Apartheid en Israël : comment faire le buzz et manquer sa cible

Pierre Hazan,

L’organisation Amnesty International vient de publier un rapport de près de 300 pages sur Israël avec force documentation. Le titre accroche le lecteur : « L’apartheid israélien contre les Palestiniens, un système cruel de domination et un crime contre l’humanité ». Sans surprise, les journaux en ont abondamment parlé. Et comme un rituel toujours recommencé, le rapport a déclenché les réactions attendues. Amnesty international qui avait disparu des médias au profit de Human Rights Watch a fait le buzz. Les militants de la cause palestinienne ont obtenu la confirmation de ce qu’ils disaient depuis des années, amalgamant lsraël à l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid. Et l’Etat hébreu a dénoncé l’antisémitisme, y voyant un traitement particulier. Pourquoi Amnesty International ne parlerait-il pas aussi de l’apartheid chinois à l’égard des Ouïgours, de l’apartheid birman à l’égard des Rohingyas, de l’apartheid à l’égard des Kurdes…

Ironique phénomène : la charge du mot « apartheid » est telle qu’elle donne la visibilité à un rapport, mais qu’elle fait écran à son contenu. Or son contenu méritait intérêt. En particulier les discriminations institutionnelles dont sont victimes les Palestiniens qu’ils vivent non seulement en Cisjordanie et à Gaza, mais aussi à l’intérieur de l’Etat hébreu avec la loi  fondamentale de 2018 qui souligne le caractère exclusivement juif du pays. C’est ce qu’affirmait encore en 2019, le Premier Ministre israélien, Benjamin Netanyahu, lorsqu’il expliquait : « Israel n’est pas l’Etat de tous ses citoyens, (…) mais seulement celui du peuple juif ».

Ce rapport vient s’ajouter à une longue liste de rapports déjà existants, témoignant des violations avérées du droit international et des droits de l’homme commises par les autorités israéliennes, que ce soit la politique de colonisation, la judaïsation de Jérusalem  – dont l’expulsion de familles palestiniennes du quartier de Sheik Jarrah est le dernier exemple -, la captation des terres, et, last but not least, le système de contrôle et les discriminations dont sont victimes les Palestiniens, y compris en Israël même.

Le rapport d’Amnesty international devient cependant plus problématique dans ses conclusions. Il propose la libre-circulation des personnes et des biens entre Israël et Gaza et Israël et la Cisjordanie, « sauf pour des individus spécifiques (« named individuals », en anglais) au nom de la sécurité ». Le rapport fait mine d’ignorer que le Hamas au pouvoir à Gaza et d’autres groupes radicaux cherchent la destruction de « l’entité sioniste » et ne se privent pas d’envoyer des roquettes sur des populations civiles. Comment Amnesty International imagine une libre-circulation dans ces conditions ? La lecture des recommandations d’Amnesty International donne l’impression que l’Etat hébreu est entourée de voisins amicaux, et devrait se comporter avec le Hamas à Gaza, comme la Suisse avec la France ou l’Allemagne. Cette vision faussement technicienne des droits de l’homme, qui veut faire abstraction du contexte en niant l’évidence, offre une critique facile du rapport.

De même, une autre recommandation porte sur le droit au retour. Amnesty International suggère à l’Etat hébreu d’accueillir les Palestiniens chassés lors de la Nakba afin qu’ils puissent revenir vivre en Israël ainsi que leurs enfants (p. 276 du rapport). La diaspora palestinienne se chiffre autour de cinq millions de personnes. Il est irréaliste de croire que le retour de ceux qui le désirent pourrait survenir sans violence, à moins d’imaginer la fin de l’Etat d’Israël remplacé par la création d’un Etat binational. C’est la conséquence logique de cette recommandation, mais Amnesty International se garde bien d’affirmer ouvertement sa vision politique de la solution du conflit. C’est cette vision qui sous-tend en réalité tout le rapport. Pourquoi l’organisation fait-elle semblant de rester dans le seul domaine des droits de l’homme ? Il y a là une forme d’hypocrisie à dissimuler sa vision politique. L’idée d’un Etat binational n’est pas nouvelle et elle est effectivement une option étant donné la poursuite de la colonisation. Elle suppose cependant au préalable qu’Israéliens et Palestiniens renoncent chacun à leur droit à l’autodétermination…

Amnesty recommande dans la foulée que les Palestiniens partis en 1948 devraient être indemnisés. C’est effectivement un principe de droit international qui est justifié. Mais Amnesty International ne parle pas du million de juifs qui ont dû quitter le monde arabe. Quid de cette inégalité de traitement ? Ne devraient-ils pas aussi être indemnisés ? La critique de l’Etat hébreu comme de n’importe quel Etat est aussi naturel que légitime. Mais en voulant à la fois, faire le buzz, dénoncer de réelles discriminations, et en catimini se faire l’avocat d’un Etat binational sans l’assumer, le rapport d’Amnesty International a en partie manqué sa cible.

 

 

 

 

Pierre Hazan

Pierre Hazan est conseiller senior en matière de justice de transition auprès du Centre pour le Dialogue Humanitaire, une organisation spécialisée dans la médiation des conflits armés. Il a couvert de nombreux conflits comme journaliste avant de se spécialiser sur les questions de justice dans les sociétés divisées. Il a été chercheur à la Faculté de droit de Harvard et a travaillé au Haut Commissariat aux droits de l’homme. Pierre Hazan est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la justice pénale internationale.

4 réponses à “Apartheid en Israël : comment faire le buzz et manquer sa cible

  1. Amnesty ne parle surtout pas des discriminations des Palestiniens dans le monde arabe: interdiction d’acquérir la nationalité, vie dans des camps, etc….

    Mieux vaut être un Palestinien en Israël que dans n’importe quel pays arabe…

  2. Mdr!!!! Les juifs ont du quitter le monde Arabe !!!! Eux ne se sont pas fait massacrer comme les Palestiniens, massacre qui dure depuis plus de 70 ans !!!

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