Comment se préparer à la révision du droit des successions

Dès le 1er janvier de l’année prochaine entrera en vigueur la première partie de la révision du droit des successions qui va donner plus de liberté pour choisir ses héritiers, parallèlement à d’autres mesures moins fondamentales et à l’éclaircissement d’un certain nombre de points techniques. Dans cette perspective, je vais consacrer une série d’articles pour les décrire dans les grandes lignes au cours de ces prochains mois, en recourant notamment au message du Conseil fédéral, publié le 29 août 2018, qui fournit moult exemples.

Parentèles et conjoint survivant

Dans ce premier billet, on se concentrera sur cette liberté étendue du testateur, c’est-à-dire celui qui s’apprête à coucher ses dernières volontés dans un testament. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de procéder au rappel de quelques notions élémentaires sur l’organisation de la succession. Considérons tout d’abord l’ordre légal, c’est-à-dire celui qui intervient si le défunt n’a laissé aucun testament. Pour savoir qui peut hériter du défunt, il faut établir les liens de parenté avec ce dernier. Le Code civil distingue trois niveaux de parentèles, c’est-à-dire de personnes apparentées au défunt : la première englobe tous ses descendants ; la deuxième comprend son père et sa mère et leurs descendants qui n’appartiennent pas à la première parentèle ; la troisième parentèle intègre les grands-parents et leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles. Par ailleurs, il faut considérer le ou la conjoint(e) du défunt ou partenaire enregistré, qui sera toujours héritier(ère).

Arbre généalogique

Pour y voir plus clair, on peut s’aider de l’arbre généalogique ci-dessous, tiré de mon dernier ouvrage, « Comment financer sa retraite », publié en 2020. Pour faciliter la compréhension, on a distingué les parentèles par l’intensité de la couleur qui leur est appliquée : la plus foncée est réservée aux descendants du défunt (1re parentèle) ; la teinte moyenne est attribuée à son père et à sa mère, ainsi qu’à ses frères et sœurs et à leurs descendants (2e parentèle) ; enfin, la coloration la plus claire est assignée aux grands-parents paternels et maternels et à leurs descendants qui ne font pas partie des deux autres parentèles (3e parentèle).

Priorité de la parentèle sur la suivante

Cet ordre légal est soumis à une règle de base, à savoir la priorité de la première parentèle sur la suivante : les descendants ont ainsi toujours préséance sur la parentèle du père et mère du défunt, de même que cette dernière a priorité sur la parentèle des grands-parents. Cette priorité est absolue dans la mesure où il n’y a aucun partage entre la parentèle la plus proche et la suivante. Par exemple, les enfants ont toujours priorité sur les parents du défunt.

Conjoint survivant ou partenaire enregistré et parentèles

Les choses se compliquent quelque peu lorsque le défunt laisse un ou une conjoint(e) ou un partenaire enregistré, qui participe toujours à la succession. Cette participation s’avère croissante au fur et à mesure de l’éloignement des parentèles. Ainsi, il ou elle touche la moitié de la succession en présence d’héritiers de la première parentèle, les trois quarts avec la deuxième parentèle et la totalité lorsqu’il n’y a que des héritiers de la troisième parentèle. Dans ce cas, les grands-parents sont exclus de la succession.

Cas concrets

Pour illustrer notre propos, prenons le cas d’un homme qui décède en laissant une épouse, deux filles et un fils. Dans ce cas, la veuve a droit à la moitié de la succession, tandis que l’autre moitié est transmise à ses deux filles et à son fils, qui constituent la première parentèle, à hauteur d’un sixième (= 1/2 / 3) chacun, comme on le voit dans la représentation graphique ci-dessous :

Comme exemple d’un partage entre le conjoint survivant et des héritiers de la deuxième parentèle, prenons le cas d’un homme marié, qui était fils unique, sans enfant, mais qui avait encore sa mère, qui fait donc partie de la deuxième parentèle. Dans ce cas, les trois quarts de la succession sont attribués à sa veuve et le quart restant revient respectivement à sa mère survivante à hauteur d’un huitième (=1/4 / 2), et à sœur pour l’autre huitième, hérité de la part de son père prédécédé, comme on peut le voir sur le graphique ci-dessous :

 

Parts réservataires

L’ordre légal n’est toutefois pas figé mais peut être corrigé. En effet, le législateur donne à celui qui prépare sa succession une certaine latitude pour attribuer son héritage selon ses préférences. Mais il est limité par l’existence de parts dites réservataires qui reviennent à certains héritiers légaux. La fraction non couverte par les parts réservataires est appelée quotité disponible. Or, c’est justement l’objet de la révision. Ainsi, jusqu’au 31 décembre de cette année, trois catégories d’héritiers légaux bénéficient de parts réservataires : le conjoint ou le partenaire enregistré survivant a droit à au moins la moitié de sa part légale ; les descendants ont droit aux trois quarts de leur part légale ; les parents du défunt disposent  quant à eux d’une réserve de moitié de leur part légale à condition que leur enfant n’ait pas eu de descendance. Mais dès l’année prochaine, la part réservataire des descendants va être ramenée à la moitié, tandis que celle des parents sera supprimée.

Descendants seuls héritiers légaux

Pour être plus concret, représentons ce changement sous forme graphique, en commençant par visualiser l’état des lieux lorsque les descendants sont les seuls héritiers légaux, avec une part réservataire des trois quarts jusqu’au 31 décembre 2022. Dès le 1er janvier 2023, cette part sera réduite à la moitié, faisant passer la quotité disponible d’un quart à la moitié.

 

Conjoint survivant seul héritier légal

Dans ce cas de figure, le défunt était marié ou en partenariat enregistré, mais n’avait pas de descendants, plus de parents et ni frères ni sœurs. La part légale du conjoint survivant est donc de 100%, sur laquelle s’applique sa part réservataire de 50%, laissant une quotité disponible de 50%. Et rien ne changera en 2023.

 

Père ou mère seuls héritiers légaux

Dans ce cas, le père ou la mère sont seuls héritiers légaux à condition qu’il n’y ait ni conjoint survivant, ni descendants, ni frères et sœurs (si l’un des parents est prédécédé), avec une part légale de 100%. Jusqu’à la fin de l’année 2022, leur réserve héréditaire est de moitié. Mais elle sera supprimée dès le 1er janvier 2023, pour faire passer la quotité disponible de 50% à 100%.

Conjoint survivant avec descendant(s)

Dans la loi actuelle, comme le conjoint survivant a une réserve de moitié et les descendants des trois quarts, leurs parts réservataires sont respectivement d’un quart et de trois huitièmes. Mais, étant donné que la réserve des descendants sera réduite au même niveau que celle du conjoint dès le 1er janvier 2023, les deux catégories auront la même part réservataire d’un quart (= 1/2 x 1/2), faisant passer la quotité disponible de trois huitièmes à la moitié.

Conjoint survivant avec père ou mère survivant(s)

Le conjoint survivant ou partenaire enregistré d’un défunt sans descendance a une part successorale de trois quarts contre un quart pour le père ou la mère survivant(s). Étant donné que le veuf ou la veuve a droit à une part réservataire de moitié, cette dernière se monte donc à trois huitième (= 3/4 x 1/2), tandis que le père ou la mère survivant, qui disposent d’une réserve de moitié dans la loi actuelle, ont droit à une part réservataire d’un huitième, laissant une quotité disponible de moitié. Mais, avec la disparition au 1er janvier 2023 de la réserve des parents, la quotité disponible passera de la moitié à cinq huitièmes (= 1 – 3/8).

Fiscalité sur les concubin(e)s toujours aussi lourde

Si la réforme permet à un couple de concubin(e)s de se favoriser mutuellement en pouvant exploiter au maximum la quotité disponible d’une demie en présence de descendants du défunt, cela ne résout que partiellement le problème. En effet, la révision ne touche pas aux questions fiscales, qui relèvent dans ce domaine exclusivement du canton, voire de la commune du domicile de l’héritier, à l’exception des biens immobiliers dont l’impôt est prélevé par le fisc de leur emplacement.

Cas pratique

On peut le montrer en prenant l’exemple d’un homme domicilié à Lausanne, qui vit en concubinage. Il a eu deux enfants d’une union précédente et possède un patrimoine d’un million de francs, y compris un bien immobilier dans la capitale vaudoise. S’il décède cette année encore, cet homme ne peut transmettre au maximum qu’un quart de ses biens à sa concubine, soit 250’000 francs, en utilisant toute la quotité disponible. Montant sur lequel elle devra régler un impôt sur les successions de 50%, soit 125’000 francs. Si le décès survient l’année prochaine, le testateur pourra utiliser la moitié de la quotité disponible, soit 500’000 francs, au profit de sa concubine, mais cette dernière devra payer proportionnellement toujours autant d’impôt, à un taux de 50%, soit 250’000 francs, comme on le voit dans le graphique ci-dessous :

Durée du concubinage parfois pris en compte

On relèvera que certains cantons en Suisse romande ont non seulement la main moins lourde que le fisc vaudois ou genevois, qui détient la palme en la matière, mais tiennent compte également de la durée du concubinage, pour en réduire l’imposition. C’est le cas à Fribourg, Neuchâtel et le Jura. On pourra estimer immédiatement cette charge fiscale pour n’importe quel lieu en Suisse, grâce au calculateur en ligne de la Confédération.

