Comment réduire la facture fiscale suisse de ses futurs héritiers ou donataires ?

Après m’être penché longuement sur les risques de double imposition entre la France et la Suisse (billet du 17 décembre 2022), et les moyens de l’éviter (billet du 20 février 2023), et avoir également traité des moyens pour réduire l’imposition des biens français, et lorsque les héritiers ou donataires sont établis en France (billet du 11 avril 2023), je vais m’intéresser plus spécifiquement à la fiscalité successorale suisse. On devrait plutôt parler de fiscalités cantonales, puisque les impôts de succession et de donation relèvent de la compétence exclusive des cantons. C’est d’ailleurs cette multiplicité de législations qui rend possible les stratégies de planification fiscale à l’intérieur de nos frontières. Mais la matière étant assez complexe, il faut tout d’abord en poser le cadre légal.

Répartition intercantonale

Cedric Panchaud

Dans mon billet de blog du 17 décembre, Cedric Panchaud, docteur en droit, titulaire du brevet de notaire, avocat et expert fiscal diplômé, associé en l’étude BEKER GUIRAMAND & Associés à Genève, avait déjà présenté de manière très détaillée les bases de notre droit fiscal successoral. Ainsi, comme il nous l’avait expliqué : « C’est le canton de domicile du défunt qui détermine les conséquences fiscales de la succession, tant au niveau de l’assiette que du taux de l’impôt et ce indépendamment de savoir qui en est le débiteur. À ce principe général, il y a une grande exception : les immeubles. En effet, ceux-ci sont imposés par le canton au lieu de localisation du bien immobilier au prorata des actifs nets localisés dans le canton. » Pour être plus pratique, j’ai une nouvelle fois fait appel à notre expert. Et pour faciliter la compréhension, ce dernier m’a proposé de revenir sur un arrêt du Tribunal fédéral (TF) qui permet de bien saisir la problématique.

Arrêt du Tribunal fédéral

Cet arrêt du 2 juin 2017 (2C_415/2017) rejetait la demande de cinq plaignants qui étaient les seuls héritiers d’un homme domicilié dans le canton de Schwytz. Ceux-ci contestaient le mode de calcul des impôts, en raison notamment de la répartition intercantonale des impôts de succession. Car le défunt possédait non seulement un petit patrimoine sous forme liquide, pour un montant d’environ 600’000 francs, mais était également copropriétaire d’un immeuble dans le canton de Lucerne. Cette part de copropriété était estimée, fiscalement, à près de 150’000 francs. L’immeuble était par ailleurs hypothéqué. Les juges du TF ont repris toutes les données pour calculer les impôts dus tant à Schwytz que dans le canton de Lucerne.

Procédure de calcul

Dans une première étape, les juges du TF ont réparti les actifs entre les différents cantons. Ils ont attribué les actifs mobiliers au canton de domicile et les actifs immobiliers au canton de situation de l’immeuble. Le TF a précisé que le compte de fonctionnement de l’immeuble n’était pas rattaché à l’immeuble, mais au domicile du défunt. Aussi, le TF a calculé les quotes-parts revenant à chaque canton. Pour Lucerne, les juges ont considéré la part des actifs bruts immobiliers par rapport à l’ensemble des actifs bruts, déterminant ainsi sa quote-part, le solde étant attribué à Schwytz. Ils ont ensuite regroupé toutes les dettes, y compris hypothécaires, pour les répartir entre les deux cantons selon leur quote-part des actifs. Ce qui leur a permis de déterminer le patrimoine net dans chacun des deux cantons, pour le calcul de l’impôt sur les successions. En l’occurrence, c’était seulement à Lucerne qu’un impôt pouvait être prélevé, puisque Schwytz ne connaît aucun impôt de succession. Pour être plus concret, reprenons en détail chacune de ces étapes, en commençant par le calcul des quotes-parts.

Calcul des quotes-parts

Pour pouvoir calculer les quotes-parts pour chaque canton, il faut tout d’abord déterminer quels sont les actifs bruts du défunt. Dans le cas traité par le TF, il s’agit de ses biens mobiliers, pour une somme de 605’479 francs, ainsi que de sa part de copropriété dans le canton de Lucerne (LU), d’un montant de 147’016 francs selon l’estimation fiscale lucernoise. Toutefois, afin de tenir compte des différences de systèmes d’évaluation des immeubles entre les cantons dans le cadre de répartitions intercantonales, un correctif selon la circulaire 22 de la Conférence suisse des impôts est appliqué. Pour Lucerne, il s’agit d’un abattement de 5%, soit CHF 7’351 francs (= 5% x CHF 147’016). Aussi la valeur ajustée de la part de copropriété est de 139’665 francs (= CHF 147’016 – CHF 7’351). Son patrimoine brut pour le calcul de la répartition intercantonale était donc de 745’144 francs :

À partir de là, on peut calculer la quote-part entre les deux cantons. Commençons par Schwytz (SZ), dont la quote-part correspond au pourcentage de l’ensemble des biens mobiliers par rapport au patrimoine brut :

Quant à la quote-part de Lucerne, elle résulte du pourcentage de la valeur du bien immobilier qui est localisé sur son sol, par rapport au patrimoine brut, soit 18,74%:

On constate que le calcul est exact puisque la somme des deux quotes-parts est de 100%.

