L’initiative du PDC sur la «dépénalisation» du mariage prête (involontairement?) à confusion

Les couples de concubins peuvent être lourdement pénalisés par  les impôts de succession

© Ronit Antebi

L’initiative populaire « Pour le couple et le mariage – Non à la pénalisation du mariage » soumis à votation le 28 février répond sans doute à une injustice fiscale de l’impôt sur le revenu entre les différentes formes de couples – mariés et partenaires enregistrés d’un côté et concubins de l’autre –, mais mélange les genres. En effet, pourquoi soumettre dans le même texte une demande de correction de l’inégalité face aux assurances sociales, en comparant uniquement la rente de couple maximale de l ‘AVS pour des conjoints, soit 150% de la rente individuelle maximale, contre les deux rentes individuelles que touche un couple de concubins, sans plafonnement, soit 200% de la rente individuelle maximale. Sans compter la question de la définition traditionnelle du mariage qui suscite la polémique.

Mais avant d’aller plus loin, voyons ce que dit l’initiative : « Le mariage est l’union durable et réglementée par la loi d’un homme et d’une femme. Au point de vue fiscal, le mariage constitue une communauté économique. Il ne peut pas être pénalisé par rapport à d’autres modes de vie, notamment en matière d’impôts et d’assurances sociales.»

Inégalité de l’impôt sur le revenu

Ce texte paraît clair, au moins en ce qui concerne les impôts, dans la mesure où chacun peut se référer à un arrêt du Tribunal fédéral de 1984 (!) «qui a décidé que les couples mariés ne pouvaient pas être plus lourdement taxés que les couples non mariés», comme l’indique la brochure explicative officielle. La correction de cette inégalité paraît d’autant plus légitime qu’elle n’a pas été voulue par le législateur mais découle d’une évolution de la société : d’une part, le concubinage s’est banalisé alors qu’il était naguère très mal vu, tandis que le modèle basé sur le salaire unique du père – son épouse restant à la maison pour s’occuper des enfants et du ménage – se marginalise. Avec la progressivité de l’impôt, c’est-à-dire en raison de taux qui s’accroissent avec les revenus, on comprend aisément qu’il vaut mieux avoir deux salaires imposés de manière séparée, et donc à un taux d’imposition global plus bas, que si l’impôt est prélevé sur la somme de ces salaires. C’est le principe général.

Peu de couples concernés

Si l’on entre un peu plus dans le détail, la situation s’avère plus contrastée, comme le reconnaissent d’ailleurs les initiants, puisqu’ils évaluent à 80’000 le nombre de couples mariés qui sont lésés par rapport aux concubins, ainsi que de nombreux retraités mariés. En effet, tout dépend de leur situation, comme le montrait le dossier préparé par TTC le 26 janvier avec l’expertise de l’avocat fiscaliste Xavier Oberson qui en expliquait bien les enjeux. Le nombre de personnes concernées paraît modeste par rapport à l’ensemble des couples mariés. Mais cela s’explique par le fait que les législations cantonales ont toutes été adaptées pour réduire cette inégalité, mais de manière plus ou moins importante. En revanche, l’impôt fédéral n’a subi aucune correction et désavantage clairement les couples mariés.

Un large éventail d’opposants

Étant donné la volonté de corriger cette inégalité de traitement, on aurait pu s’attendre à ce que cette initiative soit plutôt favorablement accueillie. En réalité elle fait face à une large opposition allant des tenants de l’imposition individuelle, à ceux qui estiment qu’elle ne favoriserait que les couples les plus aisés tout en occasionnant de lourdes pertes en matières fiscales, en passant par ceux qui s’opposent à la définition du mariage telle qu’elle est exprimée dans le nouvel article de loi proposé. À cet égard, le débat organisé dans l’émission Infrarouge du 10 février constituait une précieuse contribution pour en comprendre les enjeux.

Inégalité face aux assurances sociales ?

Ce même débat permettait de s’interroger sur le deuxième volet de cette initiative, qui vise à supprimer l’inégalité en matière d’assurances sociales. Car si l’on sort de la simple comparaison des rentes de vieillesse de l’AVS entre couples mariés et de concubins, le tableau se présente sous un jour différent. Et l’on peut partager l’avis du Conseil fédéral et du Parlement : « En matière d’assurances sociales, les couples mariés ne sont pas pénalisés par rapport aux couples non-mariés, malgré le plafonnement de leurs rentes AVS à 150% d’une rente individuelle maximale. Dès que les assurances sociales sont considérées dans leur ensemble, les couples mariés sont mêmes avantagés. Ils peuvent même bénéficier de prestations (notamment en faveur des veufs et des veuves) ou d’allégement de contributions auxquels les couples non mariés n’ont pas droit. La suppression du plafonnement des rentes en cas d’acceptation de l’initiative privilégierait encore davantage les couples mariés.»

Une question de tactique ?

À la lecture de cet argumentaire avec lequel il est difficile d’être en désaccord dès que l’on procède à une analyse comparative un peu fouillée, on peut s’interroger sur ce que déciderait le parlement en cas d’acceptation. Car s’il est censé corriger une inégalité inexistante à ses yeux, quel est le sens de cette exigence ? Pourquoi donc figure-t-elle dans l’initiative ? Sans forcément mettre en doute la bonne foi des initiants, on peut imaginer qu’il ne leur a pas échappé que l’élargissement aux assurances sociales augmenterait sensiblement leurs chances de faire passer l’initiative. En effet, une grande partie de la population imagine probablement qu’un oui dans les urnes impliquerait automatiquement le relèvement de la rente de couple maximale au niveau des deux rentes individuelles maximales. Sans doute à tort.

Les couples mariés avantagés en cas de succession

Par ailleurs, si l’on voulait apporter plus de d’eau au moulin des détracteurs de l’initiative, on pourrait élargir plus encore le cadre en prenant en compte les questions successorales. Dans cette perspective, le mariage présente de nets avantages sur le concubinage. En effet, en cas de décès, le conjoint survivant participe à un premier partage lié à la dissolution du régime matrimonial, qui est dans la grande majorité des cas la participation aux acquêts. Ensuite, intervient un second partage auquel participe également le veuf ou la veuve mais, le cas échéant, avec les enfants du couple. Par comparaison, un(e) concubin(e) survivant(e) n’a a priori aucun droit.

Les concubins matraqués par les impôts successoraux.

Par testament, la personne défunt aurait cependant pu désigner son compagnon ou compagne comme héritier, mais uniquement au-delà des parts réservées aux héritiers légaux. Par exemple, si le concubin avait eu des enfants d’un premier lit, ceux-ci auraient pu prétendre à au moins les  trois quarts de la succession. La concubine n’aurait donc droit au maximum qu’à un quart des biens laissés par son compagnon. Sans oublier bien sûr le fisc, qui a la main particulièrement lourde dans ce cas, car la concubine serait considérée comme totalement étrangère à la famille. Dans les cantons les plus gourmands, le taux des impôts sur la succession peut aller jusqu’à 50%, comme dans le canton de Vaud, et même 54,6%  à Genève ! Le mariage peut donc s’avérer très judicieux pour des considérations purement fiscales pour des couples âgés et qui disposent d’un patrimoine important qu’ils veulent pouvoir transmettre au conjoint survivant à l'abri du fisc.

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.