3e pilier lié : il faut ouvrir plusieurs comptes !

Dans une étude parue hier, Credit Suisse se penche sur l’optimisation individuelle de la prévoyance vieillesse, dont la presse s’est largement fait l’écho. Parmi les principales conclusions, la montée du recours aux produits souscrits dans le cadre du 3e pilier lié (3a), avec une part croissante de la part des titres, surtout chez les plus jeunes. Ce qui n’a évidemment rien de surprenant étant donné la faiblesse des taux d’intérêt qui sévit depuis de nombreuses années.

Un tiers des souscripteurs n’a qu’un seul compte

En revanche, ce qui paraît plus étonnant, toujours dans le cadre de la prévoyance liée, c’est la proportion élevée de souscripteurs n’ayant qu’un seul compte de 3e pilier lié, soit 36% selon l’enquête suisse sur la population active (ESPA) réalisée en 2019. Peut-être ce taux est-il monté depuis ce constat, mais sans doute pas à 100% ! De toute façon, ceux qui n’auraient qu’un unique compte devraient sans tarder faire le pas pour en ouvrir un deuxième, voire plusieurs autres, de manière à pouvoir bénéficier des économies fiscales qui sont liées à cette stratégie, en y répartissant les cotisations.

Impôt sur les prestations en capital

Si l’on est peu familier des économies fiscales associées aux produits du 3e pilier lié, on peut rappeler que les cotisations à ce type de produit sont déductibles du revenu imposable jusqu’à 6’883 francs par an pour un salarié, et jusqu’à 20% des gains pour les indépendants non affiliés à une caisse de pension, mais au maximum 34’416 francs. Mais on oublie parfois que dans ce cadre juridique, le versement du capital est soumis à un impôt fédéral et cantonal, voire communal. Il s’agit donc d’essayer de minimiser ces ponctions fiscales.

Étaler les retraits

En principe, si les cotisations ont été versées par des contribuables qui disposaient d’un minimum de revenus, ceux-ci devraient au bout du compte engranger de belles économies fiscales. Mais ils peuvent les améliorer en étalant les retraits sur des années différentes, car l’impôt sur les prestations en capital est toujours progressif. En d’autres termes, ils paieront plus d’impôts sur un versement de 100’000 francs que sur deux retraits de 50’000 francs effectués sur deux années consécutives. Comme on ne peut fractionner le retrait d’un compte de 3e pilier lié, il y a un problème… Mais il y a heureusement une solution : il suffit d’ouvrir plusieurs comptes, que l’on clôture sur des exercices différents, et donc sur des montants diminués.

Combien de comptes ?

Théoriquement, plus on crée de comptes, plus l’on peut réduire l’impôt. Toutefois, avant d’ouvrir 25 comptes différents, il vaut la peine d’évaluer le coût de ces multiples opérations, et de se renseigner pour connaître la pratique fiscale de son canton. À cet égard, on peut simplement leur poser la question pour savoir dans quelle mesure la stratégie mise en oeuvre reste admise par le fisc.

Cas pratique

Pour être plus concret, recourons au calculateur de la Confédération pour l’impôt sur les prestations en  capital, en prenant l’exemple d’un homme marié de 66 ans, sans enfant à charge, réformé (son épouse est de même confession), domicilié à Lausanne, et qui retire 100’000 francs en une fois en 2021. L’impôt total à régler s’élève à 5’968 francs selon la répartition suivante :

 

 

Mais si l’homme avait cotisé de la même manière sur deux comptes distincts pour afficher 50’000 francs sur chacun d’eux, il aurait dû payer un montant nettement inférieur. Imaginons qu’il clôture le premier compte en 2020. Son impôt se monte alors à 2’248 francs, réparti de la manière suivante :

 

L’année d’après, il ferme son autre compte pour recevoir les autres 50’000 francs. Son impôt s’élève alors à 2’239 francs, toujours selon le calculateur. Au total, il paiera 4’487 francs (= CHF 2’248 + , CHF 2’239), soit nettement moins qu’en retirant en une fois 100’000 francs. Il ferait donc une économie fiscale supplémentaire de 1’481 francs (= CHF 5’968 – CHF 4’487).

Calculateur pour toutes les situations

Les chiffres seront évidemment différents selon sa situation personnelle et les montants en jeu, et selon son domicile, mais cette stratégie d’étalement s’avère généralement très profitable, et surtout sans risque. Pour le vérifier, le calculateur de la Confédération est à votre disposition.

 

 

.

 

Manifestation contre l'agression russe en Ukraine devant l'ONU à Genève le 23 février

L’affaire Magnitski ou voyage au pays d’Ubu roi

Au-delà des manifestations pacifiques pour s’opposer à l’agression de la Russie contre l’Ukraine, comme celle qui se déroulait devant le Palais des Nations à Genève le 26 février, et des sanctions déjà prises, les Occidentaux doivent viser spécifiquement les milliardaires fidèles au régime de Vladimir Poutine, comme le préconise Bill Browder. Ce dernier, interrogé au début du mois par l’AFP au sortir d’une réunion au 10 Downing Street, veut qu’on s’en prenne aux « facilitateurs », intermédiaires qui participent à la dissimulation de leurs avoirs, afin de « le priver des flux d’argent » indispensable au financement de la guerre. Si le nom de l’homme n’est pas forcément connu du grand public, il n’est en pas moins un personnage de premier plan puisqu’il a réussi à faire adopter la loi Magnitski par les États-Unis en décembre 2012. Cette loi porte le nom de Serguei Magnitski, qui était l’un de ses avocats en Russie.

Violation des droits de l’homme

Cette loi interdit l’entrée sur le territoire américain et prévoit la saisie des biens des responsables russes impliqués dans la mort du juriste, ou dans d’autres violations des droits de l’homme. Par mesure de représailles, la Russie a interdit aux Américains d’adopter des enfants russes. Régulièrement, Poutine fait une demande de mandat d’arrêt international auprès d’Interpol (notice rouge) contre Bill Browder. Mais elles ont toutes été rejetées. En décembre 2020, l’Europe a également adopté sa loi Magnitski, qui vise à sanctionner les violations des droits de l’homme dans le monde.

Un récit hallucinant

Le rappel du sort funeste réservé à Serguei Magnistki est sans doute nécessaire aujourd’hui pour mettre en lumière l’arbitraire du pouvoir et de l’ampleur de la corruption, et ce jusqu’aux plus hauts sommets de l’État russe. Même si l’affaire date d’il y a plus de douze ans, on peut douter d’une véritable amélioration si l’on en juge par les derniers actes du Kremlin, non seulement en Ukraine, mais également sur le plan intérieur. C’est pourquoi on peut lire (ou relire puisqu’il est sorti en 2015) le récit de cette histoire ubuesque publiée par l’ancien financier britannique, mais d’origine américaine, sous le titre « Notice rouge* ».

Les oligarques font réélire Boris Eltsine

Bill Browder raconte son arrivée en Russie en1996, avec la création de son fonds d’investissement Hermitage Capital, en partenariat avec Edmond Safra. A ce moment-là, un petit cercle d’oligarques a profité des premières étapes de la privatisation plus ou moins sauvage pour accumuler des fortunes monstrueuses. Mais, si les opportunités semblent nombreuses pour les investisseurs, l’éventuel retour des communistes au pouvoir à l’occasion de l’élection présidentielle de cette même année 1996 constitue une sérieuse menace, d’autant plus que la popularité de Boris Eltsine est au plus bas. Mais les oligarques veillent et « mettent le paquet » pour faire réélire le président sortant, à leur grand profit.

La crise de 1998

Mais après cette opération de sauvetage, la crise de 1998 frappe durement la Russie, Soudainement, raconte Bill Browder, les oligarques actionnaires majoritaires des grandes entreprises russes n’eurent plus accès à l’argent frais de Wall Street. Jusque-là les droits des actionnaires étrangers, minoritaires, avaient été généralement respectés, mais c’était fini : « Lâchant tous les freins, les oligarques se lancèrent dans une orgie de pillage. Les outils dont ils disposaient étaient nombreux et, en l’absence de forces chargées de faire respecter la loi, leur imagination se donna libre cours : ils se lancèrent à cœur perdu dans le démembrement d’actifs, dilutions, manipulations des prix de transfert et détournement de fonds, pour ne citer que quelques ‘uns de leurs mauvais coups. »

Le pillage de Gazprom

Le géant gazier Gazprom n’échappa pas à des détournements massifs au profit de ses dirigeants, sans qu’ils prennent la peine de se cacher. Au point que, « les marchés étaient partis du principe que l’entreprise avait été pillée en totalité, jusqu’au dernier mètre cube de gaz, jusqu’à la dernière goutte de pétrole, ce qui expliquait qu’elle soit valorisée avec une décote de 99,7% par rapport à ses concurrentes occidentales. » Mais, le pillage n’avait pas été d’une telle ampleur, comme le découvrirent les analystes d’Hermitage. En fait, plus de 90% des réserves totales n’avaient pas fait l’objet de détournements. La conclusion évidente était d’acheter le plus d’actions possibles pour profiter des bénéfices phénoménaux à venir. Ce qui fit Hermitage.