Dette attribuée à chaque canton

L’étape suivante consiste à répartir les dettes entre les cantons. Comme il s’agit d’une succession, on prend l’ensemble des dettes, soit 207’280 francs, y compris le prêt hypothécaire de 124’080 francs, pour les répartir entre les deux cantons selon leur quote-part respective. La dette attribuée à Schwytz se monte donc à 168’428 francs :

Quant à Lucerne, le solde de la dette lui est attribué, soit 38’851 francs :

« Aussi, explique Cedric Panchaud, la dette hypothécaire n’est pas attribuée au canton de localisation de l’immeuble, contrairement à la croyance générale et à ce que défendaient les plaignants, mais répartie entre les cantons, ensemble avec les autres dettes, selon la localisation des actifs bruts. »

Patrimoine net par canton

Pour obtenir le patrimoine net par canton pour le calcul de l’impôt sur les successions, il suffit donc de soustraire de son patrimoine brut la part des dettes totales lui revenant. Commençons par Schwytz, dont le patrimoine net calculé s’établit à 437’050 francs :

Tandis qu’à Lucerne, ce patrimoine net est de 100’814 francs :

Patrimoine soumis aux impôts cantonaux de succession

Comme le canton de Schwytz ne prélève pas d’impôt sur les successions, seuls les 100’814 francs du patrimoine net attribués à Lucerne étaient soumis à impôt, avant un correctif de 7’351 francs. Il faut donc maintenant rajouter ce montant pour établir le patrimoine net soumis à l’impôt lucernois, sans oublier de déduire la valeur de legs attribuée à Lucerne, pour 1’499 francs (= CHF 8’000 x 18,4%). Au total, les héritiers ont été imposés sur 106’666 francs :

Le canton de Lucerne a soumis chaque héritier à l’impôt sur les successions sur la base de sa quote-part dans la succession appliquée au patrimoine net imposable à Lucerne. Afin de tenir compte, le cas échéant, de la progressivité de l’impôt sur les successions, le taux est calculé en fonction de la part totale des héritiers dans la succession. Ainsi, l’impôt successoral avait été prélevé sur un quart du patrimoine net imposable à Lucerne, soit 26’666 francs, pour trois de ses héritiers, et pour un douzième, soit 8’889 francs (= CHF 26’666 / 3) pour les trois autres héritiers. Le TF indique dans son arrêt que l’impôt total sur les successions prélevé par Lucerne s’était monté à 9’378 francs.

Tous les héritiers sont imposés de la même manière

« Les héritiers sont imposés de la même manière, c’est-à-dire selon leur quote-part à la succession, indépendamment de la répartition du patrimoine du futur défunt entre les héritiers, souligne Cedric Panchaud. Aussi, même les héritiers qui n’ont pas obtenu de part de copropriété de l’immeuble à Lucerne, mais ont reçu d’autres actifs, ont dû s’acquitter de l’impôt sur les successions à Lucerne. Ce qui était d’ailleurs l’un des motifs de la plainte par les héritiers, qui ont été déboutés par le TF. L’arrêt ne le mentionne pas, mais les légataires sont également soumis à l’impôt successoral dans chaque canton en fonction de leur quote-part, sous réserve de franchises. »

Pas d’impôt de donation à Lucerne

« Par une ironie du sort, si Lucerne impose les successions, ce n’est en revanche pas le cas pour les donations. Ce qui veut dire que si le défunt avait donné sa part de copropriété dans son immeuble à Lucerne, ses donataires, même sans lien de parenté ou de mariage, n’auraient eu aucun impôt à payer sur cette donation. Mais cette exemption n’est valable que si la donation a été effectuée cinq ans au moins avant le décès, sinon elle serait soumise à l’impôt sur les successions. Lucerne est une exception qui confirme la règle, comme Schwytz, qui connaît non seulement aucun impôt sur les successions, mais également aucun impôt sur les donations. »

Transmission par succession ou donation ?

Dans l’hypothèse où le canton de Lucerne prélèverait un impôt sur les donations, comment aurait été calculé le montant soumis à l’impôt, en particulier en cas de reprise de la dette hypothécaire par le donataire ? Cette dette hypothécaire aurait-elle été répartie de manière proportionnelle entre le canton de domicile et celui de localisation de l’immeuble ? « Non, répond notre expert, car la donation est régie par un autre principe. On procède à une répartition des dettes par objet, c’est-à-dire que pour calculer le montant de l’impôt sur la donation d’un immeuble, les dettes reprises sont déduites afin que le donataire ne paie l’impôt que sur le montant dont il est effectivement enrichi. » Dans le cas de Lucerne, cela veut dire que le montant qui aurait pu être soumis à impôt serait tombé à 22’936 francs (= CHF 147’016 – CHF 124’080). En l’occurrence, l’impôt serait de zéro, puisque Lucerne ne prélève pas d’impôt sur les donations. « Dans ce cas, la donation aurait été beaucoup plus intéressante pour les héritiers, qui au total n’auraient eu aucun impôt à payer. »

Principe général

« Si on veut généraliser cet exemple, poursuit notre interlocuteur, on peut ainsi affirmer que l’on devrait faire des donations pour les immeubles situés dans les cantons à fiscalité élevée et transmettre le bien par voie de succession si la fiscalité est basse. » Pour illustrer ce principe, imaginons qu’on reprenne le cas traité dans l’arrêt du TF, en inversant la situation, c’est-à-dire en supposant que le défunt était domicilié à Lucerne, alors que son bien immobilier était situé à Schwytz. « Dans ce cas, les futurs héritiers n’auraient eu aucun avantage fiscal à une donation de l’immeuble situé à Schwytz. En effet, Lucerne aurait prélevé l’impôt sur les successions sur les biens mobiliers au domicile, sans bénéficier en aucune manière de la déduction d’une partie de la dette hypothécaire de l’immeuble schwytzois. Cette dernière aurait ainsi été intégralement attribuée à l’immeuble schwytzois, dont la donation n’aurait de toute façon pas été imposée. En revanche, si l’immeuble était transmis par voie successorale, une part proportionnelle de la dette hypothécaire aurait été rapatriée à Lucerne, réduisant par-là la masse successorale soumise à l’impôt à Lucerne, et donc l’impôt sur les successions total. »

Futur défunt domicilié dans le canton de Vaud, chalet en Valais

« Pour s’adresser à un lectorat romand, on peut prendre le cas, propose le fiscaliste, d’une personne domiciliée dans le canton de Vaud, qui a des enfants, et qui a un chalet grevé d’une hypothèque dans le canton du Valais. » Sachant que le canton de Vaud soumet les héritiers en ligne directe à un impôt de succession qui peut aller jusqu’à 7%, ce qui n’est pas le cas en Valais, « le futur défunt n’a généralement pas avantage à faire une donation, mais plutôt à attendre la succession ». De cette manière, ses héritiers bénéficieront, suivant le montant du prêt hypothécaire, du rapatriement d’une partie de la dette dans le cadre de la répartition intercantonale. Cette dernière serait ainsi déduite de la part imposée dans le canton de Vaud, selon le principe qu’on vient d’exposer.

