalité dans la loi – ou en appellent à une limitation des droits populaires. Chacun y va de sa petite solution, rejette la responsabilité sur l’adversaire; la zizanie, dans sa plus parfaite expression, niveau “cours de récréation”.

Semer la zizanie, provoquer pour diviser, sans apporter aucune ébauche de solution réelle – Qui peut encore honnêtement prétendre que les contingents de migrants permettront de résoudre le chômage, les tensions sur la marché du logement, la surcharge du territoire? – c’est ce que l’UDC s’emploie à faire depuis des années; ou plus précisément les leaders de l’UDC, façon zurichoise. La sincérité des personnes non sympathisants de l’UDC qui ont manifesté une inquiétude dans l’urne dimanche dernier n’est pas en cause.

Les stratèges de l’UDC font preuve d’un cynisme aussi dévastateur que mensonger. Ce sont de vieux roublards de la politique politicienne qui connaissent les tenants et aboutissants de leurs actes. La machine de guerre est parfaitement rôdée: provoquer, crisper, attendre les réactions contraires, désigner le coupable – forcément étranger – se plaindre, puis recommencer. Le cercle vicieux s’auto-alimente et la recette démogagique fonctionne, au moins en partie.

Les méthodes brutales de cette UDC sont tellement “unschweizerisch”; c’est la négation de notre histoire complexe et subtile, faite d’équilibres délicats. Non que je sois un adversaire de la pensée subsersive, tout au contraire. Nous traversons une période bien pauvre en contre-pensées. Ce qui est désespérant, ce que la provocation à la mode UDC provient de ceux qui se nourissent du système, en témoigne le passé de requin d’affaires de Christoph Blocher. Il n’y aucune volonté quelconque de remettre en cause l’ordre établi. Pire, l’UDC oeuvre à tous les niveaux pour que surtout rien ne bouge.

On ne changera jamais l’UDC tendance zurichoise. Démago un jour; démago toujours. Il faut donc être plus malins et refuser de laisser le champ libre au Tullius Detritus de la Suisse moderne.

Le Conseil fédéral, le Parlement et les grands lobbys de l’économie, à qui le résultat du 9 février est aussi largement imputable, doivent fondamentalement se remettre en question. Pour se prémunir contre la zizanie, il faut définitivement abandonner toute arrogance et tout discours supérieur du type “vous n’avez rien compris aux intérêts de l’économie”. Il faut répondre aux vraies crises sociales et urgences écologiques, sur le terrain. A défaut de convaincre tout le monde, cela aurait à l’évidence permis de persuader les quelque 20’000 voix qui ont manqué au décompte final.

Il est peut-être temps également que les autres partis bourgeois, et surtout leurs composantes dans les cantons, se posent la question de leur alliance électorale avec l’UDC. Si l’acceptation de l’initiative est aussi apocalyptique pour l’économie qu’on le lit partout, alors il faut cesser de s’acoquiner avec l’UDC! A ce que je sache, les partis de la droite républicaine ont cessé de faire alliance avec les mouvements nationalistes dans la plupart des pays d’Europe. Idem pour leur participation au Conseil fédéral, du moins pour la composante blochérienne.

Enfin, pour couper court à la zizanie, il faut plus fondamentalement combattre ce qui en fait le lit: l’orgueil, la vantardise, le nombrilisme, la fierté. Et retrouver un peu de modestie, de sérénité, d’esprit critique et de sens de la nuance. Des attributs ma foi bien peu payants dans un monde de gueulards où il est plus facile de se faire entendre lorsque l’on participe soi-même à la zizanie ambiante.

Raphaël Mahaim

Raphaël Mahaim est député vert au Grand Conseil vaudois depuis 2007. Licencié en droit et titulaire d'un bachelor en sciences de l'environnement de l'Université de Lausanne, il a obtenu un doctorat en droit de l'aménagement du territoire à l'Université de Fribourg. Il est actuellement avocat à Lausanne.