Quand l’héritage tombe dans un enfer fiscal

Décidément, l’affaire de cet héritage dont une partie a été taxée d’une part par le fisc genevois à hauteur de 54,6% et d’autre part, par l’administration fiscale française à 60%, soit un total de près de 115%  fait de plus en plus de bruit. D’abord révélée en octobre dernier dans la Tribune de Genève, dans un article écrit sous la plume de mon confrère Marc Bretton, cette histoire a rebondi tout d’abord dans la presse régionale française, et notamment dans le quotidien « Le Parisien », dont le journal qui héberge ce site s’est fait l’écho dans un article publié le 7 décembre. On lira avec intérêt l’enquête menée par mon confrère Sébastien Ruche pour en comprendre la problématique.

Retour sur une affaire sulfureuse

De mon côté, j’ai mené mes propres recherches pour comprendre comment on pouvait en arriver là et comment on pouvait réduire le risque d’une imposition aussi délirante Mais revenons tout d’abord sur ce cas, dont j’ai pu avoir les détails auprès d’un des deux frères qui en sont victimes. Voici les faits : les cousins éloignés domiciliés en France d’un défunt établi en Suisse en sont les seuls héritiers. Une partie de l’héritage était constituée de 125’000 euros déposés sur un compte auprès de l’agence d’une banque française sur le territoire français. En l’absence de convention de double imposition entre les deux voisins – celle qui existait depuis 1953 a été dénoncée par la France en 2014 avec effet au 1er janvier 2015 – les deux impôts sur ces biens français se sont donc additionnés, constituant une double imposition dépassant la valeur de cette somme ! Malgré ce résultat défiant le bon sens, les nombreuses démarches des héritiers des deux côtés de la frontière n’ont donné aucun résultat, les administrations fiscales se rejetant la balle.

Principes en fiscalité successorale suisse

Avant de réfléchir aux mesures éventuelles à prendre pour diminuer – en toute légalité – cette charge fiscale outrancière, il faut prendre un peu de recul, comme le propose Cedric Panchaud, avocat et expert fiscal diplômé à Genève, de l’étude Beker, Guiramand & Sepe, en commençant par décrire le système fiscal des deux côtés de la frontière : « Chaque pays a son système fiscal lié aux successions ou donations, qui sont potentiellement en conflit. Ainsi, les différents cantons suisses appliquent un système où le domicile du défunt ou du donateur fait foi pour déterminer quelles en sont les conséquences fiscales, ceci tant au niveau de l’assiette que du taux de l’impôt et ce indépendamment de savoir qui en est le débiteur. »

Deux exceptions

Toutefois, précise notre interlocuteur : « Il y a deux exceptions à ce principe. La première, ce sont les immeubles, qui créent un for fiscal secondaire à leur localisation. C’est-à-dire que le canton au lieu de localisation de l’immeuble prélève généralement l’impôt sur les donations en lien avec l’immeuble indépendamment du domicile du donateur respectivement une partie de l’impôt sur la succession au prorata des actifs nets localisé dans le canton. La seconde, dans l’hypothèse de successions internationales et pour autant qu’une convention respectivement le droit cantonal le prévoit, porte sur certains biens mobiliers, tels les actifs d’établissements stables de raisons individuelles ou des participations dans des sociétés de personnes. Il s’agit de sociétés en commandite, des sociétés simples ou en nom collectif, pour autant qu’elles exploitent une entreprise en la forme commerciale, c’est-à-dire une activité économique indépendante exercée en vue de générer un revenu régulier. Là aussi, on peut avoir un rattachement fiscal pour l’impôt sur les successions au lieu de l’entreprise. En d’autres mots, dans certaines successions transfrontalières les cantons sont tenus d’exempter sous réserve de progressivité les actifs précités ou à l’inverse peuvent les imposer. C’est par exemple le cas avec l’Allemagne, l’Autriche ou encore les Pays-Bas. »

Impôts sur les donations

Pour illustrer son propos, notre expert fiscal prend l’exemple suivant :  « Un résident genevois donne son chalet aux Diablerets – dans le canton de Vaud – à ses enfants. Le fisc vaudois va soumettre le chalet aux Diablerets (après avoir déduit l’hypothèque et autres dettes que les donataires doivent reprendre) à l’impôt sur les donations au taux de 3.5%. Suivant la commune cet impôt peut être majoré d’une part communale pour se monter au maximum à 7%.»

Impôts successoraux

« En cas de succession, poursuit Cedric Panchaud, les actifs et passifs ne sont pas répartis par objet (c’est-à-dire considérés isolément), mais entre le canton du dernier domicilie du défunt et le canton où est localisé l’immeuble, en pourcentage du total de la succession. En d’autres mots, la dette hypothécaire n’est pas attribuée au canton où se trouve l’immeuble, mais est répartie avec les autres dettes du défunt entre le canton du dernier domicile du défunt et le canton de localisation de l’immeuble proportionnellement à la quote-part que représente l’immeuble par rapport à l’entier de la succession. Ce mécanisme de répartition des dettes peut, suivant les constellations augmenter ou réduire l’assiette fiscale dans le canton de localisation de l’immeuble respectivement du domicile du défunt par rapport à l’impôt qui aurait été dû en cas de donation de l’immeuble (et répartition des dettes par objet). Suivant les cas, cette différence peut être en faveur ou défaveur du contribuable. »

Impôt successoral selon sa quote-part

« Il convient de préciser, ajoute le spécialiste, que même si un héritier ou légataire se voit attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble dans un autre canton que celui du dernier domicile du défunt, il participe à toute la succession avec une quote-part (immeuble/succession totale). Il en découle qu’il peut être amené à payer un impôt successoral au canton du domicile du défunt en fonction de sa quote-part à la succession. Dans notre exemple, si le contribuable genevois donne le chalet aux Diablerets à un de ses enfants, seul le donataire sera impacté par l’impôt sur les donations (sur la valeur nette de l’immeuble donné) alors que si le chalet lui est attribué par voie successorale, tous les héritiers doivent s’acquitter de leur part de l’impôt successoral vaudois (sur les actifs nets localisés dans le canton après répartition proportionnelle des dettes). Ils paieront alors un impôt successoral vaudois quand bien même le chalet ne leur reviendra pas lors du partage. »

Attention à l’impôt successoral dans le canton de domicile du défunt !

« Aussi, détaille encore notre expert fiscal, l’héritier qui s’est vu attribuer par disposition pour cause de mort un immeuble situé dans un canton n’imposant pas les successions (en général ou en uniquement par rapport à son lien de parenté avec le défunt) pourrait quand même devoir payer un impôt successoral dans le canton du domicile du défunt. Comme cas classique, nous pouvons citer un concubin recevant par voie successorale un immeuble dans un canton ne pratiquant pas les impôts successoraux, tel Schwyz, qui devra néanmoins payer un impôt successoral dans le canton du dernier domicile du défunt et ce au taux maximum en l’absence de privilège fiscal pour le concubin qui est souvent traité comme un tiers.»

Base de calcul de l’impôt

Dans l’exemple du chalet attribué par un contribuable genevois à un de ses enfants, cette action pourrait avoir une influence sur le taux que le fisc genevois va appliquer sur les autres éléments de la succession en prenant comme base de calcul la masse successorale ou de donation globale. Mais, dans ce cas particulier bien que fréquent, l’élargissement de l’assiette fiscale ne change rien puisqu’il n’y a pas de droits de succession sur les descendants en ligne directe à Genève. Ce serait évidemment différent pour des personnes non apparentées, avec un taux maximum de 54,6%, mais qui est en fait très vite atteint.

Principes en fiscalité successorale française

Si l’on se tourne maintenant du côté français, on constate que nos voisins ont une approche différente, qui consiste à tout imposer dès qu’il y a un point de rattachement avec ce pays. Ils sont au nombre de trois, détaille Cédric Panchaud : « Le bien est situé en France ; le de cujus – la personne qui décède – est domiciliée en France ; la personne qui est bénéficiaire, donc l’héritier, est domiciliée en France, et c’est une divergence fondamentale avec l’approche suisse. »

Domiciliation « élastique » en France

Pour le dire un peu autrement, Aubin Robert, fiscaliste auprès d’ Avacore Family Office, basé à Genève et qui dispose notamment d’une formation de notaire français, énumère également trois critères pour l’imposition en matière successorale par l’État français : « Si le défunt ou le donateur était domicilié en France, l’intégralité des biens va y être imposée, même ceux qui sont situés en Suisse, bien immobiliers compris ; si l’héritier ou le donataire est établi en France au jour de la transmission et l’a été pendant au moins 6 ans pendant les dix années qui précèdent, la France va taxer l’intégralité de sa part à l’héritage ou de la donation, que ces biens se trouvent en France ou en Suisse, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers ; si ni le défunt/donateur, ni l’héritier ou le donataire ne sont domiciliés en France, le fisc français ne taxera que les biens situés en France. »

Qu’est-ce qu’un bien français ?

Dans cette liste de critères, la question du domicile peut prêter à discussion, comme on a pu le voir dans l’affaire de la succession de Johnny Hallyday, pour déterminer quelle législation – américaine ou française – va s’appliquer en matière de droit civil. Pour le droit fiscal, le Code général des Impôts français pose différents critères alternatifs, c’est-à-dire qu’il suffit de répondre à seul de ces critères pour être domicilié en France . Toutefois, pour éviter de surcharger ce billet, on va suivre le conseil d’Aubin Robert de partir du postulat que le domicile fiscal  du défunt/donateur et du bénéficiaire de la transmission sont parfaitement établis et ne prêtent pas à discussion. En revanche, il est nécessaire de s’arrêter sur cette notion de biens français. Qu’est-ce que ce terme recouvre exactement ? « Il s’agit bien entendu, précise notre interlocuteur, d’immeubles situés en France, mais aussi de parts ou actions de sociétés françaises, de sociétés civiles immobilières (SCI), de créances contre une personne domiciliée en France, des brevets français, d’objets situés physiquement en France (meubles, véhicules, œuvres d’art), etc. Il faut souligner que des titres français déposés en Suisse sont considérés comme des actifs français par la France. »

Héritier domicilié en France d’un défunt établi en Suisse

Ces éléments posés, on peut maintenant établir l’application de l’impôt sur les successions transfrontalières. On commencera par le cas d’un héritier établi en France avec un défunt domicilié en Suisse, avec des biens des deux côtés de la frontière puis, dans un deuxième temps, la situation inverse, où il s’agit d’un défunt domicilié en France et dont l’héritier est établi en Suisse.

