Initiative sur les couples mariés : revoter, mais sur quoi ?

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L’annulation de la votation du 28 février 2016 constitue sans nul doute une bonne leçon pour le Conseil fédéral puisque c’est dans sa brochure qu’avaient été publiées les erreurs d’estimation des couples mariés pénalisés par un système d’imposition discriminant. Va-t-on revoter pour obliger notre exécutif à concocter un projet de loi pour corriger ces inégalités ? Peut-être. Sauf que c’est déjà fait ! Le Conseil fédéral a ainsi soumis au parlement un projet de loi qui vise à modifier le système d’imposition des couples dans le sens demandé par les initiants.

Initiative mal ficelée

Mais, évidemment, les parlementaires ne sont aujourd’hui aucunement liés par le projet du Conseil fédéral. C’est pourquoi une nouvelle votation permettrait, en cas de victoire, de donner un mandat impératif à nos élus puisqu’un nouvel article de loi serait inscrit dans la Constitution pour éliminer cette inégalité. Mais la partie n’est pas encore gagnée même si la situation s’avère inédite. Tout d’abord, parce que l’initiative présentait deux grosses failles. Tout d’abord, en définissant de manière traditionnelle le mariage, soit entre un homme et une femme, elle avait suscité une forte opposition. A-t-elle faibli ? C’est peu probable.

Inégalités en matière d’assurances sociales ?

Par ailleurs, l’initiative exigeait que l’on corrige les inégalités en matière d’assurances sociales. Pour preuve, l’addition des rentes individuelles des conjoints qui est limitée à 150% de la rente individuelle maximale. Ce qui est parfaitement exact mais n’est pas probant. Il faut en effet élargir le cadre car les couples mariés, ou partenaires enregistrés, bénéficient de couvertures en matière de décès au niveau de l’AVS, de l’assurance accidents ou encore du 2e pilier, contrairement aux concubins ou concubines.

Concubin(e)s discriminé(e)s en cas de décès

Il est vrai que les caisses de pension peuvent élargir leurs prestations aux concubin(e)s, mais sous certaines conditions, comme cinq ans de vie commune et une obligation d’annoncer sa situation à la caisse avant le décès. Sans compter un droit successoral qui leur est très défavorable même si la loi est en cours de révision, et une imposition qui peut s’avérer extrêmement lourde en cas de décès de leur compagnon ou compagne. En comparaison, la situation des conjoints ou des partenaires enregistrés est bien meilleure. Dans cette perspective, le déplafonnement des rentes AVS des conjoints, comme le demandaient les initiants, pourrait être perçu comme un cadeau injustifié pour des personnes déjà bien lôties, réduisant d’autant le soutien à l’initiative.

Initiative modifiée ?

Si c’est le même texte qui est soumis à la population, on peut imaginer que la publication des chiffres corrigés des personnes pénalisées permette de passer outre les oppositions rencontrées lors de la première votation, étant donné le faible écart de voix qui avait fait échouer l’initiative. Mais, comme on est dans les supputations, on peut aussi supposer que chacun regarde surtout sa propre situation, en toute connaissance de cause, sans trop se préoccuper de ce qui peut se passer chez son voisin. Dans ce cas, il faudrait idéalement présenter un texte plus consensuel et limité aux questions fiscales. Mais est-ce qu’un tel document pourrait être soumis rapidement à votation en lieu et place de l’initiative originelle ? Je laisse la réponse aux juristes et aux politologues !

 

 

 

Et si l’on refusait de vous verser vos rentes AVS ?

Retraité du Kosovo privé de rentes AVS (Source : Temps Présent)

C’est avec stupéfaction que j’ai découvert l’excellent reportage d’Artidë Shabani et de Laurent Nègre, intitulé Suisse-Kosovo, le dur retour des retraités, dans l’émission Temps Présent de jeudi dernier. On y découvrait que des travailleurs retraités du Kosovo qui avaient cotisé pendant de longues années à l’AVS n’avaient finalement droit à aucune rente et se retrouvaient ainsi en proie à de graves difficultés financières.

Pas de convention, pas de rentes !

Petit retour en arrière pour comprendre cette situation ubuesque. En fait, contrairement aux citoyens suisses, les ressortissants étrangers qui quittent notre pays n’ont droit aux versements de leurs rentes AVS-AI et autres prestations du premier pilier, que s’ils sont citoyens d’un pays qui a signé une convention de sécurité sociale avec la Suisse. Or une telle convention existait avec le Kosovo jusqu’en 2010, année où elle a été suspendue. Décision motivée par quelques cas d’abus et par une situation administrative compliquée dans l’Etat nouveau-né. Donc, plus de convention, plus de versement de rentes !

Remboursement des cotisations ?

A priori, cette suspension ne paraît pas trop grave dans la mesure où ces assurés peuvent demander le remboursement des cotisations payées. Mais ce serait oublier le caractère fortement redistributif de l’AVS : ces travailleurs du Kosovo, venus effectuer les travaux les plus pénibles dans notre pays, auraient dû bénéficier de rentes AVS et AI élevées par rapport au montant de leurs cotisations. Si l’on prend une espérance de vie moyenne, ces retraités sont donc les grands perdants de cette décision administrative. C’est d’autant plus cruel que ces personnes ne coûtaient déjà pas tellement chers à la Suisse puisque malgré leurs maigres ressources, ils n’émargeaient pas aux prestations complémentaires, réservés aux personnes résidant en Suisse.

Rentes perdues ?

Finalement, comme on l’apprend à la fin du reportage, une nouvelle convention de sécurité sociale a été signée en juin 2018 entre les deux pays. Mais il faudra attendre la ratification par les deux parlements respectifs pour qu’elle entre en vigueur. Procédure qui peut prendre encore une année et demie. Tout est bien qui finit bien ? Pas tout à fait ! En effet, que deviennent les rentes qui n’auront pas été versées pendant 10 ans ? À cette question posée par notre consœur à un responsable de l’administration fédérale, la réponse est limpide : l’argent va rester dans les caisses de l’AVS ! En effet, puisqu’il n’y avait aucune convention, aucune rente n’est due pour cette période.

Punition collective

Légalement, la position de l’administration est sans doute imparable. Mais, sur le plan humain, c’est révoltant. Car on pénalise collectivement un groupe de personnes qui ne portent aucune responsabilité dans cette affaire. Qu’auraient-ils pu faire ? On sait qu’il est nécessaire d’assainir l’AVS, mais pas de cette manière !