Comment réduire l’impôt de succession sur des biens français ou lorsqu’un héritier vit en France ?

Dans un précédent billet de blog, en date du 20 février dernier, j’examinais les moyens d’éliminer le risque de double imposition en matière de succession ou de donation causée par la détention par un résident suisse de biens mobiliers français sous toutes ses formes. La solution passe par le rapatriement de ces biens en Suisse, voire, lorsqu’il s’agit de sociétés civiles immobilières (SCI), par leur liquidation (avec des conséquences en Suisse à déterminer, sujet que j’avais traité dans mon billet du 22 mars). On avait également évoqué le cas de titres français, même déposés en Suisse, dont il faudrait également se débarrasser.

Imposition en ligne directe

On avait laissé de côté les biens immobiliers français ou le patrimoine suisse, qui ne font pas l’objet d’une double imposition entre la France et la Suisse. Toutefois, on peut essayer de réfléchir à en réduire la charge fiscale. Dans le cas d’un bien immobilier français ou d’héritiers en France, la succession devra faire face aux impôts français, qui sont généralement plus lourds que dans les différents cantons suisses. En particulier, les héritiers en ligne directe, qui ne sont pas ou peu taxés en Suisse, sont soumis à un barème progressif qui démarre à 5% pour aller jusqu’à 45%, en bénéficiant cependant d’un abattement de 100’000 euros par héritier et par parent. Avant d’aller plus loin, il faut souligner que lorsque le défunt est domicilié en Suisse, c’est le droit successoral de ce pays qui va s’appliquer sur le plan civil et donc déterminer quelles sont les parts et les droits des héritiers. En revanche, c’est le droit fiscal français qui fixe la manière dont l’impôt va être prélevé, et à quels taux, sur les différents héritiers.

Mesures d’optimisation fiscale

Aubin Robert

Dans cette perspective, je me suis à nouveau adressé à Aubin Robert, fiscaliste auprès d’Avacore Family Office à Genève. Notre expert propose ainsi différentes pistes pour optimiser la taxation de biens situés en France ou du patrimoine global si un héritier est domicilié en France : il s’agit tout d’abord d’aménager la dévolution – c’est-à-dire la manière dont on transfère ses biens dans le processus successoral – pour étaler l’impôt qui sera prélevé en France. La deuxième voie passe par l’anticipation de la transmission de son patrimoine, en faisant des donations avec réserve d’usufruit. Par ailleurs, le spécialiste présente des alternatives plus radicales pour le futur défunt et/ou pour ses héritier(ère)s, consistant à changer de pays de domicile fiscal.

Décès du conjoint sans patrimoine

Commençons par l’aménagement de la dévolution, qui se fait, en principe, conformément à la législation suisse. Rappelons toutefois que sur le plan civil les étrangers peuvent opter pour la loi successorale de leur nationalité. Cette opération n’a de sens que lorsqu’on parle d’un couple marié avec des enfants. Afin d’en comprendre la logique, et pour simplifier la démonstration, notre interlocuteur suppose que le couple, marié avec un contrat de séparation de biens et domicilié en Suisse, avait eu deux enfants et que seul un des deux conjoints était propriétaire du bien immobilier en France. « Si c’est le conjoint qui n’est pas propriétaire de la maison qui décède le premier, rien ne change : le bien immobilier reste dans les mains de son propriétaire. Ce n’est qu’à son propre décès que ce bien tombe dans la masse successorale pour être partagé entre ses deux enfants. Ces parts seront ensuite soumises au barème fiscal français, chacun des héritiers bénéficiant de l’abattement de 100’000 euros. »

Décès du conjoint propriétaire

« En revanche, poursuit l’expert, si c’est le propriétaire qui décède le premier, son bien tombe dans la masse successorale, qui est répartie selon le droit suisse, en l’absence de testament, à hauteur de la moitié en faveur du conjoint survivant, l’autre moitié revenant aux enfants. Le conjoint survivant n’est pas imposé, contrairement aux enfants. Lorsque le conjoint survivant décède à son tour, la moitié du bien dont il a hérité tombe dans la masse successorale, qui sera alors soumise au barème progressif, les héritiers profitant à nouveau de la franchise de 100’000 euros. » Sans entrer dans le détail des calculs, on comprend que l’impôt sera moins élevé lorsqu’il est réparti sur deux successions avec une franchise par enfant à chaque fois plutôt que lorsqu’il est prélevé sur l’intégralité du bien lors d’une seule succession.