Recours aux médias

Mais plutôt que de garder cette information secrète, Bill Browder décida de la diffuser auprès de grands médias occidentaux. Le résultat ne se fit pas attendre, donnant lieu à de nombreux articles dans la presse tant en Russie qu’à l’étranger. À l’issue de ce scandale, le patron de Gazprom fut débarqué par Vladimir Poutine lui-même. Au bout du compte, l’opération se révélait particulièrement fructueuse pour Hermitage puisque les premières actions de Gazprom acquises par le fonds avaient centuplé de valeur ! Après s’être attaqué à Gazprom, et fort de la rentabilité de sa stratégie, Bill Browder décida de s’en prendre à la corruption qui régnait dans d’autres grandes entreprises de son portefeuille, dont UES, la compagnie nationale d’électricité, et Sberbank, la caisse d’épargne russe.

Poutine met les oligarques au pas

Mais la situation politique évolue et à fin 2003 Vladimir Poutine décide de s’attaquer aux oligarques, en frappant le plus riche d’entre eux, Mikhail Khodorkovski. L’homme qui ne cachait pas ses ambitions politiques, est arrêté et condamné à une lourde peine de prison pour fraude fiscale. Sous la menace de subir le même sort, les autres oligarques s’inclinent, pour se soumettre aux ordres du président. Or, poursuit l’auteur : « (…) je ne changeai rien à ma façon de procéder, continuant exactement comme avant, à montrer du doigt ces brigands d’oligarques russes, Avec une différence, toutefois : maintenant, au lieu de m’attaquer aux ennemis de Poutine, je m’attaquais aux intérêts économiques personnels de Poutine. » La réaction ne tarde pas et le financier se retrouve expulsé de Russie un soir de novembre 2005, à son retour d’un voyage à Londres, considéré comme une » menace pour la sécurité nationale ».

Bataille pour un visa

Mais notre homme ne veut pas abandonner une activité aussi profitable : il est le plus gros investisseur étranger en Russie avec 4,5 milliards de dollars d’actifs gérés, et affiche une très forte rentabilité. Il cherche donc par tous les moyens à obtenir un nouveau visa. C’est pourquoi il va plaider sa cause auprès de Dimitri Medvedev, qui est alors vice-premier ministre, au forum de Davos de 2007. Finalement, un mois plus tard, un certain lieutenant-colonel Artiom Kouznetsov, enquêteur du MVD (le ministère de l’intérieur) l’appelle pour lui proposer un possible arrangement pour l’obtention du visa, qui sent furieusement la demande de pot-de-vin. Browder ne donne pas suite

Raids financiers

Mais peu de temps après, on retrouve ce même Kouznetzov, à la tête d’une escouade de 25 policiers, en train de perquisitionner les bureaux d’Hermitage à Moscou ainsi que ceux de la société qui lui sert de conseiller juridique. Dans les deux cas, les policiers remplissent deux minibus de matériels saisis dans les bureaux. Quelques semaines plus tard, les responsables d’Hermitage découvrent que les trois entités juridiques inactives qu’ils détiennent en Russie sont passées en d’autres mains, en l’occurrence celles d’un petit truand. Cette opération était en fait assez courante à l’époque – peut-être est-ce encore le cas aujourd’hui, mais je l’ignore – , où des organisations criminelles s’emparaient d’entreprises de manière violente, avec l’aval de juges corrompus qui rendaient des jugements favorables à ces raiders. Et ici de manière évidente avec la complicité de la police pour le moins.

L’arnaque déjouée ?

Les responsables d’Hermitage découvrirent alors avec stupeur que les nouveaux « propriétaires » avaient reconnu devant un tribunal avoir contracté au nom d’une de ces entreprises une dette de 71 millions de dollars au profit d’une société écran inconnue. Mais comme la société piratée, à l’instar des deux autres, n’étaient plus qu’une coquille vide, Bill Browder s’en trouva rassuré et estima que l’opération avait clairement échoué.

Complicité du fisc ?

Mais les choses n’en restèrent pas là. Les enquêteurs d’Hermitage apprirent ensuite que les deux autres sociétés avaient été soumises au même procédé de contraction de dettes fictive, pour respectivement 573 millions et 321 millions de dollars. Bizarrement, ces montants correspondaient exactement au bénéfice de chacune de ces sociétés réalisées en 2006, y compris la première dette découverte de 71 millions. Et ce pour un total de 973 millions. C’est l’avocat fiscaliste Sergueï Magnistki, embauché après les perquisitions, qui découvrit le pot aux roses. Par ce tour de passe-passe, les escrocs annulaient le montant des bénéfices de ces sociétés et pouvaient ainsi réclamer au fisc russe les 230 millions d’impôts payés par celles-ci pour 2006. Très étrangement, le service des impôts répondit favorablement à cette demande, en versant l’argent en quelques jours.

Plaintes déposées par Hermitage

Persuadé que les autorités russes vont intervenir pour sévir contre les escrocs et leurs complices, notamment dans la police et au sein de l’administration fiscale, Hermitage adresse des plaintes détaillées concernant cette affaire de remboursement d’impôts frauduleux à tous les organismes chargés de faire respecter la loi et la réglementation en Russie. La réaction du parquet s’avère plutôt étrange puisqu’il lance des poursuites contre les avocats russes du fonds ! Face à la menace grandissante, Bill Browder persuade ses avocats russes de quitter le pays pour éviter d’être arrêté, en les aidant dans leur fuite. Tous acceptent, sauf Sergueï Magnitski, qui a foi dans la justice de son pays.

Sergueï Magnitski accusé de la fraude qu’il dénonce !

Au lieu de fuir, Sergueï Magnitski va au contraire persévérer dans la défense de son client et mettre en lumière l’escroquerie dont l’État russe est victime. Pourtant, c’est lui-même qui va être accusé de la fraude fiscale qu’il dénonce ! Il est arrêté le 28 novembre 2008. On lui fait subir nombre de mauvais traitements pour qu’il témoigne à charge contre Bill Browder. Mais rien n’y fait, malgré ses graves problèmes de santé. Il décède le 16 novembre 2009, après avoir été battu à mort par des gardiens. Il avait 37 ans, et laissait une femme et deux enfants.

*Notice rouge, par Bill Browder, Kero, 2015

On retrouvera les témoignages de différents protagonistes de cette sombre affaire dans la fabuleux documentaire sur Youtube consacré aux raids financiers mafieux, intitulés justement Raids financiers à la russe

 

 

 

 

 

 

Thomas Piketty

La baisse de la progressivité de l’impôt réduit-elle la croissance ?

Pour ceux qui n’auraient pas eu le courage de se plonger dans l’un ou l’autre des pavés de 1’000 pages de l’économiste Thomas Piketty (photo), et notamment son célèbre « Le capital au XXIe siècle », sa dernière publication constitue une belle opportunité pour combler leurs lacunes. En effet, cet opus, intitulé « Une brève histoire de l’égalité* », ne compte que 350 pages, et en petit format ! C’était d’ailleurs bien l’objectif de l’auteur, comme il l’indique dans la page qu’il consacre aux remerciements de cet ouvrage. Toutefois, comme il le précise, il ne s’agit pas de se contenter de présenter de manière synthétique les principaux enseignements issus de ses derniers travaux, mais de proposer une perspective nouvelle sur l’histoire de l’égalité. L’auteur montre ainsi « qu’il existe un mouvement historique vers l’égalité, au moins depuis la fin du XVIIIe siècle. » Mais ce combat vient de loin, « il ne demande qu’à se poursuivre au XXIe siècle pour peu qu’on s’y mette toutes et tous ».

Taux marginal d’imposition

Même si l’on ne partage pas les idéaux de Thomas Piketty, on doit reconnaître le grand intérêt de ses recherches et réflexions et les nombreuses informations et mises en perspective qu’il nous fournit. À titre d’illustration, je voudrais mettre en évidence les données liées taux progressif de l’impôt sur le revenu, en particulier sur ceux du travail. En effet, et comme pour faire écho aux débats entourant les salaires et autres avantages parfois astronomiques accordés aux dirigeants des plus grandes entreprises, l’auteur rappelle « les taux de 80 à 90% appliqués sous l’administration Roosevelt et dans l’après-guerre ». On précisera qu’il s’agit là de taux marginaux d’imposition, c’est-à-dire ceux qui sont appliqués aux tranches de revenus les plus élevées, à ne pas confondre avec le taux moyen, qui correspond au rapport entre la somme totale de l’impôt et le revenu global du contribuable.

