Pour un Département fédéral des affaires européennes et internationales

A Berne, les «affaires européennes» disparaissent et personne ne s’en offusque. Cela devrait pourtant nous alarmer: alors que le monde traverse une crise sans précédent, la Suisse ne réussit pas à (re)penser son futur européen, pourtant une nécessité tant elle ne peut y échapper.

«Stratégie, structures, personnes» 

Voilà le mantra répété à maintes reprises par le conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), mercredi 14 octobre en conférence de presse. Le Conseil fédéral venait alors de confirmer la nomination de Livia Leu Agosti au poste de secrétaire d’Etat et négociatrice en chef avec l’UE. Ambassadrice de Suisse en France jusqu’à lors, elle remplace Roberto Balzaretti, en poste depuis 2018 et à qui l’on doit la finalisation des négociations sur l’accord institutionnel. 

Stratégie, structures, personnes. Au-delà de l’annonce concernant le dernier des trois points, peu se sont intéressés au deuxième – celui des structures – alors même que le gouvernement a aussi approuvé une réorganisation du DFAE. Exceptionnel? Cela ne devrait pas être le cas. Au contraire, l’on ne peut que souhaiter que l’organisation de ces derniers soit régulièrement repensée afin de leur permettre un fonctionnement efficace. Et pourtant…

Disparition des « affaires européennes »

Selon M. Cassis, les structures doivent être mises au service de la stratégie. Ainsi, le rapport «La Suisse dans le monde en 2028», rédigé par un groupe de travail composé de hauts fonctionnaires et de patrons de grandes entreprises et publié en juillet 2019 par le DFAE, ainsi que la «Stratégie de politique étrangère 2020-2023» du Conseil fédéral, adoptée en janvier 2020, présageaient la réorganisation du DFAE annoncée le 14 octobre. En effet, alors que l’importance de l’Union européenne (UE) pour la Suisse est largement reconnue dans ces deux papiers, et ce dans bien des domaines, la «vision» et les objectifs quant au futur des relations avec notre voisin européen s’arrête à l’adoption d’un accord institution et la conclusion de nouveaux accords bilatéraux sectoriels. Le service minimum.

Début 2018, suite à son arrivée à la tête du DFAE en novembre 2017, Ignazio Cassis avait pourtant procédé à une «petite» restructuration en confiant à la Direction des affaires européennes (DAE) la conduite des relations bilatérales avec les Etats membres de l’UE, alors sous la responsabilité de la Direction politique et sa Division Europe, Asie centrale, Conseil de l’Europe et OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe]. Couplé à la nomination de Roberto Balzaretti à la tête de la DAE, en qualité de secrétaire d’Etat, la DAE en ressortait ainsi renforcée et la cohérence dans la conduite des relations Suisse-UE également. Une ambition nouvelle?

Deux ans plus tard, alors qu’aucun consensus n’a encore pu être trouvé, en Suisse, sur l’accord institutionnel et que le débat sur la suite à donner à l’intégration européenne de notre pays est tout simplement inexistant, les «affaires européennes» sont supprimées de l’organigramme du DFAE pour être confiée à la Division [géographique] Europe de la Direction politique.1

Aussenpolitik ist Innenpolitik

Un rapide retour en arrière s’impose.

Au vu de l’importance grandissante des relations avec les nouvelles institutions européennes, le Conseil fédéral avait créé, dès 1961, des divisions spécifiques chargées des relations avec l’Europe.2 Ainsi, un Bureau de l’intégration était mis sur pied sous la responsabilité conjointe des départements des Affaires étrangères et de l’Economie.3 Après l’échec de l’adhésion à l’Espace économique européen, le succès de la «voie bilatérale» et la re-qualification de l’adhésion à l’UE d’objectif stratégique à «option à terme» dans le rapport Europe de 20064, le Bureau de l’intégration a été transformé, le 1er janvier 2013, en DAE, sous la forme d’une Direction du DFAE5.