Futur défunt domicilié à Genève, chalet dans le canton de Vaud

« Prenons maintenant l’exemple inverse, poursuit l’expert, soit un contribuable genevois qui dispose d’une résidence secondaire dans les alpes vaudoises. Dans un tel cas de figure, il pourrait être fiscalement avantageux de donner l’immeuble moyennant la reprise de la dette hypothécaire hors succession. Ceci permet d’éviter qu’une partie de la dette hypothécaire en lien avec l’immeuble vaudois ne soit attribuée à Genève dans le cadre de la succession. En outre, la donation permet d’empêcher l’émergence d’un sentiment d’injustice entre les héritiers qui devront tous payer un impôt sur les successions vaudois quand bien même, par hypothèse, un seul d’entre eux se verrait attribuer l’immeuble vaudois. »

Augmentation de l’hypothèque

Finalement, « dans l’hypothèse où la donation est la plus favorable fiscalement, on peut encore réduire l’impôt sur les donations en augmentant l’hypothèque reprise avant la donation, ce qui permet de diminuer sa valeur nette. Mais attention, prévient l’avocat, aux éventuelles restrictions cantonales. Typiquement, l’administration fiscale genevoise n’acceptera la déduction de cette nouvelle hypothèque de la donation pour le calcul de l’impôt que si elle a été contractée au moins une année auparavant. »

Franchises à montant variable

La répartition fiscale intercantonale peut avoir un impact inattendu lorsqu’on prévoit des legs, ajoute notre interlocuteur, en comptant sur la franchise de son canton de domicile pour en faire bénéficier le futur légataire. « Par exemple, cette franchise est de 10’000 francs pour un tiers dans le canton de Vaud, mais de seulement 500 francs à Genève. Donc, si la personne qui a fait le legs était domiciliée dans le canton de Vaud et que sa succession comprend des biens immobiliers à Genève par exemple, le légataire pourrait avoir à régler des impôts de succession à Genève sur le legs qui lui aurait été attribué, si celui-ci dépassait la franchise genevoise. »

Constituer un usufruit

Par ailleurs, dans le cadre de la donation de biens immobiliers, on peut aussi agir sur le montant qui sera effectivement imposé, en procédant au démembrement de la propriété du bien en nue-propriété et usufruit : « Dans ce cas, le fisc a des règles de valorisation de ces deux composantes. Généralement, plus la personne qui donne la nue-propriété, en conservant donc l’usufruit, est jeune, plus l’usufruit a une valeur élevée et moins la personne qui reçoit la nue-propriété est enrichie. On arrive ainsi à faire baisser l’impôt sur les donations dû dans la plupart des cantons. En règle générale aucun impôt ne sera prélevé au décès de l’usufruitier. Mais il convient de procéder à une analyse en amont en vue de la grande disparité des pratiques cantonales. »

Disparité des pratiques cantonales

Pour étayer son propos, notre interlocuteur prend l’exemple du canton de Vaud : « L’usufruit peut uniquement être déduit pour le calcul de l’impôt sur les donations, si sa constitution a donné lieu à la perception d’un impôt. Aussi, la donation avec réserve d’usufruit ne permet pas de réduire l’impôt sur les donations dans le canton de Vaud, faute de transaction imposable au niveau de l’usufruit qui reste acquis au donateur. En outre, si la valeur de l’usufruit est trop importante par rapport à la valeur de la nue-propriété donnée, certains cantons traitent la transaction comme une vente au lieu d’une donation. » Par ailleurs, il faut également prendre en compte les contraintes qu’entraîne une telle opération : « Il faut que les deux parties s’entendent bien, d’autant plus que si le nu-propriétaire désire vendre le bien, il serait préférable que l’usufruitier soit d’accord de renoncer à titre gratuit ou onéreux à sa servitude. En effet, il ne sera pas aisé de trouver un acquéreur disposé à acheter un bien grevé d’un usufruit. » On notera que l’on peut également faire un legs d’usufruit, en recourant à l’article 473 du CC, qui vient d’être révisé, et auquel j’avais consacré un billet le 28 juin dernier.

Acquérir un bien immobilier pour le donner

Comme on l’a vu, s’il n’y a pas de droit de donation dans le canton de Schwytz ou de Lucerne, c’est aussi le cas dans le demi-canton d’Obwald. En outre, « une exonération de l’impôt sur les donations et les successions existe également sous certaines conditions pour les concubin(e)s, dans les cantons de Zoug, Uri, aux Grisons et dans le demi-canton de Nidwald », indique notre expert. Le futur défunt pourrait ainsi acquérir un bien immobilier dans un de ces cantons ou demi-canton dans le but d’en faire une donation en faveur de son compagnon ou compagne, qui sera exemptée d’impôt pour le donataire.

Attention aux abus de droit

Toutefois, il ne doit pas y avoir d’abus de droit : « Pour savoir si l’on se trouve dans une telle situation, on considère les trois éléments suivants : premièrement, est-ce que la construction juridique choisie par le contribuable s’avère insolite, comme ce serait sans doute le cas si le bien était donné au donataire dans un laps de temps très court après l’acquisition ? Deuxièmement, est-ce que cette opération a été faite uniquement pour économiser des impôts ? Troisièmement, si le fisc l’acceptait, cette opération permettrait-elle de réduire des impôts ? Si la réponse est positive à ces différentes questions, il est probable que l’administration fiscale considérera qu’il s’agit d’un abus de droit. Et dans ce cas, elle imposera la donation comme si elle avait été faite sans l’intermédiaire du bien immobilier. »

Acquérir un bien immobilier au travers d’une SA ou Sàrl

Si l’on acquiert un immeuble en Suisse le biais d’une SA ou d’une Sàrl (société à responsabilité limitée), cela revient à transformer en quelque sorte le bien immobilier en un bien mobilier : « Or seules les actions et créances éventuelles que l’actionnaire a envers la société, s’il a par exemple prêté de l’argent à la société pour qu’elle puisse acquérir l’immeuble, entrent dans sa succession. Le décès de l’actionnaire n’entraîne aucun changement de propriétaire au niveau de l’immeuble. Comme biens mobiliers, les actions et créances sont donc attribuées au canton de domicile du défunt, indépendamment de la localisation de l’immeuble détenu par la société. Cette acquisition indirecte a donc pour conséquence le déplacement de la compétence du prélèvement de l’impôt sur les successions et donations. »