Biens immobiliers en Suisse

Commençons par les biens immobiliers situés en Suisse. Ils sont imposables tant en Suisse qu’en France. Toutefois, le fisc français accorde un crédit d’impôt sur l’impôt payé en Suisse. En d’autres termes, si l’impôt suisse se monte à 54,6% comme à Genève pour des personnes non apparentées, et l’impôt français à 60%, l’héritier n’aura qu’à régler la différence de 5,4% à l’administration fiscale française.

Biens immobiliers en France

Pour les biens immobiliers détenus en France, il faut distinguer la possession en direct ou par le biais d’une société civile immobilière (SCI). En direct, l’impôt est prélevé uniquement par la France. Selon les cantons, le bien français sera toutefois pris en compte ou non pour la détermination du taux d’imposition applicable aux autres éléments de la succession. Pour les biens détenus en France par le biais de SCI, rappelons tout d’abord ce que c’est : il s’agit d’un moyen de transformer en quelque sorte un bien immobilier en un bien mobilier, qui sera imposé dans le canton de domicile du défunt. Le nombre de SCI constituées dans le passé par des résidents suisses s’explique par le fait qu’elles bénéficiaient d’un traitement très favorable au regard de l’ancienne convention fiscale applicable aux successions. Côté français, les parts de SCI constituent des biens français qui vont également être soumises aux droits de succession français, donnant lieu à une double imposition, totale ou partielle selon le canton de domicile du défunt. La France n’éliminera pas la double imposition car il s’agit de biens situés en France.

Biens mobiliers en Suisse

Pour les biens mobiliers suisses, la France va appliquer un crédit d’impôt sur la part prélevée par le fisc suisse éliminant l’effet de la double imposition, sur le même principe que pour les biens immobiliers suisses. Au bout du compte, le taux d’imposition global correspondra à celui de l’impôt français puisqu’il est en principe plus élevé.

Biens mobiliers en France

Comme le montre la malheureuse affaire qui constitue le point de départ de ce billet, l’héritage de biens mobiliers français ou de source française, constitue un véritable cadeau empoisonné. Les héritiers ou légataires vont en effet être imposés sur ces biens de deux côtés de la frontière (sauf exonération liée au lien de parenté (descendants ou conjoint)), sans mécanisme de crédit d’impôts.

Vision d’ensemble

En résumé, seuls les biens mobiliers et immobiliers en Suisse bénéficient d’un crédit d’impôt par le fisc français, tandis que les biens mobiliers détenus en France, y compris les parts de sociétés civiles immobilières, vont subir une double imposition. Pour faciliter la distinction des différents cas de figure, on les a réunis dans le tableau ci-dessous :

 

Pratiques cantonales à géographie variable

Si l’on entre un peu plus dans le détail, on constate, comme l’explique Aubin Robert, que certains cantons comme l’État de Vaud ou du Valais éliminent partiellement la double imposition en permettant de déduire de la valeur du bien l’impôt payé en France. Pour illustrer son propos, notre interlocuteur prend l’exemple schématique suivant : « Une personne qui décède et qui était domiciliée dans le canton de Vaud possédait un compte bancaire en France de 100’000 euros. Somme qu’il lègue à  un cousin très éloigné domicilié en France. Ce pays va prélever 60% de ce montant, soit 60’000 euros. Quant au canton de Vaud, il va ponctionner 50%, qui est le taux maximal, mais non pas sur les 100’000 euros mais sur le solde, soit 40’000 euros. L’impôt du canton de Vaud se monte donc à 20 000 euros (= EUR 40’000 x 50%).  Au total, l’impôt à la charge de l’héritier s’élève à 80 000 euros (= EUR 60’000 + EUR 20’000), soit un taux de 80%. Ce qui est tout de même moins pénalisant que les 115% du cas où le défunt était domicilié à Genève. »

Héritier domicilié en Suisse et défunt établi en France

Dans le cadre de notre analyse, on peut également s’interroger sur le risque de double imposition dans la situation inverse, à savoir un héritier domicilié en Suisse et le défunt en France. La Suisse impose selon le principe les biens immobiliers localisés sur son sol. La France taxe également les mêmes objets, mais en accordant un crédit d’impôt sur le montant payé au fisc suisse. Quant aux biens immobiliers situés en France, ils ne sont imposables que chez notre voisin, de même que les biens mobiliers détenus en France ou/et en Suisse. Il n’y a donc jamais de double imposition, mais seulement l’application de l’impôt français, qui est toujours plus élevé que l’impôt suisse. Pour avoir une vue synthétique, on a présenté ces résultats dans le tableau ci-dessous :

Ayant établi ce constat, on peut se poser la question de savoir ce qu’auraient pu faire les héritiers au moment du décès dont on a présenté le cas. En fait, pas grand-chose. Pour s’éviter tous soucis, les deux cousins auraient pu répudier purement et simplement la succession. Mais encore fallait-il qu’ils prennent conscience de la charge fiscale qui les attendait… Par ailleurs, comme une autre partie de l’héritage était constituée de biens suisses, le prélèvement fiscal n’est que – si l’on ose dire – de 60% de leur montant, permettant dans ce cas particulier de couvrir la double imposition sur les biens français, leur laissant même un petit reliquat. Il était donc plus logique d’accepter la succession, mais en acceptant de la voir presque complètement engloutie par le fisc. Pas facile à accepter, surtout si l’on s’imagine, en toute bonne foi et avec raison, victime d’une faille du droit fiscal international.

Comment éviter des situations aussi aberrantes ?

On ne peut évidemment intervenir qu’avant que ne se produise le décès. Dans cette perspective, on peut prendre différentes mesures que je décrirai dans un prochain billet de blog.

Comment protéger son concubin ou sa concubine en cas de décès ?

Le statut de concubin(e) n’est guère enviable dans les successions car il ne donne droit à aucune part réservataire. Sa situation va toutefois s’améliorer dans le cadre de la révision du droit successoral dès le 1er janvier de l’année prochaine dans la mesure où la part réservataire des enfants est réduite et que celle du père ou de la mère est carrément supprimée, comme je l’ai décrit dans mon billet du 11 mai dernier. De cette manière, les concubin(e)s bénéficieront de plus de latitude pour se favoriser mutuellement. Mais le point noir, et qui restera, c’est le poids de l’impôt sur les successions qui peut s’avérer particulièrement lourd selon les cantons.

Partage successoral

 Il n’y a évidemment aucune liquidation du régime matrimonial puisqu’il n’y a pas eu de mariage. Les biens du défunt (hors 2e pilier et 3e pilier lié) tombent ainsi intégralement dans la masse successorale. Dans ce partage, si le défunt ne laisse aucun conjoint mais seulement des descendants, ces derniers ne pourront plus revendiquer dès le 1er janvier prochain qu’une part réservataire de moitié, contre trois quarts encore actuellement. Autrement dit, le futur défunt peut laisser à son ou à sa concubin(e) la totalité de la quotité disponible, soit donc l’autre moitié de la succession, dès l’an prochain, contre un quart jusqu’au 31 décembre.

 Impôts très lourds à Genève et dans le canton de Vaud

Si la révision de la loi s’avère évidemment beaucoup plus favorable pour le concubin ou la concubine survivant(e), cette part d’héritage restera soumise à l’impôt sur les successions, puisque ce type d’héritier est considéré comme n’ayant aucun lien de parenté avec le défunt, alors que le veuf ou la veuve en est complètement exonéré. L’impôt s’avère particulièrement lourd à Genève et dans le canton de Vaud, jusqu’à respectivement 54,6% et 50%. Prenons un exemple. Un homme domicilié à Lausanne a eu deux enfants d’un mariage qui s’est terminé par un divorce. Il s’est remis en couple sans se remarier. À son décès, il possédait un patrimoine d’un million de francs. Il aurait pu prévoir dans son testament de laisser la moitié de sa fortune à sa concubine, soit 500’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Elle aurait alors dû régler un impôt sur les successions de 50%, soit 250’000 francs.

Durée du concubinage souvent prise en compte

Mais les autres cantons ont la main nettement moins lourde, puisque les taux y sont plus bas. « En outre, comme le rappelle Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg, la plupart de ces cantons permettent aux couples de concubin(e)s de bénéficier de taux plus réduits encore s’ils peuvent justifier d’une vie commune d’une certaine durée. À Fribourg, par exemple, le taux de base est d’environ 37,4%, mais recule à 14% si le concubinage avait duré au moins dix ans. » C’est le même laps de temps qui est retenu dans le canton de Berne, avec un taux de base est d’environ 39%, selon le calculateur de la Confédération, mais qui tombe à 14,6% après dix ans de concubinage. De même, dans le canton du Jura, le taux de base est de 35%, mais est ramené à 14% au bout d’une décennie de vie commune. À Neuchâtel, le taux de base est de 37%, mais la durée de concubinage pour bénéficier d’un taux plus favorable de 14% est limitée à cinq ans. Enfin, en Valais, le taux est le plus bas de Suisse romande, à 25%, mais la durée de vie commune n’entre pas en ligne de compte dans le calcul.

Changer de domicile ?

 « Pour des couples de concubin(e)s très sensible à la thématique des droits de succession, la question de l’établissement de leur domicile dans des cantons fiscalement plus cléments peut se poser, ajoute notre interlocuteur. Surtout si l’on est établi Genève ou dans le canton de Vaud. Mais il y a une autre piste liée aux biens immobiliers pour réduire cette charge fiscale future, car ces derniers sont imposés sur le lieu où ils sont situés. Ainsi, en acquérant un objet immobilier dans un de ces cantons moins gourmands, par exemple à Fribourg, le ou la concubin(e) survivant(e) domicilié(e) dans le canton de Vaud, par exemple, verrait le taux d’imposition de la part de son héritage investie dans ce bien passer de 50% à 14%, pour autant que le concubinage ait duré dix ans au moins. » Il existe par ailleurs différentes solutions pour privilégier son (ou sa) concubin(e) afin de réduire sa facture fiscale et/ou d’éviter les actions en réduction dans le cadre de la prévoyance, avec le 2e pilier selon le règlement de sa caisse de pension, par la souscription de produits de 3e pilier lié ou du 3e pilier libre s’il s’agit d’assurance risque pur.

