Quand dépenser devient indolore, à court terme…

Stéphane Genton, propriétaire d’un bar à cocktail à Fribourg (Source : RTS)

En regardant un reportage sur l’évolution des moyens de paiement dans notre pays dans le dernier magazine de Mise au point de dimanche soir, j’ai été quelque peu déçu que le journaliste de la RTS ne rebondisse pas sur l’aveu d’un des intervenant. Il s’agit du propriétaire de plusieurs bars à Fribourg qui a décidé de n’accepter que les paiement par cartes pour son nouveau bar à cocktail. Pour justifier cette décision, il mettait en avant certains avantages, avant de concéder spontanément,  et avec un sourire un peu gêné : « Quand les gens paient en argent digital ou par carte de crédit, ils font peut-être moins attention à leur budget, entre guillemets ; je pense même qu’ils vont dépenser un peu plus en payant avec des cartes. Je ne sais pas si c’est bien que je dise cela, mais je l’ai dit… »

Avantages des paiements en ligne

En fait, c’est le cœur du sujet. Personne ne peut sérieusement contester les avantages de régler ses factures par voie électroniques plutôt, par exemple, que d’aller chercher de l’argent à la banque et ensuite d’aller faire la queue à la poste avec ses bulletins de versement. Même si une partie de la population préfère encore ce moyen un tant soit peu archaïque pour des raisons générationnelles.

Mais, pour faire écho aux propos au patron de bar interrogé dans Mise au Point, la facilité d’achat tellement vantée par les promoteurs des paiements électroniques s’accompagne d’un effet pervers bien connu des services sociaux, contribuant à faire perdre la maîtrise de son budget. Cette thématique n’a évidemment pas échappé aux spécialistes de finance comportementale, comme Dan Ariely, dont j’avais déjà commenté le dernier ouvrage* dans mon avant-dernier billet, co-signé avec l’humoriste Jeff Kreisler.

Des moyens de paiement plus propices à la réflexion

En effet, expliquent les auteurs : «Et cela – notre faible conscience de nos dépenses – est peut-être ce qu’il y a de plus effrayant dans les progrès constants des moyens utilisés par les entreprises pour nous faire oublier la douleur du paiement. Tant de progrès technologiques récents ont facilités les paiements que nous sommes à peine conscients de nos dépenses. »

La question est de savoir comment choisir des moyens de paiements plus propice à la réflexion : « Et si certaines banque créent des modes de paiement plus raisonnés et plus douloureux, choisirons-nous les réglages qui nous permettront de ressentir un peu le supplice du paiement ? Opterons-nous pour ce qui nous fera souffrir afin de pouvoir en bénéficier plus tard ? » Bonne question !

*L’argent a ses raisons que la raison que la raison ignore, par Dan Ariely et Jeff Kreisler, Alisio, 2019

 

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.

9 réponses à “Quand dépenser devient indolore, à court terme…

  1. Oui, on pourrait imaginer que le portable (ou la montre) produise une décharge de … X volts, par tranche de 10.- 🙂

    Plus sérieusement, la carte de crédit a précisément été inventée pour le turn over, pas pour des questions de facilité technique.

    D’ailleurs il y a des cartes de crédit et des cartes de débit!
    Ici, en Uruguay, les gens en ont cinq pour arriver à la fin du mois, avec une créance qui s’allonge d’autant que l’effet est illusoire… et leur futur catastrophique, d’autant plus que le vent argentin va venir tôt ou tard et le Brésil, c’est pas mieux, Amazonie avec ou sans arbres !

    1. De tous les problèmes économiques que j’arrive à assimiler – seul le problème de l’Argentine m’échappe. Un sol aussi riche, soleil, agriculture, eau et des terres à perte de vue, pourquoi ils n’arrivent pas à se redresser? d’autant plus, que le pays a été sérieusement aidé par tout le monde il y a 16 ans lors de la première crise.

      A la naissance des cartes de débit, il y a une trentaine d’années, les autorités aurait dû restreindre l’usage des cartes de crédit, pour éviter les drames du surendettement dans les pays pauvres & riches. Il y a des organismes de crédit qui facturent 12 et 18% de taux d’intérêts débiteurs à ceux qui ne couvrent pas les créances à la fin de chaque mois.

      1. Bonjour,

        En complément aux commentaires d’Olivier Wilhem et d’Elie Hanna, je dirai que les cartes de crédit, tellement utiles en voyage ou sur Internet par exemple, poussent non seulement à la consommation, mais s’avèrent effectivement très coûteuses. A n’utiliser donc qu’à bon escient !

      2. Pour l’Argentine, son problème a de multiples causes, mais pour faire simple:
        – anciens immigrants d’origine majoritairement italiennne, peu de sens démocratique (regardez l’Italie aujourd’hui);
        – énorme taux de corruption et gigantesque évasion de capitaux, comme dans toute amlat;
        – main mise de multinationales sur nombre de secteurs et là aussi, les bénéfices s’en vont et ne profitent pas au pays;
        – sans doute aussi, grande nuisance des narcotrafiquants.

        Dans ce panorama, je vous laisse imaginer à qui profitent les accords avec le Mercosur… 🙂

  2. Bonjour,

    Je n’ai pas vu le reportage en question, mais il me semble que refuser des paiements en argent comptant est illégal (pouvoir libératoire des billets).

    Si c’est exact, il serait peut-être bon d’en informer ce patron…

    1. Bonjour,

      Merci pour cette remarque. Vous avez sans doute raison, mais il faudrait le vérifier. En passant, pour visionner ce reportage, il vous suffit de cliquer sur le terme Mise au point, que j’ai mis en hyperlien.

      1. Je complète mon commentaire avec l’extrait d’article de loi suivant :
        ********************

        Loi fédérale sur l’unité monétaire et les moyens de paiement du 22 décembre 1999 (Etat le 1er janvier 2007)
        Section 1 Unité monétaire et moyens de paiement ayant cours légal
        Art. 3 Obligation d’accepter
        1 Toute personne est tenue d’accepter en paiement jusqu’à 100 pièces suisses courantes.

        2 Toute personne est tenue d’accepter en paiement les billets de banque suisses sans
        limitation de la somme.

        ********************

        Cela renforce mon opinion concernant l’illégalité de refuser les paiements en espèces.

        1. Merci de cette information !

          Je vous suggère de la communiquer à l’équipe de Mise au point, qui sera certainement intéressée par cette précision.

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