Arrêt du TF

« Aussi, pour revenir à l’arrêt du Tribunal fédéral, précise notre spécialiste, si le défunt avait détenu l’immeuble dans le canton de Lucerne par le truchement d’une personne morale, il n’y aurait pas eu d’impôt sur les successions lucernois. En effet, la fortune du défunt aurait alors été composée uniquement de biens meubles imposables au domicile du défunt, dans la mesure où l’immeuble aurait été « remplacé » par des actions de la société détenant l’immeuble. De même, la donation d’actions d’une société immobilière détenant un immeuble en Suisse est imposable au domicile du donateur et non au lieu de localisation de l’immeuble détenu par la société. »

Risque de double imposition dans les cas transnationaux

Finalement, en l’absence de convention de double imposition, la détention d’immeubles par l’intermédiaire de sociétés peut conduire à des doubles impositions dans les rapports internationaux. : « Tel est le cas si l’État étranger traite la société détenant l’immeuble en transparence et prélève un impôt sur les successions au décès de l’actionnaire. Dans cette situation, le canton de domicile et l’État étranger appliquent un impôt sur les successions : le premier sur les actions et le second sur l’immeuble détenu par la société. Il en découle un cas de double imposition. Ce qui peut être le cas avec les parts de SCI françaises. » À cet égard, la situation de résidents suisses détenteurs de SCI françaises s’est fortement dégradée depuis un récent arrêt du TF en matière d’impôt sur la fortune, avec l’interprétation qui leur est défavorable de la convention de double imposition pour l’impôt sur le revenu et la fortune conclu entre la Suisse et la France, comme je l’avais détaillée dans mon billet du 22 mars dernier.

Déplacer son domicile fiscal

Enfin, on peut évoquer une dernière solution liée à son domicile fiscal. Si l’on se limite à un contribuable établi dans un canton particulièrement gourmand en matière d’impôt sur les donations comme Genève pour des personnes considérées comme des tiers et qui voudrait rester à l’intérieur des frontières helvétiques, le déménagement dans un autre canton à la fiscalité plus légère serait une option qui aurait du sens, comme on l’a vu dans mon billet du 17 décembre. Mais encore faut-il que le nouveau domicile soit reconnu comme tel par les autorités fiscales.

Domicile reconnu… ou pas ?

« En effet, précise notre interlocuteur, le domicile se définit comme le centre des intérêts de vie d’un contribuable, c’est-à-dire l’endroit où il a déposé ses papiers et où il possède son logement principal, de même que la localisation de sa femme ou de son mari, de ses enfants, de son emploi, de son médecin ou encore de son club de golf. On va aussi examiner le lieu où il prélève son argent et où est-ce qu’il le dépense. Ou encore vérifier s’il a un numéro de téléphone suisse ou… monégasque ! Dès que l’administration fiscale a un doute, elle peut effectuer un contrôle. Elle peut même demander à voir les factures d’eau et d’électricité ! »

Quand l’héritage tombe dans un enfer fiscal

Décidément, l’affaire de cet héritage dont une partie a été taxée d’une part par le fisc genevois à hauteur de 54,6% et d’autre part, par l’administration fiscale française à 60%, soit un total de près de 115%  fait de plus en plus de bruit. D’abord révélée en octobre dernier dans la Tribune de Genève, dans un article écrit sous la plume de mon confrère Marc Bretton, cette histoire a rebondi tout d’abord dans la presse régionale française, et notamment dans le quotidien « Le Parisien », dont le journal qui héberge ce site s’est fait l’écho dans un article publié le 7 décembre. On lira avec intérêt l’enquête menée par mon confrère Sébastien Ruche pour en comprendre la problématique.

Retour sur une affaire sulfureuse

De mon côté, j’ai mené mes propres recherches pour comprendre comment on pouvait en arriver là et comment on pouvait réduire le risque d’une imposition aussi délirante Mais revenons tout d’abord sur ce cas, dont j’ai pu avoir les détails auprès d’un des deux frères qui en sont victimes. Voici les faits : les cousins éloignés domiciliés en France d’un défunt établi en Suisse en sont les seuls héritiers. Une partie de l’héritage était constituée de 125’000 euros déposés sur un compte auprès de l’agence d’une banque française sur le territoire français. En l’absence de convention de double imposition entre les deux voisins – celle qui existait depuis 1953 a été dénoncée par la France en 2014 avec effet au 1er janvier 2015 – les deux impôts sur ces biens français se sont donc additionnés, constituant une double imposition dépassant la valeur de cette somme ! Malgré ce résultat défiant le bon sens, les nombreuses démarches des héritiers des deux côtés de la frontière n’ont donné aucun résultat, les administrations fiscales se rejetant la balle.

Principes en fiscalité successorale suisse

Avant de réfléchir aux mesures éventuelles à prendre pour diminuer – en toute légalité – cette charge fiscale outrancière, il faut prendre un peu de recul, comme le propose Cedric Panchaud, avocat et expert fiscal diplômé à Genève, de l’étude Beker, Guiramand & Sepe, en commençant par décrire le système fiscal des deux côtés de la frontière : « Chaque pays a son système fiscal lié aux successions ou donations, qui sont potentiellement en conflit. Ainsi, les différents cantons suisses appliquent un système où le domicile du défunt ou du donateur fait foi pour déterminer quelles en sont les conséquences fiscales, ceci tant au niveau de l’assiette que du taux de l’impôt et ce indépendamment de savoir qui en est le débiteur. »