Pression sur les salaires les plus élevés

Selon l’auteur, cette politique fiscale avait eu un impact très positif : « Les super-rémunérations ont fondu, ce qui a laissé plus de moyens pour investir et pour augmenter les salaires les moins élevés. » Cet impact est d’autant plus favorable pour l’économie poursuit-il que « les données disponibles au niveau des entreprises et des différents secteurs et pays concernés ont aussi permis d’établir qu’il n’existe au-delà d’un certain niveau aucune relation significative entre les rémunérations des dirigeants et leur performance économiques et que ces rémunérations ont surtout des effets négatifs sur les salaires bas et moyens. » Point de vue qui est sans doute largement partagé, si l’on excepte les grands patrons qui bénéficient de telles largesses…

Pas d’impact sur la croissance

En outre, affirme-t-il, « la montée en puissance de l’impôt fortement progressif ne semble nullement avoir découragé l’innovation et l’élévation de la productivité. » À l’appui de cette thèse, l’auteur compare la progression du revenu national par habitant américain, au rythme de 1,8 % par an entre 1870 et 1910, en l’absence d’impôt sur le revenu, puis de 2,1% entre 1910 et 1950 après son introduction et même de 2,2% entre 1950 et 1990, quand le taux supérieur atteignait en moyenne 72%, comme on le voit sur le graphique tiré de son ouvrage où il compare l’évolution des taux marginaux d’imposition à celle de la croissance.

Baisse des impôts… et de la croissance

Mais, avec l’arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de la révolution conservatrice, le taux supérieur fut réduit de moitié « avec pour objectif annoncé de booster la croissance ». Or « cette dernière fut au contraire divisée par deux, pour atteindre 1,1% par an entre 1990 et 2020 », comme cela ressort très clairement sur le même graphique. Ce qui est un résultat peu surprenant si l’on s’intéresse aux questions économiques internationales sur la longue durée.

Démonstration sujette à caution

La démonstration n’est cependant pas suffisante pour en tirer une relation causale, d’autant plus que la dynamique d’une économie ne dépend pas uniquement, loin s’en faut, du taux marginal d’imposition. Il faudrait pouvoir refaire la comparaison avec des taux d’imposition différents, par exemple pour évaluer ce qui se serait passé avec une politique de taux d’imposition maintenue à leur niveau de 1990 jusqu’à la fin de la période sous revue. Ce qui est évidemment impossible. Mais ces résultats laissent tout de même songeur et donnent du grain à moudre pour les partisans d’un retour de manivelle en matière de progressivité de l’impôt sur le revenu, surtout si elle est susceptible d’améliorer tout à la fois la croissance de l’économie et une meilleure répartition de ses fruits.

* Une brève histoire de l’égalité, par Thomas Piketty, Seuil, 2021

 

Scandales chez Credit Suisse… et les autres

Pour ceux qui auraient eu de la peine à suivre le feuilleton des multiples scandales qui ont émaillé l’histoire récente de Credit Suisse, le livre* de mon talentueux confrère Yves Genier, journaliste économique à La Liberté, tombe à point nommé. Car si chacun ou chacune se souvient qu’il avait fallu sauver UBS de la faillite en 2008 dans la foulée de la crise des subprimes et de ses démêlés avec le fisc américain qui auraient pu s’avérer mortels, les casseroles de sa grande concurrente sont moins spectaculaires. Mais leur accumulation s’avère sidérante avec le recul.

Accumulations de casseroles

En effet, notre auteur décrit avec force détails ces affaires sans doute peu familières au grand public, qui ont fait perdre des fortunes à la banque ou à ses clients, à commencer par la faillite de Greensil, puis d’Archegos, de York Capital, de Wirecard, de Luckin Coffee ou encore d’une escroquerie avec le Mozambique, de participation à la manipulation des taux d’intérêt, sans parler des filatures ordonnées au plus niveau de la maison sur certains de ses collaborateurs pour des raisons peu claires. L’auteur ne s’arrête pas en si bon chemin puisqu’il revient sur les scandales d’autres établissements bancaires, non seulement UBS, mais d’’autres acteurs étrangers qui ont tous connu leur lot d’affaires scabreuses, comme Deutsche Bank, HSBC, BNP Paribas, Danske Bank, ABN Amro, Softbank, sans oublier des acteurs de plus petites tailles comme GAM, Raiffeisen, Mirabaud et certaines banques cantonales.

Répression financière

Mais pourquoi tant de scandales ? A cet égard, notre confrère propose une série de clés d’analyse sans doute assez pertinentes permettant d’en comprendre la source, en scindant son exposé en deux chapitres distincts. D’une part, la répression financière et les nouveaux concurrents, d’autre part, la culture du risque qui n’évolue quasiment pas. Dans le premier chapitre, l’auteur décrit les effets de la politique plus qu’accommodante des banques centrales pour contrer les effets délétères de la crise des subprimes et leur impact sur la contraction des marges d’intérêts des banques. Ainsi, écrit notre confrère : « Prise en étau entre les robinets grands ouverts des Banques centrales et des revenus d’intérêt qui chutent, les banques commerciales se sont engagées dans une fuite en avant : augmenter le volume de leurs prêts, quitte à prendre plus de risques sur la qualité des débiteurs. » Par ailleurs, deux autres menaces se sont profilées à l’horizon, l’émergence des cryptomonnaies et celle des fintechs.

Culture du risque

Quant au chapitre consacré à la culture du risque, on a l’impression d’un éternel recommencement : les rémunérations restent à des niveaux stratosphériques, tandis que les actionnaires restent absents et que les autorités de surveillance manquent de moyens pour agir. Dans le cadre de ce chapitre, j’ai trouvé particulièrement intéressante la description du comportement de certains des grands actionnaires étrangers dans Credit Suisse comme Blackrock, Olayan ou Quatar Holding. Ainsi, quand ces derniers réinvestissent dans le capital de la banque au lendemain des affaires Greensill et Archegos, « il est difficile d’y lire une quelconque désapprobation ».

Déresponsabilisation des dirigeants

« Par conséquent, poursuit l’auteur, le risque existe qu’une équipe de direction n’y voie qu’un élément exogène à sa gestion, désagréable certes, mais non dommageable. Or c’est ce genre de perception du désaveu qui pousse à une certaine déresponsabilisation des dirigeants vis-à-vis de leurs actionnaires et accroît la tolérance des premiers aux abus et aux scandales. Et lorsque les ni les administrateurs, ni les actionnaires ne décèlent et ne combattent cette tolérance lors des assemblées générales, celle-ci gagne encore en importance. Ne restent alors plus que les gendarmes financiers pour mettre en lumière et attaquer les problèmes. Pour autant qu’ils en aient la possibilité et les moyens. » Ce qui n’est apparemment pas le cas selon notre auteur.

« Une petite affaire qui en dit long »

Cette enquête est d’autant plus intéressante qu’elle contient un élément qui documente la dérive en matière de contrôle des risques, même si elle se base sur une affaire de petite envergure, Mais « qui en dit long », pour reprendre l’expression de mon confrère. Il s’agit de l’escroquerie d’un gérant de fortune de Credit Suisse basé à Genève qui dès 2010 a pu voler près de 150 millions de francs à l’un de ses clients. Mais l’affaire est sans doute plus grave qu’elle n’apparaît a priori, comme cela ressort d’un rapport confidentiel de la société Geissbühler, Weber & Partner (GWP) mais qui a largement fuité et dont l’auteur dispose d’une copie. Ce rapport montre en effet que ces détournements s’étaient effectué tout d’abord « à l’insu de ses collègues et de sa hiérarchie, puis en connaissance de celle-ci lorsqu’elle en a eu les premiers soupçons 2011 ».

Stratégie de défense de la banque

Si le gérant indélicat a été condamné à de la réclusion en 2018 puis a mis fin à ses jours en 2020, il reste à ce stade le seul condamné. « La banque se défend en effet contre toutes les tentatives la visant explique Yves Genier. En juin 2017, le Ministère public genevois a ouvert une enquête pénale contre la banque, en la dissociant de celle qu’il menait contre le gérant. Depuis lors, la banque se bat avec tous les moyens juridiques à sa disposition pour l’empêcher d’utiliser le rapport de GWP. »

Rapport accablant

Il faut dire que le rapport s’avère accablant selon ce qu’en extrait l’auteur : « Pour expliquer pourquoi le responsable du contrôle du risque chargé de surveiller la gestion de fortune des clients de fortune des clients européens n’a jamais transmis ces informations à l’étage supérieur, le rapport souligne la priorité mise sur le conseil à la clientèle, au détriment des fonctions de contrôle ». L’impunité dont jouissais l’employé fautif viendrait du « fait que le gérant rapportait tellement d’argent à la banque qu’il s’était vu conférer l’auréole de super star, une personne intouchable, quels que soient les risques qu’il prenait et faisait prendre à son entrepreneur. Plus grave, soulignent les experts, « c’est toute la chaîne de responsabilité qui est mise en cause et qui remonte pratiquement tous les niveaux hiérarchiques et concerne aussi des cadres dirigeants au siège de la banque à Zurich. » Affaire à suivre…

*Scandales au Credit Suisse – Quand les banques perdent la tête, par Yves Genier, Editions Attinger, 2021

 

 

 

 

 

 

 

 

L’usufruit croisé est-il toujours fiscalement avantageux en Suisse romande ?

