Qui sont les voleurs des rentes ?

Une belle brochette d’intervenants pour le Forum Prévoyance du 2 septembre à Lausanne.

 

Dans le sondage réalisé par M.I.S. Trends réalisé pour Le Temps et publié dans ses colonnes le 24 août, les personnes interrogée sur la problématique de la baisse du taux de conversion des rentes du 2e pilier étaient soumises à l’alternative suivante: 1) Penchez-vous plutôt pour « un vol des rentes » ? 2) Penchez-vous plutôt pour une baisse nécessaire des taux pour assurer le système ? Le résultat est sans appel puisque 64,6% des personnes sondées l’assimile effectivement à « un vol des rentes « . Le résultat est encore plus marqué entre Romands et Alémaniques, puisque 73,4% des premiers privilégient la première affirmation, contre 61,1% des seconds. Cet avis est partagé le plus nettement par les femmes et les seniors.

Débat rapidement évacué

Face à de tels chiffres, on pouvait s’attendre à des débats enflammés autour de cette notion de « vol de rentes » lors du Forum Prévoyance qui s’est tenu le 2 septembre à Lausanne organisé par Le Temps et PME Magazine, avec le soutien du Groupe Mutuel. Pourtant, ce ne fut pas le cas, comme on peut le lire dans le compte rendu de mon confrère Emmanuel Garessus : cette question fut rapidement évacuée. En effet, « vol des rentes » implique qu’il y a des voleurs de rentes. Qui sont-ils ? Est-ce la génération des personnes les plus âgées de notre société qui sont les voleurs ? Ou est-ce le système qui ne génère pas assez de rendement ? Et pourquoi ? Sur qui faut-il jeter l’anathème ?

Comment est calculé le taux de conversion ?

A priori, cela peut paraître un peu étrange de chercher des voleurs sur la base d’un taux qui dépend de facteurs techniques. On peut rappeler que le taux de conversion dépend, d’une part, l’allongement de l’espérance de vie ; d’autre part, du taux technique, c’est-à-dire, le taux de rendement annuel moyen futur que l’institution de prévoyance pense pouvoir réaliser avec une marge de sécurité. Pour le premier facteur, la question est réglée puisque les tendances démographiques sont identifiées pour les décennies à venir. Reste la question du rendement, et sur toutes les solutions imaginables auxquelles on peut recourir pour l’améliorer et qui ont fait l’objet de différents débats, en particulier entre Doris Bianchi, directrice de Publica, la caisse de pension de la Confédération. qui est la plus grande de Suisse, et Jacques Grivel, fondateur et CEO de la société Fundo.

Le « vol  des rentes »selon l’USS

Cependant, le « vol des rentes » est revenu dès le lendemain sur le devant de la scène, puisque l’Union Syndicale Suisse (USS) lançait sa campagne contre les réformes en discussion au Parlement tant de l’AVS et du 2e pilier, sous le slogan : « Vol des rentes : maintenant ça suffit ! ». Pour l’USS, « au lieu d’empoigner le problème urgent du niveau insuffisant des rentes, la majorité bourgeoise du Parlement préfère s’attaquer frontalement à d’importants piliers de sécurité ». On a trouvé les voleurs…

Conflit de générations ou entre intérêts sociaux ?

La participation au Forum prévoyance de Pierre-Yves Maillard, patron de l’USS, la veille du lancement de cette campagne était donc particulièrement intéressant, a posteriori. Car s’il a évité, me semble-t-il, l’expression taboue, il a pu dérouler sa vision politique pour l’avenir de notre système de prévoyance sociale, face à Nicolas Jutzet, membre du comité de l’initiative des Jeunes PLR qui prévoit l’élévation de l’âge de la retraite par étape jusqu’à 66 ans, tant pour les hommes que pour femmes,. Si l’on peut résumer sa position, l’ancien conseiller d’Etat vaudois, reprochait à son interlocuteur de voir dans la problématique un « conflit de générations » alors qu’il s’agirait de « conflit entre intérêts sociaux ». Pour aller plus loin, on lira avec intérêt l’article relatant ces échanges sous la plume de l’incontournable Emmanuel Garessus.

Pertinence du taux de conversion ?

Mais si l’on sort du champ politique, on peut s’interroger sur la pertinence du taux de conversion pour déterminer de manière quantitative l’évolution effective des rentes. En effet, comme le rappelait Doris Bianchi il faut tenir compte du taux de capitalisation, qui diffère selon le type de plan de prévoyance. Dans une caisse à cotisations élevées comme chez Publica, « le taux de conversion n’a pas la même importance que dans la LPP minimale  ». On rappellera que seul le taux de la prévoyance obligatoire est fixé par la loi, à 6,8%. C’était d’ailleurs le message que martelait Alain Berset pour faire passer Prévoyance 2020, montrant que la baisse du taux de conversion serait compensée par la hausse de l’avoir de vieillesse à la retraite grâce aux hausses de cotisations. Mais sans grand succès au vu du résultat de la votation…

Une caisse de pension n’est pas une caisse d’épargne !

Toutefois, l’évolution à la baisse du taux de conversion n’est pas neutre dans la prévoyance surobligatoire. En effet, comme l’indiquait encore la directrice de Publica, dont le taux de conversion s’établit actuellement à 5,09%, le nombre d’assurés qui ont choisi le capital au lieu de la rente a augmenté assez nettement. Alors que d’autres grandes institutions de prévoyance, comme celle du canton de Zurich ou des CFF, l’ont réduit plus encore. Cette incitation à prendre son capital mine notre système de prévoyance qui est basé sur les rentes, estime la directrice de Publica, car il s’agit de « caisses de pension et pas d’épargne ! ».