Polluée par le discours europhobe de l’UDC – martelé avec une efficacité exemplaire durant trente ans par Christoph Blocher et son parti –, la politique européenne du Conseil fédéral s’est enlisée, a perdu sa boussole, ne sait plus vers où aller. A défaut de vision commune, l’on se retranche derrière le plus petit dénominateur commun: la définition géographique de ce qu’est «l’Europe».

Comme le dit souvent le Chef du DFAE, Aussenpolitik ist Innenpolitik – la politique extérieure est fortement liée à la politique intérieure. L’organisation du DFAE en est le reflet. Et pourtant l’UE se développe, se renforce, gagne en puissance au niveau économique mais aussi politique. Or la Suisse semble incapable de saisir cette nouvelle réalité.

Gouverner, c’est prévoir

Quelle que soit la forme que prendront les relations institutionnelles entre la Suisse et l’UE, il ne fait aucun doute: le monde se polarise, la globalisation ne pourra que difficilement être stoppée et les défis auxquels nous faisons face nécessitent des réponses dépassant les frontières nationales. Dès lors, les institutions européennes continueront à jouer, à l’avenir, un rôle primordial, y compris pour la Suisse.

Plutôt que de faire un pas en arrière pour se conformer à l’état de la politique interne du moment, le Conseil fédéral se devrait de gouverner, de prévoir:

  • Stratégie: en élaborant un nouveau rapport Europe6 brossant le portait des différents scénarios possibles pour le futur européen de la Suisse (sans tabou et en n’ignorant aucune option, y compris celle de l’adhésion);
  • Structures: en renommant le DFAE en Département fédéral des affaires européennes et internationales [le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche (DEFR) a été renommé en 2013, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) et le Département fédéral de l’environnement, des transports, de l’énergie et de la communication (DETEC) en 1998] et en octroyant à nouveau aux Affaires européennes, au niveau des structures, l’importance qu’elles méritent;
  • Personnes: en encourageant, au sein de l’administration, parmi les actrices et acteurs politiques, mais aussi au niveau de la population, une conscientisation européenne.

 

***

1 DFAE, Le Conseil fédéral nomme Livia Leu au poste de secrétaire d’Etat, 14.10.2020, en ligne [consulté le 19.10.2020]

2 DFAE, Histoire du DFAE, 30.01.2020, en ligne [consulté le 19.10.2020]

3 DFAE, Au coeur de la politique européenne suisse, octobre 2020, en ligne [consulté le 19.10.2020]

4 Arcinfo | Christine Imsand, Le pragmatisme l’emporte, 29.06.2006, en ligne [consulté le 19.10.2020]

5 Ibid.

6 Conformément à sa réponse au postulat 17.4147 «Participation à la coopération européenne» et aux postulats Aeschi 13.3151 et du groupe des Verts 14.4080, le Conseil fédéral est chargé «de présenter un rapport sur l’état des relations entre la Suisse et l’UE comprenant également une évaluation des accords bilatéraux. Le Conseil fédéral transmettra un tel rapport qui présentera l’état des lieux de sa stratégie au Parlement dans le courant de la législature actuelle.» Cela n’a pas encore été fait.

(c) Image

Raphaël Bez

Diplômé en science politique et en études européennes, Raphaël Bez est secrétaire général du Mouvement européen Suisse. Il est également vice-président de la Plateforme Suisse Europe, membre du bureau exécutif de l’Union des fédéralistes européens et membre du Conseil de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe.

2 réponses à “Pour un Département fédéral des affaires européennes et internationales

  1. Le changement organisationnel n’a aucun impact sur la gestion du pays. Ce sont les 7 sages qui gouvernent, et qui ont à leur disposition des moyens quasi-illimités de toute la Confédération, pas seulement des départements, mais aussi des experts, scientifiques, juristes, etc. Dites-nous en un seul mot s’il faut, de votre point de vue, signer tout de suite ou pas l’Accord-Cadre dans sa version actuelle.

    1. Bonjour, merci pour votre réaction. Justement, les changements au niveau de la structure de l’administation tels que décidés par le Conseil fédéral sont intéressants à analyser, illustrant les priorités et la vision des choses du gouvernement. Et pour répondre à votre questions – en un seul mot: oui.

Les commentaires sont clos.