Décès d’un conjoint propriétaire à parts égales

De cette comparaison, il ressort de manière évidente du point de vue fiscal qu’il vaudrait mieux, dans le cadre de la dévolution légale, que le conjoint qui était le propriétaire unique décède le premier. Mais, comme le dit Aubin Robert,  « on ne maîtrise pas l’ordre des décès ! ». Pour étaler le risque, on peut recourir à une solution intermédiaire qui consiste à acquérir conjointement le bien, ou à le transformer en bien commun, en changeant de régime matrimonial et en l’apportant à la communauté : « De cette manière, au premier décès, en partant du principe que c’est la dévolution légale suisse qui s’applique, le conjoint survivant conserve sa moitié du bien, et va recevoir la moitié de la succession, c’est-à-dire la moitié de la moitié, soit le quart. Au total, il possède alors les trois quarts de la maison. Le dernier quart, s’il y a deux enfants, va être partagé à hauteur d’un huitième chacun. Chaque héritier va alors bénéficier de l’abattement de 100’000 euros et au-delà le barème progressif s’appliquera. »

Décès du conjoint survivant

« Lorsque le second conjoint décédera à son tour, les enfants hériteront de la totalité de son patrimoine, c’est-à-dire des trois quarts de la maison dans notre exemple. Il en ressort que les héritiers seront soumis à un taux d’impôt plus élevé qu’au premier décès, puisqu’on monte dans les tranches d’imposition. L’impôt sur les deux décès sera néanmoins moins élevé que dans le cas d’un bien détenu par un seul des conjoints et qui décéderait en second. »

Legs d’usufruit

Dans le même cas de figure, en restant sur l’hypothèse d’une détention à parts égales, on peut recourir au legs d’usufruit, selon l’article 473 du code civil, qui vient d’être révisé, et à qui j’ai consacré un billet détaillé le 28 juin dernier. On rappellera que dans sa nouvelle mouture, cet article prévoit que le futur défunt peut laisser à son conjoint survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs. Et ce quel que soit l’usage de la quotité disponible. Pour simplifier, on suppose que la part du bien immobilier revenant au conjoint survivant, c’est-à-dire la moitié, lui est attribuée sous forme d’usufruit, qui est de toute façon exonérée d’impôt.

Diminution de l’impôt dû

« Bien évidemment, poursuit notre interlocuteur, seule la valeur de la nue-propriété sera soumise à imposition, un montant inférieur à la valeur de la pleine propriété du bien. On rappellera que plus la personne qui bénéficie de l’usufruit est jeune, plus basse est la valeur de la nue-propriété. On arrive donc à faire diminuer l’impôt dû. En droit français, il n’y a aucune imposition au décès de l’usufruitier. La valeur de cet usufruit ne subira donc jamais d’imposition. Par exemple, si l’usufruitier a 78 ans, 30% échappent à l’impôt ». Comme on le voit dans le barème français de valorisation de l’usufruit reproduit ci-dessous, la valeur de la nue-propriété peut tomber jusqu’à 10% de la valeur du bien, permettant ainsi de réduire l’assiette fiscale de 90%. Mais il faut pour cela que l’usufruitier ou l’usufruitière ait moins de 21 ans. Ce qui n’est pas forcément le cas de figure le plus courant !

Donations avec réserve d’usufruit

Si le legs d’usufruit permet de réduire l’impôt de succession, elle ne pourrait, dans notre cas de figure, ne porter que sur la moitié, en l’occurrence la moitié de la maison. Mais on peut optimiser fiscalement cette opération. « En effet, propose notre spécialiste, il faudrait plutôt faire une donation conjointe, qui est possible puisque le bien est détenu en indivision à parts égales. Concrètement, cela veut dire que chaque conjoint fait une donation aux deux enfants de sa quote-part du bien, c’est-à-dire de la moitié, avec une réserve d’usufruit. Au total, le bien transmis est entièrement grevé d’un usufruit et non seulement la moitié, tandis que les deux héritiers reçoivent chacun la moitié de la nue-propriété. »