Prévoyance obligatoire

 Si l’on passe en revue les différents outils de la prévoyance, on constate immédiatement que le statut de concubin(e) n’existe pas dans l’AVS. En revanche, dans le cadre du 2e pilier, tout dépend du règlement. En effet, de nombreuses institutions de prévoyance considèrent les concubin(e)s comme des conjoints mariés et leur accordent les mêmes droits en cas de décès, notamment si la vie commune a duré plus de cinq ans. Les caisses de pension exigent souvent que l’assuré leur transmette de son vivant une clause bénéficiaire en faveur de son concubin(e). Cette personne pourrait alors avoir droit à des rentes qui seraient soumises à l’impôt sur le revenu habituel. Il en va de même si ces prestations prennent la forme d’un versement en capital, soumis également à l’impôt sur le revenu, mais à un taux réduit, bien inférieur au taux de l’impôt sur les successions. Et ces versements échapperont à toute action en réduction éventuelle de la part d’héritiers réservataires.

Rachats dans sa caisse de pension ?

On peut se demander si des rachats ne seraient pas particulièrement intéressants si l’on cherche à améliorer la couverture du concubin ou de la concubine en cas de décès. « Ce serait sans doute une mauvaise idée, poursuit Pascal Vorlet, car la grande majorité des caisses de pension recourent à la primauté des prestations pour couvrir le risque, notamment le décès, c’est-à-dire que les prestations qui lui sont liées dépendent uniquement du salaire assuré. Des cotisations supplémentaires, sous forme de rachats, n’auraient ainsi aucun effet sur les prestations versées. De manière générale, on recommandera, avant toute décision, de bien prendre connaissance du règlement de sa caisse de pension. »

 3e pilier lié ou libre

 Par ailleurs, dans le cadre du 3e pilier lié, on peut également privilégier son concubin ou concubin(e), si la vie commune a duré plus de cinq ans, en le ou la désignant comme bénéficiaire. Mais, comme on l’a vu dans mon billet du 18 août dernier, bien que le montant versé en cas de décès ne tombe pas dans la masse successorale, il est pris en compte dans le calcul des réserves (pour les assurances vie mixte, il s’agit de la valeur de rachat), comme cela a été précisé dans la révision qui entre en vigueur au 1er janvier prochain, comme dans le 3e pilier libre. Par ailleurs, dans tous les cantons romands, le bénéficiaire ne sera pas soumis à l’impôt sur les successions, mais à l’impôt sur le revenu, à taux réduit. Alors que dans le 3e pilier libre, le montant versé sera imposé au titre de l’impôt sur les successions. Pour des couples de concubin(e) l’assurance mixte souscrite dans le cadre du 3e pilier libre peut s’avérer peu judicieuse s’il y a un risque de subir une action en réduction, de même que pour des raisons fiscales. Il serait en effet nettement plus avantageux de le faire dans le cadre du 3e pilier lié, si c’est possible.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un couple de concubins domicilié en ville de Genève, dont l’un des deux décède. Supposons que ce dernier avait conclu une assurance mixte en faveur de sa concubine, d’un montant garanti de 100’000 francs en cas de décès. Cette somme serait soumise à l’impôt de succession à hauteur de 49’896 francs si le contrat avait été signé en 3e pilier libre. Alors qu’en 3e pilier lié, la concubine n’aurait dû s’acquitter que de l’impôt sur le revenu à taux réduit, pour seulement 4’662 francs, comme on peut le voir sur la représentation graphique ci-dessous :

Assurance décès risque pur

 L’assurance décès risque pur constitue une solution idéale pour des couples de concubin(e)s, qu’elle soit souscrite en 3e pilier lié ou libre. Le capital de l’assurance vie est versé en cas de décès au bénéficiaire désigné sans risquer de subir une action en réduction. Car comme il s’agit d’assurances sans valeur de rachat, aucun montant ne peut entrer dans le calcul des parts réservataires. Autre avantage, fiscal celui-ci : le versement est soumis à l’impôt sur le revenu à taux réduit, comme dans le 3e pilier lié, à l’exclusion de tout impôt sur les successions. « Concrètement, poursuit notre expert, dans le cadre d’une succession qui serait lourdement imposée, comme dans le canton de Vaud, et, pour neutraliser cette charge fiscale, il s’agirait de souscrire une assurance risque pur en cas de décès couvrant non seulement le montant de l’impôt successoral à régler, mais également l’impôt sur le revenu à taux réduit qui serait dû sur le versement de la prestation d’assurance. »

Usufruit croisé

 Une autre solution pour éviter tout à la fois les prétentions d’héritiers réservataires et les impôts sur les successions est constituée par l’usufruit croisé pour des couples de concubin(e)s qui acquièrent leur logement sous forme de copropriété. En effet, cela permet qu’en cas de décès de l’un des deux partenaires, l’autre puisse continuer à vivre dans le logement commun puisqu’il va recouvrer son plein droit de propriété sur la moitié dont il était nu-propriétaire – tout en bénéficiant toujours de l’usufruit sur l’autre moitié. En revanche se pose la question d’éventuels impôts de donation, qui sont normalement appliqués en cas d’usufruit simple. En principe l’usufruit croisé est assimilé à un échange de droits, donc neutre sur le plan fiscal. Mais cette exonération n’est accordée qu’à certaines conditions, qui vont dépendre des différentes législations cantonales, comme je l’ai détaillé dans mon billet du 17 novembre 2021. Quant à la reprise d’une éventuelle hypothèque, la problématique est identique à celle qui se présente pour un conjoint survivant, qui devrait faire preuve de sa capacité de financement sur la base de ses revenus, comme je l’avais longuement détaillé dans mon billet du 7 octobre dernier J’y renvoie les lecteurs intéressés.

Donations

 On mentionnera encore la possibilité que le ou la plus riche des deux concubin(e)s fassent des donations à son compagnon ou à sa compagne. Mais ces donations sont en principe soumises à l’impôt sur les donations, qui sont très proches des impôts sur les successions, avec d’éventuelles franchises, selon les cantons, comme on peut les estimer grâce au calculateur de la Confédération. « L’idée, reprend Pascal Vorlet, serait de faire des donations régulières en dessous de la franchise. Mais cela signifie de le faire longtemps et pour des petites sommes, par exemple 10’000 francs par année dans le canton de Vaud et 5’000 francs dans le canton de Fribourg. » On notera qu’à Genève, ce seuil est fixé à 5’000 francs, non renouvelable.

Comment protéger son conjoint en cas de décès ?

Pour les couples qui sont propriétaires de leur logement, l’une des grandes problématiques en cas de décès pour le conjoint survivant est de pouvoir continuer à habiter dans ses murs, surtout si le couple avait eu des enfants réclamant leur part d’héritage. Mais avant même d’envisager ce partage, il faut auparavant s’assurer que le conjoint survivant pourra reprendre également la dette hypothécaire éventuelle, comme on l’a vu dans mon dernier billet du 7 octobre. On ne va donc pas répéter l’exercice, mais prendre pour hypothèse que le veuf ou la veuve dispose de suffisamment de revenus pour satisfaire à la demande du créancier ou qu’il ou elle avait les moyens de réduire la dette pour la ramener à un niveau acceptable aux yeux de son prêteur. Ou encore que le bien n’était grevé d’aucune hypothèque. On précisera que cette présentation s’appuie sur la législation révisée du Code civil (CC) sur les droits de successions qui entrera en vigueur dès le 1er janvier prochain, entraînant des changements dans les parts réservataires notamment.

Parts réservataires des enfants

 Pour simplifier la suite de notre exposé, on va partir de l’hypothèse que le bien était libre de toute hypothèque. Mais, même dans ce cas-là, le conjoint survivant ne pourra pas forcément conserver le logement en raison des parts réservataires que les enfants du défunt peuvent revendiquer, qui s’élèvent à un quart de l’héritage (dès le 1er janvier prochain, contre les trois huitièmes jusqu’au 31 décembre 2022). Mais avant d’essayer de trouver un arrangement avec ses enfants, le couple pourrait favoriser le conjoint survivant dans le cadre du contrat de mariage, qui prendra effet lors de la liquidation du régime matrimonial, ainsi que par testament. Commençons par le contrat de mariage.

Attribution de la totalité des acquêts au conjoint survivant

Pour pouvoir favoriser au maximum son conjoint survivant, il faut privilégier le régime de la participation aux acquêts, qui est d’ailleurs le régime standard. En effet, si ce régime prévoit le partage des acquêts du couple de manière égale, une moitié revenant au conjoint survivant, l’autre moitié tombant dans la masse successorale, à laquelle s’ajouteront les biens propres du défunt. Mais les conjoins peuvent convenir d’une autre répartition, comme le prévoit l’article 216 du CC, en s’attribuant mutuellement la totalité des acquêts, qui reviennent alors dans leur intégralité au conjoint survivant, sans avoir de comptes à rendre aux autres héritiers réservataires, en l’occurrence, les descendants du défunt. Mais cette possibilité n’est ouverte que si les enfants sont communs aux époux, comme je l’ai expliqué en détail dans mon billet publié le 26 juillet dernier. Sinon, le conjoint survivant pourrait devoir indemniser le ou les enfants(s) non commun(s) au titre du respect de sa (ou leur) part réservataire.

