Scandales chez Credit Suisse… et les autres

Pour ceux qui auraient eu de la peine à suivre le feuilleton des multiples scandales qui ont émaillé l’histoire récente de Credit Suisse, le livre* de mon talentueux confrère Yves Genier, journaliste économique à La Liberté, tombe à point nommé. Car si chacun ou chacune se souvient qu’il avait fallu sauver UBS de la faillite en 2008 dans la foulée de la crise des subprimes et de ses démêlés avec le fisc américain qui auraient pu s’avérer mortels, les casseroles de sa grande concurrente sont moins spectaculaires. Mais leur accumulation s’avère sidérante avec le recul.

Accumulations de casseroles

En effet, notre auteur décrit avec force détails ces affaires sans doute peu familières au grand public, qui ont fait perdre des fortunes à la banque ou à ses clients, à commencer par la faillite de Greensil, puis d’Archegos, de York Capital, de Wirecard, de Luckin Coffee ou encore d’une escroquerie avec le Mozambique, de participation à la manipulation des taux d’intérêt, sans parler des filatures ordonnées au plus niveau de la maison sur certains de ses collaborateurs pour des raisons peu claires. L’auteur ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il revient sur les scandales d’autres établissements bancaires, non seulement UBS, mais d’’autres acteurs étrangers qui ont tous connu leur lot d’affaires scabreuses, comme Deutsche Bank, HSBC, BNP Paribas, Danske Bank, ABN Amro, Softbank, sans oublier des acteurs de plus petites tailles comme GAM, Raiffeisen, Mirabaud et certaines banques cantonales.

Répression financière

Mais pourquoi tant de scandales ? A cet égard, notre confrère propose une série de clés d’analyse sans doute assez pertinentes permettant d’en comprendre la source, en scindant son exposé en deux chapitres distincts. D’une part, la répression financière et les nouveaux concurrents, d’autre part, la culture du risque qui n’évolue quasiment pas. Dans le premier chapitre, l’auteur décrit les effets de la politique plus qu’accommodante des banques centrales pour contrer les effets délétères de la crise des subprimes et leur impact sur la contraction des marges d’intérêts des banques. Ainsi, écrit notre confrère : « Prise en étau entre les robinets grands ouverts des Banques centrales et des revenus d’intérêt qui chutent, les banques commerciales se sont engagées dans une fuite en avant : augmenter le volume de leurs prêts, quitte à prendre plus de risques sur la qualité des débiteurs. » Par ailleurs, deux autres menaces se sont profilées à l’horizon, l’émergence des cryptomonnaies et celle des fintechs.

Culture du risque

Quant au chapitre consacré à la culture du risque, on a l’impression d’un éternel recommencement : les rémunérations restent à des niveaux stratosphériques, tandis que les actionnaires restent absents et que les autorités de surveillance manquent de moyens pour agir. Dans le cadre de ce chapitre, j’ai trouvé particulièrement intéressante la description du comportement de certains des grands actionnaires étrangers dans Credit Suisse comme Blackrock, Olayan ou Quatar Holding. Ainsi, quand ces derniers réinvestissent dans le capital de la banque au lendemain des affaires Greensill et Archegos, « il est difficile d’y lire une quelconque désapprobation ».

Déresponsabilisation des dirigeants

« Par conséquent, poursuit l’auteur, le risque existe qu’une équipe de direction n’y voie qu’un élément exogène à sa gestion, désagréable certes, mais non dommageable. Or c’est ce genre de perception du désaveu qui pousse à une certaine déresponsabilisation des dirigeants vis-à-vis de leurs actionnaires et accroît la tolérance des premiers aux abus et aux scandales. Et lorsque les ni les administrateurs, ni les actionnaires ne décèlent et ne combattent cette tolérance lors des assemblées générales, celle-ci gagne encore en importance. Ne restent alors plus que les gendarmes financiers pour mettre en lumière et attaquer les problèmes. Pour autant qu’ils en aient la possibilité et les moyens. » Ce qui n’est apparemment pas le cas selon notre auteur.

« Une petite affaire qui en dit long »

Cette enquête est d’autant plus intéressante qu’elle contient un élément qui documente la dérive en matière de contrôle des risques, même si elle se base sur une affaire de petite envergure, Mais « qui en dit long », pour reprendre l’expression de mon confrère. Il s’agit de l’escroquerie d’un gérant de fortune de Credit Suisse basé à Genève qui dès 2010 a pu voler près de 150 millions de francs à l’un de ses clients. Mais l’affaire est sans doute plus grave qu’elle n’apparaît a priori, comme cela ressort d’un rapport confidentiel de la société Geissbühler, Weber & Partner (GWP) mais qui a largement fuité et dont l’auteur dispose d’une copie. Ce rapport montre en effet que ces détournements s’étaient effectué tout d’abord « à l’insu de ses collègues et de sa hiérarchie, puis en connaissance de celle-ci lorsqu’elle en a eu les premiers soupçons 2011 ».

Stratégie de défense de la banque

Si le gérant indélicat a été condamné à de la réclusion en 2018 puis a mis fin à ses jours en 2020, il reste à ce stade le seul condamné. « La banque se défend en effet contre toutes les tentatives la visant explique Yves Genier. En juin 2017, le Ministère public genevois a ouvert une enquête pénale contre la banque, en la dissociant de celle qu’il menait contre le gérant. Depuis lors, la banque se bat avec tous les moyens juridiques à sa disposition pour l’empêcher d’utiliser le rapport de GWP. »

Rapport accablant

Il faut dire que le rapport s’avère accablant selon ce qu’en extrait l’auteur : « Pour expliquer pourquoi le responsable du contrôle du risque chargé de surveiller la gestion de fortune des clients de fortune des clients européens n’a jamais transmis ces informations à l’étage supérieur, le rapport souligne la priorité mise sur le conseil à la clientèle, au détriment des fonctions de contrôle ». L’impunité dont jouissais l’employé fautif viendrait du « fait que le gérant rapportait tellement d’argent à la banque qu’il s’était vu conférer l’auréole de super star, une personne intouchable, quels que soient les risques qu’il prenait et faisait prendre à son entrepreneur. Plus grave, soulignent les experts, « c’est toute la chaîne de responsabilité qui est mise en cause et qui remonte pratiquement tous les niveaux hiérarchiques et concerne aussi des cadres dirigeants au siège de la banque à Zurich. » Affaire à suivre…

*Scandales au Credit Suisse – Quand les banques perdent la tête, par Yves Genier, Editions Attinger, 2021