Pour des couples de concubin(e)s qui acquièrent leur logement sous forme de copropriété, l’usufruit croisé constitue traditionnellement une option judicieuse. En effet, cela permet qu’en cas de décès de l’un des deux partenaires, l’autre puisse continuer à vivre dans le logement commun puisqu’il va recouvrer son plein droit de propriété sur la moitié dont il était nu-propriétaire – tout en bénéficiant toujours de l’usufruit sur l’autre moitié. Il peut ainsi échapper aux prétentions des héritiers bénéficiant de parts réservataires et éviter tout impôt de succession. En revanche se pose la question d’éventuels impôts de donation, qui sont normalement appliqués en cas d’usufruit simple. En principe l’usufruit croisé est assimilé à un échange de droits, donc neutre sur le plan fiscal. Mais cette exonération n’est accordée qu’à certaines conditions, qui vont dépendre des différentes législations cantonales.

Enquête sur le terrain

Chacun ou chacune peut évidemment s’adresser à l’autorité de son canton pour savoir quelles sont les règles qui s’appliqueront dans sa situation. Mais au-delà de son cas personnel, il est sans doute intéressant d’établir des comparaisons entre les pratiques entre les différents cantons. C’est pourquoi je me suis livré à une petite enquête auprès de ces fiscs cantonaux, en me limitant toutefois à la Suisse romande. J’ai posé à chaque fois les mêmes questions, notamment si la création de l’usufruit croisé pouvait donner lieu à un impôt sur les donations. Et qu’en est-il quand la valeur des usufruits s’avère inégale. Une autre question portait sur la création de l’usufruit postérieurement à celle de l’acquisition : cela pouvait-il faire une différence ?

Résultats globaux

Cette petite enquête a été réalisée auprès des autorités fiscales de Genève, du Valais, de Neuchâtel, de Fribourg et de Berne et du secteur Solutions patrimoniales de la Banque Cantonale Vaudoise pour le Canton de Vaud. Manque à l’appel le Canton du Jura pour lequel je n’ai pas obtenu de réponse. Il en ressort que l’usufruit croisé échappe à tout impôt lors de l’acquisition. Mais à condition que les parts de copropriété faisant l’objet de l’usufruit soient égales. Par ailleurs, l’usufruit croisé ne doit pas obligatoirement être créé au moment de l’acquisition pour bénéficier de cette exonération, à l’exception du Canton de Vaud. Entrons dans le détail en commençant par Genève, dont l’autorité fiscale m’a fourni le plus d’informations.

Genève

Dans le canton de Genève, l’usufruit croisé peut donner lieu à un impôt sur les donations si les valeurs attribuées ne sont pas équivalentes. Ce qui peut se produire même si les parts de copropriété s’avèrent égales, s’il existe une différence d’âge importante entre les concubin(e)s précise la Direction des personnes physiques, des titres et de l’immobilier du département des finances du Canton de Genève : « En effet, la valeur de l’usufruit (selon la Loi sur les droits d’enregistrement) pour une personne de moins de 50 ans équivaut à la moitié de la valeur de sa part alors que pour une personne de plus de 69 ans, elle équivaut à un huitième de la part. » Dans ce cas, la différence de valeur entre les deux usufruits donnerait lieu à un impôt de donation. Mais, nous précise-t-on, c’est une situation plutôt rare. Une autre situation génère des valeurs d’usufruit inégales : « Il arrive aussi que les copropriétaires n’achètent pas des parts de copropriété égales (par exemple dans un rapport d’un tiers pour deux tiers). Dans ces cas, la distorsion des valeurs attribuées génère naturellement des droits de donation qui peuvent être importants dans le cas des concubins puisqu’ils peuvent s’élever à 54,6% de la différence de valeur des usufruits échangés. »

Vaud

Dans le canton de Vaud, la grande différence par rapport aux autres cantons romands, c’est que l’exonération fiscale de l’usufruit croisé, à égalité de valeurs, n’est accordée qu’au moment de l’acquisition du bien. En revanche, si l’usufruit croisé est effectué a posteriori, il peut coûter très cher: Il est assimilé à deux donations, qui sont toutes deux soumises à l’impôt sur les donations. Il y a cependant une solution pour éviter cet impôt, c’est la vente croisée d’usufruits. Il n’agit donc plus de donations, mais d’opérations à titre onéreux. Chaque opération donne lieu à un demi-droit de mutation sur la valeur de l’usufruit de chacun des deux concubin(e)s, auquel peut s’ajouter un droit entier sur la différence éventuelle entre les deux valeurs d’usufruit. Différence qui peut provenir soit de parts de copropriété inégales et/ou de différence d’âge. Malheureusement, cette solution peut s’avérer quand même nettement plus coûteuse que le simple échange d’usufruits : en effet, la vente est susceptible de dégager un gain immobilier imposable, d’autant plus que l’opération est effectuée des années après l’acquisition du bien.

Fribourg

Dans le Canton de Fribourg, le Service cantonal des Contributions indique : « L’usufruit croisé est considéré comme un échange (transfert d’objets à titre onéreux) soumis au droit de mutation selon l’art. 18 LDMG. Selon cette disposition, en cas d’échange, les droits de mutation (3%) sont prélevés sur la valeur d’un seul des objets échangés. Si les objets n’ont pas une valeur égale, les droits de mutation seront prélevés sur la valeur la plus élevée. » Mais cette différence de valeurs éventuelle n’a aucune incidence en termes de donation : « Dès lors que l’on considère être en présence d’un échange, il n’y aura pas de donation ; aucun impôt sur les donations ne sera dès lors perçu. Il n’y aura pas d’impôt sur les donations sur la différence. »

Valais

Dans le canton du Valais, le Service des Contributions répond de la manière suivante : « En cas d’usufruit croisé, l’administration fiscale détermine la valeur capitalisée de l’usufruit constitué pour chacun des concubins en prenant en compte leur espérance de vie respective. Même si les parts de copropriété sont de valeur égale, la différence d’âge entre les concubins peut donc avoir pour effet que l’un reçoit un usufruit d’une valeur plus élevée que l’autre. Il est imposé sur la différence au taux de 25%. Ce principe est applicable que l’usufruit croisé soit créé dès l’acquisition ou plus tard. »

Neuchâtel

Le Service des Contributions du Canton de Neuchâtel indique qu’ « en cas de constitution simultanée et croisée d’usufruit il n’y aura un impôt que, en l’absence de contrat de partenariat, sur la différence de valeur des deux droits d’usufruit (cette valeur dépend du sexe et de l’âge de la/du donatrice/trice et a fortiori de la valeur du bien immobilier ». Dans le canton de Neuchâtel, cet impôt est réduit pour des couples de concubins partageant une vie commune depuis au moins 5 ans.

Berne

L’intendance des impôts du canton de Berne indique : « Au moment de la constitution de l’usufruit, les effets fiscaux varient selon que les prestations réciproques sont équivalentes ou pas. Si les deux concubins ont le même âge et que leurs parts respectives de copropriété sont de même valeur, alors leurs prestations réciproques sont équivalentes. Dans ce cas, l’impôt sur les donations n’est pas dû. En revanche, si les prestations réciproques ne sont pas équivalentes, il y a donation mixte, imposée en conséquence. » En d’autres termes, l’impôt sur les donations sera prélevé sur la différence.

Taux d’imposition cantonaux

Contrairement à la pratique fiscale de chaque canton, qu’il faut aller chercher de manière un peu laborieuse, le taux d’imposition de donation pour chaque canton et commune est extrêmement simple à obtenir. En effet, le calculateur de la Confédération fournit immédiatement cette donnée, comme j’en avais déjà parlé dans mon billet du 16 décembre 2020. En passant, ce calculateur souffre toujours d’erreurs de traduction en français. Si « Ehepartner » est correctement traduit par « conjoint(e) », « Lebens-/Konkubinatspartner » correspond dans la version francophone à « conjoint(e) ou concubin(e) ». Si l’on base sur ce calculateur, un conjoint pourrait donc être simultanément imposé sur la base de deux taux différents !

Attention à la caisse de pension

Avant d’en terminer avec la solution de l’usufruit croisé, on peut encore mentionner la mise en garde de Françoise Demierre Morand, notaire à Genève, dans le cas où une partie des fonds propres du défunt provenait de sa caisse de pension : « Si cette personne n’avait pas annoncé son compagnon ou sa compagne comme bénéficiaire en cas de décès, l’institution de prévoyance pourrait demander le remboursement des prestations qu’elle avait versées s’il n’y a pas de bénéficiaires. La situation peut s’avérer infernale ! »

 

 

 

Acheter son logement en couple pour le meilleur et pour le pire

Lorsqu’on présente le processus d’acquisition d’un bien immobilier à son propre usage, on néglige souvent le fait qu’il émane d’un couple pour la plupart du temps. Et c’est loin d’être anodin, surtout si l’on songe aux conséquences en cas de décès ou de divorce. Si l’on est dans ce cas, il est donc important de réfléchir à la forme juridique que prendra cette acquisition, que ce soit comme copropriété ou propriété commune. Le choix sur l’une ou l’autre option dépendra essentiellement du régime matrimonial qui lie les époux ou s’il s’agit de concubinage. Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire d’approfondir ces notions de copropriété et de propriété commune.