Cas pratique

 Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un couple dont la maison familiale constitue l’intégralité de leur patrimoine, pour une valeur d’un million de francs, qui est nette puisqu’on suppose qu’il n’y a pas d’hypothèque. Ce logement avait été financé grâce à un héritage du mari, de 800’000 francs, auxquels s’étaient ajoutés les acquêts du couple, à hauteur de 130’000 francs pour le mari, et de 70’000 francs pour son épouse. Cette dernière n’avait aucun bien propre. Au décès du mari, la liquidation du régime matrimonial attribue à la veuve la totalité des acquêts qui est donc de 200’000 francs (= CHF 130’000 + CHF 70’000). Les biens propres du mari de 800’000 francs constituent ainsi l’intégralité de la masse successorale à partager entre la veuve et les enfants. Selon le régime légal, le conjoint survivant a droit à la moitié soit 400’000 francs, et les enfants l’autre moitié. Au terme de la succession, la veuve peut prétendre à 600’000 francs (= CHF 200’000 + CHF 400’000) et ses enfants à 400’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Utiliser la quotité disponible

Dans cette configuration, si les enfants exigent leur part d’héritage, le conjoint survivant ne pourra sans doute pas conserver la maison, à moins qu’il ne parvienne à trouver les 400’000 francs revenant à ses enfants. Le couple aurait cependant pu favoriser plus encore le conjoint survivant lors du partage de la succession, en lui accordant la totalité de la quotité disponible, qui se monte à la moitié de l’héritage dans ce cas de figure (dès le 1er janvier prochain). Ainsi, le conjoint survivant bénéficiera de l’addition de sa part réservataire d’un quart à laquelle s’ajoutera la quotité disponible, de la moitié de la succession, lui donnant ainsi droit aux trois quarts. Il ne restera donc qu’un quart de l’héritage aux enfants, correspondant à leur réserve, qui est de la moitié de leur part légale

Respecter les parts réservataires de ses enfants

Si l’on reprend notre exemple, il ressort que la veuve aurait droit à 600’000 francs (= CHF 800’000 x 3/4) sur la succession contre 200’000 francs (= CHF 800’000 x 1/4) pour les enfants. Si l’on tient compte des acquêts reçus intégralement par la veuve, cette dernière pourrait prétendre à 800’000 francs au terme de la succession, comme on le voit ci-dessous :

Toutefois, pour conserver la maison, d’une valeur d’un million de francs, la veuve devrait tout de même trouver les 200’000 francs à verser à ses enfants pour respecter leurs parts réservataires. Dans cette perspective, il faudrait idéalement que le conjoint survivant ait conclu une assurance vie pour ce montant.

Nouvelle hypothèque ?

Toutefois, même si une telle couverture sous forme d’assurance vie n’existe pas, la veuve aurait une autre possibilité à disposition, à savoir souscrire une nouvelle hypothèque pour un montant de 200’000 francs, comme l’explique Pascal Vorlet, responsable de la planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg : « Étant donné que dans ce cas particulier la maison est libre de toute hypothèque, cette veuve devrait pouvoir facilement trouver un établissement bancaire pour lui accorder le prêt nécessaire. Sous réserve qu’elle réponde aux exigences de tenue des charges, qui doit être inférieure au tiers de son revenu. Concrètement, si l’on prend un taux d’intérêt théorique de 5%, cela se traduit par une charge d’intérêt de 10’000 francs (= 5% x CHF 200’000) par an, auxquels il faut rajouter les frais d’entretien, qui s’élèvent à 1% de la valeur du bien, soit 10’000 francs. Au total, ses charges théoriques se montent à 20’000 francs par an. Comme cette somme ne doit pas dépasser le tiers de son revenu, ce dernier doit s’élever à au moins 60’000 francs (= CHF 20’000 x 3) par an. »

Renoncement aux parts réservataires

Supposons que dans notre exemple, la veuve dispose d’un revenu insuffisant pour pouvoir souscrire une hypothèque permettant de respecter les parts de ses enfants. Ces derniers pourraient y renoncer afin de laisser leur mère continuer à vivre dans ses murs jusqu’à la fin de ses jours. Et attendre son décès pour hériter du logement. Cette solution a l’avantage de la simplicité. Mais elle a le défaut de remettre la totalité du patrimoine familial entre les mains du conjoint survivant, avec le risque que son bénéficiaire n’en fasse un usage imprudent et ne le dilapide, au point de n’en rien laisser à ses futurs héritiers. La question se poserait avec d’autant plus d’acuité en cas de remariage. L’entrée éventuelle en EMS constitue également un autre risque de consommation de la plus grande partie de son patrimoine au détriment de ses héritiers.

Legs d’usufruit selon l’article 473 CC

Il existe heureusement un autre moyen pour avantager le conjoint survivant tout en sauvegardant l’héritage : le legs d’usufruit que j’ai déjà longuement décrit dans le cadre de la révision du droit successoral, dans mon billet du 28 juin dernier. On sait que ce type de legs est limité par le respect des parts réservataires des autres héritiers, à moins qu’il ne s’agisse des enfants communs du couple. Dans ce cas, l’usufruit n’est pas contraint par les parts réservataires de ses enfants, comme le prévoit l’article 473 révisé du CC. Cette disposition permet au futur défunt d’attribuer au survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs et ce quel que soit l’usage fait de la quotité disponible, qui est de la moitié de la succession (dès le 1er janvier prochain). En d’autres termes, le futur défunt peut donc attribuer la moitié de la succession en pleine propriété et le reste sous forme d’usufruit sur l’autre moitié au conjoint survivant, laissant la nue-propriété aux descendants.

Charges de l’usufruitier/ère

Si le legs d’usufruit selon l’article 473 du CC s’avère très favorable pour le conjoint survivant, elle ne résout pas forcément le problème du financement, surtout si la maison était hypothéquée. Ce n’était pas notre hypothèse de départ, mais il vaut maintenant la peine de la considérer étant donné que c’est l’usufruitier/ère qui doit reprendre la dette : la capacité de tenue des charges sera donc calculée sur son revenu, comme pour la souscription d’une nouvelle hypothèque. Si le conjoint survivant répond à ces exigences, il devrait en principe être capable de prendre en charge les autres coûts liés au bien immobilier, soit non seulement les frais d’entretien courants, de chauffage et accessoires, ainsi que les assurances. À quoi s’ajouteraient les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier, ainsi que l’impôt sur la valeur locative ou sur les revenus qui en seraient tirés, au titre de l’impôt sur le revenu.

Droit d’habitation plutôt qu’usufruit

Au vu des charges qui sont liées à l’usufruit pour le conjoint survivant, il est possible que son budget, surtout s’il ne dispose que de modestes rentes de vieillesse, se révèle insuffisant pour y faire face. Une autre solution s’avère cependant disponible dans ce cas, sous la forme d’une donation par le conjoint survivant associée à un droit d’habitation en faveur de ses enfants. Ce régime permet de transférer la propriété au donataire – les enfants – et de libérer le donateur – la veuve – de toute charge de propriétaire, à l’exception des frais courants d’entretien, des frais de chauffage ainsi que des frais accessoires, mais en lui garantissant un droit personnel et incessible d’habiter le logement jusqu’à son décès, ainsi que, le cas échéant, des charges hypothécaires, reprises également par le donataire

Fiscalités cantonales

Sur le plan fiscal, la situation dépend des législations cantonales. En principe, les impôts sur la valeur fiscale du bien immobilier doivent être assumés par le donataire, comme le montre une petite enquête que j’ai menée sur ce sujet auprès des différentes administrations fiscales cantonales de Suisse romande. Sur la base des réponses reçues, c’est le cas dans le canton de Vaud, du Jura, de Neuchâtel et de Berne. Et apparemment également dans le canton de Fribourg, ainsi que me l’a indiqué Pascal Vorlet. Pour le Valais, je ne dispose pas de l’information. En revanche, le canton de Genève se distingue en cette matière, ainsi que le rapporte Caroline Michel, notaire à Genève, dans un article publié par Tout L’Immobilier du 31 décembre de l’année dernière : « Depuis un arrêt de la Chambre administrative de la Cour de Justice du 30 octobre 2018 (ATA/1161/2018), la Cour a opté pour l’assimilation du droit d’habitation au droit d’usufruit et confirmé la taxation de la fortune immobilière ainsi que celle de l’impôt immobilier complémentaire auprès du bénéficiaire du droit d’habitation. » Par ailleurs, le détenteur du droit d’habitation devra rajouter le montant de la valeur locative dans sa déclaration pour l’impôt sur le revenu, comme cela semble être le cas dans l’ensemble de la Suisse romande.

Risques particuliers du droit d’habitation

Si le droit d’habitation paraît avantageux pour son détenteur, il peut s’avérer lourd à porter pour les propriétaires dont le bien immobilier est grevé d’une telle servitude, en raison notamment du poids de ses charges, notamment hypothécaires. Quant au détenteur du droit d’habitation, s’il bénéficie d’un allègement substantiel de ses dépenses, il s’expose à un risque particulier. En effet, comme le détaille Pascal Vorlet : « Si les enfants qui sont propriétaires de la maison ont accordé le droit d’habitation à leur parent survivant, et qu’eux-mêmes font faillite, le bien immobilier, avec le droit d’habitation, est saisi et mis aux enchères. Si le bien est vendu, le nouvel acquéreur doit respecter le droit d’habitation. Rien ne change alors pour son bénéficiaire. En revanche, si la maison ne trouve pas preneur, elle est remise en vente, mais cette fois sans le droit d’habitation. Et si le bien est effectivement vendu, le parent survivant, qui se croyait à l’abri, perd son droit d’habitation et doit quitter le logement ! »

Couple sans enfant

Avant de terminer ce billet, il est intéressant de dire encore un mot concernant le décès au sein d’un couple sans enfant. Si la problématique du choix du régime matrimonial est identique, la succession dépend de ce que les parents du défunt sont eux-mêmes encore vivants au moment de son décès. Car le père et la mère sont des héritiers légaux du conjoint défunt lorsque ce dernier n’a pas eu d’enfant, à hauteur d’un quart pour les deux parents et leurs descendants contre trois quarts pour le conjoint survivant. On peut par ailleurs rappeler que dès le 1er janvier prochain, les parents n’auront plus aucune part réservataire à faire valoir, contrairement à la loi actuelle, où cette part s’élève à la moitié de leur part légale, soit un huitième de la succession. Pour se protéger mutuellement, les conjoints sans enfant doivent donc prévoir par testament que le survivant bénéficiera de la totalité de la succession, constituée de sa part réservataire de trois huitièmes (= ¾ x ½), mais également de la quotité disponible de cinq huitièmes (= 1 – 3/8), comme on peut le voir dans le graphique ci-dessous  :

Comment reprendre l’hypothèque en cas de décès ?

Dans le cadre d’une succession, le logement familial constitue souvent l’essentiel du patrimoine à partager. Le cas classique étant celui du conjoint survivant qui voudrait continuer à vivre dans ses murs. Il ne pourra cependant le faire qu’en respectant les parts réservataires de ses enfants, comme on le verra dans mon prochain billet. Mais, au préalable, si le bien est grevé d’une hypothèque, le repreneur potentiel doit s’assurer que son créancier l’acceptera comme nouveau débiteur. Or, rien n’est moins sûr s’il affiche des revenus nettement inférieurs au couple qu’il formait avec le défunt. Ce qui est sans doute le cas si c’était ce dernier qui dégageait le plus haut revenu. Le conjoint pourrait donc être incapable de répondre aux exigences du prêteur, qui va réévaluer sa capacité de financement.