Deux exceptions

Toutefois, précise notre interlocuteur : « Il y a deux exceptions à ce principe. La première, ce sont les immeubles, qui créent un for fiscal secondaire à leur localisation. C’est-à-dire que le canton au lieu de localisation de l’immeuble prélève généralement l’impôt sur les donations en lien avec l’immeuble indépendamment du domicile du donateur respectivement une partie de l’impôt sur la succession au prorata des actifs nets localisé dans le canton. La seconde, dans l’hypothèse de successions internationales et pour autant qu’une convention respectivement le droit cantonal le prévoit, porte sur certains biens mobiliers, tels les actifs d’établissements stables de raisons individuelles ou des participations dans des sociétés de personnes. Il s’agit de sociétés en commandite, des sociétés simples ou en nom collectif, pour autant qu’elles exploitent une entreprise en la forme commerciale, c’est-à-dire une activité économique indépendante exercée en vue de générer un revenu régulier. Là aussi, on peut avoir un rattachement fiscal pour l’impôt sur les successions au lieu de l’entreprise. En d’autres mots, dans certaines successions transfrontalières les cantons sont tenus d’exempter sous réserve de progressivité les actifs précités ou à l’inverse peuvent les imposer. C’est par exemple le cas avec l’Allemagne, l’Autriche ou encore les Pays-Bas. »

Impôts sur les donations

Pour illustrer son propos, notre expert fiscal prend l’exemple suivant :  « Un résident genevois donne son chalet aux Diablerets – dans le canton de Vaud – à ses enfants. Le fisc vaudois va soumettre le chalet aux Diablerets (après avoir déduit l’hypothèque et autres dettes que les donataires doivent reprendre) à l’impôt sur les donations au taux de 3.5%. Suivant la commune cet impôt peut être majoré d’une part communale pour se monter au maximum à 7%.»

Impôts successoraux

« En cas de succession, poursuit Cedric Panchaud, les actifs et passifs ne sont pas répartis par objet (c’est-à-dire considérés isolément), mais entre le canton du dernier domicilie du défunt et le canton où est localisé l’immeuble, en pourcentage du total de la succession. En d’autres mots, la dette hypothécaire n’est pas attribuée au canton où se trouve l’immeuble, mais est répartie avec les autres dettes du défunt entre le canton du dernier domicile du défunt et le canton de localisation de l’immeuble proportionnellement à la quote-part que représente l’immeuble par rapport à l’entier de la succession. Ce mécanisme de répartition des dettes peut, suivant les constellations augmenter ou réduire l’assiette fiscale dans le canton de localisation de l’immeuble respectivement du domicile du défunt par rapport à l’impôt qui aurait été dû en cas de donation de l’immeuble (et répartition des dettes par objet). Suivant les cas, cette différence peut être en faveur ou défaveur du contribuable. »

Impôt successoral selon sa quote-part

« Il convient de préciser, ajoute le spécialiste, que même si un héritier ou légataire se voit attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble dans un autre canton que celui du dernier domicile du défunt, il participe à toute la succession avec une quote-part (immeuble/succession totale). Il en découle qu’il peut être amené à payer un impôt successoral au canton du domicile du défunt en fonction de sa quote-part à la succession. Dans notre exemple, si le contribuable genevois donne le chalet aux Diablerets à un de ses enfants, seul le donataire sera impacté par l’impôt sur les donations (sur la valeur nette de l’immeuble donné) alors que si le chalet lui est attribué par voie successorale, tous les héritiers doivent s’acquitter de leur part de l’impôt successoral vaudois (sur les actifs nets localisés dans le canton après répartition proportionnelle des dettes). Ils paieront alors un impôt successoral vaudois quand bien même le chalet ne leur reviendra pas lors du partage. »

Attention à l’impôt successoral dans le canton de domicile du défunt !

« Aussi, détaille encore notre expert fiscal, l’héritier qui s’est vu attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble situé dans un canton n’imposant pas les successions (en général ou en uniquement par rapport à son lien de parenté avec le défunt) pourrait quand même devoir payer un impôt successoral dans le canton du domicile du défunt. Comme cas classique, nous pouvons citer un concubin recevant par voie successorale un immeuble dans un canton ne pratiquant pas les impôts successoraux, tel Schwyz, qui devra néanmoins payer un impôt successoral dans le canton du dernier domicile du défunt et ce au taux maximum en l’absence de privilège fiscal pour le concubin qui est souvent traité comme un tiers.»

Base de calcul de l’impôt

Dans l’exemple du chalet attribué par un contribuable genevois à un de ses enfants, cette action pourrait avoir une influence sur le taux que le fisc genevois va appliquer sur les autres éléments de la succession en prenant comme base de calcul la masse successorale ou de donation globale. Mais, dans ce cas particulier bien que fréquent, l’élargissement de l’assiette fiscale ne change rien puisqu’il n’y a pas de droits de succession sur les descendants en ligne directe à Genève. Ce serait évidemment différent pour des personnes non apparentées, avec un taux maximum de 54,6%, mais qui est en fait très vite atteint.

Principes en fiscalité successorale française

Si l’on se tourne maintenant du côté français, on constate que nos voisins ont une approche différente, qui consiste à tout imposer dès qu’il y a un point de rattachement avec ce pays. Ils sont au nombre de trois, détaille Cédric Panchaud : « Le bien est situé en France ; le de cujus – la personne qui décède – est domiciliée en France ; la personne qui est bénéficiaire, donc l’héritier, est domiciliée en France, et c’est une divergence fondamentale avec l’approche suisse. »

Domiciliation « élastique » en France

Pour le dire un peu autrement, Aubin Robert, fiscaliste auprès d’ Avacore Family Office, basé à Genève et qui dispose notamment d’une formation de notaire français, énumère également trois critères pour l’imposition en matière successorale par l’État français : « Si le défunt ou le donateur était domicilié en France, l’intégralité des biens va y être imposée, même ceux qui sont situés en Suisse, bien immobiliers compris ; si l’héritier ou le donataire est établi en France au jour de la transmission et l’a été pendant au moins 6 ans pendant les dix années qui précèdent, la France va taxer l’intégralité de sa part à l’héritage ou de la donation, que ces biens se trouvent en France ou en Suisse, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers ; si ni le défunt/donateur, ni l’héritier ou le donataire ne sont domiciliés en France, le fisc français ne taxera que les biens situés en France. »

Qu’est-ce qu’un bien français ?