Économies fiscales dopées par le nombre de donateurs

« Le gain s’avère plus élevé, lorsqu’il y a deux donateurs (le bien étant détenu conjointement) au lieu d’un seul car vous avez un double impact. Tout d’abord, comme il s’agit d’un barème progressif, il est plus avantageux de répartir le montant à transmettre sur deux têtes plutôt qu’une. Ensuite, comme il y a deux héritiers, chacun d’eux bénéficie d’un abattement de 100’000 euros. Or, lorsqu’il y a deux donateurs, chaque héritier bénéficie d’un abattement par parent. Au total, en présence de deux enfants, les donataires bénéficient de quatre abattements, pour un montant de 400’000 euros, contre seulement 200’000 avec un donateur unique. Pour des personnes dont le patrimoine est susceptible d’être soumis encore à l’impôt français sur les successions, il leur sera possible de répéter l’exercice au bout de 15 ans. Ils pourront ainsi à nouveau bénéficier de l’abattement de 100’000 euros par donateur et par donataire, ainsi que des tranches basses du barème progressif déjà utilisées lors de la première donation, comme si aucune donation n’avait été faite jusque-là. »

« Faire preuve de bon sens »

Si les donations constituent un outil d’optimisation fiscale efficace, notre expert met toutefois en garde contre certains risques : « Sur le plan fiscal, tout vous incite à anticiper votre transmission. Mais, ce n’est pas forcément opportun, sachant que l’espérance de vie est très élevée à l’âge de la retraite et que le coût des EMS s’avère très lourd. En se dessaisissant de son bien immobilier pour n’en conserver que l’usufruit, le détenteur de ce droit ne peut plus vendre le bien sans l’accord du nu-propriétaire. Il peut donc se retrouver coincé. C’est pourquoi il faut faire preuve de bon sens : allez-vous limiter vos options pour réduire des droits de succession que vous ne verrez pas et que ne payerez évidemment pas ! »

Pas de « fil à la patte » français

Par ailleurs, notre interlocuteur tient à dissiper un malentendu courant, selon lequel un héritier d’une personne domiciliée en Suisse qui a habité en France au cours de la dernière décennie et qui la quitterait continuerait après son départ à être redevable des droits de succession et de donation en France sur l’intégralité de sa part, y compris les biens non français – on rappellera que les biens français sont toujours taxables en France.  : « En fait, ce n’est pas ce que dit la loi : pour être soumis à imposition en France tant au titre des successions que des donations pour les biens non français, il y a en effet deux conditions. Il faut non seulement avoir été domicilié en France pendant, et je souligne ce terme, au moins six ans au cours des dix dernières années précédant la transmission, mais encore être toujours domicilié dans l’Hexagone le jour de la transmission. Si l’une des deux conditions n’est pas réunie, la personne n’est pas soumise à l’impôt sur les biens non français. » Il n’y a donc pas de « fil à la patte » français, pour reprendre une expression consacrée dans ce cas.

Droit de suite dans certains pays

« Ce droit de suite existe en revanche dans d’autres législations fiscales, comme aux Pays Bas : vous continuez à être soumis à l’impôt pendant un certain temps après avoir quitté définitivement le territoire. Enfin, les personnes domiciliées en France depuis moins de six ans au cours de la dernière décennie précédant la transmission, peuvent bénéficier d’une donation de biens non français de la part de leurs parents domiciliés à Genève sans avoir d’impôt à payer, sous réserve de prendre certaines précautions, puisqu’ils seraient complètement exonérés tant en France que dans le canton de Genève. »

Expatriation des héritiers ou du futur défunt

L’autre grande piste pour réduire la charge fiscale sur les biens détenus hors de France, c’est l’expatriation, explique notre interlocuteur, soit de l’héritier, soit du futur défunt. « Considérons tout d’abord le cas de l’héritier qui part à l’étranger : il doit s’établir dans un pays qui ne taxe pas sur la base du domicile de l’héritier. Donc, qu’il n’y ait pas de règles similaires à celles applicables en France, comme c’est le cas en Allemagne et en Espagne. En revanche, cela marche parfaitement avec le Portugal, l’Italie, le Royaume-Uni ou encore la Belgique. Si l’on considère la situation du futur défunt, on constate que l’Italie s’avère également très favorable parce qu’il y a une convention fiscale entre la France et l’Italie couvrant les donations et les successions. »

