Qui sont les grands manipulateurs des marchés financiers ?

J’ai découvert hier soir le blog de François Pilet, baptisé « Plus c’est gros, plus ça passe » sur l’affaire du trader solitaire à Londres qui aurait provoqué tout seul le flash crash de 2010. Mon confrère ironise ainsi sur le temps qu’il aura fallu pour dénicher le soit-disant coupable, juste avant la prescription.

A chaud, j’avoue partager le scepticisme de mon confrère, qui en profite pour fustiger les vrais coupables, de son point de vue :  « Les grandes mondiales et les sociétés de trading à haute fréquence qui leur servent de porte-flingues.

Ces gens sont ceux qui, chaque jour, tiennent les ficelles du grand théâtre de la Bourse. Ce sont eux qui font croire au monde que ces courbes répondent à une logique, que chacun y a sa chance et que ces plus-values sont aussi les nôtres. »

Menace sur le système financier

Jusque-là, je pourrais encore être d’accord pour une telle formulation, avec toutefois beaucoup de réserve, tant elle frôle la caricature. Car il est notoire que certaines catégories traders à haute fréquence recourent à des techniques qui peuvent s’assimiler  à des manipulations sur les marchés financiers. Comme l’avait d’ailleurs  expliqué de manière détaillée le même François Pilet, dans l’excellent ouvrage sur le sujet qu’il avait cosigné, au titre évocateur de « Krach machine »*,  mettant en évidence la véritable menace que cet type de trading fait courir au système financier dans son ensemble.

En revanche, je suis plus que perplexe lorsqu’il écrit, dans la suite de son exposé : « Ce sont eux, surtout, qui font en sorte que ces courbes montent, alors que celles de l’économie réelle – emploi, croissance, épargne – restent plates ou en déclin. Cette vaste farce est devenue indispensable aux dirigeants européens et américains qui cherchent à prouver que leurs politiques de relance par la création de monnaie fonctionnent. »

Ce raisonnement sur l’évolution des marchés à moyen terme reposerait donc sur l’influence déterminante des traders à haute fréquence. Or ce n’est pas ce qu’on entend généralement de la part des gestionnaires d’actifs professionnels, comme j’ai pu le constater dans le cadre de mes recherches : ce négoce ultra rapide ne jouerait aucun rôle dans leur stratégie de placement.

L'action des banques centrales

Paradoxalement, si l’on veut trouver des grands manipulateurs de marchés, même si c’est souvent de manière involontaire, c’est du côté des banques centrales qu’il faut porter son regard : lorsqu’elles inondent les marchés de liquidités, elles font mécaniquement monter les bourses mondiales, comme on l’a vu au cours de ces dernières années. Et c'est sans doute le moteur le plus puissant de leur hausse phénoménale.

Quant à un exemple de manipulation directe et volontaire, on n’a pas besoin d’aller loin : lorsque la BNS a fixé un plancher pour empêcher le franc suisse de continuer de s’apprécier, qu’a-t-elle fait d’autre que de manipuler le marché des changes ?

*Krach machine, par François Pilet & Frédéric Lelièvre, Calmann-lévy, Paris, 2013

 

Pierre Novello

Pierre Novello est journaliste économique indépendant et auteur d’ouvrages de vulgarisation dans le domaine de la prévoyance, de l’investissement sur les marchés financiers ou encore pour l’accession à la propriété de son logement. Avant d’embrasser la carrière journalistique en entrant au Journal de Genève et Gazette de Lausanne, il a été formé comme analyste financier pour la gestion de fortune.