Dans cette liste de critères, la question du domicile peut prêter à discussion, comme on a pu le voir dans l’affaire de la succession de Johnny Hallyday, pour déterminer quelle législation – américaine ou française – va s’appliquer en matière de droit civil. Pour le droit fiscal, le Code général des Impôts français pose différents critères alternatifs, c’est-à-dire qu’il suffit de répondre à seul de ces critères pour être domicilié en France . Toutefois, pour éviter de surcharger ce billet, on va suivre le conseil d’Aubin Robert de partir du postulat que le domicile fiscal  du défunt/donateur et du bénéficiaire de la transmission sont parfaitement établis et ne prêtent pas à discussion. En revanche, il est nécessaire de s’arrêter sur cette notion de biens français. Qu’est-ce que ce terme recouvre exactement ? « Il s’agit bien entendu, précise notre interlocuteur, d’immeubles situés en France, mais aussi de parts ou actions de sociétés françaises, de sociétés civiles immobilières (SCI), de créances contre une personne domiciliée en France, des brevets français, d’objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art), etc. Il faut souligner que des titres français déposés en Suisse sont considérés comme des actifs français par la France. »

Héritier domicilié en France d’un défunt établi en Suisse

Ces éléments posés, on peut maintenant établir l’application de l’impôt sur les successions transfrontalières. On commencera par le cas d’un héritier établi en France avec un défunt domicilié en Suisse, avec des biens des deux côtés de la frontière puis, dans un deuxième temps, la situation inverse, où il s’agit d’un défunt domicilié en France et dont l’héritier est établi en Suisse.

Biens immobiliers en Suisse

Commençons par les biens immobiliers situés en Suisse. Ils sont imposables tant en Suisse qu’en France. Toutefois, le fisc français accorde un crédit d’impôt sur l’impôt payé en Suisse. En d’autres termes, si l’impôt suisse se monte à 54,6% comme à Genève pour des personnes non apparentées, et l’impôt français à 60%, l’héritier n’aura qu’à régler la différence de 5,4% à l’administration fiscale française.

Biens immobiliers en France

Pour les biens immobiliers détenus en France, il faut distinguer la possession en direct ou par le biais d’une société civile immobilière (SCI). En direct, l’impôt est prélevé uniquement par la France. Selon les cantons, le bien français sera toutefois pris en compte ou non pour la détermination du taux d’imposition applicable aux autres éléments de la succession. Pour les biens détenus en France par le biais de SCI, rappelons tout d’abord ce que c’est : il s’agit d’un moyen de transformer en quelque sorte un bien immobilier en un bien mobilier, qui sera imposé dans le canton de domicile du défunt. Le nombre de SCI constituées dans le passé par des résidents suisses s’explique par le fait qu’elles bénéficiaient d’un traitement très favorable au regard de l’ancienne convention fiscale applicable aux successions. Côté français, les parts de SCI constituent des biens français qui vont également être soumises aux droits de succession français, donnant lieu à une double imposition, totale ou partielle selon le canton de domicile du défunt. La France n’éliminera pas la double imposition car il s’agit de biens situés en France.

Biens mobiliers en Suisse

Pour les biens mobiliers suisses, la France va appliquer un crédit d’impôt sur la part prélevée par le fisc suisse éliminant l’effet de la double imposition, sur le même principe que pour les biens immobiliers suisses. Au bout du compte, le taux d’imposition global correspondra à celui de l’impôt français puisqu’il est en principe plus élevé.

Biens mobiliers en France

Comme le montre la malheureuse affaire qui constitue le point de départ de ce billet, l’héritage de biens mobiliers français ou de source française, constitue un véritable cadeau empoisonné. Les héritiers ou légataires vont en effet être imposés sur ces biens de deux côtés de la frontière (sauf exonération liée au lien de parenté (descendants ou conjoint)), sans mécanisme de crédit d’impôts.

Vision d’ensemble

En résumé, seuls les biens mobiliers et immobiliers en Suisse bénéficient d’un crédit d’impôt par le fisc français, tandis que les biens mobiliers détenus en France, y compris les parts de sociétés civiles immobilières, vont subir une double imposition. Pour faciliter la distinction des différents cas de figure, on les a réunis dans le tableau ci-dessous :

 

Pratiques cantonales à géographie variable

Si l’on entre un peu plus dans le détail, on constate, comme l’explique Aubin Robert, que certains cantons comme l’État de Vaud ou du Valais éliminent partiellement la double imposition en permettant de déduire de la valeur du bien l’impôt payé en France. Pour illustrer son propos, notre interlocuteur prend l’exemple schématique suivant : « Une personne qui décède et qui était domiciliée dans le canton de Vaud possédait un compte bancaire en France de 100’000 euros. Somme qu’il lègue à  un cousin très éloigné domicilié en France. Ce pays va prélever 60% de ce montant, soit 60’000 euros. Quant au canton de Vaud, il va ponctionner 50%, qui est le taux maximal, mais non pas sur les 100’000 euros mais sur le solde, soit 40’000 euros. L’impôt du canton de Vaud se monte donc à 20 000 euros (= EUR 40’000 x 50%).  Au total, l’impôt à la charge de l’héritier s’élève à 80 000 euros (= EUR 60’000 + EUR 20’000), soit un taux de 80%. Ce qui est tout de même moins pénalisant que les 115% du cas où le défunt était domicilié à Genève. »

Héritier domicilié en Suisse et défunt établi en France

Dans le cadre de notre analyse, on peut également s’interroger sur le risque de double imposition dans la situation inverse, à savoir un héritier domicilié en Suisse et le défunt en France. La Suisse impose selon le principe les biens immobiliers localisés sur son sol. La France taxe également les mêmes objets, mais en accordant un crédit d’impôt sur le montant payé au fisc suisse. Quant aux biens immobiliers situés en France, ils ne sont imposables que chez notre voisin, de même que les biens mobiliers détenus en France ou/et en Suisse. Il n’y a donc jamais de double imposition, mais seulement l’application de l’impôt français, qui est toujours plus élevé que l’impôt suisse. Pour avoir une vue synthétique, on a présenté ces résultats dans le tableau ci-dessous :