Bases de calcul

Cette réévaluation de la capacité du débiteur est identique à celle qui est appliquée pour le candidat à l’accession à la propriété qui a besoin de recourir à l’emprunt pour compléter ses fonds propres. Le créancier va ainsi prendre en compte le niveau des charges liées à l’hypothèque, avec un taux d’intérêt théorique allant de 4% à 5% selon les établissements (basé sur un taux historique long terme), y compris les coûts d’entretien ainsi que l’amortissement du 2e rang. Usuellement, les prêteurs estiment que ces charges ne doivent pas dépasser le tiers des revenus du débiteur. En cas de reprise de l’hypothèque, l’exigence de couverture persiste. Mais si les revenus ne suffisent plus à atteindre cette couverture d’un tiers, le créancier réclamera sans doute un amortissement partiel pour ramener le niveau des charges sous cette barre.

Taux de tenue des charges suffisant

Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’une famille traditionnelle, où le mari de 54 ans décède à la suite d’une maladie, laissant une épouse de 52 ans et deux enfants adultes, financièrement autonomes. Les conjoints possèdent leur maison d’habitation, d’une valeur de 800’000 francs. Ce bien est grevé d’une hypothèque de 500’000 francs, au taux fixe de 1,15%, arrivant à échéance en 2029. Il n’y a pas d’amortissement à calculer puisque le 2e rang a déjà été remboursé.

Avant le décès du mari, le couple remplissait entièrement les exigences de leur créancier en matière de tenue des charges, avec des revenus de 150’000 francs par an, à raison de 115’000 francs pour le mari et 35’000 francs pour l’épouse, comme on va le vérifier. Pour ce faire, il faut tout d’abord déterminer le coût annuel des intérêts théoriques de l’emprunt, en prenant donc 5% et non pas le taux effectif de 1,15%, soit :

Il faut ensuite calculer le coût d’entretien sur la valeur du bien, soit :

Le total des charges théoriques pour l’emprunteur se monte donc à :

Le taux de tenue des charges du couple s’élevait donc à :

Le taux de tenue des charges s’avérait donc parfaitement supportable aux yeux de la banque.

Taux de tenue des charges insuffisant

Mais au décès du mari, sa veuve bénéficiera sans doute d’une rente de veuve maximale du 1er pilier, soit 22 944 francs. À quoi s’ajoutera la rente de veuve provenant du 2e pilier de son mari, qu’on suppose de 20’000 francs. Son revenu total s’élèvera donc à :

On peut maintenant calculer le taux de tenue des charges lié à ce revenu, soit :

On constate que le rapport d’un tiers est largement dépassé et la banque pourrait donc demander l’amortissement partiel de l’hypothèque.

Montant de l’amortissement exigé

 On peut calculer facilement le montant de ce remboursement, en commençant par déterminer le montant maximum de charges théoriques que la banque acceptera selon le tiers du revenu de la veuve :

En disposant des charges théoriques maximales, on va pouvoir obtenir immédiatement le coût des intérêts théoriques maximum, en déduisant les coûts d’entretien, qui sont toujours de 8’000 francs, soit :

Ce coût d’intérêts théoriques correspond à une dette maximale de 369’620 francs, comme on peut le calculer grâce à une simple règle de trois :

La banque va donc exiger la diminution de l’hypothèque de la différence, soit :

On peut représenter graphiquement cette nécessité d’amortissement partiel pour ramener la dette de 500’000 francs à 369’620 francs, de manière à réduire les intérêts théoriques de 25’000 francs par an à 17’981 francs :

 

Souscription d’une assurance vie décès

Toute la question est de savoir comment la veuve pourra payer ce montant. En fait, dans une planification financière, le conseiller devrait recommander la souscription d’une assurance vie prévoyant le versement d’un montant correspondant. Si rien n’a été fait, il existe toutefois une possibilité d’éviter cet amortissement extraordinaire : le créancier pourrait ainsi accepter que l’un des enfants, voire les deux enfants, se porte codébiteur solidaire de la dette hypothécaire avec sa mère, augmentant par là le revenu disponible entrant dans le calcul de tenue des charges. Mais  cette solution peut s’avérer handicapante pour le codébiteur qui voudrait lui-même accéder à la propriété. En effet, lorsqu’il voudra contracter un emprunt hypothécaire, son prêteur tiendra compte de l’hypothèque dont il est déjà cocontractant. Il risque ainsi de ne pas pouvoir répondre aux exigences du nouveau créancier en termes de tenue des charges.

Usufruit ou droit d’habitation

 On pourrait penser qu’en procédant par exemple à une donation du bien immobilier aux enfants dans notre exemple, en contrepartie d’un usufruit en faveur de la donatrice, comme je le détaillerai dans mon prochain article de blog, on aurait résolu cette question relative à la reprise de l’hypothèque. En fait, ce n’est pas le cas, comme l’explique Pascal Vorlet, responsable du service de planification financière auprès de la Banque Cantonale de Fribourg (BCF) : « Comme les charges hypothécaires doivent être assumées par l’usufruitier/ère, c’est sur les revenus de ce dernier ou dernière que la tenue des charges va en général être calculée. En d’autres termes, rien ne change pour le créancier. À moins que l’un des enfants, voire les deux, ne se porte codébiteur. En revanche, si la donation est accompagnée d’un droit d’habitation, le calcul va s’appliquer aux revenus des nus-propriétaires, puisque dans ce cas, ce sont ces derniers qui doivent assurer le service de la dette hypothécaire. »

Que changera le nouveau droit successoral dans la procédure de divorce ?

Pour terminer ma série sur la révision du droit des successions, qui entre en vigueur le 1er janvier de l’année prochaine, je vais me pencher dans ce billet sur la question de la procédure de divorce dans le cadre de la succession. De cette manière, j’aurai passé en revue les principaux articles du projet de révision de la loi sur les successions traités dans le message du Conseil fédéral (CF) du 29 août 2018, repris presque tels quels dans la modification du Code civil (CC) du 18 décembre 2020. Toutefois, la seule véritable innovation que constituait la créance d’assistance pour le concubin ou la concubine survivant(e), longuement détaillée dans le message du CF, a finalement été écartée lors des débats parlementaires et ne figure donc pas dans la révision.

Jusqu’au 31 décembre 2022

Dans la législation actuelle, les époux ne cessent d’être héritiers réservataires et légaux l’un de l’autre qu’une fois le divorce entré en force, comme le fixe l’article 120 du CC, alinéa 2. C’est la même règle qui s’applique pour des partenaires enregistrés pendant une procédure de dissolution. En d’autres termes, cela signifie qu’en cas de décès survenant durant la procédure de divorce, le conjoint survivant conserve ses droits non seulement en tant qu’héritier légal mais également comme réservataire.

Dès le 1er janvier 2023

Dans la loi révisée, le conjoint survivant ne pourra plus se prévaloir de son droit à la réserve si le décès survient durant la procédure de divorce, comme l’établit le nouvel article 472 du CC. Mais il faut que l’une des conditions suivantes soit remplie : 1. la procédure a été introduite sur requête commune ou s’est poursuivie conformément aux dispositions relatives au divorce sur requête commune, ou 2. les conjoints ont vécu séparés durant deux ans au moins. Dans un tel cas, les réserves se calculent comme si le défunt n’avait pas été marié. Les mêmes principes s’appliquent par analogie à la procédure de dissolution du partenariat enregistré.

Conservation du statut d’héritier légal

Le conjoint ou le partenaire survivant ne perdra toutefois pas tous ses droits sur la succession, puisqu’il restera héritier légal jusqu’à ce que le divorce ou la dissolution soit prononcé(e), comme le prescrit le nouvel article 120, alinéa 2 et le nouvel article 31, alinéa 2 de la loi sur le partenariat enregistré. Comme l’explique le CF dans son message, « cela signifie qu’en l’absence de testament excluant le conjoint ou partenaire enregistré survivant, celui-ci conservera son droit à sa part successorale en cas de décès avant l’entrée en force de la décision de divorce ou de dissolution. »

Thématiques à venir

On n’entrera pas plus dans les détails juridiques dans ce billet de blog finalement consacré à l’économie… C’est d’ailleurs dans un souci d’entrer dans la pratique et dans une perspective de gestion de ses finances personnelles que je consacrerai une nouvelle série d’articles liées aux questions successorales. Il s’agira de situations concrètes telle que la transmission de l’hypothèque en cas de décès, le besoin de protection du conjoint survivant, de celui du concubin(e), de ses enfants en cas de famille recomposée, et de la manière de préparer sa succession sans faire éclater (si possible) l’harmonie familiale. J’aborderai également la question du point de vue des héritiers, qui doivent parfois se poser la question de savoir s’il faut accepter (ou refuser) un héritage.

 

 

 

 

 

 

 

Qu’est-ce qui change pour la prévoyance liée dans le nouveau droit successoral ?

Dans le cadre de ma série sur les principaux points de la révision du droit des successions, qui entre en vigueur dès le premier janvier 2023, j’aborde dans ce billet la manière dont le traitement de la prévoyance liée en cas de décès est modifié et précisé. On rappellera que l’on peut souscrire une assurance vie ou un compte de prévoyance auprès d’une fondation bancaire si l’on veut profiter des avantages fiscaux qui lui sont liés.

Prise compte dans le calcul des réserves

Ces deux formes de prévoyance liée sont exclues de la masse successorale et continueront de l’être, comme le précise le message du Conseil fédéral du 29 août 2018. Mais, ce qui change est consacré par la révision des articles 476 et 529 du Code civil : « (…) les prétentions du pilier 3a seront toutefois réunies à la masse de calculs des réserves (uniquement pour leur valeur de rachat en matière de pilier 3a assurance) et par conséquent susceptibles d’être réduites, indépendamment de la forme de prévoyance individuelle liée choisie. Ce qui signifie que les héritiers réservataires qui ne touchent pas leurs réserves pourront agir en réduction contre les bénéficiaires du pilier 3a pour la partie manquante. » En fait, cette pratique ne serait pas vraiment nouvelle, comme me l’a expliqué un planificateur financier professionnel, puisque les héritiers réservataires peuvent déjà intenter une action en réduction à l’encontre de bénéficiaires d’un produit de 3e pilier lié, à condition qu’il ait été financé par des acquêts. Mais, de toute façon, ce qui compte c’est de savoir quelle sera la nouvelle norme juridique et comment elle sera appliquée dès le 1er janvier. Dans cette perspective, on peut reprendre le message du CF qui présente l’exemple d’un compte de prévoyance en cas de décès, avec différentes variantes familiales. Les mêmes raisonnements s’appliqueraient pour une assurance mixte souscrite en 3e pilier lié, mais sur la base de la valeur de rachat.