Difficultés d’adaptation et coût de la vie

« Ce déménagement sous d’autres cieux fiscaux peut faire une énorme différence, explique notre spécialiste car les biens non français ne seront taxables qu’en Italie, avec un abattement d’un million d’euros par enfant et un taux de 4% seulement au-delà, même si les héritiers sont en France. Toutefois, avant de songer à changer son lieu de vie, il ne faut pas se focaliser uniquement sur les droits de succession ou de donation, mais aussi sur les différences de coût de la vie et sur les autres impôts. En outre, si ce sont des futurs défunts âgés qui doivent changer d’environnement, avec une culture voire une langue différente, l’adaptation peut s’avérer difficile. »

Notion de domicile français

Si vous voulez quitter votre domicile français pour un autre pays, il faut encore que cela soit effectif, prévient notre interlocuteur, « un changement de résidence fiscale, cela se vit, cela ne se décrète pas ! », sinon la France pourrait requalifier votre domicile. En l’absence de convention fiscale en matière de successions et donations entre la France et la Suisse, il convient d’examiner le droit interne français. La notion de domicile repose sur plusieurs critères : « Le premier critère, c’est le foyer, là où vivent le conjoint et les enfants mineurs. Par exemple, si l’épouse et les enfants vivent à Paris, le mari sera considéré comme domicilié en France par le droit français. Le lieu de séjour principal est le critère classique. Toutefois, passer moins de six mois en France par année n’est pas suffisant. Si l’on séjourne dans plusieurs pays au cours de l’année, la France considère que l’on est domicilié sur son territoire si c’est le pays dans lequel on passe le plus de temps. Autre critère, l’activité professionnelle sur le territoire français. »

Critère du centre des intérêts économiques

Mais le critère qui peut constituer un véritable piège, c’est le centre des intérêts économiques, c’est-à-dire le pays dont vous tirez votre principale source de revenus, précise le fiscaliste d’Avacore : « S’ils proviennent essentiellement de France, cela a pour conséquence une domiciliation fiscale sur le territoire français alors que cette personne n’y met peut-être jamais les pieds. C’est d’autant plus un piège qu’elle peut parfaitement être résidente en Suisse selon la convention fiscale en matière d’impôt sur le revenu et la fortune, mais être considérée comme domiciliée en France pour les droits de successions en raison de l’absence de convention dans ce domaine entre les deux pays. » On comprend donc qu’il faut faire particulièrement attention à ses sources de revenu, qui peuvent être des rentes de vieillesse françaises, des revenus locatifs, des dividendes, etc. entraînant du même coup, s’ils constituent la principale source de revenus de son bénéficiaire, le risque d’être domicilié des deux côtés de la frontière sans pouvoir invoquer une convention fiscale !

Comment protéger son conjoint en cas de décès ?

Pour les couples qui sont propriétaires de leur logement, l’une des grandes problématiques en cas de décès pour le conjoint survivant est de pouvoir continuer à habiter dans ses murs, surtout si le couple avait eu des enfants réclamant leur part d’héritage. Mais avant même d’envisager ce partage, il faut auparavant s’assurer que le conjoint survivant pourra reprendre également la dette hypothécaire éventuelle, comme on l’a vu dans mon dernier billet du 7 octobre. On ne va donc pas répéter l’exercice, mais prendre pour hypothèse que le veuf ou la veuve dispose de suffisamment de revenus pour satisfaire à la demande du créancier ou qu’il ou elle avait les moyens de réduire la dette pour la ramener à un niveau acceptable aux yeux de son prêteur. Ou encore que le bien n’était grevé d’aucune hypothèque. On précisera que cette présentation s’appuie sur la législation révisée du Code civil (CC) sur les droits de successions qui entrera en vigueur dès le 1er janvier prochain, entraînant des changements dans les parts réservataires notamment.

