Le banquier du Reich en bande dessinée ? Une fresque historique de qualité

Hjalmar Schacht ? Parmi les accusés du procès du Nuremberg en 1946, qui se souvient de cet ancien président de la Reichsbank, finalement acquitté avec deux autres inculpés ? Mais c’est en train de changer. En effet, depuis quelques années, son rôle essentiel dans l’arrivée de Hitler au pouvoir et dans le réarmement de l’Allemagne revient en lumière, comme on a pu le voir tout récemment dans le documentaire « Les nazis et l’argent : au cœur du IIIe Reich ». Ce n’était d’ailleurs pas le premier du genre puisqu’une autre enquête avait déjà été diffusée en 2006, intitulée « L’incroyable banquier de Hitler ».

Personnage sulfureux mais très talentueux

Cette personnalité sulfureuse, hautaine et imbue d’elle-même, a également inspiré les auteurs de la bande dessinée « Le banquier du Reich* » sortie l’an dernier en deux tomes. Outre ses qualités graphiques, tant en termes de décors que de la couleur évocatrice de ces périodes troublées, le récit s’avère passionnant. Il permet de comprendre les agissements et motivations de ce banquier central de haut vol au sein du régime nazi et de ses acolytes, mais également de saisir les mécanismes financiers qui les sous-tendent. Et de rappeler qu’avant de mettre son talent exceptionnel au service du nazisme, Hjalmar Schacht était l’un des banquiers centraux les plus respectés de la planète. Il pouvait légitimement se vanter d’avoir mis fin à la fameuse hyperinflation du début des années trente, qui marque encore aujourd’hui les mémoires en Allemagne.

Un pan du nazisme mal connu

Cette bande dessinée pourrait certainement être recommandée à toute personne intéressée par l’histoire de cette période et de l’histoire économique tout court. D’autant que c’est un aspect du nazisme qui est mal connu. Cette qualité, on la doit sans doute beaucoup à Philippe Guillaume, prolixe scénariste de bandes dessinées avec son compère Pierre Boisserie, après une brillante carrière journaliste économique, notamment aux Échos. Pour parvenir à ce résultat, Philippe Guillaume a dû effectuer de nombreuses et longues recherches, en se plongeant notamment dans les deux ouvrages de mémoires publiés par l’ancien président de la Reichsbank, respectivement en 1950 et 1953. Par ailleurs, notre coscénariste s’est également penché sur la thèse de doctorat en Histoire contemporaine que lui a consacré Frédéric Clavert en 2006.

Part fictionnelle

Malgré cette rigueur historique, la construction scénaristique s’écarte d’une simple biographie pour dynamiser le récit, en introduisant une part de fiction et la création de deux personnages très présents tout au long des deux tomes. Ce qui peut parfois créer un certain malaise quant à l’authenticité du récit : on aimerait bien savoir ce qui est vrai et ce qui ressort de leur imagination. Moi en tout cas. C’est la raison pour laquelle j’ai contacté Philippe Guillaume, avec lequel j’avais eu l’occasion de collaborer dans un lointain passé pour signer conjointement l’adaptation au marché français de mon best-seller « Bourse – Guide de l’investisseur ». En passant, il ne s’agit pas d’une publicité à peine déguisée pour cet ouvrage français, intitulé « Le Guide de l’investisseur » puisqu’il est (malheureusement) épuisé depuis longtemps…

Les coulisses du scénario

Pour en revenir à la bande dessinée, Philippe Guillaume reconnaît volontiers les artifices utilisés pour mettre en scène l’histoire et lancer la narration. Ainsi, le premier tome s’ouvre sur un épisode authentique survenu en 1951, à savoir l’atterrissage inattendu à Tel Aviv de l’avion de ligne qui transportait Schacht, à la grande inquiétude de ce dernier. Finalement, il en repart sans ennui. Mais la suite relève de la pure fiction : au cours du vol, il est abordé par un agent du Mossad qui le contraint à s’expliquer sur son passé et le rôle qu’aurait joué un certain Rolf Lübke, un employé fictif de la Reichsbank, marié avec une Juive. En revanche, Philippe Guillaume m’a assuré que tous les faits évoqués dans le parcours de vie de Schacht dans le cadre de cette discussion sont soit authentiques, soit tout à fait plausibles.

« Une espèce d’anguille »

Dans cette perspective, la scène où Schacht défend Lübke – personnage fictif rappelons-le – face à Hitler, qui lui reproche d’avoir un Juif pour secrétaire, n’est pas aussi invraisemblable qu’elle puisse paraître. Elle correspond en effet au type de relation que le président de la Reichsbank entretenait avec le Führer, affirme Philippe Guillaume : « Hitler savait que Schacht avait exfiltré quelques Juifs de la Reichsbank et qu’il était franc-maçon. Il a accepté beaucoup de choses de sa part parce qu’il avait besoin de lui. C’est d’ailleurs toute l’ambivalence de Schacht : il va sauver quelques Juifs de la Reichsbank et en même temps il est l’un des rédacteurs des lois de Nuremberg ». Pour le dire de manière imagée, le coscénariste le compare à « espèce d’anguille, qu’on a beaucoup de peine à attraper ». On peut cependant affirmer que les auteurs ont bien ferré le poisson !

 

*Le banquier du Reich, tome I et II, Editions Glénat, 2020

Scénario : Pierre Boisserie & Philippe Guillaume

Dessin : Cyrille Ternon

Couleurs : Céline Labriet