Couple marié avec un enfant

Premier cas présenté par le CF, celui d’un couple marié avec un enfant. L’un des conjoints – que je suppose être le mari pour rendre l’exemple plus lisible – décède en laissant une succession de 20’000 francs, ainsi qu’un troisième pilier bancaire lié de 100’000 francs. Ce dernier a été constitué par ses biens propres, dont son épouse est l’unique bénéficiaire. Pour savoir si la réserve de l’enfant est lésée ou non, il faut tout d’abord déterminer le montant de la masse de calcul des réserves. Pour y parvenir, on doit additionner le capital du 3e pilier lié (3a) versé à la veuve aux 20’000 francs issus de la succession, soit 120’000 francs

Comme la réserve de la veuve et de l’enfant s’élève à un quart de la masse de calcul des réserves, elle se monte donc à 30’000 francs :

Comme la masse successorale n’est que de 20’000 francs, elle est entièrement attribuée à l’enfant. Mais elle s’avère insuffisante pour couvrir sa part réservataire, de 10’000 francs. L’enfant peut peut donc intenter une action en réduction contre sa mère, qui devra lui verser la somme manquante de 10’000 francs. Au total, elle conservera 90’000 francs, tandis que l’enfant obtiendra les 30’000 francs correspondant à sa part réservataire, comme on le voit ci-dessous :

 

 

Couple en concubinage

 Le CF reprend le même exemple, en modifiant un seul paramètre, à savoir que le couple n’était pas marié, mais vivait en concubinage. Dans ce cas, si la compagne pouvait toujours bénéficier du versement du capital de 3e pilier lié, elle n’avait droit à aucune part réservataire, alors que celle de l’enfant se montait dans ce cas de figure à la moitié de la masse de calcul des réserves, soit 60’000 francs (=  CHF 120’000 / 2). Si l’enfant lui intente une action en réduction, la concubine devra lui verser 40’000 francs, de manière qu’il obtienne le montant correspondant à sa part réservataire, comme on le voit dans le graphique ci-dessous.

 

Célibataire avec enfants

Dans ce dernier cas de figure, le CF imagine que le défunt était célibataire, en laissant deux enfants, que je suppose être un fils et une fille pour faciliter l’exposé. La succession est toujours de 20’000 francs, et le 3e pilier lié bancaire de 100’000 francs. Mais cette fois, le défunt avait institué son fils seul bénéficiaire de ce capital. La réserve de sa fille est évidemment lésée puisque chaque enfant a droit à un quart de la masse de calcul des réserves, soit 30’000 francs (= CHF 120’000 / 4). Sa fille recevra la totalité de la masse successorale, à laquelle s’ajoutera le versement de 10’000 francs de son frère, qui recevra au final 90’000 francs, comme on le voit ci-dessous.

Attribution des acquêts au conjoint survivant dans le nouveau droit successoral

Dans ce troisième épisode consacré aux points saillants de la révision du droit successoral qui entrera en vigueur le 1er janvier prochain, je vais me pencher sur l’attribution de la totalité des acquêts accordés au conjoint survivant par contrat de mariage. Pour bien comprendre ce point, on peut rappeler qu’avant la succession proprement dite le régime matrimonial doit en principe être liquidé. Si les époux étaient mariés sous le régime de la participation aux acquêts – le régime standard, de loin le plus courant –, les biens acquis durant le mariage, c’est-à-dire l’ensemble des acquêts, sont partagés de manière égale entre le conjoint survivant et la masse successorale. Le conjoint survivant conserve par ailleurs ses biens propres, c’est-à-dire ceux qu’il possédait avant le mariage ou obtenus par héritage, tandis que ceux du défunt tombent dans la masse successorale. On relèvera que les partenaires enregistrés qui sont unis par défaut en séparation de biens peuvent conclure une convention reprenant le régime de la participation aux acquêts.

Attribution de la totalité des acquêts au conjoint survivant

Mais le partage prévu lors de la liquidation du régime de la participation aux acquêts en cas de décès peut être modifié, selon l’article 216 du Code civil (CC). Il est ainsi possible de prévoir que tous les bénéfices du mariage reviennent au conjoint survivant lors de la liquidation du régime matrimonial, au détriment éventuel de leurs enfants communs. En revanche, si le défunt avait par ailleurs un ou plusieurs enfants non communs, ces derniers pourraient faire valoir une action en réduction si leur réserve était lésée.

Articles révisés

Mais dès le 1er janvier 2023, la loi est révisée sur ce point, comme l’explique le Conseil fédéral (CF) dans son message du 29 août 2018 :  « Dans le but de ne pas prétériter à l’excès les descendants communs, dont la réserve est réduite par présent projet de révision, le Conseil fédéral propose de prendre en compte l’attribution d’une part supplémentaire du bénéfice dans le calcul des réserves, soit de la réunir à la masse de calculs des réserves « dans la mesure où elle favorise » le conjoint ou le partenaire enregistré survivant, c’est-à-dire pour le montant dépassant la moitié du bénéfice du conjoint décédé (art. 216 alinéa 2 révisé). Cela signifie que la part supplémentaire pourra, le cas échéant, être réduite. Le projet ancre explicitement cette possibilité à l’art. 532 al. 2. »

Ordre des réductions modifié

 Avant d’aller plus loin, il est important de s’arrêter sur ce fameux article 532 dans sa mouture actuelle. C’est en effet lui qui fixe l’ordre dans lequel une action en réduction peut être intentée, que ce soit contre un ou plusieurs héritiers, un légataire ou un donataire, jusqu’à ce que la réserve lésée soit reconstituée, en commençant par les dispositions pour cause de mort, puis par les libéralités entre vifs, de la plus récente à la plus ancienne. Mais, dès l’an prochain, l’article 532 révisé prévoit que le processus de réduction débute par les acquisitions pour cause de mort résultant de la loi, puis par les libéralités pour cause de mort et enfin par les libéralités entre vifs. Ces dernières sont réduites dans l’ordre suivant : 1. Les libéralités accordées par contrat de mariage ou par convention sur les biens qui sont prises en compte pour le calcul des réserves ; 2. Les libéralités librement révocables et les prestations de la prévoyance individuelle liée, dans une même proportion ; 3. Les autres libéralités, en remontant de la plus récente à la plus ancienne.

Exemples

Ce nouvel ordre de réduction peut paraître un brin compliqué. Dans ce billet, on va se limiter à l’action en réduction en cas d’attribution de la totalité des acquêts au conjoint survivant, alors que le défunt avait par ailleurs procédé à une donation sujette à réduction. Les deux exemples ci-dessous, proposés par le CF dans son message, permettent sans doute de comprendre sans trop de difficultés ce mécanisme, en distinguant le cas d’un couple avec un enfant commun et celui d’un couple dont l’enfant est issu d’un autre lit.

Enfant commun et donation à un tiers

 Dans ce premier cas, le CF considère ainsi un couple marié sous le régime de la participation aux acquêts et qui n’ont qu’un seul enfant, qui leur est commun. Par convention de mariage, les deux conjoints ont prévu de s’octroyer mutuellement la totalité des acquêts en cas de décès. Le mari disparaît le premier, laissant un patrimoine de 700’000 francs sous forme d’acquêts, qui reviennent donc intégralement à son épouse, et de 100’000 francs de biens propres, qui tombent dans la masse successorale. Par ailleurs, trois ans avant son décès, l’homme avait effectué une donation de 500’000 francs (issus de ses biens propres) en faveur d’un tiers. La question qui se pose est de savoir si les réserves de l’enfant commun sont lésées et, le cas échéant, s’il peut intenter une action en réduction, et contre qui.

Pour répondre à cette question, il faut commencer par établir le montant la masse de calcul des réserves, constituée des biens propres du défunt, de la moitié de ses acquêts, puisque c’est le montant qui dépasse la moitié de son bénéfice, et la valeur de la donation – qui est réductible car datant de moins de trois ans –, soit au total 950’000 francs :

Cette masse de calcul des réserves permet ainsi d’établir la réserve du conjoint survivant ainsi que celle de l’enfant commun, qui est d’ailleurs identique, à un quart de cette masse, soit 237’500 francs :

On voit que la réserve du conjoint survivant est largement couverte par l’attribution de la moitié des acquêts du défunt, puisqu’ils se montent à 350’000 francs. Tandis que les 100’000 francs de biens propres disponibles ne suffisent évidemment pas à atteindre le niveau de la réserve de l’enfant commun. Comme il ne peut introduire d’action en réduction contre sa mère, l’enfant commun peut en revanche s’attaquer au donataire. Toutefois, cette action ne lui permet pas de récupérer auprès de lui qu’un montant très modeste car uniquement basé sur ce qui dépasse de la quotité disponible, qui est de 50%, c’est-à-dire 475’000 francs (= CHF 950’000 / 2). La différence est donc de 25’000 francs :

Au bout du compte, le conjoint survivant conserve la totalité des acquêts reçus de son mari, pour 700’000 francs, dont les 350’000 francs intégrés dans la masse de calcul des réserves, tandis que l’enfant commun n’obtient que 125’000 francs (= CHF 100’000 + CHF 25’000). Quant au donataire, il peut conserver 475’000 francs sur les 500’000 obtenus au titre de la donation, après avoir dû verser 25’000 francs à l’enfant du défunt, comme on le voit ci-dessous :

 

 

Enfant non commun et donation à un tiers

Le CF reprend quasiment le même exemple, en supposant toutefois que l’enfant n’était pas commun aux deux époux, mais était issu du mariage précédent contracté par le défunt. On voit que la réserve héréditaire de cet enfant peut être respectée.