Parts réservataires des enfants

 Pour simplifier la suite de notre exposé, on va partir de l’hypothèse que le bien était libre de toute hypothèque. Mais, même dans ce cas-là, le conjoint survivant ne pourra pas forcément conserver le logement en raison des parts réservataires que les enfants du défunt peuvent revendiquer, qui s’élèvent à un quart de l’héritage (dès le 1er janvier prochain, contre les trois huitièmes jusqu’au 31 décembre 2022). Mais avant d’essayer de trouver un arrangement avec ses enfants, le couple pourrait favoriser le conjoint survivant dans le cadre du contrat de mariage, qui prendra effet lors de la liquidation du régime matrimonial, ainsi que par testament. Commençons par le contrat de mariage.

Attribution de la totalité des acquêts au conjoint survivant

Pour pouvoir favoriser au maximum son conjoint survivant, il faut privilégier le régime de la participation aux acquêts, qui est d’ailleurs le régime standard. En effet, si ce régime prévoit le partage des acquêts du couple de manière égale, une moitié revenant au conjoint survivant, l’autre moitié tombant dans la masse successorale, à laquelle s’ajouteront les biens propres du défunt. Mais les conjoins peuvent convenir d’une autre répartition, comme le prévoit l’article 216 du CC, en s’attribuant mutuellement la totalité des acquêts, qui reviennent alors dans leur intégralité au conjoint survivant, sans avoir de comptes à rendre aux autres héritiers réservataires, en l’occurrence, les descendants du défunt. Mais cette possibilité n’est ouverte que si les enfants sont communs aux époux, comme je l’ai expliqué en détail dans mon billet publié le 26 juillet dernier. Sinon, le conjoint survivant pourrait devoir indemniser le ou les enfants(s) non commun(s) au titre du respect de sa (ou leur) part réservataire.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un couple dont la maison familiale constitue l’intégralité de leur patrimoine, pour une valeur d’un million de francs, qui est nette puisqu’on suppose qu’il n’y a pas d’hypothèque. Ce logement avait été financé grâce à un héritage du mari, de 800’000 francs, auxquels s’étaient ajoutés les acquêts du couple, à hauteur de 130’000 francs pour le mari, et de 70’000 francs pour son épouse. Cette dernière n’avait aucun bien propre. Au décès du mari, la liquidation du régime matrimonial attribue à la veuve la totalité des acquêts qui est donc de 200’000 francs (= CHF 130’000 + CHF 70’000). Les biens propres du mari de 800’000 francs constituent ainsi l’intégralité de la masse successorale à partager entre la veuve et les enfants. Selon le régime légal, le conjoint survivant a droit à la moitié soit 400’000 francs, et les enfants l’autre moitié. Au terme de la succession, la veuve peut prétendre à 600’000 francs (= CHF 200’000 + CHF 400’000) et ses enfants à 400’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Utiliser la quotité disponible

Dans cette configuration, si les enfants exigent leur part d’héritage, le conjoint survivant ne pourra sans doute pas conserver la maison, à moins qu’il ne parvienne à trouver les 400’000 francs revenant à ses enfants. Le couple aurait cependant pu favoriser plus encore le conjoint survivant lors du partage de la succession, en lui accordant la totalité de la quotité disponible, qui se monte à la moitié de l’héritage dans ce cas de figure (dès le 1er janvier prochain). Ainsi, le conjoint survivant bénéficiera de l’addition de sa part réservataire d’un quart à laquelle s’ajoutera la quotité disponible, de la moitié de la succession, lui donnant ainsi droit aux trois quarts. Il ne restera donc qu’un quart de l’héritage aux enfants, correspondant à leur réserve, qui est de la moitié de leur part légale

Respecter les parts réservataires de ses enfants

Si l’on reprend notre exemple, il ressort que la veuve aurait droit à 600’000 francs (= CHF 800’000 x 3/4) sur la succession contre 200’000 francs (= CHF 800’000 x 1/4) pour les enfants. Si l’on tient compte des acquêts reçus intégralement par la veuve, cette dernière pourrait prétendre à 800’000 francs au terme de la succession, comme on le voit ci-dessous :

Toutefois, pour conserver la maison, d’une valeur d’un million de francs, la veuve devrait tout de même trouver les 200’000 francs à verser à ses enfants pour respecter leurs parts réservataires. Dans cette perspective, il faudrait idéalement que le conjoint survivant ait conclu une assurance vie pour ce montant.