Copropriété

Lors de l’achat en couple dans le régime de la copropriété, chacun des deux conjoints devient propriétaire d’une part du bien immobilier, qui reste cependant indivisible. Cette part – qu’on appelle quote-part – va être inscrite dans l’acte d’achat au nom de chaque époux. Étant donné que chaque quote-part est considérée comme un bien immobilier en soi, les copropriétaires peuvent en disposer librement soit la vendre ou la mettre en gage. Ce droit est « en partie théorique », comme l’écrit la Chambre des Notaires de Genève dans un dépliant consacré à l’achat en couple, puisqu’en principe seul l’autre copropriétaire serait susceptible de racheter la part de son conjoint. À moins qu’il ne s’agisse de propriété par étages (PPE), qui constitue une forme particulière de copropriété, ou chaque copropriétaire peut facilement disposer de son logement, soit pour le vendre, le mettre en gage ou le louer.

Propriété commune

Du côté de la propriété commune, le bien immobilier reste un tout indissociable. Bien que le nom des acquéreurs figure dans l’acte d’achat, aucune part ne leur est attribuée. Le droit de propriété est donc commun et couvre la totalité du bien immobilier. Sans quote-part, il est donc impossible pour un des deux conjoints de disposer librement de son droit de propriété. On comprend donc aisément que la propriété commune n’a de sens pour les personnes mariées sous le régime de la communauté de biens, qui est devenu rare, ou pour l’acquisition en société simple, qui n’est guère habituelle.

Régime de la participation aux acquêts

Les couples mariés sous le régime de la participation aux acquêts, de loin le plus courant, choisiront « le plus souvent la forme de copropriété à parts égales, même si les apports des deux conjoints sont inégaux ». Cette égalité de quote-part est importante du point de vue psychologique, traduisant l’idée qu’il s’agit vraiment du logement familial et non pas seulement de celui du conjoint qui aura versé les fonds propres les plus importants. Cette option s’avère d’autant plus prisée qu’elle a peu d’incidence en cas de divorce. En effet, la liquidation du régime matrimonial entraînera le partage sur la base des fonds investis par chacun des deux conjoints dans le bien immobilier. Et si cet investissement a dégagé une plus-value, cette dernière sera répartie proportionnellement à l’apport de chacun des deux, et non pas sur le montant de la quote-part.

Régime de la séparation de biens

De nombreux couples mariés sous le régime de la séparation de biens optent pour les mêmes raisons psychologiques la copropriété à quotes-parts égales, quels que soient les apports de chacun des époux. Toutefois, dans ce cadre, celui ou celle qui aurait le plus investi dans le bien pourrait être pénalisé en cas de divorce. Car contrairement à la participation aux acquêts, il n’y a pas de partage de biens puisqu’ils ont toujours été séparés. Pour illustrer ce mécanisme, la Chambre des Notaires présente le cas suivant de l’époux qui contribue à 70% de l’achat du logement. En cas de divorce, celui-ci ne pourrait profiter de la plus-value éventuelle dégagée par les 20 points de pourcentage qu’il a investis en sus de l’apport effectif de son ex-conjoint. Mais cela pourrait s’avérer pire encore, en se voyant opposer « l’idée que l’avance était en fait une donation, donc non récupérable. »

Corrections

Dans cette perspective, on s’explique alors mal le choix de couples mariés sous le régime de la séparation de biens dont le but est justement d’éviter tout partage lors de la liquidation du régime matrimonial. Mais on peut heureusement corriger cette faiblesse avec différents moyens que détaille la Chambre des Notaires : « en fixant expressément les modalités d’un prêt entre époux ; en adoptant la forme de la copropriété proportionnelles aux apports ; voire en acquérant l’objet en société simple entre époux. »

Concubinage

Pour les couples de concubin(e)s, leur situation s’apparente à celle des conjoints mariés sous le régime de la séparation de biens, puisque les patrimoines restent séparés. En revanche, en cas décès, il en va tout autrement : contrairement aux conjoints mariés, quel que soit le régime matrimonial, les concubin(e)s ne sont jamais héritiers légaux l’un de l’autre. En d’autres termes, le survivant n’héritera pas de son compagnon ou compagne, à moins de figurer dans le testament de ce dernier ou dernière. En outre, la part qui pourrait lui être attribuée s’avérera très réduite s’il existe des héritiers bénéficiant de parts réservataires, en particulier des descendants du défunt. Enfin, le concubin(e) ne pourra échapper à des impôts de succession, plutôt élevés, qui diffèrent selon les cantons

Usufruit croisé

Il existe cependant un moyen très simple pour pallier ces deux inconvénients afin de permettre au partenaire survivant de pouvoir continuer à habiter le logement – ou le louer – sans craindre les prétentions d’héritiers réservataires et d’échapper à tout impôt de succession lié au bien immobilier. Il s’agit de choisir la copropriété avec usufruit croisé au moment de l’acquisition. En d’autres termes, en cas de décès d’un des concubin(e)s, l’autre continue de bénéficier de son droit de propriété sur la moitié du logement et de l’usufruit sur l’autre moitié. Il n’y a donc aucun processus de succession sur le bien immobilier, donc pas d’héritiers, ni impôt à ce moment-là, comme c’est en principe le cas dans la totalité des cantons de Suisse romande lorsque la valeur capitalisée des usufruits s’avère égale. Mais, comme chaque canton est souverain en la matière et n’applique pas forcément les mêmes règles. il est nécessaire d’aller sur le terrain pour s’en assurer et détailler dans quelles conditions l’exonération est plus ou moins totale. Le résultat de cette enquête fera l’objet de mon prochain article de blog.

Aurez-vous droit à des prestations complémentaires à la retraite ?

 

La question peut paraître incongrue à la plupart des lecteurs ou lectrices de ce billet dont le blog est hébergé par un journal sans doute assez peu lu par des personnes nécessiteuses… Pourtant, même ceux qui bénéficient d’une certaine aisance devraient s’intéresser à cette assurance sociale. En effet, si les prestations complémentaires (PC) viennent en aide aux personnes ne disposant que d’une rente AVS et éventuellement d’une très modeste rente de 2e pilier à la retraite ou à l’AI, elles apportent également leur contribution aux coûts de l’EMS dans lequel on finira peut-être ses jours. Car leurs frais sont très élevés et peuvent progressivement engloutir les moyens financiers de leurs pensionnaires si le séjour se prolonge sur de nombreuses années, avant que les PC ne viennent prendre le relais. La classe moyenne est donc potentiellement concernée.

Calculateur en ligne

Si l’on veut comprendre à quelles conditions on peut éventuellement avoir droit à des PC, on lira avec profit les mémentos qui leur sont consacrés sur le site du Centre d’information AVS/AI. Mais, si l’on est peu pressé, on peut déjà en saisir les grandes lignes en recourant au simulateur de Prosenectute qui permet d’avoir une projection de ce à quoi on peut prétendre le cas échéant. Il suffit ainsi de remplir un formulaire très sommaire sur sa situation personnelle actuelle si l’on déjà en retraite, ou telle qu’elle se présentera lorsqu’on quittera la vie active, en recensant l’ensemble de ses revenus et de sa fortune. Du côté des dépenses, il suffira d’indiquer le montant de son loyer. Il faut souligner que le calculateur prend également en compte la part du patrimoine qui aurait fait l’objet de dessaisissements, pour reprendre le jargon juridique. En effet, comme la fortune entre dans le calcul du droit aux PC, le législateur a voulu éviter que leurs bénéficiaires procèdent par exemple à des donations à leurs enfants, leur permettant ainsi de toucher des PC plus élevées par ce biais.

Cas concret

Pour illustrer le fonctionnement du calculateur de Prosenectute, prenons le cas d’une veuve à la retraite et domiciliée à Lausanne. Ses revenus sont constitués par une rente AVS annuelle de 20’000 francs, plus une rente de 2e pilier de 10’000 francs. Elle ne dispose d’aucune fortune. Elle paie un loyer annuel de 15’000 de francs par an. Le calculateur produit un tableau montrant comment il est arrivé au résultat recherché : avec des dépenses reconnues de 41’270 francs et un revenu annuel de 30’000 francs, le droit aux PC s’élève donc à 11’270 francs (= 41’270 – 30’000) par année.

Même cas avec donation

Si l’on reste sur le même exemple, mais on supposant que cette veuve avait pu faire une donation à ses enfants pour 150’000 francs en 2014, on constate que son droit aux PC se réduit drastiquement. Du côté des dépenses reconnues, rien ne change. En revanche, sa fortune évaluée va fortement augmenter pour tenir compte de la donation. Pas intégralement, mais avec la soustraction de 10’000 francs par année précédant la demande de PC. Dans notre exemple, il faut donc diminuer de 60’000 francs (= 6 x 10’000) la donation de 150’000 francs. La fortune de dessaisissement prise en compte se monte ainsi à 90’000 francs (= 150’000 – 60’000). De ce chiffre, il faut encore déduire la franchise de 30’000 francs. On obtient ainsi la somme de 60’000 francs (= 90’000 – 30’000) qui sera utilisée pour calculer un revenu fictif supplémentaire, qui est de 10%, soit 6’000 francs (= 10% x 60’000). Ces 6’000 francs vont s’additionner aux 30’000 francs de revenus réels – les rentes AVS et du 2e pilier –, auxquels s’ajoutent les 90 francs du revenu de la fortune. Au total, les revenus du cas sans donation passent de 30’000 francs à 36’090 francs lorsqu’on intègre la donation de 150’000 francs en 2014. Le droit aux PC se réduit de cette différence, pour tomber à 5’180 francs, comme on le voit dans le tableau récapitulatif ci-dessous.