Au départ, le partage est identique, avec les 700’000 francs d’acquêts du défunt qui reviennent au conjoint survivant, tandis que les 100’000 francs de biens propres du défunt constitue la masse successorale, qui est attribuée à l’enfant non commun. Comme dans l’exemple précédent, la masse de calcul des réserves s’élève à 950’000 francs : la part réservataire de l’enfant non commun est donc toujours de 237’500 francs, pour une lésion identique de 137’500 francs. Mais cette fois, il peut agir, selon le nouvel article 532, et en priorité, contre sa belle-mère pour ramener la moitié des acquêts du défunt jusqu’au niveau de sa réserve de 237’500 francs. De cette manière, l’enfant commun peut récupérer 112’500 francs (= CHF 350’000 – CHF 237’500) d’acquêts issus de son père. C’est toutefois insuffisant pour reconstituer complètement sa réserve, puisqu’il manque 25’000 francs :

Pour atteindre cette réserve, l’enfant non commun peut cependant intenter une autre action en réduction contre le donataire pour obtenir les 25’000 francs manquants. Ce qui est possible dans ce cas puisque la quotité disponible n’est que de 475’000 francs, alors que la donation s’élevait à 500’000 francs. Au terme de l’action en réduction, le conjoint survivant et l’enfant non commun reçoivent chacun un montant correspondant à leur part réservataire de 237’500 francs, tandis que le donataire peut conserver 475’000 francs, comme on peut le représenter graphiquement :

 

 

 

Legs d’usufruit en faveur du conjoint survivant selon le nouveau droit successoral

Après avoir traité de la modification des parts réservataires dans la révision de la loi sur les successions dans mon billet du 11 mai dernier, et qui entrera en vigueur dès le 1er janvier de l’année prochaine, je vais me pencher sur un point plus technique. En l’occurrence la modification de l’article 473 du Code civil (CC) – le fameux, comme le disent certains professionnels car très controversé –, qui porte sur le legs d’usufruit au conjoint survivant. Le message du Conseil fédéral (CF) du 29 août 2018 indique ainsi : « Le droit actuel permet de laisser au conjoint survivant l’usufruit de toute la part successorale dévolue aux enfants. Cet usufruit tient lieu du droit de succession légal du conjoint survivant en concours avec ces descendants. Ces derniers héritent ainsi de la nue-propriété de leur part successorale, grevée d’un usufruit en faveur du parent. Outre cet usufruit, la quotité disponible est d’un quart de la succession. »

Qu’est-ce qu’un legs ?

Avant d’examiner la version révisée de cet article, il est sans doute nécessaire pour une bonne partie des lecteurs d’éclaircir les notions qui lui sont liées. Tout d’abord, il faut préciser qu’il s’agit d’un legs, le légataire – son bénéficiaire – est restreint à ce droit déterminé, contrairement à l’héritier, dont le droit s’étend à tout ou partie de la succession, y compris les dettes. On précisera qu’on peut être à la fois légataire, c’est-à-dire bénéficiaire du legs, et héritier par ailleurs.

Qu’est-ce qu’un legs d’usufruit ?

Le legs d’usufruit est donc un legs particulier qui consiste à démembrer en quelque sorte le droit de la propriété d’un objet, généralement un bien immobilier au décès du testateur, c’est-à-dire celui qui l’a inscrit dans son testament. Cette opération revient ainsi à partager le droit de propriété en, d’une part, un droit de jouissance et d’usage, qui est le droit pour l’usufruitier (par exemple, le conjoint survivant) d’habiter ou de louer à un tiers, et d’autre part, la nue-propriété qui revient aux nus-propriétaires (par exemple, les descendants). Les nus-propriétaires acquièrent la pleine propriété à la fin de l’usufruit, en principe au décès de l’usufruitier.

Lésion des parts réservataires ?

 Dans le cas où le legs d’usufruit est attribué au conjoint survivant et la nue-propriété aux enfants, ce partage peut s’avérer défavorable à ces derniers, en empiétant sur leurs parts réservataires. Avec la diminution de la part réservataire des enfants inscrite dans la loi révisée d’ici à quelques mois, ce risque va être réduit. Il subsistera toutefois, surtout si l’héritage est essentiellement constitué du logement familial et que le conjoint survivant est encore jeune. Les descendants ne pourront cependant pas intenter d’action en réduction contre leur parent survivant en raison même de l’article 473 du Code civil. Sous réserve qu’il s’agisse bien d’enfants communs et que le conjoint survivant ne se remarie pas. On peut développer ces différents points, qui existent déjà dans le droit actuel, mais il paraît plus judicieux de le faire dans la version révisée de cet article, en se basant notamment sur les exemples fournis dans le message du Conseil fédéral.

Article 473 nouveau

Dans sa nouvelle mouture, valable dès le 1er janvier prochain, l’article 473 du CC, prévoit ainsi que le futur défunt peut, par disposition pour cause de mort, laisser à son conjoint survivant l’usufruit de toute la part dévolue à leurs descendants communs. Et ce quel que soit l’usage de la quotité disponible. En d’autres termes, si le testateur veut favoriser au maximum son conjoint, il peut lui accorder non seulement la totalité de la quotité disponible, soit la moitié de la succession, mais aussi l’usufruit sur l’autre moitié, correspondant à la part de leurs enfants communs. Comme le précise le message du CF, l’article 473 du CC n’affecte cependant pas la réserve du conjoint survivant. Ce dernier conserve donc son droit de faire valoir sa réserve en pleine propriété en lieu et place de l’usufruit selon l’article 473. Toutefois, s’il accepte l’usufruit, il renonce à sa réserve.

Action en réduction contre le conjoint survivant ?

De leur côté, les enfants communs auront chacun droit à une part égale de la nue-propriété du ou des biens en usufruit durant la vie du conjoint survivant. Au décès du conjoint, ils en recevront la pleine propriété, comme le prescrit l’article 749, alinéa 1 du CC. Mais, comme dans la loi actuelle, ces enfants communs seront empêchés de toute possibilité d’intenter une action en réduction contre le légataire, à savoir le conjoint survivant, contrairement à des enfants non communs ou en cas de remariage du conjoint survivant. Pour être concret, je vais prendre des exemples, à commencer par celui qui est présenté dans le message du CF pour un couple dont les enfants sont tous communs.

Enfants communs uniquement

Le CF présente ainsi un couple dont le mari décède et laisse son épouse de 65 ans et leurs deux enfants communs. La succession se monte à 600’000 francs. Le défunt a favorisé son épouse en lui attribuant la moitié de la succession en pleine propriété et le reste en usufruit. L’article 473 du CC peut s’appliquer tel quel : la moitié de la succession, soit 300’000 francs (= CHF 600’000 / 2) revient à la veuve, tandis que les 300’000 francs vont faire l’objet de l’usufruit, dont la valeur capitalisée reviendra à la veuve et la nue-propriété aux enfants, à parts égales pour chacun d’eux.

Dans son message, le CF s’arrête là, sans préciser si les parts réservataires des enfants communs sont lésées ou pas, et de combien. A priori, la réponse ne présente guère d’intérêt puisque les enfants ne peuvent intenter d’action en réduction contre le conjoint survivant. Sauf s’il se remarie. On va donc développer cet exemple pour déterminer tout d’abord s’il y a lésion des parts réservataires des enfants – ce qui est le cas ici –, puis la manière dont une action en réduction pourrait corriger ce phénomène.

Valeur capitalisée de l’usufruit et nue-propriété

Pour déterminer si les parts réservataires des enfants sont éventuellement lésées, il est nécessaire d’établir la valeur de l’usufruit et celle de la nue-propriété. Pour y parvenir, on va tout d’abord calculer la valeur capitalisée de l’usufruit (VCU), qui est la valeur de l’accumulation de l’usufruit jusqu’à son terme. La VCU dépend, d’une part, du rendement annuel net de l’objet de l’usufruit et, d’autre part, de la durée présumable de ce dernier. C’est la raison pour laquelle, cette valeur va être calculée en prenant en compte la valeur du bien soumis à l’usufruit, son rendement annuel, et un coefficient de capitalisation. Ce dernier sera lui-même déterminé par le sexe et l’âge de l’usufruitier ainsi que le taux de rendement du bien faisant l’objet de l’usufruit.

Dans cet exemple, la valeur du bien soumis à usufruit est de 300’000 francs, tandis que le taux de rendement actuel est fixé à 3,5% et le coefficient de capitalisation est de 16,28 pour une femme de 65 ans. La VCU est donc de 170’940 francs :

Cette VCU permet d’obtenir immédiatement la valeur de la nue-propriété, puisque c’est la différence entre la valeur du bien sous usufruit et celle de la VCU. Soit 129’060 francs :

Comme il y a deux enfants, chacun d’eux reçoit la moitié de cette nue-propriété, soit 64’530 francs (= CHF 129’060 / 2). On constate toutefois que leur réserve héréditaire se monte à 75’000 francs (= CHF 600’000 x 1/4 x 1/2) : les enfants sont donc lésés à hauteur de 10’470 francs (= CHF 75’000 – CHF 64’530), comme on peut le représenter graphiquement :

 

 

Mais, en vertu de l’article 473 du CC, les enfants ne pourront pas intenter d’action en réduction contre leur mère, ils devront attendre son décès pour recouvrer la pleine propriété du bien soumis à l’usufruit. Toutefois, la situation changera si la mère se remarie.

Remariage de l’usufruitier

Le message du CF ne contient pas d’exemple de l’effet du remariage de l’usufruitier dans le cadre de l’article 473 du CC. C’est la raison pour laquelle, j’ai dû le créer, en

Florence Guillaume

m’appuyant sur la démarche présentée par Florence Guillaume, professeure ordinaire à la Faculté de droit de l’Université de Neuchâtel et auteure d’un cours sur le droit des successions en ligne et librement accessible, d’une très haute qualité pédagogique. Ce support, composé de tutoriels, sera mis à jour à fin septembre pour tenir compte de la révision du droit des successions. La professeure Guillaume a par ailleurs accepté de valider l’exemple sur le remariage du conjoint survivant usufruitier que je présente ci-dessous.