Ayant établi ce constat, on peut se poser la question de savoir ce qu’auraient pu faire les héritiers au moment du décès dont on a présenté le cas. En fait, pas grand-chose. Pour s’éviter tous soucis, les deux cousins auraient pu répudier purement et simplement la succession. Mais encore fallait-il qu’ils prennent conscience de la charge fiscale qui les attendait… Par ailleurs, comme une autre partie de l’héritage était constituée de biens suisses, le prélèvement fiscal n’est que – si l’on ose dire – de 60% de leur montant, permettant dans ce cas particulier de couvrir la double imposition sur les biens français, leur laissant même un petit reliquat. Il était donc plus logique d’accepter la succession, mais en acceptant de la voir presque complètement engloutie par le fisc. Pas facile à accepter, surtout si l’on s’imagine, en toute bonne foi et avec raison, victime d’une faille du droit fiscal international.

Comment éviter des situations aussi aberrantes ?

On ne peut évidemment intervenir qu’avant que ne se produise le décès. Dans cette perspective, on peut prendre différentes mesures que je décrirai dans un prochain billet de blog.

Comment protéger son concubin ou sa concubine en cas de décès ?

Le statut de concubin(e) n’est guère enviable dans les successions car il ne donne droit à aucune part réservataire. Sa situation va toutefois s’améliorer dans le cadre de la révision du droit successoral dès le 1er janvier de l’année prochaine dans la mesure où la part réservataire des enfants est réduite et que celle du père ou de la mère est carrément supprimée, comme je l’ai décrit dans mon billet du 11 mai dernier. De cette manière, les concubin(e)s bénéficieront de plus de latitude pour se favoriser mutuellement. Mais le point noir, et qui restera, c’est le poids de l’impôt sur les successions qui peut s’avérer particulièrement lourd selon les cantons.

Partage successoral

 Il n’y a évidemment aucune liquidation du régime matrimonial puisqu’il n’y a pas eu de mariage. Les biens du défunt (hors 2e pilier et 3e pilier lié) tombent ainsi intégralement dans la masse successorale. Dans ce partage, si le défunt ne laisse aucun conjoint mais seulement des descendants, ces derniers ne pourront plus revendiquer dès le 1er janvier prochain qu’une part réservataire de moitié, contre trois quarts encore actuellement. Autrement dit, le futur défunt peut laisser à son ou à sa concubin(e) la totalité de la quotité disponible, soit donc l’autre moitié de la succession, dès l’an prochain, contre un quart jusqu’au 31 décembre.

 Impôts très lourds à Genève et dans le canton de Vaud

Si la révision de la loi s’avère évidemment beaucoup plus favorable pour le concubin ou la concubine survivant(e), cette part d’héritage restera soumise à l’impôt sur les successions, puisque ce type d’héritier est considéré comme n’ayant aucun lien de parenté avec le défunt, alors que le veuf ou la veuve en est complètement exonéré. L’impôt s’avère particulièrement lourd à Genève et dans le canton de Vaud, jusqu’à respectivement 54,6% et 50%. Prenons un exemple. Un homme domicilié à Lausanne a eu deux enfants d’un mariage qui s’est terminé par un divorce. Il s’est remis en couple sans se remarier. À son décès, il possédait un patrimoine d’un million de francs. Il aurait pu prévoir dans son testament de laisser la moitié de sa fortune à sa concubine, soit 500’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Elle aurait alors dû régler un impôt sur les successions de 50%, soit 250’000 francs.

Durée du concubinage souvent prise en compte

Mais les autres cantons ont la main nettement moins lourde, puisque les taux y sont plus bas. « En outre, comme le rappelle Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg, la plupart de ces cantons permettent aux couples de concubin(e)s de bénéficier de taux plus réduits encore s’ils peuvent justifier d’une vie commune d’une certaine durée. À Fribourg, par exemple, le taux de base est d’environ 37,4%, mais recule à 14% si le concubinage avait duré au moins dix ans. » C’est le même laps de temps qui est retenu dans le canton de Berne, avec un taux de base est d’environ 39%, selon le calculateur de la Confédération, mais qui tombe à 14,6% après dix ans de concubinage. De même, dans le canton du Jura, le taux de base est de 35%, mais est ramené à 14% au bout d’une décennie de vie commune. À Neuchâtel, le taux de base est de 37%, mais la durée de concubinage pour bénéficier d’un taux plus favorable de 14% est limitée à cinq ans. Enfin, en Valais, le taux est le plus bas de Suisse romande, à 25%, mais la durée de vie commune n’entre pas en ligne de compte dans le calcul.

Changer de domicile ?

 « Pour des couples de concubin(e)s très sensible à la thématique des droits de succession, la question de l’établissement de leur domicile dans des cantons fiscalement plus cléments peut se poser, ajoute notre interlocuteur. Surtout si l’on est établi Genève ou dans le canton de Vaud. Mais il y a une autre piste liée aux biens immobiliers pour réduire cette charge fiscale future, car ces derniers sont imposés sur le lieu où ils sont situés. Ainsi, en acquérant un objet immobilier dans un de ces cantons moins gourmands, par exemple à Fribourg, le ou la concubin(e) survivant(e) domicilié(e) dans le canton de Vaud, par exemple, verrait le taux d’imposition de la part de son héritage investie dans ce bien passer de 50% à 14%, pour autant que le concubinage ait duré dix ans au moins. » Il existe par ailleurs différentes solutions pour privilégier son (ou sa) concubin(e) afin de réduire sa facture fiscale et/ou d’éviter les actions en réduction dans le cadre de la prévoyance, avec le 2e pilier selon le règlement de sa caisse de pension, par la souscription de produits de 3e pilier lié ou du 3e pilier libre s’il s’agit d’assurance risque pur.