Entrée en EMS

Ce type de calculs serait évidemment particulièrement utile pour des candidats à l’EMS. Malheureusement, le calculateur ne permet pas d’effectuer ce genre d’estimation en raison de la disparité des tarifs entre les institutions pour personnes âgées et les cantons. C’est d’ailleurs le même cas pour le simulateur de PC du Centre d’information de l’AVS/AI. Soit dit en passant, ce calculateur doit être utilisé avec prudence car il semble souffrir de bogues dans le calcul du dessaisissement, comme j’ai pu l’expérimenter à de nombreuses reprises. C’est d’autant plus ennuyeux que cet outil ne détaille pas ses résultats de manière aussi fine que celui de Prosenectute, qui permet de vérifier immédiatement le résultat en refaisant les calculs soi-même. Si on veut les comparer les deux simulateurs, on peut retrouver leurs adresses et leur description sous Prestations complémentaires de la rubrique Calculateurs de mon site (pierrenovello.ch).

La donation est souvent une fausse bonne idée

Même sans simulation chiffrée, il est facile de comprendre qu’une donation à ses enfants, par exemple, avant l’entrée en EMS n’est vraiment pas une bonne idée. À moins que la donation puisse échapper à sa prise en compte dans l’évaluation de la fortune. Ce qui serait le cas si la donation était complètement « amortie » en quelque sorte au moment de la demande de PC. Sinon, le risque, c’est que les donataires, c’est-à-dire les bénéficiaires de la donation, puissent être sollicités pour payer l’appoint s’ils en ont les moyens. Ce qui n’est pas forcément le but de l’opération !

Sens du dessaisissement élargi depuis le 1er janvier 2021

Même si le calculateur de Prosenectute s’avère efficace, il peut prêter à confusion. En effet, la réforme des prestations complémentaires entrée en vigueur depuis le début de l’année a élargi la notion de dessaisissement. Ce n’est plus seulement les donations qui entrent dans ce périmètre, mais également les dépenses que le législateur juge exagérées. Plus précisément, comme l’explique le mémento qui détaille ces changements : « Si une personne ayant une fortune supérieure à 100 000 francs dépense plus de 10 % de sa fortune en une seule année, le montant dépassant ce seuil de 10 % sera considéré comme un dessaisissement. (…) Pour les personnes ayant une fortune inférieure à 100 000 francs, les montants de plus de 10 000 francs par an seront considérés comme un dessaisissement. Des dépenses plus élevées peuvent ne pas être prises en compte si elles répondent à des motifs importants. En font notamment partie les dépenses courantes nécessaires à l’entretien de l’assuré lorsque les revenus réalisés sont insuffisants, les dépenses visant à maintenir la valeur du logement ainsi que les frais de formation et de perfectionnement à des fins professionnelles. »  Pour une cigale, voilà une nouvelle particulièrement troublante…

Anciens bénéficiaires de PC pénalisés ?

Ceux ou celles qui touchaient déjà des PC avant l’entrée en vigueur de la révision pouvaient s’inquiéter à juste titre d’une baisse éventuelle des prestations à recevoir. Mais les personnes dont les rentes auraient dû diminuer dès le 1er janvier bénéficiaient d’un délai de trois ans avant que les effets de cette révision ne les affectent, sans avoir besoin de procéder à la moindre démarche.

 

 

 

 

L’Université de Genève marque des points dans la formation en ligne de la finance

Michel Girardin illustrant la différence entre durée et duration de manière très fluide !

Jeudi soir, le Geneva Finance Research Institute (GFRI) de l’Université pouvait se targuer des excellents résultats obtenus quatre ans après le lancement de ses formations en ligne dans le domaine de la finance, à l’occasion d’une manifestation coorganisée à Genève avec ses partenaires UBS et la FER.

Un million d’utilisateurs !

Michel Girardin, chargé de cours en Macro-finance et directeur de ces formations, annonçait ainsi avoir atteint le million d’utilisateurs pour les quatre MOOCs (Massive Open Online Course), consacré à la compréhension des marchés financiers (Understanding Financial Market) ! MOOCs qui sont proposés sur la plateforme Coursera, leader mondial des cours en ligne. Pour atteindre un chiffre aussi phénoménal, cette formation, créée avec la collaboration et le financement d’UBS, a évidemment dû trouver son public à l’échelle internationale, très au-delà de nos frontières. C’est ainsi que l’Inde compte le plus d’utilisateurs, devançant nettement le deuxième groupe le plus important, en provenance des États-Unis.

Vidéos courtes et digestes

Comment s’explique une telle réussite ? Sans doute à la conception de cours qui reposent sur plus de 25 heures de courtes vidéos pour expliquer les mécanismes fondamentaux de l’investissement sur les marchés financiers. Ces films, que l’on peut regarder sur ordinateur, tablette ou téléphone, sont réalisés avec un grand soin. À cet égard, quelques extraits de vidéos dans lesquelles Michel Girardin intervient me semblent particulièrement réussis, reflétant ses qualités pédagogiques notoires, sa créativité et son sens de l’humour. Autre facteur qui a pu participer à ce succès, la contribution de praticiens d’UBS peut-être plus en phase avec la réalité des marchés que de purs académiciens. Ce qui n’est pas le cas – soit dit en passant – de Michel Girardin, qui a longtemps travaillé comme économiste auprès de banques.

QCM

Mais pour assimiler ce flot de connaissances, le simple visionnement de ces courtes présentations ne suffit sans doute pas, comme Michel Girardin me l’a ainsi expliqué dans le cadre d’un entretien en marge de la soirée festive de jeudi soir : « Ces prestations sont accompagnées par des autoévaluations sous forme de QCM (questionnaire à choix multiple) pour tester ses connaissances au fur et à mesure de l’avancement dans sa formation et obtenir au bout du compte une certification ».

Utilisateurs payants

Sachant que chacun de ces MOOCs est facturé « environ 100 dollars l’unité », un rapide calcul permettrait d’évaluer un retour sur investissement phénoménal. En fait, tempère mon interlocuteur, « la grande majorité des étudiants bénéficient de rabais voire de gratuité comme cela a été le cas durant la pandémie. » Par ailleurs, il est possible de privilégier l’option d’auditeur libre, gratuite, qui permet uniquement de regarder les vidéos, et donc sans possibilité d’obtenir de certification. « Mais, souligne-t-il, l’option gratuite implique une moindre motivation et mémorisation par rapport à ceux qui savent qu’ils seront testés sur l’acquisition de leurs connaissances au fil de la formation. L’option payante, quelle qu’en soit les modalités, rend tout de même cette activité très profitable pour l’Université de Genève. »

SPOC avec certificat universitaire

Par ailleurs, l’alma mater genevoise propose l’autre mode de cours en ligne qu’est le SPOC (Small Private Online Course) et consacré à la même thématique, intitulé en français dans le texte : « Maîtrise des marchés financiers ». Si cette formation, qui a été financée par la Fédération des Entreprises Romandes (FER), ressemble étrangement à celle des MOOCs, elle s’avère en réalité très différente : « Elle s’adresse par définition à un petit groupe, soit 200 étudiants depuis son lancement l’année dernière, avec trois sessions par année, à raison de 30 étudiants par volée. Ensuite, elle permet de recevoir un vrai diplôme avec des crédits ECTS (European Credit Transfer System) accordé par l’Université de Genève. À condition toutefois d’avoir opté pour la formation avec examen, afin d’obtenir la certification. Le tarif est de 2’900 francs, contre 1’900 francs sans examen. »

Accompagnement personnalisé

Ces tarifs peuvent paraître élevés si on les compare à ceux des MOOCs. Mais, par rapport à des formations similaires en classe « le SPOC s’avère particulièrement avantageux, affirme notre interlocuteur, car la prestation est personnalisée, avec un vrai suivi des étudiants. » Pour être plus concret, le directeur détaille : « J’organise un webinaire mensuel où les étudiants peuvent me poser les questions par Zoom. Par ailleurs, le cours est constamment mis à jour et adapté pour maintenir sa dynamique, avec l’intégration de nouveaux thèmes, comme les cryptomonnaies par exemple. »

Études de cas

Quant à l’examen sanctionnant la formation, le directeur précise : « Il était prévu de le faire passer en présentiel sous forme de QCM. Mais la pandémie a changé la donne et a obligé à trouver une autre solution. Le choix s’est ainsi porté sur des études de cas. Chaque participant a deux mois pour réaliser une telle étude. En cas de doute, je peux contrôler s’il n’y a pas de plagiat et éventuellement organiser une réunion par Zoom avec la personne qui a rédigé ce document et en discuter avec elle. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comment calculer sa future rente AVS sans (trop de) difficultés

Dans le cadre des débats parlementaires sur la révision de notre système de prévoyance vieillesse, l’Union Syndicale Suisse n’hésite pas à brandir le slogan de « vol des rentes  » pour fustiger « l’érosion insidieuse des rentes LPP », à la suite de la tendance fortement baissière du taux de conversion dans la prévoyance surobligatoire, mais aussi les effets de la réforme AVS 21. On pourrait s’étonner du reproche adressé à cette dernière, puisqu’il n’y a aucune baisse de rentes programmée de l’AVS. Mais, évidemment, cette réforme n’est pas sans conséquence pour les femmes, avec l’élévation de l’âge de la retraite de 64 à 65 ans, puisque, comme s’en indigne Aude Sprang, secrétaire à l’égalité d’Unia : « (…) Les femmes devraient en effet travailler une année de plus et continuer à payer des cotisations AVS durant cette année, mais elles recevraient leurs rentes pendant une année de moins. C’est un affront ! ».