En cas de remariage du conjoint survivant, la protection de celui-ci contre l’action en réduction des enfants communs tombe. La loi prévoit que le conjoint survivant qui se remarie doit se retrouver dans la situation qui aurait été la sienne si son précédent conjoint n’avait pas porté atteinte aux réserves héréditaires de leurs enfants en le favorisant au moyen d’un usufruit. Les enfants communs récupèrent donc l’entier de leurs droits réservataires. Si ces derniers intentent une action en réduction contre leur parent, il y a deux solutions : soit le conjoint survivant leur verse une indemnité correspondant à la différence entre la part réservataire de chacun des deux enfants, qu’on appelle soulte. Soit, dans notre exemple 10’470 francs :

Comme il y a deux enfants, le conjoint remarié devra verser 20’940 francs (= CHF 10’470 x 2). Mais il y a un autre moyen pour couvrir les parts réservataires des enfants, surtout si le conjoint survivant n’a pas de liquidités disponibles pour verser la soulte à ses enfants. Il s’agit de réduire l’usufruit pour dégager un montant en pleine propriété pour faire l’appoint. Toute la question est de savoir de combien. En d’autres termes, il faut calculer la VCU maximale permettant le respect des parts réservataires des enfants.

Pour déterminer cette valeur, on considère tout d’abord le montant que le conjoint survivant recevra en pleine propriété, en application de l’article 473 du CC, qui est toujours de 300’000 francs dans cet exemple. Ensuite, on déduit sur l’autre moitié la part réservataire des deux enfants, qui sera d’un quart de la succession (composée d’un patrimoine de 600’00 francs), soit 150’000 francs (= CHF 600’000 / 4). La différence de 150’000 francs constituera donc la VCU maximale avant que l’usufruitier n’empiète sur les parts réservataires des enfants :

Cette VCU maximale de 150’000 francs nous permet ensuite d’obtenir la part du bien soumis à l’usufruit selon la formule suivante, soit 263’250 francs :

La réduction de la part du bien soumise à usufruit entraîne l’augmentation de la pleine propriété de la masse successorale, qui passe ainsi de 300’000 francs à 336’750 francs (= CHF 600’000 – CHF 263’250). Par ailleurs, la valeur de la nue-propriété va également reculer, à hauteur de 113’250 francs :

Comme la part réservataire des enfants est de 150’000 francs, ils ont droit, en sus, à une part en copropriété de 36’750 francs :

Donc, au bout du compte, le conjoint survivant bénéficie de l’usufruit pour une VCU de 150’000 francs, à quoi s’ajoute une part en pleine propriété de 300’000 francs. Le montant de 36’750 francs restant en pleine propriété revient aux enfants, soit à hauteur de 18’375 francs (= CHF 36’750 / 2) pour chacun, qui compléteront la moitié de la valeur de nue-propriété réduite, soit 56’625 francs (= CHF 113’250 / 2). Finalement, leur réserve héréditaire sera respectée, à hauteur de 75’000 francs (= CHF 56’625 + CHF18’375), comme on peut le représenter graphiquement.

 

 

Enfants non communs

En présence d’enfants non communs, la règle se complique quelque peu. Le message du CF propose ainsi l’exemple suivant, avec deux enfants communs et un troisième issu d’un précédent mariage du défunt. Chaque enfant a droit à une part réservataire d’une demi de sa part successoralE, soit un quart (= 1/2 x 1/2). Comme la masse successorale est de 600’000 francs, la part réservataire des enfants se monte à  150’000 francs (= CHF 600’000 / 4), soit 50’000 francs par enfant (= CHF 150’000 / 3). Dans ce cas, il faut dissocier le partage successoral des enfants en deux groupes : celui des enfants communs et celui de l’enfant non commun, de manière proportionnelle au nombre d’héritiers. Ainsi, la masse successorale à partager entre la veuve et ses deux enfants sera de 400’000 francs (= CHF 600’000 x 2/3) et de 200’000 francs (= CHF 600’000 x 1/3) entre la veuve et l’enfant de son mari.

Commençons par la répartition entre la veuve et ses enfants, sur laquelle on peut appliquer l’article 473 du CC. Soit la moitié en pleine propriété pour la veuve, soit 200’000 francs (= CHF 400’000 / 2) et la VCU sur l’autre moitié, soit 113’960 francs :

Quant à la nue-propriété des enfants communs, elle s’élève à 86’040 francs :

Soit par enfant, 43’020 francs (= CHF 86’040 / 2). La réserve de 50’000 francs par enfant est lésée, mais ne peut faire l’objet d’une action en réduction en vertu de l’article 473 du CC.

En revanche, l’enfant non commun peut réclamer une indemnisation si sa réserve de 50’000 francs n’est pas respectée. Ce qui est le cas dans cet exemple avec un usufruit portant sur 100’000 francs : la nue-propriété est insuffisante pour couvrir sa réserve, avec un manque de 6’980 francs (= CHF 50’000 – CHF 43’020).

Pour respecter la réserve, il faut donc diminuer la part de l’usufruit de l’enfant non commun pour ramener sa valeur capitalisée à la même valeur, soit 50’000 francs, On peut faire le calcul avec la formule suivante, soit 87’750 francs :

L’usufruit maximal ne peut donc porter que jusqu’à 87’750 francs pour le partage entre la veuve et l’enfant non commun du conjoint décédé. La nue-propriété revenant à l’enfant s’élève ainsi à 37’750 francs :

Au total, la veuve touchera toujours 300’000 francs en pleine propriété, tandis qu’elle aura droit à un usufruit sur 287’750 francs (= CHF 200’000 + CHF 87’750), pour une VCU de 163’960 francs (= CHF 113’960 + CHF 50’000). De son côté, l’héritier non commun aura droit à une nue-propriété sur 87’750 francs, soit une valeur de 37’750 francs, à laquelle s’ajoutera 12’250 francs en pleine propriété, lui permettant d’atteindre sa réserve de 50’000 francs. Pour les deux enfants communs, leur part d’héritage ne change pas, et correspond toujours à une valeur de nue-propriété de 43’020 francs chacun, comme on peut le voir dans le graphique suivant :

Enfin un livre de référence sur le 3e pilier !

Vous pensez que le 3e pilier, que ce soit sous sa forme liée ou libre, est compliqué ? Vous avez raison ! En effet, c’est un univers qui

Pierre-Yves Carnal

nécessite de vastes connaissances, notamment dans le domaine des assurances vie et de leur fiscalité, qui diverge selon que les produits sont souscrits dans le cadre du 3e pilier lié ou libre. Il est en fait très difficile d’en maîtriser tous les arcanes sans être un expert. C’est la raison pour laquelle il faut saluer la sortie du livre de Pierre-Yves Carnal, praticien et formateur d’adultes en matière d’assurances sociales, sobrement intitulé « Le troisième pilier en Suisse* ».

Nombreux tableaux

Cet ouvrage s’avère d’autant plus intéressant qu’il comble une vraie lacune. En effet, à notre connaissance c’est le seul qui présente cette matière aride sous une forme synthétique et abordable. Toutefois, sans vouloir refroidir l’ardeur de ses futur(e)s lecteurs ou lectrices, ce court document – une centaine de pages – s’adresse surtout à des professionnels étant donné la complexité de la thématique. Ils pourront ainsi s’en servir comme manuel de référence, aidés dans leur tâche par de très nombreux tableaux, même s’ils sont parfois un peu touffus.

Spécificités des législations cantonales

Comme nous l’indique l’auteur, cette première édition vise le marché romand et met l’accent sur les spécificités des différentes législations de chacun des six cantons. L’un des atouts de cet ouvrage, c’est l’intégration non seulement de la révision partielle de la LCA (Loi sur le contrat d’assurance) intervenue au premier janvier de cette année, ainsi que celle des successions, qui entrera en vigueur dès l’an prochain.

Révision de la LCA

Parmi les points importants de la révision de la LCA, Pierre-Yves Carnal met en exergue celui qui touche l’assurance-vie : « Un droit de révocation a été introduit dans les quatorze jours qui suivent la signature du contrat, et qui concerne aussi le 3e pilier lié. Il s’agit là d’une grande nouveauté pour la LCA. » Autre innovation, l’obligation faite à l’assureur de fournir des informations détaillées sur le contrat au preneur d’assurance avant sa conclusion, en particulier sur la valeur de rachat : « C’est devenu beaucoup plus explicite qu’auparavant. »

Fiscalité au centre du jeu

La fiscalité joue un rôle particulièrement important dans le domaine du 3e pilier. Il serait toutefois simpliste de tout miser sur cet aspect. En effet, comme le souligne notre interlocuteur, si la prévoyance liée s’avère avantageuse « en raison notamment de ses fameuses déductions fiscales et d’un certain droit garanti à la personne mariée, la prévoyance libre offre en revanche une très grande liberté, tout en restant fiscalement intéressante ».

Rigidité des assurances vie

En ce qui concerne la prévoyance liée, « si les produits d’assurance permettent de couvrir un risque, ils sont en revanche extrêmement rigides », s’exclame l’auteur. Plus encore qu’on ne l’imagine habituellement. En effet, on sait que la prime d’assurance-vie doit être réglée chaque année et pour le même montant, contrairement au versement sur un compte de prévoyance, laissé à la discrétion de son détenteur jusqu’au plafond légal. Mais l’assurance-vie manque également de flexibilité pour profiter de la possibilité de résilier ce type de produits cinq ans avant l’âge de la retraite, soit dès 60 ans pour un homme et 59 ans pour une femme. Pour un compte de prévoyance, il n’y aura aucun problème alors que, poursuit notre interlocuteur, « si vous avez une assurance vie fixée à 63 ans, vous ne pouvez pas la résilier facilement par anticipation en raison de problèmes techniques ! ».

3e pilier lié et frontaliers

Autre point mis en évidence, la question du droit à la souscription de produits dans le cadre du 3e pilier lié pour les frontaliers. La réponse – positive – se trouve sur le site de l’OFAS, mais a demandé de longues recherches, précise l’auteur. Une autre enquête auprès des différents cantons romands lui a permis d’établir leur pratique sur ce droit lorsque l’activité lucrative est temporairement interrompue. C’est ainsi qu’ils acceptent globalement ce principe « avec une limite de deux ans pour la poursuite de cotisations déductibles du revenu imposable ». Ce résultat permet de faire ressortir la démarche de l’auteur dans l’ensemble de son ouvrage, qui a consisté à « aller chercher toutes les bases légales relatives à la matière présentée », cela en les référençant précisément tout au long de son exposé.

*Le troisième pilier en Suisse, par Pierre-Yves Carnal, Editions Loisirs et Pédagogie, 2022