Prévoyance obligatoire

 Si l’on passe en revue les différents outils de la prévoyance, on constate immédiatement que le statut de concubin(e) n’existe pas dans l’AVS. En revanche, dans le cadre du 2e pilier, tout dépend du règlement. En effet, de nombreuses institutions de prévoyance considèrent les concubin(e)s comme des conjoints mariés et leur accordent les mêmes droits en cas de décès, notamment si la vie commune a duré plus de cinq ans. Les caisses de pension exigent souvent que l’assuré leur transmette de son vivant une clause bénéficiaire en faveur de son concubin(e). Cette personne pourrait alors avoir droit à des rentes qui seraient soumises à l’impôt sur le revenu habituel. Il en va de même si ces prestations prennent la forme d’un versement en capital, soumis également à l’impôt sur le revenu, mais à un taux réduit, bien inférieur au taux de l’impôt sur les successions. Et ces versements échapperont à toute action en réduction éventuelle de la part d’héritiers réservataires.

Rachats dans sa caisse de pension ?

On peut se demander si des rachats ne seraient pas particulièrement intéressants si l’on cherche à améliorer la couverture du concubin ou de la concubine en cas de décès. « Ce serait sans doute une mauvaise idée, poursuit Pascal Vorlet, car la grande majorité des caisses de pension recourent à la primauté des prestations pour couvrir le risque, notamment le décès, c’est-à-dire que les prestations qui lui sont liées dépendent uniquement du salaire assuré. Des cotisations supplémentaires, sous forme de rachats, n’auraient ainsi aucun effet sur les prestations versées. De manière générale, on recommandera, avant toute décision, de bien prendre connaissance du règlement de sa caisse de pension. »

 3e pilier lié ou libre

 Par ailleurs, dans le cadre du 3e pilier lié, on peut également privilégier son concubin ou concubin(e), si la vie commune a duré plus de cinq ans, en le ou la désignant comme bénéficiaire. Mais, comme on l’a vu dans mon billet du 18 août dernier, bien que le montant versé en cas de décès ne tombe pas dans la masse successorale, il est pris en compte dans le calcul des réserves (pour les assurances vie mixte, il s’agit de la valeur de rachat), comme cela a été précisé dans la révision qui entre en vigueur au 1er janvier prochain, comme dans le 3e pilier libre. Par ailleurs, dans tous les cantons romands, le bénéficiaire ne sera pas soumis à l’impôt sur les successions, mais à l’impôt sur le revenu, à taux réduit. Alors que dans le 3e pilier libre, le montant versé sera imposé au titre de l’impôt sur les successions. Pour des couples de concubin(e) l’assurance mixte souscrite dans le cadre du 3e pilier libre peut s’avérer peu judicieuse s’il y a un risque de subir une action en réduction, de même que pour des raisons fiscales. Il serait en effet nettement plus avantageux de le faire dans le cadre du 3e pilier lié, si c’est possible.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un couple de concubins domicilié en ville de Genève, dont l’un des deux décède. Supposons que ce dernier avait conclu une assurance mixte en faveur de sa concubine, d’un montant garanti de 100’000 francs en cas de décès. Cette somme serait soumise à l’impôt de succession à hauteur de 49’896 francs si le contrat avait été signé en 3e pilier libre. Alors qu’en 3e pilier lié, la concubine n’aurait dû s’acquitter que de l’impôt sur le revenu à taux réduit, pour seulement 4’662 francs, comme on peut le voir sur la représentation graphique ci-dessous :

Assurance décès risque pur

 L’assurance décès risque pur constitue une solution idéale pour des couples de concubin(e)s, qu’elle soit souscrite en 3e pilier lié ou libre. Le capital de l’assurance vie est versé en cas de décès au bénéficiaire désigné sans risquer de subir une action en réduction. Car comme il s’agit d’assurances sans valeur de rachat, aucun montant ne peut entrer dans le calcul des parts réservataires. Autre avantage, fiscal celui-ci : le versement est soumis à l’impôt sur le revenu à taux réduit, comme dans le 3e pilier lié, à l’exclusion de tout impôt sur les successions. « Concrètement, poursuit notre expert, dans le cadre d’une succession qui serait lourdement imposée, comme dans le canton de Vaud, et, pour neutraliser cette charge fiscale, il s’agirait de souscrire une assurance risque pur en cas de décès couvrant non seulement le montant de l’impôt successoral à régler, mais également l’impôt sur le revenu à taux réduit qui serait dû sur le versement de la prestation d’assurance. »

Usufruit croisé

 Une autre solution pour éviter tout à la fois les prétentions d’héritiers réservataires et les impôts sur les successions est constituée par l’usufruit croisé pour des couples de concubin(e)s qui acquièrent leur logement sous forme de copropriété. En effet, cela permet qu’en cas de décès de l’un des deux partenaires, l’autre puisse continuer à vivre dans le logement commun puisqu’il va recouvrer son plein droit de propriété sur la moitié dont il était nu-propriétaire – tout en bénéficiant toujours de l’usufruit sur l’autre moitié. En revanche se pose la question d’éventuels impôts de donation, qui sont normalement appliqués en cas d’usufruit simple. En principe l’usufruit croisé est assimilé à un échange de droits, donc neutre sur le plan fiscal. Mais cette exonération n’est accordée qu’à certaines conditions, qui vont dépendre des différentes législations cantonales, comme je l’ai détaillé dans mon billet du 17 novembre 2021. Quant à la reprise d’une éventuelle hypothèque, la problématique est identique à celle qui se présente pour un conjoint survivant, qui devrait faire preuve de sa capacité de financement sur la base de ses revenus, comme je l’avais longuement détaillé dans mon billet du 7 octobre dernier J’y renvoie les lecteurs intéressés.

Donations

 On mentionnera encore la possibilité que le ou la plus riche des deux concubin(e)s fassent des donations à son compagnon ou à sa compagne. Mais ces donations sont en principe soumises à l’impôt sur les donations, qui sont très proches des impôts sur les successions, avec d’éventuelles franchises, selon les cantons, comme on peut les estimer grâce au calculateur de la Confédération. « L’idée, reprend Pascal Vorlet, serait de faire des donations régulières en dessous de la franchise. Mais cela signifie de le faire longtemps et pour des petites sommes, par exemple 10’000 francs par année dans le canton de Vaud et 5’000 francs dans le canton de Fribourg. » On notera qu’à Genève, ce seuil est fixé à 5’000 francs, non renouvelable.