Projection des rentes du 2e pilier

Au-delà de ce combat politique, on peut aussi s’intéresser égoïstement à sa situation personnelle. On constate ainsi, un peu paradoxalement, que s’il est très facile d’avoir une idée de ce l’on pourra toucher dans le cadre du 2e pilier avec les paramètres actuels, malgré les incertitudes qui les entourent, il en va tout autrement dans l’AVS. Dans le 2e pilier, il suffit en effet de regarder son certificat personnel. Si vous êtes affilié à une caisse de pension, vous y trouverez la projection de votre avoir de vieillesse lorsque vous arriverez à l’âge de la retraite, calculé en intégrant l’accumulation des cotisations à venir et le taux d’intérêt qui sera crédité sur votre compte jusqu’à cette échéance. Quant à la rente projetée, elle résultera de l’application du taux de conversion d’aujourd’hui. On comprend que plus vous êtes éloigné de la retraite, plus ces paramètres sont susceptibles de s’écarter de leur niveau actuel. Et ce de manière plutôt négative.

Où sont les projections de ma rente AVS ?

Si l’on se tourne maintenant du côté des rentes AVS, on peut avoir une impression de grande simplicité et stabilité puisque le niveau des rentes est fixé pour cette année entre un minimum de 1’195 francs par mois pour un maximum de 2’390 francs. Montants qui sont régulièrement relevés, même si c’est à très petits pas. Si l’on peut légitimement s’inquiéter pour le financement de cette assurance sociale au cours des prochaines décennies, surtout si les projets de réfome ne se concrétisent pas, il est tout de même peu probable qu’on annonce une baisse drastique de ces rentes dans les cinq ans à venir ! Mais, même en se montrant raisonnablement optimiste, cela ne nous dit rien sur le montant effectif que l’on touchera. En effet, personne ne vous fournit de projection de votre future rente AVS spontanément. Il est tout de même possible de l’obtenir, mais au prix de quelques démarches, parfois compliquées. Auparavant, il s’avère nécessaire d’entrer quelque peu dans le détail pour en comprendre tenants et aboutissants.

Pénalités en cas d’années manquantes

Pour comprendre comment est établie une rente AVS, il faut considérer ses bases de calcul. Il s’agit, d’une part, de la moyenne des revenus ayant servi de base aux cotisations depuis le début de l’affiliation de l’assuré, auxquels peuvent se rajouter d’éventuelles bonifications pour tâches éducatives et/ou pour tâches d’assistance ; d’autre part, la durée de cotisation, qui est de 44 ans pour les hommes, 43 ans pour les femmes. Les années manquantes sont une source de pénalité à hauteur de 2,28% par an sur la rente. Ce qui explique que la rente minimale de 1’195 francs n’en est une que pour les personnes ayant cotisé sur toute la période. Par exemple, un homme à faible revenu qui n’aurait droit qu’à cette rente minimale de 1’195 francs s’il avait cotisé durant 44 ans, verrait sa rente se réduire fortement s’il lui manquait dix années de cotisations, pour n’obtenir au total qu’une rente mensuelle de 923 francs (= 1’195 x (100% – 2,28% x 10)).

Splitting de l’AVS

Mais les calculs deviennent vraiment complexes lorsqu’il s’agit de personnes mariées ou divorcées, ou liées par un partenariat enregistré. Il faut en effet calculer l’effet du splitting de l’AVS lorsque les deux conjoints sont tous deux arrivés à l’âge de la retraite. Tout en sachant que les deux rentes combinées seront alors plafonnées à 150% de la rente maximale. La situation se complique si les assurés ont divorcé, donnant lieu à un splitting pour les années de mariage, puis si l’un ou l’autre des ex-conjoints, ou les deux, se remarie chacun de son côté. Cette union conduira à un nouveau splitting lorsque les époux auront atteint l’âge de la retraite. Et si l’opération se répète s’il y a eu plusieurs divorces et remariages, cela entraînera des calculs complexes pour déterminer la rente effective de chacun des deux époux.

Demande de calcul d’une rente future

On peut heureusement obtenir ces projections en faisant une demande de calcul d’une rente future auprès de sa caisse de compensation AVS. Et ce gratuitement si l’on a plus de 40 ans. Si vous faites cette démarche, la caisse se basera sur les revenus figurant dans les comptes individuels (CI) ouverts à votre nom dans les différentes caisses de compensation à chaque changement d’employeur affilié à une institution différente. Chaque compte individuel enregistre les revenus, les périodes de cotisations ainsi que les bonifications pour les tâches éducatives ou d’assistance qui serviront à calculer la rente AVS ou AI.

Où trouver sa caisse de compensation AVS ?

La caisse de compensation qui réalise ce travail devra collecter ces informations auprès de toutes les autres institutions qui tiennent ces comptes, car ces derniers ne sont pas transmis à la caisse qui prend le relais, contrairement à ce qui se passe dans le 2e pilier. Si vous avez un doute quant à l’identité de votre caisse de compensation, vous n’avez qu’à aller sur le site de l’AVS/AI, soit www.avs-ai.info, rubrique Services (InfoRegistre : où ai-je cotisé ?) ou à vous adresser à une caisse de compensation AVS. Vous y obtiendrez la liste des institutions, avec leur numéro, qui tiennent un compte individuel à votre nom.

Nombreux renseignements à fournir

Pour pouvoir effectuer ses calculs, la caisse de compensation AVS aura besoin de nombreux renseignements étant donné la complexité du mode de calculs, liée notamment au splitting. Il est d’ailleurs vivement recommandé aux couples mariés de déposer en même temps leur calcul de rente future, puisque leurs revenus gagnés durant le mariage font l’objet du splitting. Si l’on récapitule les principaux points contenus dans le formulaire de demande, les données concernant l’identité du demandeur, puis celle du conjoint, les enfants (mineurs et majeurs). D’autres informations générales sont à fournir, y compris sur l’obtention éventuelle d’une rente anticipée et ses projets éventuels de modification de son taux d’occupation.

Calculateur ESCAL

L’avantage de la solution de demande de calcul de la rente future est sa simplicité et son efficacité. Si l’on est un peu pressé – le processus peut s’avérer long –, on peut recourir à un calculateur en ligne proposé par le Département fédéral des finances sur le site ESCAL qui permet d’évaluer rapidement la rente de vieillesse à laquelle on pourrait avoir droit. Si c’est votre cas, et pour obtenir un résultat plus ou moins réaliste, il faudrait que vous disposiez des montants crédités sur vos comptes individuels année par année. Il faudra donc procéder à une demande d’extrait de compte individuel auprès de votre caisse de compensation. Cela prendra sans doute plusieurs semaines, mais sera de toute façon plus rapide que si la caisse doit en outre procéder à l’analyse complète de votre dossier.

Sévères limites

Mais il ne faut pas rêver : malgré ses qualités, le calculateur ESCAL s’avère très sommaire : par exemple, il ne prend en considération que les célibataires, les veufs/veuves, les couples mariés. S’il tient compte de la situation de personnes divorcées, en permettant de calculer l’effet du splitting pour l’ex-conjoint qui en fait la demande, cela suppose de connaître les revenus AVS de son ex-partenaire pour les années de mariage. Ce qui n’est pas forcément évident à obtenir. Par ailleurs, le simulateur ne permet pas de calculer les rentes pour un couple remarié…

Attention aux « oublis » d’un employeur

Alors qu’elle s’avère nécessaire pour pouvoir procéder au calcul de sa rente, la demande d’extrait de compte individuel permet également de vérifier l’exactitude des montants crédités. Et ce point est important, car il peut arriver que l’un de vos employeurs ait « oublié » de verser sa part ou de vous avoir déclaré ! Dans ce cas, c’est vous qui seriez pénalisé et qui subiriez une diminution de la rente à laquelle vous avez légitimement droit. Et ne comptez surtout pas sur la caisse de compensation pour vous avertir que votre compte est anormalement modeste, car ce montant n’apparaîtra que lors du calcul de la rente, à la retraite, ou lors d’une projection, lorsque les différents comptes individuels auront été agrégés.

Conserver ses fiches de salaires

Si cet examen vous permet de déceler une anomalie dans le versement de l’un de vos ex-employeurs, voire l’actuel, vous pourrez faire valoir vos droits. Mais à condition que vous ayez précieusement conservé les fiches de salaires correspondant à ces années de cotisations non créditées sur votre compte individuel, qui prouveront votre bonne foi. Si c’est le cas, ces revenus pourront alors être inscrits sur votre compte individuel. Mais attention, le délai pour rectifier ces inscriptions est assez court puisqu’il est limité à 30 jours suivant la remise de l’extrait de compte.