Nouvelle hypothèque ?

Toutefois, même si une telle couverture sous forme d’assurance vie n’existe pas, la veuve aurait une autre possibilité à disposition, à savoir souscrire une nouvelle hypothèque pour un montant de 200’000 francs, comme l’explique Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg : « Étant donné que dans ce cas particulier la maison est libre de toute hypothèque, cette veuve devrait pouvoir facilement trouver un établissement bancaire pour lui accorder le prêt nécessaire. Sous réserve qu’elle réponde aux exigences de tenue des charges, qui doit être inférieure au tiers de son revenu. Concrètement, si l’on prend un taux d’intérêt théorique de 5%, cela se traduit par une charge d’intérêt de 10’000 francs (= 5% x CHF 200’000) par an, auxquels il faut rajouter les frais d’entretien, qui s’élèvent à 1% de la valeur du bien, soit 10’000 francs. Au total, ses charges théoriques se montent à 20’000 francs par an. Comme cette somme ne doit pas dépasser le tiers de son revenu, ce dernier doit s’élever à au moins 60’000 francs (= CHF 20’000 x 3) par an. »

Renoncement aux parts réservataires

Supposons que dans notre exemple, la veuve dispose d’un revenu insuffisant pour pouvoir souscrire une hypothèque permettant de respecter les parts de ses enfants. Ces derniers pourraient y renoncer afin de laisser leur mère continuer à vivre dans ses murs jusqu’à la fin de ses jours. Et attendre son décès pour hériter du logement. Cette solution a l’avantage de la simplicité. Mais elle a le défaut de remettre la totalité du patrimoine familial entre les mains du conjoint survivant, avec le risque que son bénéficiaire n’en fasse un usage imprudent et ne le dilapide, au point de n’en rien laisser à ses futurs héritiers. La question se poserait avec d’autant plus d’acuité en cas de remariage. L’entrée éventuelle en EMS constitue également un autre risque de consommation de la plus grande partie de son patrimoine au détriment de ses héritiers.

Legs d’usufruit selon l’article 473 CC

Il existe heureusement un autre moyen pour avantager le conjoint survivant tout en sauvegardant l’héritage : le legs d’usufruit que j’ai déjà longuement décrit dans le cadre de la révision du droit successoral, dans mon billet du 28 juin dernier. On sait que ce type de legs est limité par le respect des parts réservataires des autres héritiers, à moins qu’il ne s’agisse des enfants communs du couple. Dans ce cas, l’usufruit n’est pas contraint par les parts réservataires de ses enfants, comme le prévoit l’article 473 révisé du CC. Cette disposition permet au futur défunt d’attribuer au survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs et ce quel que soit l’usage fait de la quotité disponible, qui est de la moitié de la succession (dès le 1er janvier prochain). En d’autres termes, le futur défunt peut donc attribuer la moitié de la succession en pleine propriété et le reste sous forme d’usufruit sur l’autre moitié au conjoint survivant, laissant la nue-propriété aux descendants.

Charges de l’usufruitier/ère

Si le legs d’usufruit selon l’article 473 du CC s’avère très favorable pour le conjoint survivant, elle ne résout pas forcément le problème du financement, surtout si la maison était hypothéquée. Ce n’était pas notre hypothèse de départ, mais il vaut maintenant la peine de la considérer étant donné que c’est l’usufruitier/ère qui doit reprendre la dette : la capacité de tenue des charges sera donc calculée sur son revenu, comme pour la souscription d’une nouvelle hypothèque. Si le conjoint survivant répond à ces exigences, il devrait en principe être capable de prendre en charge les autres coûts liés au bien immobilier, soit non seulement les frais d’entretien courants, de chauffage et accessoires, ainsi que les assurances. À quoi s’ajouteraient les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier, ainsi que l’impôt sur la valeur locative ou sur les revenus qui en seraient tirés, au titre de l’impôt sur le revenu.

Droit d’habitation plutôt qu’usufruit

Au vu des charges qui sont liées à l’usufruit pour le conjoint survivant, il est possible que son budget, surtout s’il ne dispose que de modestes rentes de vieillesse, se révèle insuffisant pour y faire face. Une autre solution s’avère cependant disponible dans ce cas, sous la forme d’une donation par le conjoint survivant associée à un droit d’habitation en faveur de ses enfants. Ce régime permet de transférer la propriété au donataire – les enfants – et de libérer le donateur – la veuve – de toute charge de propriétaire, à l’exception des frais courants d’entretien, des frais de chauffage ainsi que des frais accessoires, mais en lui garantissant un droit personnel et incessible d’habiter le logement jusqu’à son décès, ainsi que, le cas échéant, des charges hypothécaires, reprises également par le donataire

Fiscalités cantonales

Sur le plan fiscal, la situation dépend des législations cantonales. En principe, les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier doivent être assumés par le donataire, comme le montre une petite enquête que j’ai menée sur ce sujet auprès des différentes administrations fiscales cantonales de Suisse romande. Sur la base des réponses reçues, c’est le cas dans le canton de Vaud, du Jura, de Neuchâtel et de Berne. Et apparemment également dans le canton de Fribourg, ainsi que me l’a indiqué Pascal Vorlet. Pour le Valais, je ne dispose pas de l’information. En revanche, le canton de Genève se distingue en cette matière, ainsi que le rapporte Caroline Michel, notaire à Genève, dans un article publié par Tout L’Immobilier du 31 décembre de l’année dernière : « Depuis un arrêt de la Chambre administrative de la Cour de Justice du 30 octobre 2018 (ATA/1161/2018), la Cour a opté pour l’assimilation du droit d’habitation au droit d’usufruit et confirmé la taxation de la fortune immobilière ainsi que celle de l’impôt immobilier complémentaire auprès du bénéficiaire du droit d’habitation. » Par ailleurs, le détenteur du droit d’habitation devra rajouter le montant de la valeur locative dans sa déclaration pour l’impôt sur le revenu, comme cela semble être le cas dans l’ensemble de la Suisse romande.

Risques particuliers du droit d’habitation

Si le droit d’habitation paraît avantageux pour son détenteur, il peut s’avérer lourd à porter pour les propriétaires dont le bien immobilier est grevé d’une telle servitude, en raison notamment du poids de ses charges, notamment hypothécaires. Quant au détenteur du droit d’habitation, s’il bénéficie d’un allègement substantiel de ses dépenses, il s’expose à un risque particulier. En effet, comme le détaille Pascal Vorlet : « Si les enfants qui sont propriétaires de la maison ont accordé le droit d’habitation à leur parent survivant, et qu’eux-mêmes font faillite, le bien immobilier, avec le droit d’habitation, est saisi et mis aux enchères. Si le bien est vendu, le nouvel acquéreur doit respecter le droit d’habitation. Rien ne change alors pour son bénéficiaire. En revanche, si la maison ne trouve pas preneur, elle est remise en vente, mais cette fois sans le droit d’habitation. Et si le bien est effectivement vendu, le parent survivant, qui se croyait à l’abri, perd son droit d’habitation et doit quitter le logement ! »

Couple sans enfant

Avant de terminer ce billet, il est intéressant de dire encore un mot concernant le décès au sein d’un couple sans enfant. Si la problématique du choix du régime matrimonial est identique, la succession dépend de ce que les parents du défunt sont eux-mêmes encore vivants au moment de son décès. Car le père et la mère sont des héritiers légaux du conjoint défunt lorsque ce dernier n’a pas eu d’enfant, à hauteur d’un quart pour les deux parents et leurs descendants contre trois quarts pour le conjoint survivant. On peut par ailleurs rappeler que dès le 1er janvier prochain, les parents n’auront plus aucune part réservataire à faire valoir, contrairement à la loi actuelle, où cette part s’élève à la moitié de leur part légale, soit un huitième de la succession. Pour se protéger mutuellement, les conjoints sans enfant doivent donc prévoir par testament que le survivant bénéficiera de la totalité de la succession, constituée de sa part réservataire de trois huitièmes (= ¾ x ½), mais également de la quotité disponible de cinq huitièmes (= 1 – 3/8), comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous  :